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Les Ateliers du Mondial
Les Ateliers du Mondial
Economie : Innovation et compétitivité
dans l’automobile
Participent à l’Atelier :
Romain BEAUME, directeur de l’Institut de la Mobilité durable, co-auteur du livre
« Réenchanter l’industrie par l’innovation »
Patrick BLAIN, Président du Comité des Constructeurs français d’Automobiles (CCFA)
Jacques CHAUVET, directeur général de Mov'eo
Pierre GATTAZ, Président du Groupe des Fédérations industrielles
Robert PLANA, Chef du service de la stratégie en recherche et innovation, ministère
de l’enseignement supérieur et de la recherche.
L’Atelier est animé par Emmanuel TAILLARDAT, journaliste spécialisé.
I) Introduction
Emmanuel TAILLARDAT
Pour la première fois, le Mondial de l'Automobile organise des conférences en son
sein. Le programme de ces Ateliers est très riche, comme vous pourrez le constater sur le
site du CCFA (www.ccfa.fr) et sur celui de la Société des Ingénieurs de l’automobile
(www.sia.fr), qui sont les deux co-organisateurs de ces rencontres.
Romain Beaume, vous dirigez l’Institut de la Mobilité durable. Vous êtes aussi coauteur d’un ouvrage passionnant et ambitieux, « Réenchanter l’industrie par l’innovation »
(paru aux éditions Dunod en mars 2012).
Patrick Blain, vous présidez le Comité des Constructeurs Français d’automobiles
(CCFA) après avoir dirigé la Plate-forme Filière automobile (PFA), présidée aujourd'hui par
Michel Rollier, de Michelin. Vous avez effectué une longue carrière chez Renault, qui vous
a mené jusqu’à la Direction générale adjointe Commercial et Division Véhicules Utilitaires.
Jacques Chauvet, vous êtes directeur général de Mov'eo, qui est le premier pôle de
compétitivité français spécialisé dans l’automobile. Je rappelle que l’on peut définir le pôle
de compétitivité comme le regroupement sur un même territoire d’entreprises,
d’établissements d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche publics ou
privés, avec une vocation : travailler en synergie pour mettre en œuvre des projets de
développement avec l’objectif d’aller jusqu’à la série. Vous avez auparavant longuement
servi chez Renault. Vos derniers postes furent Directeur commercial France puis leader de
la région Euromed.
Pierre Gattaz, vous êtes Président du Groupe des Fédérations industrielles (GFI), qui
réunit 15 Fédérations ou Unions. Vous représentez 85 % de l’industrie française, ce qui
n’est pas rien. Vous nous livrerez un point de vue de terrain.
Paris, le 1er octobre 2012
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Les Ateliers du Mondial
Vous êtes le Président du Directoire de Radial, entreprise spécialisée dans la
connectique professionnelle, fournisseur de renom dans l’aéronautique, dans l’automobile,
la défense, le médical, le spatial et les industries des télécoms. Vous êtes l’auteur du
« Printemps des magiciens » (paru aux Editions Nouveaux mondes en 2009).
Robert Plana, Chef du Service de la Stratégie et de l’innovation au ministère de
l’enseignement supérieur, vous chapeautez à ce titre le Département Transport et Energie
du ministère. Vous êtes aussi professeur d’université et membre de l’Institut Universitaire
de France.
Enfin, Bernard Julien, directeur du GERPISA, réseau international de chercheurs
spécialisés dans l’automobile, est présent dans le public. Vous êtes maître de conférences
à l’université de Bordeaux et vous avez été étroitement associé à la préparation de cette
conférence. Vous nous livrerez votre synthèse à la fin de nos échanges.
II) Compétitivité et innovation
Le thème de notre conférence est d’une actualité brûlante : le terme de compétitivité
est dans la bouche de tous les acteurs (medias, responsables politiques, industriels). Les
coûts salariaux font néanmoins davantage les gros titres que l’innovation. Or ce sont là
deux facettes fondamentales de la compétitivité. Les entreprises qui veulent survivre ont la
nécessité d’innover. Les entreprises de la filière automobile française se sont-elles dotées
des moyens, des outils et des organisations pour être innovantes dans le concert
automobile mondial ou sont-elles en retard ? Nous nous efforcerons d’être lucides sur ce
sujet.
Philippe Varin, Président du Directoire de PSA, a rappelé lors de sa conférence de
presse, le 27 septembre dernier, « qu’un allégement de 5 % à 10 % sur les coûts salariaux
aurait un effet sensible sur la compétitivité coûts ». C’est ce que tout le monde a retenu. Il
a cependant ajouté : « nous pouvons avoir des coûts supérieurs à ceux de nos voisins
européens à condition que nous vendions de la techno qui nous permette de monter en
gamme ». Il ne fait donc rien d’autre que d’affirmer le primat de l’innovation « produits » ou
process pour restaurer les marges de la compétitivité. Carlos Ghosn, Président de Renault,
affirmait de son côté dans un entretien au Figaro, le même jour : « le constructeur qui
arrivera à se positionner sur les deux segments que sont le low cost et le premium sera
gagnant ». Il affirme aussi que « 50 % des profits du secteur en Europe sont réalisés par
l’offre premium » et donc par des marques qui intègrent de l’innovation « produits » ou
« process ». C’est pourquoi il ne faut pas opposer la logique de coûts et la logique
d’innovation.
Quelle serait, pour commencer, votre définition de l’innovation et quel est son rapport
précis à la compétitivité ?
Pierre GATTAZ
Dans l’industrie française, la réussite doit passer par l’innovation. Nous avons essayé
de définir cette notion au sein du Groupement des Fédérations Industrielles. Ma propre
entreprise, qui compte 2 500 salariés et cinq usines en France, intervient sur le marché
très compétitif et mondialisé de la connectique. Nous nous rendons compte que
l’innovation (c'est-à-dire la différenciation par rapport aux Chinois, aux Indiens ou aux
Allemands) peut se repérer dans dix domaines. Il existe l’innovation de bureau d’études ou
de créativité, dans laquelle les Français sont très forts. Ils sont moins forts pour passer de
l’idée au produit et du produit au chiffre d'affaires rentable. L’innovation peut résider dans
les matériaux. Nos connecteurs étaient en bronze il y a 30 ou 40 ans. Puis ils ont été
fabriqués en acier, en inox, etc. Ils sont aujourd'hui en composite et nous cherchons à
anticiper l’évolution suivante. Il faut des matériaux plus légers, plus robustes, moins chers.
Une troisième source d’innovation peut résider dans leur mise en œuvre, en appliquant par
exemple un traitement de surface plus compétitif, qui respecte les normes
environnementales.
Paris, le 1er octobre 2012
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Les Ateliers du Mondial
Un quatrième facteur d’innovation réside dans les ressources humaines. Nous avons
intensément pratiqué le Lean Manufacturing au sein de Radial afin d’être compétitifs, grâce
à Boeing, qui nous a dit qu’il n’achèterait nos produits qu’à la condition que nous
engagions cette démarche pour diminuer nos prix. Cela représente deux à trois ans
d’effort. Nous nous sommes aperçus qu’en mobilisant des ouvriers et des ouvrières qui
n’avaient pas de formation intrinsèque, l’on peut tirer parti de leur talent et de leur
intelligence pour gagner 30 à 40 % en termes de temps de cycle, de problèmes qualité et
de stock. Nous avons ainsi pu diminuer le prix de revient intrinsèque Il y a là une façon de
baisser les coûts, de motiver les employés en France et de tirer le meilleur de ces
compétences. On embarque aussi ses meilleurs fournisseurs dans un tel projet
d’amélioration continue.
Le design, la gestion des marques, les outils numériques et le service clients
constituent aussi des sources d’innovation considérables. L’innovation est multiforme et
transpire du haut au bas de l’entreprise. Il existe une pérennité de l’industrie allemande, qui
s’est toujours inscrite dans une vision de long terme en considérant que l’industrie créait de
l’emploi et que la science et la technologie étaient porteurs d’innovation. De ce point de
vue, nous avons aussi à apprendre afin de chasser en meute. Si vous travaillez dans un
horizon de trois mois, vous cassez le socle sur lequel l’entreprise peut se développer. Si
vous vous dites : « nous allons nous donner quatre à cinq ans pour redevenir les
meilleurs », par l’innovation multiforme, cela peut fonctionner.
Emmanuel TAILLARDAT
Robert Plana, vous allez sans doute insister sur le partage de la connaissance en
recherche puis en développement. Partagez-vous l’idée selon laquelle nous avons du mal,
en France, à faire passer l’innovation de la recherche au développement et à la
production ?
Robert PLANA
Je partage en effet ce diagnostic, qui est hérité de notre Histoire napoléonienne en
matière d’éducation et de recherche. Notre système éducatif est très scolaire et ne laisse
malheureusement pas suffisamment de place aux personnes qui sortent des sentiers
battus ou dont le parcours est atypique.
Emmanuel TAILLARDAT
Vous affirmez notamment que nous avons de nombreuses formations diplômantes et
insuffisamment de formations qualifiantes.
Robert PLANA
Absolument. Il faut réintroduire de la formation qualifiante dans le système. Le concept
de formation tout au long de la vie correspond à cette notion de formation qualifiante. Le
numérique peut permettre de dispenser des formations qualifiantes très efficaces à
moindre coût pour les entreprises, en particulier les PME. Il y a là des efforts à produire,
pour créer une sorte d’université numérique qualifiante qui permettrait de bénéficier des
dernières connaissances disponibles.
En tant qu’universitaire, j’ai travaillé dans des entreprises sur l’évaluation de la
recherche. J’entendais souvent des discours incantatoires quant à la priorité qui devait être
donnée à l’innovation. Lorsqu’il s’agissait, in fine, de décider des promotions, les brevets
passaient toujours au second plan. A l’heure actuelle, l’évaluation de la recherche est
exclusivement scientifique.
Emmanuel TAILLARDAT
Patrick Blain, comment décririez-vous l’innovation dans la filière automobile ?
Sommes-nous suffisamment innovants et compétitifs ?
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Les Ateliers du Mondial
Patrick BLAIN
Nous ne le sommes jamais assez. L’innovation, dans l’automobile, représente tout de
même 6 milliards d'euros par an. Le secteur représente le plus gros contributeur de R&D
de l’industrie. Le secteur représente aussi 16 % des brevets, contre 10 % pour
l’aéronautique par exemple. En termes de masse, l’effort est donc conséquent. L’Etat fait
aussi son travail, puisque le crédit impôt recherche, récemment confirmé par le Président
Hollande et élargi aux PME, encourage cet effort.
L’étape suivante réside dans la transformation des brevets, comme nous le voyons
avec Sanofi : disposer de milliers de chercheurs ne suffit pas. Nous avons ou avions un
léger déficit d’organisation au sein de la filière, dans la mesure où une partie de la
recherche peut être collective, tandis qu’une autre partie, hyper concurrentielle, reste bien
sûr dans le périmètre de chacun. La dimension collective de l’effort de recherche a souvent
été très faible. Les seules coopérations étaient bilatérales (par exemple entre Renault et
PSA), voire trilatérales. Une initiative a été lancée à travers les pôles de compétitivité, qui
constituent une partie de la réponse. Il manquait une dimension verticale de l’approche et
la Plate-forme Filière automobile (PFA) vise à combler cette carence. Nous mettons en
place un comité technique, avec des représentants des constructeurs au plus haut niveau
(les patrons de la R&D), des équipementiers et moi-même, en tant que représentant
potentiel des constructeurs étrangers présents en France, dont certains ont une activité de
R&D. L’objectif est de déterminer ensemble, parmi les acteurs industriels de la filière, les
grands thèmes sur lesquels nous estimons devoir mettre l’accent pour les cinq ou dix
prochaines années. A titre d’illustration, il y a cinq ans, ce comité aurait pu identifier une
priorité industrielle dans l’électrification des véhicules. Les constructeurs auraient pu
conduire des efforts partagés, pour la partie non compétitive de ce domaine de recherche
et d’innovation. Nous aurions été plus forts aujourd'hui.
Emmanuel TAILLARDAT
Etant entendu qu’une telle démarche peut être menée même si les constructeurs font
des choix stratégiques différents.
Patrick BLAIN
Ce n’est pas incompatible en effet. On peut même voir là une chance. Le point
commun réside dans l’importance de l’électricité aujourd'hui. La démarche consiste alors à
cadrer, dans une feuille de route pour cinq à dix ans, les travaux des uns et des autres sur
le thème identifié.
Emmanuel TAILLARDAT
Jacques Chauvet, les pôles de compétitivité sont là pour ça.
Jacques CHAUVET
Effectivement. Le bilan dressé cette année montre qu’ils ont à peu près le travail qui
leur était demandé. De nombreux brevets ont été déposés et de nombreux projets ont été
financés. Des start up ont été créées. Plusieurs milliards d'euros ont été investis par
ricochet. Il reste à passer de l’idée labellisée et financée au marché. Il est vrai qu’il y a là
un « trou dans la raquette », car une fois l’idée financée, il existe souvent un défaut de
remontée d’information. Ensuite, le système tend aussi à se désintéresser des PME. Les
financements privés sont difficiles à obtenir. Ils requièrent des garanties que les PME ne
peuvent pas toujours apporter. C’est pourquoi il est demandé aux pôles, pour la nouvelle
étape (les trois ou six ans à venir) d’accompagner les PME afin d’aller du label au marché.
Nous sommes sans doute tous d'accord pour considérer qu’il ne peut y avoir d’avenir dans
l’automobile sans compétitivité. Or il ne peut exister de compétitivité sans innovation. J’ai
regardé ce week-end ce qui se faisait sur le Mondial de l’Auto en termes de compétitivité.
J’ai ainsi dressé une petite liste qui n’est évidemment pas exhaustive :
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tableaux de bord en tablette ;
assistance à la conduite ;
tableaux de bord personnalisables ;
commandes vocales ;
régulateur de vitesse intelligent ;
pare-brise écran ;
fauteuils grand confort ;
détecteur d’obstacle ;
Il faut y ajouter les véhicules électriques, les véhicules à combustible et le low cost. Tout
ceci représente une quantité gigantesque d’innovation. L’automobile constitue un
formidable secteur d’innovation et n’est en rien comparable à la sidérurgie, contrairement à
ce qu’on voudrait parfois nous faire croire. La compétitivité renvoie à quatre éléments :
•
le coût et le prix
Le coût d’un véhicule inclut le coût du travail mais aussi l’amortissement de la R&D, le
coût des fournisseurs, etc.
•
l’image de marque et l’attractivité des produits
De ce point de vue, le « made in Germany » demeure supérieur au « made in
France ».
•
la qualité perçue
Des progrès considérables ont été réalisés en matière de qualité perçue mais il reste
du chemin à faire, car la qualité perçue n’est pas la qualité stricto sensu. Je me
souviens d’une « caméra cachée » tournée lors du salon de Francfort, où l’on voyait
que le client allemand essaie d’arracher la moquette et passe sa main dans les
feuillures de porte. La notion de qualité perçue se rapporte aussi à un univers de
clientèle qui n’est pas le même dans tous les pays.
•
La performance du système industriel
Carlos Tavarès, directeur général de Renault, parlait avant-hier de la compétitivité et
soulignait à juste titre le rôle de la performance des usines, au-delà du coût du travail.
Paradoxalement, les deux usines les plus performantes en Europe sont celles de
Sunderland en Angleterre et Palencia en Espagne. On aimerait pouvoir citer les sites
de production de PSA.
Emmanuel TAILLARDAT
On dit même de Sunderland qu’il s’agit de l’usine la plus performante du monde
aujourd'hui.
Jacques CHAUVET
Tel est probablement le cas. C’est d'ailleurs un exemple intéressant pour le débat qui a
lieu en France en ce moment, puisqu’il y a dix ans, cette usine devait fermer. Elle est
devenue la meilleure usine du monde.
Emmanuel TAILLARDAT
Romain Beaume, concrètement, comment transmet-on l’innovation jusqu’au bout de la
chaîne ?
Romain BEAUME
Nous avons constaté en réalisant des travaux de recherche, en interaction avec neuf
constructeurs d’automobiles et en étudiant des parcours d’innovation, la formidable
diversité de l’innovation dans l’automobile. On dit généralement que l’innovation a
plusieurs formes. Il peut y avoir des briques technologiques mais aussi de nouvelles
architectures, de nouveaux concepts de véhicules, des innovations d’usages (ce qui
renvoie au travail des ergonomes et des personnes qui représentent la voix du client) ou
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Les Ateliers du Mondial
encore de multiples d’innovation dans le modèle d’affaires, comme nous le voyons dans le
low cost ou à travers le domaine de la télématique. Patrick Pélata, qui a beaucoup
échangé avec nous pour la rédaction de notre livre (dont il signe la préface), soulignait que
la vraie difficulté ne résidait pas dans la génération du potentiel d’innovation (qui est, selon
lui, infini) mais dans les choix d’innovation. La meilleure façon se de ruiner consiste à trop
dépenser dans l’innovation. Au cours des années 90, dans l’Alliance Renault-Nissan,
Renault avait focalisé son effort d’innovation sur quelques domaines précis, avec des
ressources limitées, et était parvenu à tirer ainsi son épingle du jeu.
Emmanuel TAILLARDAT
On parle « d’innovation intensive » dans le monde automobile et tel est bien le cas. On
est très innovant, parfois trop.
Romain BEAUME
Du point de vue historique, l’innovation tend à prendre le dessus depuis les années 90.
Dans les années 1910, le défi à relever consistait à concevoir un modèle que l’on sache
produire en série. Dans les années 70, l’introduction du modèle Toyota et la ligne de
production ont chamboulé l’industrie. Au cours des années 90, le secteur a été marqué par
l’accélération du renouvellement des produits et la généralisation des plates-formes, avec
la standardisation des composants. Dans les années 2000, une fois que tous les
constructeurs avaient produit leurs efforts d’élargissement de leur gamme et d’accélération
du renouvellement des véhicules, face à un marché saturé, la question résidait dans la
façon de susciter l’envie d’acheter et d’améliorer fortement la performance (en incluant la
dimension des coûts). C’est là qu’est né ce besoin d’innovation. Chaque fois que des
évolutions majeures ont touché le système de production-conception dans l’industrie
automobile, des enjeux d’évolution organisationnelle se sont fait jour. C’est ce que nous
avons au vu au cours des années 90 et 2000, tant chez les constructeurs que dans les
structures de coopération entre constructeurs et sous-traitants.
III) Les défis à relever par les constructeurs français
Emmanuel TAILLARDAT
Nous allons maintenant entrer dans les aspects concrets du sujet : quels sont les
principaux défis auxquels la filière doit faire face, qu’il s’agisse des produits, des processus
ou des organisations ?
La compétitivité du « made in France » se mesure notamment par les exportations. La
part des exportations françaises, en pourcentage des exportations totales de la zone euro,
est passée de 17 % en 1998 à environ 13 % en 2011. La compétitivité mesurée à l’aune
des ventes à l’export est donc nettement en baisse. Nous voyons aussi que les produits
manufacturés représentaient 17 % du total des exportations de la zone euro en 1995 et en
représentent 13,5 % aujourd'hui (après une légère remontée en 2011, ce qui constitue un
signe positif). Le solde du commerce extérieur automobile de la France est devenu négatif
en 2008, ce qu’indiquent les Comptes de la Nation : nous importons davantage
d’automobiles que nous n’en exportons. Enfin, sur le plan de l’emploi, l’industrie
automobile, au sens strict, rassemble 220 000 salariés et la construction automobile en
elle-même mobilise 137 000 salariés dans les usines.
Cette activité induit cependant une population occupée de 2 385 000 salariés qui
travaillent autour de la filière automobile. Les enjeux sont donc colossaux.
L’effort d’optimisation des usines apparaît tout aussi nettement puisque cette activité
regroupait 321 000 salariés en 1980, 217 000 en 1990, 191 000 en 2000 et 137 000 en
2010, pour une production en France de 2 millions de véhicules en 2010 contre 3 350 000
en 2000.
Paris, le 1er octobre 2012
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Les Ateliers du Mondial
Evoquons aussi la compétitivité « hors coûts ». Sommes-nous en déphasage et
pourquoi le « made in France » est-il trop faible au regard de notre niveau d’innovation ?
Jacques CHAUVET
Je pense que cela dépend des secteurs. Dans le luxe ou l’alimentaire, le « made in
France » constitue plutôt une référence. En matière d’automobile, les Allemands se sont
organisés plus tôt. Il existe aussi outre-Rhin ce que l’on peut appeler un patriotisme
économique. Les constructeurs font d'abord travailler les fournisseurs de rang 1
allemands, puis les fournisseurs de rang 2 allemands, et ainsi de suite, ce qui est
beaucoup moins le cas en France. La politique de sourcing des constructeurs allemands
est également différente. La matière première est achetée hors du pays mais l’assemblage
final est réalisé en Allemagne, ce qui se traduit probablement par une meilleure
compétitivité.
En outre, l’image, en France, des métiers techniques, demeure insuffisante. Or
produire des voitures innovantes et compétitives suppose de s’appuyer sur du personnel
ayant un haut niveau de technicité. Ce constat vaut pour les constructeurs comme pour les
équipementiers. Enfin, les PME, dans leurs relations avec les grands groupes, ne sont pas
considérées à la hauteur de ce qu’elles peuvent apporter. En Allemagne, en Corée ou au
Japon, le lien entre les grandes entreprises et le tissu de PME est plus fort, avec là aussi
une dimension de patriotisme économique qui nous fait défaut. Sur ce point, je suis
d'accord avec Monsieur Montebourg.
Emmanuel TAILLARDAT
Une des dernières études de l’Observatoire Cetelem de l’Automobile montre que
seulement 6 % des Français sont sensibles au fait qu’une voiture soit fabriquée en France,
ce qui est bien faible.
Pierre GATTAZ
Nous sommes capables de faire des choses formidables en France, qui est une
grande Nation industrielle. Nous produisons des avions merveilleux et de nombreux autres
produits de très haute qualité dans différents secteurs. La messe n’est pas dite. Les
Coréens fabriquent aujourd'hui des voitures alors qu’ils n’en fabriquaient pas il y a trente
ans. L’industrie représente 13 % du PIB en France mais elle totalise 85 % de l’innovation
française et 80 % de nos exportations. Un emploi industriel crée deux ou trois emplois de
service. L’industrie demeure donc un moteur fondamental pour tout pays développé. Nous
n’avons pas le choix. L’innovation « hors coûts » est fondamentale et j’insiste beaucoup
sur les processus industriels. Depuis vingt ans, on nous dit qu’il suffit de délocaliser la
production en Chine ou dans des pays à bas coûts tandis que nous conserverions la
« matière grise », selon le modèle « fabless ». C’est une hérésie totale.
Emmanuel TAILLARDAT
Chacun se souvient de la signature « Renault, créateur d’automobile ».
Pierre GATTAZ
Lorsqu’on dit à nos enfants « tu ne travailles pas bien en classe, tu vas aller à l’usine »,
nous sommes à côté de la plaque. Il faudrait plutôt leur dire : « si tu ne travailles pas bien
en classe, tu travailleras dans une banque ».
Ce changement de culture qui est nécessaire prendra peut-être une génération. Il faut
en tout cas inverser ces valeurs pour privilégier le bon sens et le pragmatisme.
Internet ne flotte pas dans l’air : il repose sur des réseaux, de la fibre optique. Tout se
rapporte in fine à l’industrie, qui repose elle-même sur les sciences et sur le travail
extraordinaire de milliers de chercheurs.
Paris, le 1er octobre 2012
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Les Ateliers du Mondial
Emmanuel TAILLARDAT
Est-ce pour cela que le « made in France » a du plomb dans l’aile ?
Pierre GATTAZ
Nos élites nous ont bercés depuis 15 ans dans tout sauf du « made in France ». Il ne
faut donc pas s’étonner de dénombrer, 15 ans plus tard, 700 000 emplois de moins dans
l’industrie. Depuis 2007 et les Etats généraux de l’industrie, on a retrouvé les vertus de
l’industrie française. Il faut continuer de redéfinir des filières d’excellence et l’Etat a un rôle
de stratège pour guider ces orientations. Il ne doit surtout pas intervenir sur le terrain mais
plutôt réfléchir à l’énergie de demain ou à la route intelligente de demain, dans un horizon
de 15 ou 20 ans. Il s’agit aussi de faire en sorte qu’il existe en France un environnement
favorable à l’économie et à l’industrie. C’est ce que j’appelle la règle des « 4S ».
•
Un environnement réglementaire simplifié
Nous avons un Code du travail de 3 200 pages, qui s’enrichit de 100 pages par an. Le
miracle d’Apple repose sur une idée géniale de Steve Jobs: simplifier la complexité. Un
enfant de 5 ans est capable d’utiliser un IPhone. Pourquoi nos élites, dont les
représentants ont souvent fait six ou sept années d’études supérieures, ne tiennentelles pas le même discours ? Il faut simplifier l’environnement fiscal, social, etc. et que
cet environnement soit stable. Une usine représente un investissement de 20 ans.
Nous allons former des jeunes régleurs ou décolleteurs pendant cinq ans et nous
souhaitons conserver ces compétences dans la durée.
•
La sérénité fiscale
Il existe en Allemagne 12 000 entreprises de taille intermédiaire (ETI). Il y a 20 ans,
j’avais 20 concurrents en France dans la connectique et il s’agissait d’entreprises
familiales (R&P, FRP, Deutsch, etc.). Toutes ces entreprises ont été vendues et je suis
« le dernier des Mohicans ». Si l’on ne cesse de nous dire que l’on va payer plus, avec
l’ISF, de nouvelles taxes, etc., en plus de toutes les difficultés qu’il rencontre déjà,
chaque entrepreneur finit par se décourager. L’environnement doit tout simplement
être marqué par le pragmatisme économique.
•
La souplesse sociale
Nous préconisons la flexi-sécurité : il s’agit d’être capable de s’adapter, car les
marchés évoluent, de même que la science et la technologie. On a peur d’embaucher
en France car il nous est difficile de nous adapter. Nous souhaitons être capables de
nous adapter continuellement, avec l’obsession de disposer d’un personnel
employable, qui soit régulièrement en formation continue. Nous pourrons alors les
repositionner très vite en France, car nous ne voulons pas que le chômage augmente
en France, bien au contraire. il ne s’agit pas là de choix politiques mais de choix
pragmatiques qui ont été faits dans de nombreux pays (Allemagne, Suède, Danemark).
Patrick BLAIN
En effet, la messe n’est pas dite. Souvenons-nous que l’on avait un peu vite
enterré l’industrie allemande au début des années 2000. Les Allemands ont su
capitaliser sur un passé de qualité qui représentait un socle extrêmement robuste.
Collectivement, nous n’avons pas misé sur la qualité suffisamment tôt, ce qui explique
la plus grande faiblesse relative du socle de qualité des constructeurs français jusqu’au
début des années 2000.
Emmanuel TAILLARDAT
La situation a évolué mais on ne le fait pas suffisamment savoir aujourd'hui.
Paris, le 1er octobre 2012
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Les Ateliers du Mondial
Patrick BLAIN
Des campagnes sont lancées mais cela prend toujours du temps. Les Allemands
peuvent aussi compter sur un atout majeur qui est dans leurs gènes : le collectif et le
consensus. Pour percer dans l’innovation, il faut du consensus social. Le Lean, dans
l’industrie automobile, constitue une action importante de la Plate-forme de la Filière
automobile. Cette démarche débute trop souvent par un combat avec les syndicats. Il
nous manque encore cette dimension d’innovation.
Emmanuel TAILLARDAT
Romain Beaume, vous expliquez dans votre ouvrage que la France sait innover.
Les constructeurs français sont passés dans une stratégie d’innovation intensive. Cela
dit, vous dites aussi que PSA et Renault n’ont modifié que récemment (autour de 2005)
l’organisation de leur Direction de Recherche et Développement.
Romain BEAUME
Nous avons étudié la façon dont les constructeurs articulent leurs activités de R&D.
Une évolution importante, l’entrée de « l’ingénierie avancée » dans leurs
organigrammes, découle sans doute de la mise en place des plates-formes
automobiles. Elle traduit la volonté de mieux anticiper la conception des innovations.
La notion d’ingénierie avancée a été inventée par Sloan dans les années 30 sans être
mise en œuvre. Elle a ensuite été reprise et mise en œuvre par Toyota dans les
années 90, après avoir été explicitée par des chercheurs japonais tels que le
Professeur Cusumano. D’autres constructeurs ont intégré cette notion plus récemment,
à l’image de Renault, dont la DRIA (Direction Recherche Innovation Automobile) est
devenue en 2009 « Direction Recherche et Ingénierie Avancée », avec un plan précis
d’ingénierie avancée et une définition du contenu de ces projets. PSA avait déjà mis en
œuvre cette innovation au milieu des années 2000 mais le pas a sans doute été
franchi concrètement un peu plus tard car le besoin d’innover dans un contexte multivéhicules s’est fait sentir plus tardivement chez les constructeurs européens.
Nous avons voulu comparer la performance de ces parcours d’innovation, selon
qu’ils aient recours ou non aux processus d’ingénierie avancée. Contrairement à ce
qu’avaient montré des travaux conduits dans les années 90 sur la performance des
projets de développement automobiles (où nous voyions des écarts très nets de
performance entre les constructeurs asiatiques et les industriels européens), nous
n’avons pas mis en évidence de différence significative entre les constructeurs
européens et leurs homologues asiatiques. Des constructeurs asiatiques très
prestigieux ont ainsi connu des échecs ou des délais extraordinairement longs de
déploiement d’innovations, alors que des constructeurs français démontraient dans
certains cas une performance d’innovation supérieure. Contrairement à ce que l’on
disait souvent à propos du Lean Manufacturing, il ne suffit donc pas d’importer le
modèle japonais. Nous avons certes étudié 26 cas et non les 200 innovations du
secteur automobile. Cet examen a cependant mis en évidence l’absence de différence
significative. On peut en conclure que la performance d’allocation du budget de R&D
est satisfaisante aujourd'hui pour les constructeurs français.
Une autre question consiste à savoir si les constructeurs automobiles ont la
capacité, seuls, à développer une activité de R&D suffisante en termes de volume.
Nous voyons qu’il serait suicidaire pour PSA ou Renault de vouloir mener leur stratégie
de R&D de façon isolée. Leur stratégie d’alliances s’avère tout à fait pertinente de ce
point de vue et un enjeu important réside dans la durabilité de ces alliances.
Emmanuel TAILLARDAT
Vous indiquez dans votre ouvrage que les Japonais ont longtemps été plus forts dans
l’analyse des contextes d’application de la recherche aux produits et aux marchés.
Paris, le 1er octobre 2012
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Les Ateliers du Mondial
Nissan fut par exemple le premier constructeur à proposer un crossover, le Qashqai,
répondant à une tendance de consommation parfaitement avérée aujourd'hui. Pourquoi ce
lien entre la recherche et le marché était-il créé de manière plus efficace par les
constructeurs japonais ?
Romain BEAUME
Les Japonais avaient surtout une très grande capacité à lier de façon beaucoup plus
fiable l’amont de l’entreprise à l’ingénierie de développement, ce qui permettait de déployer
plus vite de nombreuses applications technologiques.
Emmanuel TAILLARDAT
Les voitures « toutes options » ont longtemps été un aspect distinctif du « made in
Japan », ce qui supposait de savoir incrémenter de nombreuses innovations sur toute une
gamme.
Romain BEAUME
Des entreprises comme Nissan et Toyota se sont en effet distinguées par la vitesse
avec laquelle elles ont su déployer des innovations. Le concept de véhicule sans clé a été
développé à une vitesse remarquable par Nissan à partir de la Micra, ce qui représentait
un risque que n’auraient sans doute pas pris des constructeurs français au début des
années 2000. De la même façon, Toyota a développé sur toute sa gamme son offre
télématique à partir d’un travail conduit en amont, qui s’appliquait à tous les contextes de
véhicules. C’est la cohésion d’ensemble entre l’amont et l’aval de l’ingénierie qui a permis
cette plus grande efficacité. Ceci n’exclut pas des échecs cuisants, puisque la télématique
s’est aussi accompagnée du lancement d’une gamme de Toyota, Win, avec notamment la
Sayfa, qui n’a pas rencontré le succès. Le premier véhicule porteur d’une innovation, pour
un constructeur comme Toyota, doit aussi permettre de « se faire la main » et cela
représente un risque financièrement important. La Prius a aussi constitué pendant
longtemps une source de pertes.
Emmanuel TAILLARDAT
En résumé, les constructeurs français ont quelque peu tardé à adapter leur R&D à
l’aval. Vous affirmez aussi qu’aujourd'hui, ils sont prêts.
Romain BEAUME
Le fait qu’ils aient tardé s’explique aussi par des délais de développement plus longs
qui avaient cours dans les années 90, ce qui permettait de penser que l’innovation pouvait
se déployer dans un temps plus long en avant-projet. Les constructeurs français ont
d'ailleurs réduit plus tardivement que d’autres les délais de développement de leurs
véhicules. Ils ont, depuis lors, rattrapé ce retard.
Emmanuel TAILLARDAT
La gamme DS, chez Citroën, constitue-t-elle une traduction concrète des travaux
menés autour de l’ingénierie avancée à partir de l’analyse d’un contexte économique,
auquel doit répondre une nouvelle gamme de véhicules ?
Romain BEAUME
L’ingénierie avancée prépare avant tout des briques technologiques et des systèmes
innovants. Les briques technologiques que Citroën peut aujourd'hui intégrer facilement
dans ses gammes résultent de ce travail. L’analyse conduisant à développer une gamme
premium relève avant tout du marketing stratégique, dans une conception d’ensemble en
lien avec le commerce, le design et la communication.
Paris, le 1er octobre 2012
10
Les Ateliers du Mondial
Robert PLANA
Très tôt, le Japon a mis en place des campus technologiques alliant le public et le
privé. Ces campus n’étaient pas thématiques : ils couvraient l’ensemble des disciplines,
technologiques ou non. Ils faisaient par exemple une place à la sociologie afin de réfléchir
sur les processus d’organisation ou encore sur les attentes sociétales. En outre, les
universités japonaises travaillent depuis longtemps de façon très proche des entreprises.
Cet aspect s’améliore en France mais a longtemps constitué un point faible dans la
dynamique d’innovation. J’ai également l’impression que la relation entre les grands
groupes et les PME, en France, est souvent une relation de sous-traitance et non une
relation de co-construction. Cette caractéristique freine le développement de l’innovation.
Emmanuel TAILLARDAT
Il y a là un problème structurel que la PFA s’attache à résoudre.
Robert PLANA
On se retrouve avec, dans les PME, des « artisans » (terme qui n’a aucune
connotation péjorative dans ma bouche) qui perdent de vue parfois la dimension d’avance
technologique. Les Allemands ont instauré un outil, les Fraunhofer, qui travaillent pour les
PME allemandes.
Emmanuel TAILLARDAT
Le dispositif est chapeauté par la Fraunhofer Gesellschaft, premier institut de
recherche au monde aujourd'hui.
Robert PLANA
Ce système est organisé de façon très claire et les PME savent avec qui elles vont
travailler.
Emmanuel TAILLARDAT
Ces acteurs sont même devenus, en quelque sorte, des sous-traitants des entreprises.
Robert PLANA
Absolument. Je n’affirme pas que nous devions aller dans cette direction, car l’esprit
français n’est pas l’esprit allemand. Il y a cependant dans ces partenariats aux objectifs
bien identifiés une piste d’explication de la capacité des PME allemandes à grossir plus
vite et à atteindre une masse critique plus importante.
Emmanuel TAILLARDAT
Si l’on résume la situation, à la fin des années 90 et au début des années 2000, dans
un contexte de mondialisation, les constructeurs français (parmi d’autres) se mettent à
pratiquer fortement l’outsourcing. N’ont-ils pas oublié le tissu local et celui des PME qui
font la richesse de la filière, avant de s’en rendre compte plus récemment ?
Patrick BLAIN
Le problème des constructeurs qui sont en contact direct avec leur rang 1 se situe à un
autre niveau. Il reste là un travail considérable à produire. La gouvernance de la Plateforme de la Filière automobile est d'ailleurs en train de changer afin d’introduire la
participation directe de six patrons, dont ceux de Renault et PSA mais aussi ceux des
quatre grands équipementiers, ce qui est nouveau. Auparavant, les constructeurs jouaient
le jeu, de même que certains équipementiers. De tels dispositifs fonctionnent tout de
même mieux lorsque le patron y est impliqué.
Paris, le 1er octobre 2012
11
Les Ateliers du Mondial
Nous voyons dans cette évolution un levier important pour nous attaquer à de
nombreux sujets, parmi lesquels l’amélioration des relations entre le rang 1 et les autres
niveaux de la filière.
IV)
Innovation et montée en gamme
Emmanuel TAILLARDAT
L’innovation doit-elle aujourd'hui passer par la montée en gamme ? Doit-elle toujours
aboutir à un prix accru des véhicules, comme l’affirmait Philippe Varin lors de sa
conférence de presse du 27 septembre ?
Patrick BLAIN
Il ne s’agit pas d’une planche de salut unique pour les constructeurs. L’innovation est
multiforme, comme le rappelait Pierre Gattaz au début de l’Atelier. Il ne s’agit donc pas
de faire toujours plus.
Emmanuel TAILLARDAT
Jean-Martin Folz affirmait il y a quelques années que nous n’irions jamais en arrière.
Patrick BLAIN
Renault a brillamment démontré le contraire avec la gamme Dacia. La véritable
innovation consiste à trouver ce qui va se vendre. Je pense que PSA s’est longtemps
trompé de ce point de vue et rectifie le tir depuis peu, avec le lancement de la 301 et de la
gamme « Essentielle », qui est une sorte de low cost. Nous retrouvons les mêmes mots
que ceux utilisés par Renault au moment du lancement de la gamme Dacia.
Plus largement, la question de la montée en gamme (défendue par certains
syndicalistes ou certains responsables politiques) est liée à celle de l’emploi. Pour
maintenir l’emploi en France, il faut monter en valeur ajoutée, ce qui suppose
souvent de monter en innovation. Zoé, le véhicule électrique de Renault, sera
fabriqué en France, ce qui représente d’une certaine façon une montée en
innovation. Les véhicules hybrides de PSA, qui concernent plutôt les segments du haut
de gamme (selon une définition plus large que le haut de gamme au sens « classique » du
terme) sont fabriqués en France. Il faut continuer d’innover en France, au sens large, sans
se contenter d’empiler une série d’innovations technologiques. Il faut parallèlement
continuer de développer l’emploi à l’international, puisque c’est là que se trouvent les
marchés en expansion. Il n’y a aucune contradiction entre ces deux objectifs. Il faut
créer des usines en Chine pour gagner de l’argent qui permettra de continuer
d’innover en France.
Emmanuel TAILLARDAT
Bernard Jullien vient de faire paraître un ouvrage qu’il a co-écrit avec Yannick Lung et
Christophe Midler, « L’épopée Logan » (éditions Dunod). Carlos Ghosn indique, dans la
préface de ce livre, que la gamme Dacia a permis à Renault de conquérir de nouveaux
clients dont les deux tiers étaient des acheteurs de véhicules d’occasion. La gamme Dacia
a ainsi répondu à une demande non identifiée dans les pays matures. Il dit aussi que la
gamme Entry, c'est-à-dire la gamme Dacia, « est la plus profitable du Groupe
aujourd'hui ». « Plus de 50 % des véhicules neufs vendus par le Groupe hors d’Europe
sont des véhicules de la gamme Entry », affirme encore Carlos Ghosn. L’innovation n’est
donc pas nécessairement la montée en gamme.
Paris, le 1er octobre 2012
12
Les Ateliers du Mondial
Jacques CHAUVET
Le prix moyen que les clients sont prêts à payer pour une voiture augmente de 1 % à
2 % par an, hors inflation. Le coût de la prise en compte des réglementations (Euro 4, Euro
5, Euro 6) représente 3 % ou 4 % par an.
L’innovation représente donc la condition absolue pour que les clients
continuent d’acheter une voiture car elle représente un facteur de baisse de coût.
Dacia est un exemple intéressant car il concentre tous les ingrédients de l’innovation.
Cette gamme résulte d'abord de la vision de Louis Schweitzer, qui identifie pour des
véhicules accessibles et peu coûteux. Il existait aussi une opportunité pour Renault : le
rachat de Dacia (qui était quasiment en faillite), à la faveur d’un pacte social qui a permis
de multiplier la productivité par huit en dix ans. Les consommateurs ont eu confiance dans
la capacité de Renault à produire un véhicule low cost. Enfin, le mode de management a
eu son importance, avec une très forte implication du Président et une équipe dédiée au
projet, autour d’une seule priorité : le coût. Nous avons là les quatre ingrédients de
l’innovation. 800 000 véhicules sont produits aujourd'hui chaque année sous la marque
Dacia-Renault, qui a connu la plus forte croissance en dix ans et est aujourd'hui
synonyme, partout où elle est vendue, d’achat malin (« smart buy »). Comme le soulignait
Patrick Blain, l’innovation consiste avant tout à savoir ce qui va se vendre. De ce point de
vue, Dacia, même si elle se situe à l’opposé du segment « premium », nous offre une
formidable démonstration.
Emmanuel TAILLARDAT
Renault a également eu la force de savoir intégrer une innovation fiable et éprouvée
dans une gamme « Entry ».
Romain BEAUME
Je crois qu’il ne faut pas opposer la montée en gamme et le low cost car cet exemple
correspond à une tendance que nous observons sur tous les marchés. Les clients sont de
plus en plus nombreux à focaliser leurs achats « plaisir » sur quelques dépenses.
L’automobile en fait encore partie pour certains d’entre eux, qui sont prêts à acheter de
l’innovation pour l’innovation. Mais de nombreux consommateurs effectuent aussi des
achats « malins » en recherchant avant tout la simplicité et l’usage au niveau de ce qui est
simplement nécessaire. Pour de nombreux constructeurs, il est très difficile d’articuler ces
deux dimensions et de transmettre les signaux pertinents à la Direction de la Recherche en
amont quant aux briques à développer et à la façon de les projeter dans les gammes de
véhicules.
Emmanuel TAILLARDAT
Je crois savoir que le succès de la gamme Dacia dans les pays développés fut une
surprise pour Renault, qui la destinait avant tout aux marchés émergents.
Jacques CHAUVET
Nous ne le pensions pas au début mais nous nous en sommes rendu compte assez
vite. On a commencé à le penser en voyant que des concessionnaires allaient acheter la
Logan en Roumanie pour la vendre en France.
Patrick BLAIN
La Roumanie se trouvant en Europe, il fallait lancer le véhicule en Europe.
Romain BEAUME
Cet exemple montre aussi que le processus d’innovation ne se limite pas à la
transposition de démonstrateurs et de prototypes : la phase de lancement commercial est
Paris, le 1er octobre 2012
13
Les Ateliers du Mondial
essentielle et les boucles de rétroaction permettent d’ajuster l’innovation pour s’assurer de
sa pertinence. La réaction du marché fournit de nouvelles idées et la capacité à saisir ces
opportunités permet de rester leader sur son marché.
Emmanuel TAILLARDAT
Entre la gamme Entry et le segment premium se trouve le cœur des gammes de
constructeurs comme Renault, Peugeot et Citroën. Comment penser l’innovation pour ces
modèles ? Les constructeurs sauront-ils appliquer une innovation pour continuer de vendre
leur cœur de gamme ? 208 est proposée à un tarif un peu moins élevé que sa devancière.
La nouvelle Clio est proposée avec des tarifs comparables aux premières générations,
avec des contenus technologiques et un design sans commune mesure.
Patrick BLAIN
Effectivement. Il faut penser à la montée en gamme dans chaque segment, quelle que
soit la taille de la voiture. Si cette notion ne s’appliquait qu’au luxe, la Mini n’aurait pas
connu le succès que nous connaissons. Dans chaque segment, une partie des
consommateurs a le désir et les moyens de disposer d’un véhicule « toutes options » et
diférenciant. Renault avait lancé Initiale Paris dans cette logique. Twingo Initiale
représentait même 15 % du mix. Elle était la Twingo la plus chère et proposait toutes les
options, même si l’on voyait la tôle à certains endroits du véhicule. Nous pourrions
imaginer aujourd'hui une Dacia Initiale. La même idée est appliquée à la gamme DS en la
portant nettement plus loin, à travers une forte différenciation apportée par le design. Ce
modèle a trouvé sa place, puisqu’à un moment donné, 20 % des C3 étaient des DS3.
Emmanuel TAILLARDAT
DS3 représente 2,8 % des immatriculations en 2011, ce qui représente un vrai succès.
Patrick BLAIN
Il s’agit d’une innovation « marketing », ce qui est aussi une forme d’innovation. C’est
la façon dont les constructeurs français répondent à la nécessité de monter en gamme
dans l’offre.
Emmanuel TAILLARDAT
Courir derrière le premium allemand est-il un leurre ? Est-ce l’objectif des constructeurs
français ?
Jacques CHAUVET
Les Allemands ont une position très dominante dans les secteurs du luxe et des
berlines car le marché allemand est le plus gros marché haut de gamme d’Europe, où ce
segment représente 30 % du marché contre moins de 10 % en France, ce qui constitue
une différence déterminante pour asseoir une production nationale. En outre, ce marché a
été très peu challengé, à l’exception de Lexus et d’Infiniti, depuis 50 ans.
Patrick BLAIN
La taille du marché de haut de gamme, au sens « classique » du terme, est en effet
cinq à six fois plus importante en Allemagne, ce qui constitue une caractéristique
déterminante. Nous n’avons pas l’assise suffisante pour concurrencer les constructeurs
allemands sur ces segments de luxe.
Emmanuel TAILLARDAT
Lorsque Philippe Varin affirme que nous pourrons avoir des coûts salariaux compétitifs
à condition de vendre des technologies, il faut donc comprendre que nous innoverons sans
rechercher une montée en gamme qui aurait pour but de concurrencer les Allemands.
Paris, le 1er octobre 2012
14
Les Ateliers du Mondial
Patrick BLAIN
Nous n’attaquerons pas les segments haut de gamme au sens « classique ». Il faut
« élargir l’assiette », c'est-à-dire attaquer des marchés moins saturés par les Allemands,
comme le fait Citroën avec la DS5, qui a été présentée à Shanghai.
Emmanuel TAILLARDAT
Volkswagen ne se montre pas maladroit en Chine non plus.
Patrick BLAIN
Certes. Il s’agit cependant d’un marché en développement. Il faut élargir l’assiette aux
marchés émergents.
Pierre GATTAZ
Je suis triste que nous n’ayons pas un marché premium aussi développé qu’en
Allemagne. Le marché des véhicules destinés à une clientèle fortunée continue de grossir,
en Inde, en Chine ou en Russie. Je constate les marges considérables que dégagent les
constructeurs allemands, qui sont quasiment seuls sur ce segment. Nous sommes une
grande Nation industrielle qui a quasiment inventé l’automobile. En dix ans, nous aurions
décidé d’abandonner le premium mondial. Cela me choque. Certes, il faut être capable de
se différencier par rapport au premium allemand par les idées, par la créativité et les
bureaux d’étude. Mais il faut aussi savoir produire et savoir vendre. Cela suppose d'abord
que le véhicule ne tombe pas en panne, quel que soit son segment. Cette ambition doit
nous inciter à revoir le génie industriel et à rechercher l’excellence industrielle par les
processus. Peut-être faut-il moins dépenser en termes d’innovation « pure » et consacrer
davantage d’investissements aux processus industriels, aux matériaux et à la qualité totale
pour qu’une voiture française ne tombe jamais en panne, qu’elle soit low cost ou premium.
Emmanuel TAILLARDAT
Vos propos sont symptomatiques car vous parlez comme un consommateur, alors
qu’aujourd'hui les voitures françaises ne tombent pas plus souvent en panne que les
voitures allemandes.
Pierre GATTAZ
Encore faut-il le faire savoir.
Emmanuel TAILLARDAT
Les Mercedes classe E sont tombées en panne longtemps.
Patrick BLAIN
Nous savons que les véhicules de Renault et PSA sont au-dessus d’un certain nombre
de véhicules allemands. Tous les constructeurs connaissent ces chiffres, même s’ils ne
peuvent les utiliser.
V) Qu’attendre de l’Etat ?
Emmanuel TAILLARDAT
Que peuvent attendre aujourd'hui de l’Etat les acteurs industriels pour faire émerger de
meilleures conditions de compétitivité et favoriser l’innovation? La crise de 2008 nous a
beaucoup stimulés, puisqu’elle a finalement favorisé le retour de « l’Etat stratège » en
matière de politique industrielle.
Paris, le 1er octobre 2012
15
Les Ateliers du Mondial
Patrick BLAIN
Effectivement, suite aux Etats généraux de l’automobile qui ont eu lieu en février 2009,
les acteurs de cette démarche (Etat, constructeurs, équipementiers) ont signé le « code de
performance et de bonnes pratiques » qui prévoyait notamment la création de la Plateforme de la Filière automobile. Le projet a débuté concrètement en juin 2009, sous une
gouvernance confiée à des associations. Nous avons ensuite mené différents travaux.
Dans la nouvelle version de la PFA, la gouvernance du projet a été « musclée » grâce à la
présence, désormais, des patrons des constructeurs et des équipementiers. Il s’agit
aujourd'hui de poursuivre les travaux engagés sur le Lean. 300 fournisseurs ont été formés
au Lean en trois ans, ce qui représente un effort significatif même s’il est encore à
démultiplier auprès de milliers d’entreprises. Des travaux de nature stratégique ont été
conduits avec les fournisseurs dans chaque filière. Un comité technique a aussi été mis sur
pied afin de regrouper les acteurs de R&D de la filière, qui commencent à définir ensemble
la feuille de route à dix ans de la recherche automobile en France, pour la partie qui peut
être partagée. Il s’agissait là d’un déficit évident de la première phase.
Emmanuel TAILLARDAT
La « prime à la casse » avait un peu conduit les acteurs à mettre sous le tapis ces
problématiques de fond.
Patrick BLAIN
Exactement. Les constructeurs étaient lucides quant à l’acuité de ces problèmes mais
les petits fournisseurs ont eu l’impression que la tempête était derrière eux. La suite a
montré qu’il n’en était rien, ce qui a constitué une opportunité pour relancer cette plateforme collective de façon plus « musclée », en y incluant l’innovation.
Emmanuel TAILLARDAT
Il existe aussi le Fonds de Modernisation des Equipementiers Automobiles (FMEA),
destiné au rang 1 et décliné au rang 2, dont le budget (600 millions d'euros sur trois ans) a
été confirmé. Le FMEA a pour rôle d’accompagner les entreprises dans leur mutation en
s’immisçant dans leur capital, à la place d’actionnaire minoritaire, afin de favoriser la R&D
et l’internationalisation de ces sociétés. Où en sommes-nous de ce point de vue ?
Patrick BLAIN
29 dossiers ont été financés, pour un investissement de 358 millions d'euros. Il reste
250 millions d'euros à répartir. Tous les budgets n’ont pas été consommés en raison de
l’embellie temporaire liée à la prime à la casse. D’une façon générale, la difficulté a
consisté à convaincre les acteurs de l’urgence sans attendre qu’ils soient au bord du
gouffre. Il ne faut pas attendre d’être dos au mur pour agir, car c’est alors beaucoup trop
tard. J’espère que nous parviendrons mieux, dans la PFA 2, à restructurer les fournisseurs
pour les rendre beaucoup plus solides sans attendre qu’ils soient dans de grandes
difficultés. Le FMEA est plus proche que jamais de la plate-forme et nous allons beaucoup
miser sur le FMEA de rang 2 afin de contribuer à cette restructuration du réseau de
fournisseurs. L’objectif est que ceux-ci puissent atteindre le rang 1, investissent, continuent
d’innover et se développent à l’international.
Emmanuel TAILLARDAT
Rappelons qu’en France, 85 % des salariés de l’industrie automobile, au sens large,
travaillent dans des PME et des TPE (très petites entreprises). Les équipementiers qui
travaillent en France comptent environ 30 salariés en moyenne, ce qui explique
l’émiettement de ce tissu d’entreprises, à la différence des entreprises de taille comparable
en Allemagne.
Paris, le 1er octobre 2012
16
Les Ateliers du Mondial
Patrick BLAIN
Il existe en France deux fois plus d’entreprises et celles-ci sont deux fois plus petites.
Nous souhaitons éliminer cet écart de proportions entre la France et l’Allemagne.
Emmanuel TAILLARDAT
On a l’impression que les constructeurs redécouvrent l’existence d’un tissu régional
pour les fournisseurs de rang 1.
Jacques CHAUVET
Les pôles de compétitivité ont pour rôle de relier les PME, les grandes entreprises, les
universités, les laboratoires académiques, etc. Cela fonctionne bien jusqu’à la labellisation
des projets, voire leur financement. La difficulté naît souvent par la suite et la phase 2 des
pôles mettra l’accent sur l’accompagnement des projets en aval. Cela dit, il existe encore
des fonds non utilisés dans les investissements d’avenir. A titre d’illustration, l’aéronautique
a obtenu 1,5 milliard d'euros, l’environnement 1,4 milliard d'euros, le numérique
2,3 milliards d'euros et l’automobile seulement 250 millions d'euros. Nous ne sommes pas
là dans les rapports de proportion de ces différents secteurs en termes d’emplois à
préserver. Le secteur automobile n’est pas assez « gourmand » de ce point de vue.
Patrick BLAIN
Nous ne jouons pas assez collectif.
Jacques CHAUVET
L’aéronautique défend mieux ses intérêts au travers du lobbying et peut obtenir
davantage de crédits car 15 % des fonds bénéficient à des PME, ce qui n’est pas le cas
pour l’automobile. Le Président d’un pôle de compétitivité a proposé qu’au-delà de 20 ou
30 millions d'euros de crédit impôt-recherche, la manne supplémentaire soit conditionnée à
une aide réelle apportée par des grandes entreprises à des PME. Je souscris à cette
proposition.
Il ne faut pas non plus ignorer notre faible capacité, en France, à copier les bonnes
idées. Le ministère de la défense travaille à la mise en place d’un « Small Business Act » à
l’américaine qui vise à faire bénéficier les PME des commandes et des investissements de
l’armée. Pourquoi n’agit-on pas de la même façon dans les autres ministères ? L’appel à
projets OpenFactory, en Bretagne, a pour principe d’évaluer les projets des PME locales,
en lien avec la région. Une autre initiative intéressante est le réseau social d’observation
de l’innovation HOK, que personne ne connaît en France mais qui existe depuis dix ans,
avec une forte dimension internationale. Nous pourrions aussi souscrire à la proposition de
Terra Nova, visant à encadrer les procédures administratives d’un délai maximum pour
leur application. Il s’agirait là d’une petite révolution très efficace.
Emmanuel TAILLARDAT
Il est également question de mettre l’ensemble de la filière au travail autour d’initiatives
innovantes et structurantes.
Robert PLANA
En effet. Il existe des Instituts de Recherche Technologique (IRT) tels que M2P en
Alsace. Il s’agit de créer des campus technologiques alliant le public et le privé afin
d’accélérer le transfert de la recherche vers l’industrie et développer de nouvelles filières
technologiques. L’objectif est de faire émerger des filières « génériques », à partir
desquelles différents industriels pourraient développer des produits qui leur seront propres.
Une difficulté, en France, provient souvent du manque de confiance entre l’Etat et les
acteurs. Les IRT l’ont montré : malgré une idée de départ prometteuse, leur mise en œuvre
Paris, le 1er octobre 2012
17
Les Ateliers du Mondial
s’est avérée extrêmement complexe, l’Etat témoignant d’une certaine défiance quant à
l’utilisation de l’argent qu’il distribue. La ministre, Geneviève Fioraso, a insisté pour la
simplification de ces processus et pour la mise en place d’un partenariat public-privé plus
fluide et plus efficient.
Emmanuel TAILLARDAT
Un IRT travaille par exemple à l’allégement des matériaux pour l’automobile. Il s’agit
donc d’un effort très concret. L‘Institut d’Excellence pour des énergies décarbonées et
communicantes (IEED VeDeCom) constitue aussi un exemple de mutualisation des efforts
de recherche et développement, ce qui est très nouveau.
Romain BEAUME
La vertu de ce type d’impulsion donnée par l’Etat consiste à poser comme un prérequis la collaboration entre eux et avec les établissements de recherche et
d’enseignement de tous les acteurs de la filière dans une région. Une difficulté est liée à la
machinerie mise en place, qui freine peut-être le processus alors qu’il existe un besoin
urgent de démarrer ces initiatives. L’Institut fonctionne de manière temporaire grâce à la
participation d’un certain nombre d’acteurs qui ont abondé une fondation ayant permis de
lancer la démarche. Les contraintes de procédure sont telles, cependant, que dans le strict
respect des règles définies, aucune collaboration n’aurait dû voir le jour à ce stade, ce qui
est d’autant plus dommage que de nombreux outils ont incité les acteurs du monde
académique à nouer des contrats de collaboration avec les industriels. Le terreau est donc
plutôt favorable à ces coopérations. Force est néanmoins de constater que des dispositifs
transversaux comme le crédit impôt-recherche, où des critères simples sont définis en
amont, permettent d’aller plus vite dans le montage de nouvelles initiatives, face à des
besoins en évolution rapide. Les universités ont besoin de faire évoluer leurs cursus. Nous
voyons au sein des écoles de ParisTech le montage de laboratoires coopératifs et de
chaires créées avec des entreprises comme PSA ou Renault, qui suscitent la création d’un
véritable écosystème. Dans certains cas, une collaboration va voir le jour avec un
constructeur ou un équipementier avec pour but la réalisation d’une recherche compétitive,
sans vocation de partage. Parallèlement, les équipes du même laboratoire vont pouvoir
travailler sur des sujets beaucoup plus larges dans le cadre de l’IEED. C’est cette capacité
à partir des besoins du secteur qui est déterminante.
Emmanuel TAILLARDAT
Citons PSA avec ses OpenLabs, en collaboration avec le CNRS et Renault qui
collabore avec le CEA pour le plan « batteries ». Il s’agit là d’initiatives très concrètes.
Romain BEAUME
Il faut définir les sujets sur lesquels les acteurs ont intérêt à partager l’effort de
recherche. Il y a des sujets de recherche pour lesquels cet intérêt n’existe pas car les
constructeurs ont des opinions divergentes. Nous devons surtout nous doter de dispositifs
permettant de combiner ces deux types d’orientations de recherche.
Emmanuel TAILLARDAT
Etes-vous optimiste quant à l’évolution de ces initiatives et à leur succès ?
Romain BEAUME
En tant que membre de ParisTech et de l’Ecole Polytechnique, je m’efforce en tout cas
d’y participer et de contribuer à ces évolutions, tant au sein de l’IEED qu’au sein de
l’Institut de la Mobilité durable, qui est un partenariat à but compétitif noué par Renault et
ParisTech. Pour le reste, je ne peux garantir que toutes ces initiatives seront couronnées
de succès.
Paris, le 1er octobre 2012
18
Les Ateliers du Mondial
Emmanuel TAILLARDAT
La France s’est-elle dotée des bons outils de soutien à la compétitivité ? Je pense en
particulier au crédit impôt-recherche.
Patrick BLAIN
La réponse est nettement affirmative sur ce point.
Emmanuel TAILLARDAT
Faut-il aller plus loin ?
Patrick BLAIN
Il est prévu d’élargir ce dispositif aux processus, tant l’idée de départ est bonne. Il s’agit
notamment d’une demande du GFI.
Emmanuel TAILLARDAT
Je rappelle que le crédit impôt-recherche, dans son principe, se traduit par la
défiscalisation de la part du résultat affectée à la recherche.
Patrick BLAIN
Je participe à l’un des comités techniques « automobile », auquel participent les
constructeurs et les équipementiers. Les membres du comité se demandent tous pourquoi
un tel dispositif n’a pas été lancé plus tôt – question qui surgit chaque fois qu’une
innovation réussit.
Pierre GATTAZ
L’innovation devrait constituer la clé de voûte d’un contrat : je te donne des
commandes ; en contrepartie, tu me donnes de l’innovation et des produits de qualité.
Sans doute faut-il insister sur cet aspect dans les plates-formes de la filière automobile.
L’Etat a un rôle important mais les acteurs que nous sommes doivent travailler dans la
durée, avec l’aide des grands groupes. Le crédit impôt-recherche est une mesure fiscale
extrêmement intéressante, élargie depuis quelques semaines aux PME. Deux sujets
extrêmement importants restent à aborder : le coût du travail, qui fera l’objet d’un autre
Atelier du Mondial le 2 octobre à 15 heures. L’innovation et la qualité prennent un peu de
temps. Le choc de compétitivité (abaisser le coût du travail de 5 % à 7 %) permet, au-delà
du symbole, de donner de l’air aux entreprises. J’insiste aussi sur l’innovation permanente
et la flexi-sécurité, à laquelle nous devrons réfléchir au cours des mois à venir. La France a
un rendez-vous important sur ces deux sujets. Enfin, l’Etat doit fixer un cap clair, faute de
quoi l’environnement restera anxiogène. La question se pose en matière d’énergies (quid
des gaz de schiste, place du nucléaire, etc.) de même que pour le numérique ou encore la
santé.
VI)
Synthèse et conclusion de l’Atelier
Emmanuel TAILLARDAT
Bernard Jullien, je vous cède la parole pour une brève synthèse de l’Atelier. La filière
est-elle suffisamment bien organisée pour favoriser l’innovation et sa compétitivité ?
Bernard JULLIEN
Comme Monsieur Gattaz l’a souligné, nous sommes sortis de l’idée selon laquelle
l’innovation se limitait à la R&D, à la technologie et à la relation science-industrie.
Paris, le 1er octobre 2012
19
Les Ateliers du Mondial
Lorsque la « société de la connaissance » était sur toutes les lèvres, nombreux étaient
ceux qui estimaient que les pays matures pourraient se réserver les activités de conception
tandis que les marchés émergents hébergeraient les activités de fabrication. Le débat a
montré la nécessité de lier étroitement les technologies et leur mise en œuvre ou encore la
manière dont on peut les vendre pour favoriser une innovation définie de façon plus large
que par le passé.
Nous avons constaté depuis longtemps au sein du GERPISA des écarts de
compétitivité entre l’industrie française et l’industrie allemande ou japonaise. Si une plus
grande attention est traditionnellement portée aux processus et à l’industrie
manufacturière, nous nous éloignons progression de cette conception pour embrasser plus
largement la problématique d’innovation. Il est important d’assumer cette évolution en
considérant les multiples formes que peut revêtir l’innovation.
Le secteur automobile est également marqué par une tradition d’hégémonie des
constructeurs. A l’occasion de la crise de 2008, un mouvement s’est formé pour
reconnaître que l’ensemble de la filière devait être innovante, ce qui constitue un
changement de point de vue important. Les filières se consolident, notamment au travers
d’initiatives telles que la PFA et le FMEA. Il reste cependant du chemin à parcourir et il faut
que des dispositifs collectifs tels que la PFA soient en mesure d’animer la recherche en
fournissant des repères aux acteurs de rang 1, de rang 2 et de rang 3 qui s’y investiront.
Il a été rappelé que confondre innovation et montée en gamme serait une lourde
erreur, eu égard aux attentes sociétales et des consommateurs, d’autant plus que la
majorité des acheteurs potentiels n’a ni l’appétence particulière qui justifie un achat
« plaisir » ni un pouvoir d’achat susceptible de l’amener vers les segments les plus
créateurs de valeur. La fabrication de véhicules accessibles et convaincants représente
donc un défi auquel les constructeurs français devront répondre assez rapidement. J’ai
trouvé intéressante l’idée, lancée par le Premier ministre, d’un véhicule consommant
2 litres pour 100 kilomètres. Puisque tous les fonds alloués aux investissements d’avenir
n’ont pas été consommés, peut-être y a-t-il là une piste à explorer plus avant, à la condition
d’aboutir à un véhicule de série, si possible fabriqué dans un pays à salaires élevés.
Enfin, les outils dont l’Etat s’est doté gagnent en qualité. Le FMEA (Fonds de
Modernisation des Equipementiers Automobiles), animé par des personnes ayant à la fois
une éthique de fonctionnaire et le professionnalisme des acteurs de la filière, constitue un
bon exemple d’outils modernes de politique industrielle. Les progrès sont donc sensibles,
même s’il reste du chemin à parcourir. L’Etat doit aussi être au rendez-vous pour fournir
aux acteurs industriels des signaux pertinents et cohérents (réglementation, fiscalité
automobile, etc.) afin d’articuler les priorités qu’il identifie pour l’innovation et la
compétitivité du secteur. C’est cela dont nous avons besoin pour que le pays puisse
s’appuyer sur une véritable politique automobile.
Emmanuel TAILLARDAT
Merci à tous pour votre participation.
Document rédigé par la société Ubiqus – Tél : 01.44.14.15.16 – http://www.ubiqus.fr – [email protected]
Paris, le 1er octobre 2012
20
Index
Nous vous signalons que nous n’avons pu vérifier l’orthographe des noms et termes
suivants.
FRP ......................................................... 8
HOK ...................................................... 17
R&P ........................................................ 8
Sayfa ..................................................... 10
Win ........................................................ 10

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