Je veux être laveur de pieds

Transcription

Je veux être laveur de pieds
Je veux être laveur de pieds !
La mère :
- Eh bien, mon enfant, te voici tout proche du premier carrefour :
Il va falloir penser à un métier,
Te choisir une orientation
Et comme tu es très capable il ne suffit que de vouloir
L’Ecole normale ou haute,
La faculté suprême, l’institut multiforme ou l’X-Y-Z,
Selon ce que tu veux faire.
Le fils :
- Je veux faire laveur de pieds.
La mère :
- Que dis-tu ?
Le fils :
- Je veux faire laveur de pieds.
La mère :
- C’est pour rire. Tu n’y penses pas.
Le fils :
- Ce n’est pas pour rire, Maman.
Je veux faire laveur de pieds
La mère :
- Ca y est, tu vois, je ris, j’ai ri,
Maintenant tu peux me dire ce que tu as vraiment dans la tête.
Le fils :
- Dans la tête, j’ai des pieds, des pieds à laver.
La mère :
- Pédicure ! Mais c’est la perdition !
Ca ne vaut que pour ceux qui n’ont pas la chance d’entrer à l’X-Y-Z.
Tu dois avoir plus d’ambition.
Le fils :
- Pas pédicure, Maman, mais laveur de pieds.
C’est très ambitieux. C’est mieux que laveur de vitre, par exemple. Les pieds,
en fait, sont plus transparents : ils font plus voir de paysage.
La mère :
- Pédicure, pédiphile ou éropode, qu’est-ce que j’en ai à faire !
Mais peut-être est-ce une métaphore, oui. Laveur de pieds, cela signifie
président d’une multinationale ou la chaussure de luxe, sans doute,
Ou bien patron d’un organisme humanitaire ?
Le fils :
- Non, maman, non, cela signifie la bassine d’eau, la serviette, le savon, peutêtre la pierre ponce, mais la lumière du soleil aussi, bien sûr, et le sol et la
parole… J’oublie certainement des choses.
La mère :
- Mais les pieds du quoi,
Les pieds de qui veux-tu laver ?
Le fils :
- Les pieds de n’importe qui,
Les pieds de l’animal qui demande pourquoi
Pieds puants ou pieds plats
Pieds à cor ou à œil-de-perdrix,
Pieds beau ou pied-bot,
Pieds de coureur ou pied d’unijambiste,
Pieds à talon d’Achille, pieds à œdème d’Œdipe,
Avec l’ongle incarné
Avec le verbe incarné…
La mère :
- Ce n’est pas possible. Ce n’est pas un métier.
J’espère que ça n’est pas grave, mon Dieu.
Il faudrait voir l’assistante sociale.
Prendre rendez-vous chez l’orthopédiste… ou chez le pédopsychiatre, je ne
sais plus,
Prendre rendez-vous avec monsieur le curé qui du moins est docteur en
sciences religieuses ?
Ce n’est pas possible.
Le fils :
- Rien n’est impossible à Dieu, maman
La mère :
- Mais ça n’est pas un métier. Ca n’est pas…
Le fils :
- C’est un métier de l’Eternel.
La mère :
- Il est devenu fou.
Texte de Fabrice Hadjaj