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L’Encéphale (2011) 37, 29-31 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Les troubles de l’humeur bipolaire : rôle et souffrance des proches S. Mouchabac Hôpital Saint Antoine, Quinze-Vingts, 75012 Paris, France Le trouble bipolaire est un trouble fréquent, dont le retentissement individuel et social est considérable, lié en particulier à son caractère récidivant. On considère ainsi que dans les deux ans qui suivent un épisode index, 60 % des patients présentent au moins une récidive, et 75 % dans les 5 ans. L’impact familial, social et professionnel de la maladie est en partie lié à la durée des symptômes, Judd et al. [8] considérant par exemple que ces patients sont symptomatiques durant environ la moitié de leur vie. La gravité du trouble est également liée au risque suicidaire : 50 % des bipolaires auraient fait au moins une tentative de suicide, et 15 % décèdent par suicide Miklowitz et Johnson [15]. On peut définir les aidants comme les personnes qui apportent une aide à un patient souffrant de pathologie chronique ou de handicap Eisdorfer, Pollack et Perlick [4,17] ont précisé cette définition : l’aidant est un conjoint ou un parent, qui a les contacts les plus fréquents avec le patient, qui l’aide financièrement, qui est impliqué dans son traitement, et qui peut être contacté par l’équipe médicale en cas d’urgence. L’aidant dans le trouble bipolaire Comparés aux aidants d’autres pathologies, en particulier des pathologies somatiques (diabète, asthme, hypertension artérielle), et à l’entourage de sujets contrôles, les aidants Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (S. Mouchabac). © L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés. de bipolaires ont un» fardeau» particulièrement élevé, et des données longitudinales montrent une péjoration avec le temps, ce qui n’est pas retrouvé pour les aidants de patients somatiques Zergaw et al. [20]. Exposés à une pathologie chronique caractérisée par une alternance de phases de rémission et de phases pathologiques, au risque de suicidalité, à la persistance d’états subsyndromiques, les aidants de patients souffrant de trouble bipolaire ont une plus grande fréquence de problèmes psychiques : Ostman et Hansson [16] retrouvent par exemple dans ce groupe 40 % de symptômes dépressifs ou anxieux. L’environnement familial est important pour comprendre la survenue ou le maintien d’une pathologie bipolaire, et plusieurs niveaux sont à prendre en compte. La vulnérabilité génétique peut être partagée avec les aidants, de même que les prédispositions biologiques, expliquant en partie la plus forte prévalence de difficultés psychiques chez les aidants. La vulnérabilité psychologique doit être également prise en compte, de même que les événements de vie : facteurs de stress positifs et négatifs, déclenchant ou précipitant, dont l’effet est cumulatif. Interaction patient-entourage Les variables impliquées dans le processus d’interaction entre le patient et son entourage sont multiples. On peut les regrouper en quatre pôles, contribuant chacun au fardeau de la maladie : l’un lié au patient lui-même, à travers 30 son fonctionnement et ses problèmes comportementaux ; un autre lié aux changements chez l’aidant : changement de fonctionnement, remaniement au niveau du couple, de la qualité du réseau social, du niveau des stratégies adaptatives ; un troisième pôle est celui des symptômes psychiatriques de l’aidant ; enfin, la nature du fonctionnement familial a un rôle important sur la charge de la maladie. Le modèle des « émotions exprimées par l’entourage » est un de ceux qui sont largement utilisés pour rendre compte du fardeau de la bipolarité sur l’entourage et des interactions avec le patient. Les « émotions exprimées » sont la façon dont l’aidant s’exprime par rapport à la maladie du patient, représentant sa vision du trouble : un niveau d’émotions exprimées élevé correspond à une attitude critique vis-à-vis des troubles, une hostilité, un hyper-investissement émotionnel. Différents travaux ont montré qu’après un épisode aigu, le retour dans un environnement familial avec un degré d’émotion exprimée élevé multiplie par trois le risque de rechute, par rapport au retour dans un environnement familial avec un degré d’émotion exprimée bas [1,13]. Pour expliquer l’impact des modulations d’expression émotionnelle sur le risque de rechute, on peut se référer à un modèle simple, dans lequel les symptômes résiduels génèrent, par réactivité cognitive de l’entourage, des interactions négatives et hostiles qui entraînent l’hyper expression émotionnelle : les mécanismes cognitifs de ces réactions négatives sont l’attribution des symptômes résiduels à des facteurs contrôlables (manque de motivation du patient, par exemple), et l’attribution à des facteurs personnels (traits de caractères), l’hyper-expression émotionnelle aggravant, en retour, les symptômes résiduels. Le rôle de la vulnérabilité psychologique du patient a été étudié dans deux travaux intéressants. Une première étude [6] a porté sur deux groupes de collégiens, l’un avec antécédent dépressif et l’autre sans antécédent, à qui l’on faisait écouter des bandes sonores où leur mère décrivait leur comportement. Une IRM fonctionnelle était réalisée durant les passages émotionnellement « critiques » du discours maternel. Cette procédure expérimentale a permis de distinguer les collégiens sans antécédents dépressifs, qui activaient normalement le cortex préfrontal dorso-latéral, des collégiens avec antécédent dépressif, chez qui on retrouvait une hypo-activation de ce même cortex. Or cette région est impliquée dans le traitement des informations, émotionnelles entre autres : ceci traduit une vulnérabilité plus importante à la critique et une difficulté pour la gérer, ce qui peut aboutir à une symptomatologie dépressive par défaut de régulation des stimuli négatifs. Le second travail (Miklovitz) est une étude prospective à un an réalisée chez des patients bipolaires, qui mesurait le niveau de stress perçu, en lien avec des critiques parentales, montrant plus de symptômes dépressifs et un sentiment de bien-être réduit quand le niveau de critique augmente. S. Mouchabac Il est donc possible de proposer au patient et son entourage des thérapies centrées sur la famille qui tendent à améliorer la qualité des émotions exprimées. Celles-ci doivent être débutées dès la sortie de l’épisode aigu, en impliquant le patient et au moins un membre de son entourage. Une étude de Milkovitz et al. [12,14] a montré que l’utilisation, dans ce cadre, de trois modules thérapeutiques (psycho-éducation, amélioration des aptitudes de communication, et stratégies de résolution de problèmes), réalisés sur 9 mois, permettait, avec un recul de 2 ans, de diminuer significativement le nombre de symptômes thymiques résiduels et le taux de rechute. Spécificités de la place des proches selon l’âge Trouble bipolaire de l’enfant Dans les familles d’enfants bipolaires, l’impact de la relation conjugale des parents paraît essentiel. Jouriles et al. [7] ont par exemple montré un taux plus élevé de troubles du comportement chez les enfants en cas de désaccord parental au niveau de l’éducation des enfants. Pour Lamb et al. [10], les relations de couple de mauvaise qualité ont un effet délétère ; pour Vuchinich et al. [19], c’est la mauvaise qualité de la résolution des problèmes familiaux, et pour Deal et al. [2] la diminution de l’efficience parentale. Certaines études ont porté spécifiquement sur le rôle du père et de l’implication paternelle. Elles montrent qu’au moment où apparaît la maladie, les pères ont moins de connaissances sur l’humeur de leur enfant que les mères, et qu’ils font moins d’évaluations positives et plus d’évaluations négatives de leur enfant Fristad et al. [5]. Dans le cadre des prises en charge thérapeutiques, la focalisation sur le père est donc utile, pour inverser ces cognitions et ces comportements. L’adulte Une méta-analyse récente de 24 études (Steele 2010) a étudié les symptômes psychiques chez les aidants de bipolaires adultes. Les auteurs montrent que 31 % à 46 % des aidants ont une « détresse psychologique » (c’est-à-dire des symptômes non spécifiés). En séparant les aidants avec lien biologique avec le patient (parent, enfant, fratrie…) et les aidants sans lien biologique (conjoint par exemple), des auteurs ont montré une incidence plus élevée de signes psychiatriques lorsqu’il n’existait pas de lien biologique (80 %) que lorsqu’il en existait un (69 %), avec une tendance à la significativité. On a tenté d’expliquer ce résultat par l’ « assortative mating », c’est-à-dire l’ « appariement par ressemblance », plusieurs études ayant effectivement montré une concordance d’histoire psychiatrique familiale et personnelle entre époux. Les troubles de l’humeur bipolaire : rôle et souffrance des proches 31 De nombreuses études ont montré la fréquence de symptômes chez les aidants de patients, même lorsque le patient est stabilisé durablement [3, 9, 18]. Concernant le suicide, on relève que les parents sont plus inquiets en cas d’antécédents de tentative de suicide chez le patient, avec une souffrance psychologique persistante et une culpabilité ; alors que les conjoints sont plus inquiets en l’absence d’antécédent de tentative de suicide, avec la crainte de favoriser le passage à l’acte. L’entourage des adultes bipolaires a une demande de soins importante (30 à 40 %), mais ils s’adressent plus à un médecin généraliste qu’à un spécialiste. Références L’âgé [6] Si les sujets bipolaires âgés sont particulièrement à risque (pathologie sous-diagnostiquée, clinique complexe, évitement des soins psychiatrique par déni, peur des stigmates, complexité de l’accès aux soins, coordination imparfaite entre filière psychiatrique et autres filières de soin…), les aidants des sujets bipolaires âgés sont également à risque : ils sont plus fragiles, plus âgés, avec un impact estimé très important de la maladie du proche, et nécessiteraient donc un accompagnement plus marqué. Conclusion Quel que soit l’âge de la bipolarité, le fardeau pour l’entourage est très important. Un instrument d’évaluation permet d’ailleurs de quantifier ce fardeau, prenant en compte la clinique du patient, les aspects négatifs de la maladie, et le point de vue de l’aidant [11]. La maladie du patient entraîne une souffrance ou des troubles psychiques chez les aidants, des difficultés sociales, des relations familiales perturbées. Il faut connaître le rôle fondamental du fonctionnement familial dans la persistance des troubles, et la place importante des stratégies spécifiques de prise en charge, comme la psychoéducation et les thérapies centrées sur la famille. Conflit d’intérêt S. Mouchabac : essais cliniques : en qualité d’investigateur principal, coordonnateur ou expérimentateur principal (BMS) ; essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude (Euthérapie) ; interventions ponctuelles : rapports d’expertise (Sanofi, euthérapie) ; interventions ponctuelles : activités de conseil (Euthérapie, Lundbeck) ; conférences : invitations en qualité d’intervenant (Euthérapie, Lundbeck, Lilly, BMS, Astra Zeneca) ; conférences : invitations en qualité d’auditeur (Euthérapie, Lilly, Lundbeck). [1] [2] [3] [4] [5] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] [19] [20] Barrowclough C, Hooley JM. Attributions and expressed emotion: a review. 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