Ce que nous apprend le temps des fleurs chez les jeunes filles…

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Ce que nous apprend le temps des fleurs chez les jeunes filles…
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Ce que nous apprend le temps des fleurs chez les jeunes filles…
27/08/15
Chez les filles, l'entrée dans le processus de la puberté, avec un développement mammaire,
continue à concerner davantage de filles à un stade précoce et même très précoce (avant 8 ans). Mais,
malgré cette entrée pubertaire plus précoce, l'âge de survenue des premières menstruations reste
relativement inchangé ou bien modérément modifié. Chez les garçons, on observe que les étapes finales
de la puberté peuvent survenir plus tardivement. Ces modifications montrent que, globalement, le processus
pubertaire s'allonge. Pourquoi s'intéresser aux changements des moments d'apparition
de la maturation pubertaire et aux variations de sa durée? Entre autres raisons parce que ces événements en
disent beaucoup quant à l'impact de l'environnement et de certains polluants sur nos organismes.
Inquiétant ?
Face à certaines des évolutions
de la puberté, processus essentiel pour l'espèce humaine, des équipes liégeoises ont relu et rectifié
certaines interprétations dépassées. Elles ont, aussi, mis en évidence de nouvelles et passionnantes pistes,
dans deux études qu'elles ont publiées(1).
Leurs objectifs ? Expliquer les changements intervenus dans le processus pubertaire et décrypter les
mécanismes qui les sous-tendent. Mais aussi, entre autres, interpréter "les incroyables et énormes différences
individuelles d'un phénomène pubertaire survenant parfois avec un écart pouvant aller jusqu'à
près de 5 ans entre les individus", précise le Pr Jean-Pierre Bourguignon, pédiatre endocrinologue à
l'Université de Liège, chef de service associé au CHU de Liège, membre du Giga Neurosciences (Université
de Liège) et qui a participé aux deux études.
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La sexualité, c'est dans la tête
Voilà donc que le corps de l'enfant va passer à celui d'adulte, et cela se déroule pendant
une (assez longue) période de sa vie. Ainsi que le précise l'étude parue dans Frontiers in
Neuroendocrinology, le travail mené sur les rats permet de confirmer à quel point la durée du processus
pubertaire est "exceptionnelle" chez l'humain : dans le cadre d'une espérance de vie de deux
ans, le timing pubertaire du rat varie de 4 à 5 jours, notent les auteurs, soit 0,55 % de sa vie. En pratique, cette
période est onze fois moins longue que chez l'humain et les primates... L'une des implications
possibles de ce constat serait que la grande variabilité de l'âge au déclenchement de la puberté mais aussi
la longue latence entre la naissance et cet événement seraient caractéristiques de la fin de l'évolution des
espèces.
En pratique, durant cette période, les organes sexuels, mais tout le corps également, vont changer, y compris
à travers un pic de croissance, puisque l'hormone de croissance est produite en grande quantité durant
cette période. Fondamentalement, tout ce processus débute par un déclenchement... dans le cerveau, plus
précisément l'hypothalamus.
Plusieurs facteurs déterminent l'entrée dans le processus pubertaire mais, aussi, la variabilité
extrêmement importante de l'âge de la puberté et des phénomènes qui y sont liés, constatée dans des
pays où les conditions de vie sont sensiblement équivalentes. Parmi ces facteurs, on compte évidemment
la génétique. Mais la nutrition et l'environnement - avec, en particulier l'impact de polluants et
de substances toxiques -, ou bien encore le stress psycho-social, viennent influencer et/ou concurrencer
ce facteur. Un exemple ? On sait désormais que certains perturbateurs endocriniens peuvent stimuler
directement le signal hypothalamique plus tôt que l'âge moyen prévu, indépendamment du signal
génétique, et donc déclencher une puberté précoce.
La diversité des facteurs en cause, leurs évolutions, tout comme leurs impacts sur l'influence de la
puberté augmente, bien évidemment, la complexité des recherches. Mais les chercheurs doivent tenir compte
également d'un autre élément, dont ils découvrent de plus en plus l'importance : celui du temps.
En effet, certaines périodes de la vie sont davantage réceptives aux influences qui déterminent la puberté.
Déjà, chez le foetus...
En pratique, le déclenchement de l'entrée dans le mécanisme pubertaire se déroule donc et
s'amorce sous l'effet de bouleversements hormonaux initiés dans le cerveau. "On y constate la
redondance de différents systèmes qui contrôlent la production de la gonadolibérine, une neuro-hormone
qui est le chef d'orchestre de la puberté et la reproduction. Un peu comme dans un entonnoir, ce petit peptide
produit dans l'hypothalamus par les neurones active l'hypophyse, avec un message produit à
une certaine fréquence. Cette fréquence permet de déterminer la réponse de l'hypophyse. De cette
dernière, vont partir les gonadotrophines, qui stimuleront le développement des glandes sexuelles. La mise
en fonctionnement des cellules gonadotropes hypophysaires survient en trois vagues successives : une 1ère
fois chez le foetus, une 2ème fois peu après la naissance (la « mini-puberté ») et la 3ème au moment de
la puberté."
Stimulées , à un certain âge, par les messages en provenance du cerveau, les glandes endocrines (les ovaires
et les testicules) vont produire des hormones sexuelles qui généreront l'apparition des changements
physiques de l'organisme. Le corps se modifie, les os s'allongent, les muscles se développent
chez le garçon et le tissu adipeux chez la fille.
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Chez la fille, les ovaires commencent à produire des hormones féminines, telles que les oestrogènes. Le
premier signe pubertaire peut alors apparaître, sous la forme assez évidente d'une poussée mammaire.
Il survient habituellement entre 8 et 13 ans. L'apparition de poils pubiens et sous les aisselles, ainsi
qu'un pic de croissance, suivent rapidement ce premier stade. Enfin, la ménarche - c'est-à-dire la
première période de menstruations - arrive, environ deux ans à deux ans et demi après le début du phénomène
pubertaire. Le développement complet des seins achève ce processus, pendant lequel la jeune fille verra son
bassin s'élargir, son tissu adipeux se développer et changer de répartition, et ses hanches, ses fesses,
s'arrondir.
Et chez les garçons? Chez eux, alors que les testicules commencent à produire de la testostérone, le premier
signe de puberté survient sous la forme d'une augmentation du volume testiculaire, quasi imperceptible
pour le sujet et son entourage, à l'inverse du développement des seins chez la fille. L'apparition de poils
pubiens va suivre, généralement entre 10 et 14 ans. Alors que l'augmentation du volume testiculaire
se poursuit, le pénis grandit également (en moyenne vers 11 à 12 ans). Comme chez la fille, la fin de la
puberté, avec une pilosité pubienne complète, n'intervient cependant que plusieurs années après les
premiers signes pubertaires. Le garçon se différencie de la fille par un pic de croissance beaucoup plus tardif
dans la puberté et accompagné de la mue de la voix. Il est désormais fertile, mais certains changements au
niveau de sa pilosité (faciale et/ou thoracique) et de sa musculature peuvent continuer à se poursuivre par
la suite. Dernier "détail" : pour les deux sexes, toutes ces transformations s'accompagnent d'un
possible développement de l'acné, de l'apparition d'une odeur corporelle et de sautes
d'humeur.
Un fleuve loin d'être tranquille
Comme on vient de le voir, la puberté suit un déroulement bien défini de modifications, elles-mêmes corrélées
à différents stades. On pourrait donc imaginer que ce processus est un long fleuve, certes pas forcément
tranquille, mais relativement semblable chez les adolescents. Or il n'en est rien : entre eux, de grandes
différences peuvent apparaître, en particulier sur le moment d'apparition, la durée et la fin de ce
phénomène.
Pendant longtemps, l'attention des chercheurs s'est focalisée sur les filles et sur
l'avancement en âge de la ménarche, rappellent les auteurs de "Changes in Pubertal Timing: Past
Views, Recast Issues". De fait, la littérature scientifique s'est largement étendue sur la tendance à
une apparition plus précoce de la ménarche. Elle a été constatée depuis le milieu du XIXe siècle dans
beaucoup de pays européens et nord-américains, c'est-à-dire dans des pays dits "développés". Selon
les observations, en un siècle, soit de 1850 à 1950, ces premières menstruations sont survenues, en moyenne,
quatre années plus tôt. "Cela représente un avancement spectaculaire, et il a été interprété comme la
conséquence d'une amélioration hygiéno-diététique", détaille Pr Bourguignon. Seulement voilà : en
suivant cette logique, on aurait pu s'attendre à voir l'âge des premières règles continuer à survenir
encore plus précocement chez une majorité de jeunes filles. D'ailleurs, des projections prévoyaient un
âge moyen de la ménarche de plus ou moins 12 ans à la fin du XXe siècle. Or, cette hypothèse ne s'est
pas vraiment confirmée...
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Moins vite que prévu...
Après les années 60, l'avance de la maturation pubertaire est devenue moins rapide et/ou sa décrue
s'est arrêtée dans un certain nombre de pays. Durant ces dernières décennies, l'âge de la
ménarche s'est relativement stabilisé dans des pays comme la Belgique. "Par exemple, poursuit le Pr
Bourguignon, une étude bruxelloise de 1960 avait fixé l'âge des premières menstruations à 13 ans. Or,
actuellement, nous sommes sensiblement toujours autour de cet âge-là." De même, des publications récentes
montrent que s'il subsiste parfois une avancée de la moyenne d'âge de la ménarche - c'est
le cas au Danemark ou aux Pays-Bas -, mais elle reste modérée.
Alors, le timing pubertaire ne changerait-il plus ? Et dans ce cas, pour quelles raisons ? En fait, comme
l'explique le Pr Bourguignon, "ce que l'on constate, c'est que l'entrée dans le
processus de la puberté, avec un développement mammaire, continue à concerner davantage de filles à
un stade précoce et même très précoce (avant 8 ans)." Mais, malgré cette entrée pubertaire plus précoce,
l'âge de survenue des premières menstruations reste relativement inchangé ou bien modérément
modifié.
Par ailleurs, notent les chercheurs, on s'aperçoit également que les garçons ne sont pas en reste en
matière de changements. Ainsi, chez eux, on observe que les étapes finales de la puberté peuvent survenir
plus tardivement. "Ces modifications montrent que, globalement, le processus pubertaire s'allonge",
détaille le Pr Bourguignon.
Ce constat est loin d'être anodin : cet allongement, tout comme l'hétérogénéité des événements
pubertaires, a entraîné une révision des connaissances concernant le rôle et la place des différents indicateurs
et des mécanismes impliqués dans l'âge de la survenue pubertaire. Ainsi, par exemple, les variations
de l'âge de la puberté ne peuvent plus être considérées comme le fruit d'une séparation absolue
des déterminants environnementaux et génétiques : chacun tient un rôle respectif, mais des mécanismes
conjoints apparaissent également, et ce dès la vie foetale.
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Paroles de jeunes
" Il faut être conscient qu'il ne suffit pas de dire que la puberté commence de plus en plus tôt.
Lorsque nous l'affirmons, nous sous-tendons nos dires par des observations cliniques", précise le Pr
Bourguignon. Ce point, également soulevé dans "Changes in Pubertal Timing: Past Views, Recast Issues",
permet de mettre en perspective l'impact d'études fondées sur les auto-évaluations effectuées
par les adolescents, à qui on demande de témoigner de leur développement pubertaire.
Face à des jeunes souvent réticents à un examen physique - surtout lorsqu'ils ne sont pas venus
rencontrer le médecin pour ce motif - de nombreuses études se fondent sur des auto-évaluations menées par
les adolescents. Pour récolter l'information auprès des jeunes, différentes méthodes ont été élaborées.
Elles s'appuient parfois sur des dessins, des images ou sur différentes propositions écrites. Selon la
validité de ces méthodes - qui, rappelons-le, ne peuvent entièrement se substituer aux résultats obtenus par
des examens pratiqués par un médecin-, des résultats parfois contradictoires ont été obtenus.
A l'université de Liège, une étude rétrospective d'auto-évaluation a abordé ainsi la question
auprès des répondants : "Entre 8 et 18 ans, garçons et filles changent physiquement, mais pas au même
moment. En considérant votre développement physique, comment l'évalueriez-vous en comparaison
d'amis du même âge : très précoce, un peu précoce, identique, un peu plus tardif, très tardif ?".
Dans les réponses, davantage de jeunes ont estimé avoir connu une puberté précoce plutôt que tardive. Une
autre étude était parvenue à un résultat identique, avec de 12 à 13% d'adolescents admettant un retard
de puberté par rapport à leurs pairs, et 28 % jugeant qu'ils avaient eu un développement plus précoce
que leurs camarades. En réalité, si les deux-tiers des réponses concordaient effectivement avec le diagnostic
médical, pour une proportion élevée de jeunes, le compte n'y était pas.
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Ce constat s'explique assez "simplement" : s'évaluer comme "précoce" serait plus valorisant.
Pourtant, déceler la proportion de jeunes effectivement confrontés à une puberté précoce ou avancée reste
une donnée importante pour les chercheurs. En effet, ces adolescents sont, aussi, davantage susceptibles
de se lancer dans des comportements à risque...
Le poids de la nutrition
La nutrition occupe une place déterminante parmi les facteurs impliqués dans le déclenchement pubertaire,
en particulier chez les filles. Assez logiquement, le lien entre nutrition et puberté fait donc l'objet de
nombreuses investigations. Comme le précisent les chercheurs, "la balance énergétique et le timing pubertaire
partagent en commun des facteurs régulateurs, avec des influences possibles durant la vie foetale".
Sur le plan théorique, on sait qu'un niveau suffisant de masse grasse envoie un signal au système
neuroendocrinien pour amorcer l'apparition de la puberté, à travers la leptine (dans la maturation
pubertaire, la leptine joue un rôle de prérequis dans le contrôle neuro-endocrinien). "Sans leptine, il n'a
pas de puberté possible, détaille le Pr Bourguignon. Mais avoir de la leptine ne déclenche pas forcément
la puberté." En tout cas, l'obésité est avancée par certains auteurs comme une cause directe
d'apparition d'une puberté précoce.
En fait, la disponibilité en énergie et l'adiposité, en lien avec le développement pubertaire, occupe un
rôle important au cours de plusieurs périodes de la vie. Ainsi, des études récentes ont montré que des gains
de poids liés à des variations de nutrition dans les premiers mois suivant la naissance pouvaient impacter à
la fois la puberté et le risque d'obésité de l'enfant. Une autre étude a révélé que les enfants qui
ont un indice de poids corporel élevé (BMI) à 7 ans atteignent plus rapidement la puberté. Un lien inverse a
été trouvé entre le poids de naissance et l'avancement en âge des ménarches : plus le poids est bas,
plus la puberté survient tôt.
Sur ce dernier point, des recherches menées sur l'impact des restrictions alimentaires foetales et/ou
néonatales montrent que "l'organisme va modifier le moment de la puberté de manière différente selon
les différentes conditions auxquelles il peut être soumis, explique le Pr Bourguignon. Ainsi, une déficience
en nutrition survenue in utero peut être lue par l'organisme comme une remise en question possible
de l'espèce. Cette situation sera donc interprétée comme une nécessité d'avancer l'âge
de la maturation pubertaire et de la capacité de se reproduire." En revanche, une malnutrition au moment
de l'approche de la puberté va entraîner des effets exactement contraires. C'est qu'il ne
s'agirait pas que, dans des conditions adverses, la jeune fille puisse tomber enceinte ! Pour éviter une
telle situation, le corps programmerait donc un report de la puberté.
Cette extraordinaire traduction, par l'organisme, des conditions à laquelle est soumis un foetus, un
nouveau-né, et/ou un jeune enfant ou une fillette qui approche de la puberté, pourrait également se produire
en cas de situations psycho-sociales stressantes.
"Dans le concept que nous défendons, nous soulignons qu'on ne peut faire de relation simple ou
simpliste entre la nutrition et l'environnement et le timing pubertaire, résume le Pr Bourguignon. En fait,
tout dépend du moment où surviennent différents éléments. Et ce sont, précisément, ces différents moments
qui peuvent s'avérer déterminants."
De plus, il reste encore à découvrir - ce point semble difficile à déterminer, signalent les auteurs liégeois
de l'article paru dans Frontiers of Neuroendocrinology- s'il existe un continuum entre les trois
fenêtres de sensibilité déterminées par les chercheurs - la vie prénatale, postnatale et pendant l'enfance
- ou si chacune intervient "séparément".
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Ce qu'il faut aussi retenir, poursuit Jean-Pierre Bourguignon, c'est que pendant la grossesse,
une alimentation déséquilibrée parce que trop riche, ou bien une alimentation insuffisante, peuvent être des
stresseurs, tout comme peuvent l'être l'exposition à des perturbateurs endocriniens. On sait,
désormais, que les effets de ces deux facteurs s'avèrent cumulatifs. "Pendant la vie foetale, précise-t-il,
nous programmons la manière dont va se régler notre balance énergétique. Or, les perturbateurs endocriniens
modifient ce schéma de base de manière très convaincante : ils risquent, par exemple, de provoquer diabète
de type 2 et obésité. Mais, aussi, d'influer sur la puberté. Ainsi, une de nos récentes études, menée sur
des rates sous-nourries pendant leur gestation, démontre que cinq jours d'exposition à un perturbateur
endocrinien (le DES) change le timing pubertaire, en association avec une modification des effets de la leptine
sur l'hypothalamus".
Les pistes de l'adoption
Le poids du facteur nutritionnel et la problématique des perturbateurs endocriniens semblent particulièrement
cruciaux chez certaines fillettes : celles qui ont été adoptées dans des pays lointains (Lire Puberté précoce
et DDT). En effet, en s'interrogeant sur le nombre de cas élevés de puberté précoce apparus chez
ces fillettes, les chercheurs en sont venus à poser en hypothèse que leur avancement pubertaire pourrait
résulter d'une combinaison d'une situation d'adversité en début de vie, suivie par une opulence
(nutritionnelle) à la prépuberté et, dans certains cas, à l'impact d'une exposition (pour elles et/ou
chez les mères enceintes) à des polluants chimiques, dont certains sont d'ailleurs désormais interdits en
Europe... C'est le cas, par exemple, pour les enfants provenant de pays qui connaissent une situation
de malaria endémique, et où le DDT est encore ou a encore été largement utilisé. Filles et garçons seraient
alors davantage à risque de puberté précoce. Par rapport à des enfants belges non exposés, le risque serait
80 fois plus élevé, estiment les pédiatres endocrinologues.
"Le moment fait le poison"
Les constats quant aux conséquences des expositions in-utero à divers polluants et toxiques ont conduit les
chercheurs à d'autres remises en question particulièrement importantes. "Pendant longtemps, détaille
le Pr Bourguignon, nous avons examiné ces impacts environnementaux en nous plaçant sous l'angle de
la toxicologie 'traditionnelle'. Nous adoptions le principe ancien de Parcelse selon lequel 'la
dose fait le poison'. Or il découle de nos différentes recherches qu'un changement de paradigme
s'impose absolument : c'est - aussi - le moment qui fait le poison. Ainsi, par exemple, le foetus
va être très sensible à certains perturbateurs qui, à d'autres périodes de la vie, seraient sans effet sur
l'organisme."
Dans un article en voie de publication, les chercheurs liégeois démontrent également qu'une même
substance peut avoir des effets diamétralement opposés, détaille le Pr Bourguignon. Pour arriver à une telle
conclusion, ils ont injecté à des rates des doses différentes de bisphénol A, pendant deux semaines après la
naissance de ces animaux. Dans un cas, il s'agissait de la dose "limite" supérieure. Elle a provoqué un
avancement de la puberté. Dans l'autre cas, une dose, 200.000 fois plus faible a, quant à elle,... retardé
la puberté : une même substance, donnée au même moment, a donc eu des effets contraires en fonction de
la dose. En étudiant la fréquence des sécrétions de neuropeptides dans le cerveau des rates, il a été possible
de voir que pour les animaux exposés aux fortes doses, le cerveau fonctionnait comme s'il était plus
mature, tandis qu'à l'inverse, un retard de maturation se produisait avec la faible dose. Si cette
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étude est importante, c'est qu'elle remet entièrement en question le principe de "dose tolérable"
pour l'organisme.
"Ce principe, défendu par la toxicologie actuelle, n'est pas applicable à certains perturbateurs
endocriniens", assure le Pr Bourguignon. Ce constat bouscule solidement le système sur lequel nous
fonctionnons actuellement en matière de "tolérance" aux produits de l'industrie. Face aux enjeux, et
afin de continuer à investiguer ce domaine potentiellement lourd en conséquences, l'endocrinologue
explique qu'il s'agit désormais d'étudier l'ensemble du génome pour voir
l'expression des gènes et leurs variations contradictoires en fonction des doses d'une
substance injectée. En effet, la lecture qui découle des travaux actuels implique des liens possibles
entre l'environnement et le contrôle génétique, avec des effets environnementaux influant sur des
mécanismes épigénétiques. "Les modifications possibles de l'expression des gènes lors de la vie
foetale peuvent passer à la vie adulte. Et elles pourraient impacter les générations ultérieures", prévient
l'endocrinologue pédiatre.
Prévenez les citoyens !
Potentiellement, les travaux menés sur la puberté sont donc susceptibles de déboucher sur des implications
extrêmement lourdes au niveau de la santé publique. "Actuellement, le foetus est exposé à plus d'une
centaine de substances chimiques, dont des perturbateurs endocriniens", rappelle le Pr Bourguignon. Quelle
doit être l'attitude des autorités ? Pourront-elles résister aux pressions des lobbys qui luttent, au sein de
l'Union européenne, afin de continuer à pouvoir employer ces substances ? Du côté des Etats, on sait
que ces derniers sont souvent divisés quant aux mesures de précautions qu'ils décident. Par exemple,
en France, le bisphénol A a été interdit dans tous les contenants alimentaires. En Belgique, les autorités se
sont contentées de le bannir des aliments pour bébés.
Parallèlement, une autre question demeure en suspens : comment former les médecins pour qu'ils
puissent jouer pleinement leur rôle de prévention ? "Actuellement, on peut - on doit- essentiellement dire aux
femmes que la grossesse est une période particulièrement ciblée, pendant laquelle le principe de précaution
devrait s'appliquer au maximum, constate le Pr Bourguignon. Mais cette préoccupation ne concerne
pas uniquement les femmes enceintes : toute la société se doit d'être consciente qu'en exposant
indûment le foetus, nous risquons de préparer des conséquences qui porteront leurs effets dans quelques
dizaines d'années ou plus. Outre des produits, comme par exemple les phtalates, qui peuvent être
responsables de malformations génitales, une série de substances interfèrent avec notre système hormonal,
et elles sont porteuses d'un enjeu différé. Des études montrent que cela ne touchera pas que la puberté :
on peut aussi parler de troubles du développement cérébral, d'obésité, de diabète, de syndrome
métabolique..."
Le décalage entre nos réactions actuelles - ou nos insuffisances de réactions - et des processus en cours
pourraient donc être lourd de conséquences. En ce sens, les recherches menées par les équipes liégeoises
rappellent donc plus qu'utilement que les travaux sur la modification et les bouleversements de la
puberté dépassent largement, par la portée de leurs messages, la tête de nos garçons aux voix mutantes ou
de nos jeunes filles en fleur...
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(1) Jean-Pierre Bourguignon, Françoise Domine, Fabienne Glowacz, Marie-Christine Lebrethon, AnneSimone Parent. "Changes in Pubertal Timing: Past Views, Recast Issues" (Springer International Publishing
Switzerland, 2015)
Anne-Simone Parent, Delphine Franssen, Julie Fudvoye, Arlette Gérard, Jean-Pierre Bourguignon.
"Developmental variations in environnemental influences including endocrine disruptors on pubertal timing
and neuroendocrine control : Revision of human observations and mechanistic insight from rodents"
(Frontiers in Neuroendocrinology, 2015).
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