Il appelle ceux qu`il voulait, pour être avec lui et les envoyer prêcher

Transcription

Il appelle ceux qu`il voulait, pour être avec lui et les envoyer prêcher
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
« Il appelle ceux qu'il voulait, pour être avec lui et les envoyer prêcher... »
Mc 3, 13-19 (traduction TOB)
Jésus monte dans la montagne et il appelle ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui, et il en établit douze,
pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons. Il établit les
douze : Pierre – c'est le surnom qu'il a donné à Simon, Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère
de Jacques, et il leur donna le surnom de Boanerguès, c'est-à-dire fils du tonnerre, André, Philippe,
Barthélémy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d'Alphée, Thaddée et Simon le Zélote, et Judas
Iscarioth, celui-là même qui le livra.
Le Christ, premier de cordée !
Jésus monte dans la montagne
Dans la tradition biblique, La montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu, le lieu de la
Révélation. « Jésus monte dans la montagne » parce que l'appel des Douze est une étape décisive de
la Révélation !
Dans notre récit évangélique, Jésus, à la différence de Moïse au Sinaï, n'est pas seul au sommet : Il
y « appelle ceux qu'il veut » et douze hommes montent le rejoindre. Ils sont invités à « demeurer
avec lui », c'est à dire à entrer dans la relation d'amour qui l'unit à son Père.
Ainsi, l’appel à « être avec lui » qu'il adresse aux Douze est invitation à collaborer à son œuvre :
prêcher le Royaume et chasser les démons. S'il nous est possible d'entrer dans une relation d’amour
avec Jésus (« être avec lui ») et de participer à sa mission en tant qu'apôtres (« pour les envoyer
prêcher »), c’est bien parce que Jésus lui-même vit une telle relation avec son Père et que la volonté
du Père est, que par Jésus son Fils, nous devenions ses fils et poursuivions sa mission. En ce sens,
Jésus est un premier de cordée et les apôtres sont « encordés » à sa suite. Les apôtres d'hier, SimonPierre, André, Jacques, et tous les autres... Et puis tous ceux qui, à leur suite, ont fait le choix de
nouer autour de leur taille la corde bien solide de l'Esprit Saint afin de le suivre jusqu'au sommet
pour faire advenir le Règne de Dieu.
Être prêtres à la manière des apôtres, ce sera donc d'abord « s'encorder » avec le Christ et partager
avec Lui la mission reçue du Père : « C'est ainsi que le Christ a envoyé ses apôtres comme le Père
l'avait envoyé puis, par l'intermédiaire des apôtres, il a fait participer à sa consécration et à sa
mission les évêques, leurs successeurs, dont la fonction ministérielle a été transmise aux prêtres à
un degré subordonné : ceux-ci sont donc établis dans l'Ordre du presbytérat pour être les
coopérateurs de l'Ordre épiscopal dans l'accomplissement de la mission apostolique confiée par le
Christ. »1
Les apôtres, des hommes choisis par grâce
Il appelle ceux qu’il voulait
« Il appelle ceux qu'il voulait », dit autrement : « Parce que je te veux, je t’appelle… » En méditant
ces quelques versets de Marc, je m'émerveille du profond désir qui habite le cœur de Jésus de
vouloir associer les apôtres à son œuvre, de nous associer à son œuvre ! « Qui donc est l'homme,
1 Décret Conciliaire « Presbyterorum Ordinis », 2
1
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
pour que tu penses à lui ? Le fils d'un homme que tu en prennes souci ? »2 dit le psalmiste.
La vie de l'apôtre, la vie du prêtre, doit être habitée par la joie, par l'émerveillement, par l'action de
grâce pour cet appel reçu. J'aime la nouvelle traduction de la TOB du premier verset de
l'Annonciation : « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi »3. A nous, les
apôtres de Jésus, l'ange Gabriel dit : « sois joyeux, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec
toi ! » Il s'agit, bien évidemment, de cette vraie joie qui éclatera quelques versets plus loin dans le
beau cantique du Magnificat4 et qui sera au cœur de l'exhortation apostolique du Pape François
« Evangelii Gaudium » : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui
rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide
intérieur, de l’isolement. Avec Jésus-Christ la joie naît et renaît toujours »5 Cette joie qui n'est pas
seulement reconnaissance d'avoir été aperçu par le Seigneur, reconnu et élu par lui, mais également,
et surtout, émerveillement de constater que le Seigneur nous donne mystérieusement, par pure
grâce, les moyens pour vivre notre vocation de fils de Dieu, de prêtres, d'évêque pour contribuer à
la venue de son Règne. Qu'il vient nous aider à dépasser nos limites, à nous libérer de notre péché.
Car qui sommes-nous, en vérité, pour avoir été ainsi choisis et appelés à « faire croître la gloire de
Dieu et à faire avancer les hommes dans la vie divine »6 ? Oui, qui sommes-nous ? Qui étaient-ils,
ces Pierre, André, Jacques, Jean et tous les autres ? Pas les meilleurs des hommes, pas les plus
saints, pas les plus estimables. Alors ce choix de Dieu doit sans cesse nous appeler à une saine
humilité. Il doit nous conduire à une acceptation de nos limites, à mener le beau combat de la
conversion, à nous reconnaître dépendant des grâces de l'Esprit, fuyant l'arrogance et la tentation de
la domination qui menacent toujours le pasteur, accueillant avec bonheur la présence de l'Esprit au
sein des communautés dont nous avons la charge. Ainsi nous pourrons être le « bon berger » de la
parabole.
« Il appelle à lui ceux qu'il voulait »... Le désir profond du Christ conduit la vie de l'apôtre, la vie du
prêtre... L'apôtre, le prêtre, doit accepter de se laisser conduire par le désir profond du Christ sur sa
vie. Il nous désire à ses côtés. Sommes-nous attentifs au désir profond du Christ sur notre vie ? Il
me semble que là réside la question essentielle de notre vie spirituelle, de la vie spirituelle de tout
baptisé, mais tout particulièrement de la vie spirituelle des prêtres, des évêques, eux qui ont fait le
choix de se donner totalement au Christ et à son Église. Vous le savez bien, en effet, c'est tout au
long de la vie qu'il nous faut accueillir l'appel du Christ et y répondre tant, parfois, est large le fossé
entre ce que nous croyons être bon pour nous et ce que Dieu veut de nous. Dans ce discernement du
désir du Christ sur nos vies, il est essentiel de rappeler ici la place incontournable de
l'accompagnement spirituel : relire sa vie avec un frère aîné dans la foi, y discerner les signes de la
fidélité de Dieu, partager ses questions, analyser les échecs mais aussi les réussites, se donner des
critères pour les choix à opérer grâce à l'expérience croyante de l'accompagnateur, voilà qui permet
de s'ouvrir librement au désir du Christ sur nos vies. Librement... Car les douze hommes de notre
péricope sont totalement libres face au désir du Christ.
2
3
4
5
6
Psaume 8, 5
Luc 1, 28
Luc 1, 46-55
Pape François, Exhortation Apostolique « Evangelii Gaudium », 1
Décret Conciliaire « Presbyterorum Ordinis », §2
2
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
Les apôtres, des hommes libres
Ils vinrent à lui
Ils vinrent librement ! Si Jésus appelle librement qui il veut, c'est tout aussi librement que ces douze
hommes répondent ! Ils s'engagent alors dans un mouvement qui ne s'arrêtera plus : « aller vers le
Christ». Toute notre vie de baptisé est un apprentissage permanent pour aller vers Dieu. Dieu vient à
nous en Jésus-Christ. Par lui, il nous ouvre les bras et veut que nous avancions vers Lui. Il veut que
nous le rejoignions mais nous avançons en trébuchant, d'un pas mal assuré !
« Le sacerdoce des prêtres, s'il repose sur les sacrements de l'initiation chrétienne, est cependant
conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l'onction du Saint-Esprit, les marque d'un
caractère spécial, et les configure ainsi au Christ prêtre pour les rendre capables d'agir au nom du
Christ Tête en personne. »7, telle est la définition du sacerdoce ministériel donné par le Concile.
Mais, spirituellement, cette configuration n'est jamais acquise, elle est toujours un « aller vers le
Christ», l'unique Bon Pasteur. En cela, le 'oui' de l'ordination est un 'oui' dynamique, au sens où il
ne vient pas seulement clôturer un discernement mais engager une aventure, un compagnonnage qui
sera certes nourri par les joies, les réussites, les découvertes mais également éprouvé par les
fatigues, les tensions, les doutes, les incompréhensions. Ce qui aura permis aux apôtres non
seulement de tenir dans ce 'oui' répondu à l'appel de Jésus mais surtout d'entrer petit à petit dans le
mystère de la mission du Christ et donc dans une plus grande compréhension de leur propre mission
à ses côtés, c'est déjà d'avoir été appelés ensemble, en équipe, et de porter la mission
collégialement.
Les apôtres, des hommes d'une même fraternité
Il en établit douze
Pour nous, « être douze », cela renvoie à un effectif. Pour les évangiles, ce n’est pas un effectif,
c’est une qualité. Ils sont les « douze » : ils incarnent les douze tribus du Peuple de Dieu enfin
rassemblées. C’est la famille retrouvée, le symbole même de l’unité et de la fraternité. Ils sont
« établis », Jésus institue donc un collège qui sera le germe du Nouveau Peuple de Dieu. Porté par
les douze tribus, le peuple choisi, ce germe nouveau, est appelé à grandir, à s'épanouir et à s'ouvrir à
toutes les nations qui sont sous le ciel.
Les prêtres constituent l'ordre du presbytérat, nous pourrions dire le collège presbytéral. Nous ne
sommes pas prêtres à notre compte et l'ordination ne nous est pas conférée uniquement pour notre
sanctification personnelle, même si elle est le chemin pour y parvenir. Nous sommes,
collégialement, au service de ce nouveau Peuple de Dieu jailli dans la mort et la résurrection du
Christ : « Du fait de leur ordination, qui les a fait entrer dans l'ordre du presbytérat, les prêtres sont
tous intimement liés entre eux par la fraternité sacramentelle (…) Du fait de leur affectation au
service d'un diocèse en dépendance de l'évêque local, ils forment tout spécialement à ce niveau un
presbyterium unique. Certes les tâches confiées sont diverses ; il s'agit pourtant d'un ministère
sacerdotal unique exercé au bénéfice des hommes (…) Tous visent le même but : édifier le corps du
Christ. (…) Chaque prêtre est donc uni à ses confrères par un lien de charité, de prière et de
coopération sous toutes ses formes ; ainsi se manifeste l'unité parfaite que le Christ a voulu établir
7 Décret Conciliaire « Presbyterorum Ordinis », §2
3
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
entre les siens, afin que le monde croie que le Fils a été envoyé par le Père »8
Aussi, plus que jamais, il est nécessaire d'entretenir dans notre diocèse une vraie fraternité
presbytérale. Quels en sont les enjeux ? Je viens de le dire, manifester notre participation à l'unique
sacerdoce du Christ. Ce que nous donnons à voir de notre ministère de prêtre exprime cette
commune mission et notre désir de la porter ensemble, au-delà de nos différences toutes humaines.
Le presbyterium de Moulins (comme tous les presbyterium), c'est un « patchwork » d'hommes bien
différents et pourtant nous y faisons l'expérience de la communion, portée par une foi commune et
un même projet ministériel au service des communautés chrétiennes dont nous avons la charge.
La fraternité presbytérale, pour notre diocèse est un défi ! Nous sommes trop peu nombreux, le
territoire trop vaste pour permettre de vraies vies d' équipes. Cela permettrait pourtant
d'expérimenter la collégialité dans le ministère, même si la vie en équipe n'est pas toujours simple.
Vous êtes nombreux à vous retrouver seul sur un territoire. Je souhaiterais que se développe, ici et
là, entre confrères proches, des rendez-vous réguliers de convivialité, de prière et de partage. Cela
se vit déjà mais c'est à promouvoir. Plus que jamais, devant les exigences de la mission, les défis
qu'il nous faut relever et nos propres fragilités, il est indispensable de nous enraciner, entre prêtres
d'un même presbyterium, en Jésus-Christ, source de notre ministère. Je mesure pour cela
l'importance de nos rencontres à Chantelles, de la retraite diocésaine, de l'assemblée du
presbyterium en novembre. L'an prochain, il faudra également prévoir une journée pour les frères
prêtres de plus de 75 ans, un peu sur le modèle de ce qui est vécu à Chantelles : convivialité,
méditation de la Parole, échanges fraternels, célébration de l'office et de l'Eucharistie.
Les apôtres, des hommes qui appartiennent au Christ
Pour être avec lui
« Être avec le Christ ». C’est cela qui est premier, avant même de « s'en aller prêcher ». Seuls
peuvent agir au nom du Christ ceux qui d’abord « sont avec lui », qui veulent répondre à son
invitation de ne faire qu’un avec lui et d’être en ce monde ses mains, ses pieds, ses oreilles, ses
lèvres… Jean-Paul II, le 9 novembre 1978, disait au clergé de Rome : « Le témoignage sacerdotal,
le tien, cher confrère, et le mien, impliquent notre personne tout entière » Et il cite alors une prière
de Michel Quoist : « Oui, le Seigneur semble en effet nous parler : J'ai besoin de tes mains pour
continuer à bénir, j'ai besoin de tes lèvres pour continuer à parler, j'ai besoin de ton corps pour
continuer à souffrir, j'ai besoin de ton cœur pour continuer à aimer, j'ai besoin de toi pour continuer
à sauver. »9 Oui, nous sommes au Christ et, ordonnés prêtres, nous manifestons en sa personne
même, par l'enseignement, la célébration des sacrements de la foi et la conduite des communautés,
le Christ présent à la vie de son Peuple. Cela suppose que nous fassions, pour nous même,
l'expérience de salut que le Seigneur nous demande de faire vivre à nos contemporains car, sans
cette expérience, il n'y a pas de ministère presbytéral possible.
« Être avec le Christ » est donc premier pour notre ministère et pour notre identité presbytérale. Je
voudrais ici faire un détour par Thérèse de Lisieux, devenue la patronne des missions alors qu'elle
n'a jamais quitté son Carmel. Elle nous dit, dans la langue spirituelle de son temps, ce que signifie
pour elle « être avec le Christ » : « Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents
membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait
8
Décret Conciliaire « Presbyterorum Ordinis », 8
9 Jean-Paul II, Avec vous je suis prêtre, Le Cerf, Paris, 1986.
4
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d'amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les
membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus
l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l'Amour renfermait toutes
les vocations, que l'Amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux… En un mot
qu'il est éternel ! … Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon
Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c'est l'Amour !…»10
Les différents membres du corps du Christ qu'est l’Église, aussi essentiels soient-ils à la vie de ce
corps, ne peuvent rien sans « un cœur brûlant d'amour », celui du Christ ressuscité, qui les nourrit
afin qu'ils aient la force d'annoncer en vérité son Évangile de vie. « Être avec le Christ » sera alors
laisser battre en nos vies le cœur du Christ afin de nous laisser convertir par Lui.
Les apôtres l'ont compris au soir du Jeudi Saint, au cours de la Cène, lorsque le Christ s'identifia à
l'Agneau Pascal. Il a rompu le pain et s'est donné en nourriture de salut pour la multitude. Il s'est
abaissé à leurs pieds pour les leur laver, les invitant à la fois à se laisser transformer de l'intérieur
par sa puissance de vie et à se donner en vérité pour le service de leurs frères et la construction du
Royaume. Prêtres à la manière des apôtres, c'est dans l'Eucharistie, célébrée quotidiennement, que
nous allons puiser notre charité pastorale dans le cœur même, « brûlant d'amour », de l'Unique Bon
Pasteur.
Comme l’enseignait saint Augustin aux chrétiens qui participaient à l'Eucharistie : «Chrétien,
deviens ce que tu contemples, contemple ce que tu reçois, reçois ce que tu es : le Corps du Christ».
C’est vrai pour tous ceux qui participent au sacrifice eucharistique. C’est vrai tout particulièrement
pour les prêtres, établis «guides et pasteurs du Peuple de Dieu, poussés par la charité du Bon
Pasteur à donner toute leur vie»11. L’Eucharistie est la source de notre ministère. C’est là que nous
puisons la charité pastorale qui unifie notre ministère afin d'avoir, pour reprendre les mots de Sainte
Thérèse de Lisieux, « un cœur brûlant d'amour ».
Les apôtres, des hommes donnés au monde
Et les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons
Jésus confie aux apôtres sa propre mission : Proclamer le Royaume et l’établir en arrachant l'Esprit
du mal qui lui fait obstacle. Au lendemain de la Pentecôte, au souffle de l'Esprit, ils partiront en
« disciples-missionnaires »12. Deux appels :
1. Il nous faut être des prêtres (et des évêques) « tout-terrain »,
2. Il nous faut être des témoins de la miséricorde,
Je m'appuierai sur une citation du Pape François, extraite d'une méditation sur la miséricorde
donnée aux prêtres de Rome : « Le passage de l’Évangile de Matthieu que nous avons écouté13
nous fait tourner notre regard vers Jésus qui traverse les villes et les villages. Et c’est curieux. Quel
est le lieu où Jésus était le plus souvent, où l’on pouvait le trouver le plus facilement ? Sur les
routes. (…) Ce passage nous invite surtout à saisir la profondeur de son cœur, ce qu’il ressent pour
10 Ste Thérèse de Lisieux, manuscrit B, 2v-3v
11
Décret Conciliaire « Presbyterorum Ordinis », 13
12 Pape François, Exhortation Apostolique « Evangelii Gaudium », 119-121
13 Matthieu 9, 35-38
5
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
les foules, pour les gens qu’il rencontre : cette attitude intérieure de « compassion » (…) Parce
qu’il voit les personnes « fatiguées et épuisées, comme des brebis sans berger ». Nous avons
entendu si souvent ces paroles que peut-être n’entrent-elles pas avec force. Mais elles sont fortes !
Un peu comme ces nombreuses personnes que vous rencontrez aujourd’hui dans les rues de vos
quartiers… Et puis l’horizon s’élargit et nous voyons que ces villes et ces villages ce sont non
seulement Rome et l’Italie, mais le monde… et ces foules épuisées sont les populations de tant de
pays qui souffrent des situations encore plus difficiles… »14
Le pape nous appelle à être des prêtres et des évêques « tout-terrain ». A la manière des apôtres
d'ailleurs... Rappelons-nous l'activité missionnaire d'un saint Paul. Oui, il nous faut aller à la
rencontre, vivre et témoigner de la miséricorde du Christ, ce sont là deux dimensions centrales de
notre ministère. C'est pour moi une évidence, tout particulièrement dans notre société française
marquée par une crise qui n'est pas qu'économique. Prêtres, nous sommes ordonnés pasteurs du
Peuple de Dieu mais un Peuple de Dieu « dans le monde de ce temps »15, comme le rappelait le
concile, et qui, à ce titre, est « porteur d'un message de salut qu'il faut adresser à tous. La
communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et
de son histoire »16 Aussi, il nous faut entendre cet appel du Saint Père à emprunter comme prêtres,
comme évêques, les routes de ce temps à la tête des communautés qui nous sont confiées, pour
annoncer et vivre la miséricorde de Dieu manifestée en Jésus-Christ.
Nous sommes tout particulièrement appelés à être, dans les communautés, des « éveilleurs ». Nous
devons retrouver, grâce à une collaboration confiante avec les autres acteurs de la mission, le cœur
de notre ministère rappelé par le message des évêques de France aux séminaristes en novembre
dernier : « La mission des prêtres, aujourd'hui, en nos diocèses où ils sont souvent peu nombreux et
en plus grande proximité avec leur évêque, se concentre de plus en plus sur ce qui en est le cœur :
évangéliser, sanctifier (…) et rassembler les hommes dans la communion et l'unité »17 Mais nous
devons apprendre à engager les membres de notre communauté dans la quête des brebis qui ne sont
pas dans la bergerie. En ce sens, nous sommes appelés à faire de notre communauté un « lieu
source » pour les baptisés, afin qu'ils y trouvent à la fois le ressourcement spirituel, la formation
théologique et pastorale et la vie fraternelle nécessaires à la mission en plein vent.
Nous sommes donc appelés tout naturellement – et plus que jamais - à nous situer au service de
l’Église et du monde ou, si vous préférez, au service de l’Église dans le monde, à la manière des
apôtres au lendemain de la Pentecôte quant à la fois ils confortaient les communautés et portaient le
souci d’en fonder de nouvelles. Voici ce qu’écrivait la commission Épiscopale des Ministères
ordonnés dans un document sur l’appel au ministère presbytéral le 10 novembre 1999 : « Évêques,
prêtres et diacres, sont donnés à l'Église par le Christ pour la faire exister tout entière comme
Peuple de Dieu en mission dans le monde et comme son Corps rayonnant de sa sainteté. »18
Les ministres ordonnés « sont donnés à l’Église par le Christ», comme les apôtres le furent à la
première Église. Nous sommes donc les garants, les responsables de l'identité de l’Église, à savoir
« L’Église comme vrai peuple de Dieu en mission dans le monde». Nous sommes ainsi responsables
14
15
16
17
18
Pape François, rencontre avec le clergé de Rome, le 6 mars 2014
Constitution Conciliaire Gaudium et Spes
Constitution Pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes), 1
Pèlerinage des séminaires de France, invitation des évêques de France aux séminaristes, page 3
Commission Episcopale des Ministères Ordonnés, Dans nos communautés, proposer de devenir prêtres, Lourdes, 10
novembre 1999
6
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
de sa mission. C’est à nous que revient la tâche que l’Église « rayonne de la sainteté du Christ » et
donc qu’elle évite l’écueil du repli identitaire pour s’ouvrir et répondre aux appels de cette humanité
dont elle est une portion.
Conclusion
En conclusion, je vous livre quatre convictions, sans doute banales et déjà entendues, mais qui me
semblent essentielles pour notre ministère :
a) Être des ministres de la communion
Dans bon nombre de diocèses, y compris le nôtre, c'est désormais au sein d'équipes diversifiées que
nous exerçons notre ministère. Le prêtre n'est plus un homme seul en face d’une communauté ou
d’une population mais un homme dont la tâche s'inscrit dans des équipes qui portent avec lui la
mission. Elles sont une chance et une nécessité pour l’Église. Mais il est vrai que la diversité des
charismes et des responsabilités peut entraîner des tensions et des tiraillements comme dans l’Église
de Corinthe. Le prêtre doit être alors un nouveau st Paul, celui qui veille à ce que la communauté
locale se construise de manière harmonieuse, dans l'Esprit du Christ. Il préside à la construction de
l'unique Corps du Christ.
Ainsi, dans une Église où tous sont responsables au nom de leur vocation baptismale, le prêtre,
comme pasteur de sa communauté, doit pouvoir qualifier le rôle de chacun et travailler à
l’articulation des responsabilités entre les différents partenaires de la mission. Ce travail est possible
à la condition que se développent des relations de confiance entre tous et qu’une formation au sens
de l’Église et à ce qu’est l’Église soit donnée.
b) Être des ministres de la proximité
Cela peut paraître paradoxal de demander aux prêtres d’être des ministres de la proximité, tout
particulièrement en rural ! Car il est bien fini le temps où il y avait un prêtre par clocher qui allait
visiter tous ses paroissiens, était au courant de toutes les histoires de famille, faisait son marché, etc.
Avec la diminution du nombre de prêtres, les territoires et les champs d'apostolat s'élargissent.
Rappelons-nous que c'est l’Église, Corps du Christ, qui a pour mission de se faire proche des gens
et le prêtre, précisément, est là pour rappeler aux baptisés qu’il leur revient d’être des relais de
proximité pour que l’Église soit visible, entendue, et que l’Évangile rejoigne les cœurs, que ce soit
dans le cadre géographique, territorial, ou dans les mouvements et services d’Église. En effet, il
nous faut tenir que dans une Église attentive à la vie du monde dans toutes ses composantes, portion
d’humanité, les prêtres rappellent qu'en Jésus, Dieu s'est fait proche des hommes. Mais la proximité
de l’Église ne se réduit pas à la proximité des prêtres même si nous devons réfléchir, sur des grands
territoires, à des manières nouvelles pour eux d'être présents.
c) Être des ministres du Christ bon pasteur
« En vertu de leur consécration les prêtres sont configurés à Jésus le bon Pasteur et sont appelés à
imiter et à revivre sa propre charité pastorale"19 .
Dans les conditions actuelles, le ministère de pasteur se réalise en particulier dans
l'accompagnement spirituel et pastoral des personnes et des groupes, dans la formation des acteurs
pastoraux, tout particulièrement de ceux qui, avec le prêtre, portent le souci de la préparation des
sacrements. Accompagner, former, c’est cheminer avec un groupe, une communauté afin qu’ils
progressent dans leur vie de disciples à la suite de Jésus-Christ. Cela passe également par l’exercice
19 Jean-Paul II, Lettre Apostolique "Pastores dabo vobis", 22
7
Rencontre du presbyterium – Messe Chrismale 31 mars 2015
d’un ministère dans lequel des laïcs, des diacres, des religieuses participent à l’exercice de la charge
pastorale, tout particulièrement dans les Équipes d’Animation Paroissiale. Enfin, la charité pastorale
s'exerce prioritairement envers les plus fragiles, et la fragilité n'est pas qu'économique. Cela
suppose que nous puissions déléguer les tâches qui nous absorbent, qui ne relèvent pas de notre
ministère, afin d'être davantage disponibles aux « brebis blessés ».
d) Être des ministres de la mission
L’Église peut se refermer sur son fonctionnement interne, sur ce que nous pourrions appeler, sans
que cela soit péjoratif, « le service public de religion », en oubliant que ce « service public » doit
être missionnaire, d’autant plus dans une société où il nous faut proposer la foi à frais nouveau.
Mais quand les forces manquent, que la fatigue est là, quand nos moyens sont pauvres, le réflexe est
bien souvent de se replier sur ce que nous savons faire, sur les quelques pratiquants réguliers, de
réduire la voilure… Le prêtre rappelle alors que la mission est première. A l’écoute de sa
communauté, il est aussi à l’écoute des gens du quartier, du village, de la société, du monde… et il
aidera sa communauté à être attentive à la vie de tous. Ainsi les prêtres signifient à l’Église qu'elle
est porteuse d'une Parole qui ne lui appartient pas et qui concerne tous les hommes.
+ Laurent PERCEROU
Évêque de Moulins
8