L`oiseau de nuit veut retrouver le matin

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24 heures | Lundi 17 mars 2014
La der
Frédéric Gumy, concepteur-réalisateur
L’oiseau de nuit
veut retrouver
le matin
Michel Rime Texte
Patrick Martin Photo
I
mmobilier ou multimédia: les deux
font appel à sa créativité. Il en regorge. Frédéric Gumy se déclare
concepteur de projets. Aux EtatsUnis, on le dirait producteur. Son
plus gros dossier dans la pierre? La rénovation du château de l’Aile à Vevey, qu’il
pilote toujours. Et il est en train de signer
un contrat avec Deutsche Grammophon
pour une application iPad de Pierre et le
loup (Prokofiev). Un pied ici dans sa société Projet 109, l’autre en Amérique avec
la boîte artistique Giants Are Small, qu’il
a fondée avec Edouard Gétaz, ancien de
Cully Jazz, et le metteur en scène Doug
Fitch. Atypique, assurément.
«J’aime travailler seul comme un
moine, relié au monde par la technologie.» Noir des pieds à la tête, chic et décontracté, le quadra, qui a vécu en squat,
a transformé en loft l’ancien cinéma Richemont à Lausanne. Les anciennes fenêtres de ce qui servait de salle de restaurant à un hôtel à la fin du XIXe siècle ont
été rouvertes. La richesse des stucs sculptés d’origine court sur parois et plafond.
Blancheur immaculée, antre postmoderne d’un Fribourgeois avouant le punk
comme origine de sa culture. La hauteur
de l’espace laisse libre envol à sa folle
imagination. L’homme sans bure aime la
vie, brûle volontiers la chandelle par les
deux bouts. Mais le jouisseur n’a plus
20 ans. Et s’il travaillait volontiers la nuit,
tout en vivant le jour, il s’est promis, au
tournant de l’an neuf, de reconquérir les
heures du matin. L’endroit lui plaît, il s’y
sent bien. Sans ce lieu unique, sans ses
enfants qui vivent le quotidien avec leur
mère, dont il est séparé, Frédéric Gumy
serait sans doute à New York.
La Suisse le peine. Le oui, le 9 février
dernier, à l’initiative «Contre l’immigration de masse» étrangle ses certitudes. La
votation perdue de peu, en 2013 à Vevey,
concernant le projet immobilier du Rivage, attenant au château de l’Aile, lui est
restée entravers de la gorge. «C’est un
crève-cœur, une trahison.» Jamais auparavant il n’aurait imaginé à quel point
mensonges et peurs pouvaient servir de
leviers dans une campagne politique.
Son look, cheveux mi-longs, évoque
celui d’une rock star: à la fois rebelle et
organisé. En surface, quelques filaments
blancs traversent cette masse sombre.
Plus en profondeur, ils sont légion. On le
constate lorsqu’il se passe la main sur le
crâne et que les mèches se retournent. Il
n’a jamais aimé les «draps en jute» et on
n’est pas étonné d’apprendre qu’il apprécie Nick Cave. Et que son cinéma soit celui
de Quentin Tarantino ou de David Lynch.
Plus surprenant, l’attachement à Tarkov-
«LavotationdeVevey
en2013resteuncrèvecœur,unetrahison»
ski, tout spécialement à L’enfance d’Ivan,
ou au Vampyr de Dreyer. Patti Smith évidemment, mais aussi Voltaire.
On peut parler voyages avec lui. Quelques semaines après la chute du mur de
Berlin, il s’y rend depuis Zurich, où il s’est
posé, attiré par la scène alternative et à la
recherche de petits boulots. Ce trip vers le
nord va l’emmener jusqu’en Californie. Il
s’achète un chopper, écume la côte et le
Nevada plusieurs mois jusqu’à San Diego.
«J’avais toujours en tête d’étudier le design à l’Art Center de La Tour-de-Peilz. Un
jour, je suis allé réserver un billet de Los
Angeles pour la Suisse, via New York.
Mais, dans l’agence, j’ai acheté un ticket
pour Bali.» Des jungles indonésiennes aux
plages de Puri, en Inde, ce premier tour
du monde prendra plus d’un an.
Carte d’identité
Né le 11 juin 1967 à Fribourg.
Six dates importantes
1984 Emotions au premier Fri-Son, club
rock fribourgeois.
1990 Entame un long tour du monde.
1995 Crée un jeu multimédia sur l’Europe.
1998 Monte un portail immobilier sur
internet, un des premiers.
2007 Vevey accepte le sauvetage du
château de l’Aile. Le reste du projet
(Casino du Rivage) est refusé en 2013.
2008 La société Giants Are Small monte
Pierre et le loup à Los Angeles. Vif succès.
Frédéric Gumy adore marcher en
montagne, ce qu’il a beaucoup pratiqué,
enfant, avec son père. Il affectionne le ski,
le snow, les sports de glisse et la voile. La
vitesse est un autre de ses péchés mignons. La voiture, pour lui, est poésie. En
train ou avec Mobility pour les déplacements professionnels, en voiture ou moto
de collection pour la beauté de la route.
Un frisson qu’il a bien failli ne plus éprouver après un méchant coup sur l’œil
droit. Les yeux, son point faible: atteint à
l’adolescence par le kératocône, rare maladie dégénérative de l’œil, il a subi plusieurs greffes. Au final, les avancées de la
technique ophtalmologique l’ont ramené
des ténèbres. L’œil droit, qui n’a plus
d’iris et qu’on dirait bleu, voit à 40%, le
gauche à 110%.
Piètre diplomate, forte tête que des
sujets politiques ou religieux peuvent
mettre en colère ou révolter, impatient,
résolument humaniste, celui qui a
ouvert, ici, un des premiers portails immobiliers sur internet affirme vouloir laisser tomber ce domaine à terme. Afin de
consacrer son optimisme et sa créativité
à des projets artistiques. Après Los Angeles, où Pierre et le loup version Giants Are
Small a cartonné, New York a eu les honneurs d’un Grand macabre de Ligeti.
Spectacle bombardé Meilleur opéra de
l’année par le New York Times en 2012.
Giants Are Small cherche des locaux en
Europe: en Suisse, à Lisbonne ou à Londres. Son Petrouchka (Stravinski) sera à
l’affiche dans cette dernière ville, comme
à Paris, au printemps 2015.
Histoire
Ce jour-là
Tiré de la Feuille d’Avis de
Lausanne du 17 mars 1920
Leysin Conférence interdite
La Municipalité de Leysin a
interdit une conférence
organisée par le Parti socialiste
de Leysin et où devait parler
M. Jules Humbert-Droz, le
fameux théologien bolcheviste.
Lausanne Pourquoi? On nous
écrit sous ce titre: «Est-il vrai
qu’on va construire un bâtiment
très coûteux pour le cinéma,
avenue William-Fraisse? Si oui,
pourquoi? Avons-nous besoin
de cinémas, ou avons-nous
besoin de logements? La
réponse est facile, alors pourquoi? L’emplacement est grand,
bien situé, central, un bâtiment
bien compris pourrait loger de
nombreuses familles et on
sacrifierait ce beau terrain à des
gens qui veulent profiter de nos
sous par ces temps de misère.
Si ces choses sont exactes, une
dernière fois, pourquoi?»
«Un habitant du quartier
mécontent».
48
Commelenombre
d’heuresdetravail
hebdomadaires,enmoyenne
annuelle,souhaitéparlaFédérationsuissedesentrepreneursen
VC1
Contrôle qualité
Insolite Dans la Feuille d’Avis du 17 mars… 1920
bâtiment.Celle-ciestd’avisqu’en
hiveronpourratravaillerunpeu
moins,maisenrevanche,enété,
unpeuplusquequarantehuit heuresparsemaine.
Berlin Coup d’Etat Le directeur
général Kapp (ndlr: auteur
d’un putsch monarchiste le
13 mars) dirige la chancellerie
d’empire en uniforme, la
poitrine chamarrée d’insignes
et de décorations. Le colonel
Bauer et une partie des cercles
dirigeants reconnaissent,
d’après l’agence Radio,
que le coup d’Etat a dû son
succès uniquement à l’appui
de la force. Il y a, en effet, à
Berlin, 8000 hommes de
troupes formidablement
armés, pourvus de mitrailleuses, d’autos blindées et
d’artillerie, et iI convient
d’ajouter à ce nombre 20 000
hommes de la milice des
habitants, lesquels ont été
instruits depuis un an par le
capitaine Kapp.
Berlin Le sang coule Selon une
nouvelle de Berlin, des combats
sanglants ont eu lieu dans la
capitale. Le gouvernement von
Kapp se serait déclaré prêt à
faire preuve d’un esprit
conciliant.
Un couple inondait le canton de fausse monnaie
Accusés d’avoir fondu
des pièces suisses et
françaises, des Lausannois
font face à la justice
En mars 1920, le Tribunal criminel du district de Lausanne juge
une exceptionnelle affaire de
fausse monnaie. La Feuille
d’Avis de Lausanne rappelle les
faits: «Depuis longtemps, le canton de Vaud et les cantons voisins
étaient inondés de fausse monnaie à l’effigie de l’Helvetia et de
la Semeuse (ndlr: française): pièces de 50 ct., 1 fr., 2 fr., 5 fr. Plus
d’une centaine d’enquêtes furent
instruites à ce sujet en quelques
années, toutes clôturées par un
non-lieu.
» Enfin, la justice réussit à découvrir un tripot qui se trouvait à
Lausanne, place Pépinet 1, et où
les fausses pièces étaient fabriquées en grand par les époux Jean
et Marie Jaquier. Ceux-ci coulaient les pièces en question dans
des moules en plâtre. Ils les émettaient directement ou les faisaient
émettre par leurs filles ou encore
les échangeaient au cours du jeu
Les faux-monnayeurs ont produit toute une série de fausses
pièces, dont des écus de 5 fr. de Napoléon III (à droite). DR
que l’on tenait de nuit dans leur
appartement. L’enquête établit
en outre que les époux Jaquier
avaient recelé des objets volés par
un nommé Raymond Fragnière
(…). Enfin, et c’est là ce qu’il y a de
plus triste dans cette triste affaire,
les époux Jaquier sont accusés
d’avoir favorisé la débauche de
leurs propres enfants.»
Interrogé, Fragnière affirme
que les principaux accusés «rece-
vaient des jeunes gens des deux
sexes, qui, eux aussi, jouaient. Le
jeu était le «banco». On y perdait
ou gagnait jusqu’à 20 fr.»
Jaquier «reconnaît que de la
fausse monnaie a été fabriquée à
son domicile», mais prétend que
ces pièces étaient «destinées à
confectionner des chaînes de
montres», qu’il entendait «vendre
dans les foires». Il nie en avoir mis
en circulation. Sa femme, elle, ré-
fute toute participation à la fabrication ou à la mise en circulation
des pièces.
M. Boven, substitut du procureur, abandonne l’accusation de débauche, se basant
«sur le résultat de l’examen
médical subi par les jeunes Jaquier». Mais dans son réquisitoire, il «attire l’attention de la
Cour sur la gravité du délit de fabrication et d’émission de fausse
monnaie. Les faux-monnayeurs
ont fait de tout temps un mal considérable à la société. En temps de
crise comme celle que nous venons de traverser, leur œuvre est
plus répréhensible encore. Au
Moyen Age, ces gens-là étaient
punis de mort et brûlés vifs.»
Les juges emmenés par le président Fonjallaz n’iront pas jusque-là: les époux Jaquier sont
condamnés tous deux à 3 ans de
réclusion et à 10 ans de privation
des droits civiques. G.SD
Articles parus, non signés, entre le
17 et le 20 mars 1920 dans la Feuille
d’Avis de Lausanne.
Archives consultables sur
http://scriptorium.bcu-lausanne.ch.