"Raison d`Etat" et Arbitrage International Par Pierre Lalive* "It is a

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"Raison d`Etat" et Arbitrage International Par Pierre Lalive* "It is a
Publié dans Law of International Business and Dispute Settlement in the 21st
Century: Liber Amicorum Karl-Heinz Böcktiegel , Köln, Berlin, München, Carl
Heymanns Verlag KG, 2001, P. 469
"Raison d'Etat" et Arbitrage International
Par Pierre Lalive*
"It is a generally accepted principle in both national and
international Law, already recognised by the Permanent Court
of International Justice, that a state may not abuse legal forms
and
rights
to
avoid
obligation
(abus
de
droit,
Rechtsmissbrauch)".
(K.H. Böckstiegel)
Au cours d'une riche carrière à la fois scientifique, pédagogique
et pratique où l'arbitrage international tient la place éminente que l'on
sait, le professeur Karl-Heinz Böckstiegel s'est particulièrement
intéressé, à juste titre et à plusieurs reprises, au rôle de l'Etat et des
Entreprises contrôlées plus ou moins directement par lui. On
mentionnera seulement ici, par exemple, "Der Staat als Vertragspartner
ausländischer Privatunternehmen" (de 1971), ses rapports à divers
congrès, comme celui de Delhi de 1975 et, "last but not least", son
rapport de synthèse concluant le projet de recherche de l'Institut de la
Chambre de Commerce Internationale1.
1
"Arbitration and State Enterprises", a Survey on the national and international state
of law and practice, (ICC Institute of International Business Law and Practice
(aujourd'hui "Institute of World Business Law"), Kluwer 1984.
*Attorney-at-Law, Lalive & Partners, Geneva, Professor Emeritus Geneva University,
Member of the Institut de Droit international, Doctor juris (hon. causa) Paris, Lyon,
Brussels, Rome; Hon. President Swiss Arbitration Association and ICC Institute of
World Business Law, Paris.
2
Dans la conclusion de ce dernier "Survey" – qui reste malgré sa
date d'une grande actualité – l'auteur, après avoir souligné les
difficultés d'une recherche dont l'objet comporte tant d'aspects
confidentiels, observe que:
"the topic 'Arbitration and State Enterprises' is widely considered
as one of both practical and theoretical importance".
Certains pourraient être tentés de révoquer en doute la justesse
de cette constatation, en invoquant la tendance contemporaine quasiuniverselle à la privatisation, à la diminution du rôle de l'Etat et à la
montée du pouvoir des multinationales, en notre ère de "globalisation.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter ces généralisations hardies ou de
prophétiser une quelconque déperdition ou disparition du rôle de l'Etat
dans le commerce international.
Le propos plus modeste du présent article est, tout en rendant
hommage à un grand collègue et ami, d'attirer l'attention sur des
difficultés que nous avons souvent observées dans la pratique arbitrale
internationale et qui, assez curieusement, n'ont guère suscité jusqu'ici,
à notre connaissance, l'intérêt qu'elles mériteraient de la part des
commentateurs.
Ces difficultés peuvent affecter des aspects aussi divers que la
validité et l'effectivité de l'engagement d'arbitrage, le choix du droit
applicable, la localisation du siège, ou des questions de preuve ou de
délais, et elles ont toutes la même origine, malgré leur diversité. Et
cette origine peut se résumer sommairement par la formule ou
l'interrogation suivante:
3
"Y a-t-il conciliation possible entre la nature même de l'Etat (son
"imperium" ou le pouvoir hiérarchique de ses représentants), d'une part,
et le principe fondamental de toute procédure arbitrale qu'est l'égalité
des parties, d'autre part?"
Il y aurait quelque idéalisme, voire une naïveté certaine à
s'imaginer que la question ne se pose pas, à divers moments et sous
diverses formes, même lorsque la validité de la clause arbitrale n'est
pas contestée, même lorsque l'Etat ou l'entreprise d'Etat participe à la
procédure et prétend respecter ses engagements et, si l'on peut dire
"jouer le jeu".
Nombre d'exemples, anciens et récents, montrent au contraire
que la question se pose assez souvent, aux responsables politiques,
aux représentants de la partie "publique" comme à ceux de la partie
adverse, ainsi qu'aux arbitres chargés de faire respecter les règles de
l'arbitrage tout en tenant compte, dans une juste mesure, des
spécificités du cas et des circonstances propres aux deux parties en
litige.
Or parmi les circonstances dont l'Arbitre ne saurait faire
abstraction, il en est qui sont particulières à l'Etat partie (ou à
l'entreprise d'Etat) – circonstances juridiques ou de pur fait,
d'importance très inégale, allant de la vraie "raison d'Etat" engageant
ses intérêts vitaux et supérieurs et son ordre public, jusqu'à des
facteurs purement internes ou contingents propres à la psychologie du
représentant détenteur d'une parcelle d'autorité et dès lors peu enclin,
ou peu entraîné, à traiter sur pied d'égalité une partie adverse.
4
Les limites du présent hommage interdisent à l'évidence
l'analyse approfondie que justifierait pourtant l'intérêt de ces questions.
On se bornera donc ici à proposer, à l'aide d'exemples divers et vécus,
quelques sujets de réflexion sur l'égalité (théorique ou réelle) des
parties
dans
une
procédure
arbitrale
internationale
impliquant,
directement ou non, un Etat ou un établissement comportant des
éléments publics ou une influence étatique.
La diversité même des illustrations qui suivent suscitera peutêtre la critique – justifiée, on l'admettra d'emblée – qu'elles débordent le
cadre du domaine de la "raison d'Etat" au sens strict. Mais c'est
délibérément que nous avons pris ces termes au sens le plus large,
pour leur pouvoir évocateur, et en tant qu'ils résument bien la
psychologie des représentants ou agents "étatiques", de leurs avocats
(voire de l'arbitre désigné par l'Etat). Dans ses diverses nuances ou
avatars, cette attitude traduit la conviction, affichée ou dissimulée,
d'avoir droit à un traitement privilégié dans la procédure arbitrale, voire
même sur le fond, au nom des intérêts (présumés supérieurs) de l'Etat.
Dans ce contexte, on ne peut s'empêcher de songer à la célèbre
formule de George Orwell dans son livre "1984", simple à transposer
ainsi: "dans l'arbitrage international impliquant un Etat ou une entreprise
d'Etat, toutes les parties sont égales, mais…certaines sont plus égales
que d'autres!".
Mentionnons d'abord pour mémoire et pour leur intérêt surtout
historique (encore que susceptibles de resurgir à tout moment) les cas
où un Etat défendeur dans un arbitrage croit opportun, au nom de la
raison d'Etat, de sa souveraineté ou de ses intérêts supérieurs, de
5
contester soit la validité soit la portée de la clause d'arbitrage2, soit
d'annuler cette dernière par une loi rétroactive3, soit encore de nier
purement et simplement l'existence d'un litige4, soit d'invoquer
l'absence d'échec des négociations préalables, soit de prétendre à
l'inarbitrabilité du différend, (comme touchant à la matière fiscale ou au
pouvoir souverain d'adopter ou rejeter une politique nucléaire), soit
encore de dissoudre par décret l'entreprise d'Etat signataire de la
clause arbitrale, etc.
Un bon exemple de ce dernier procédé nous est fourni par
l'affaire Société Générale des Grands Travaux de Marseille (SGTM),
victime de décrets unilatéraux successifs en cours d'arbitrage de la part
de l'Etat du Bangladesh, dans le but manifeste d'échapper à l'arbitrage
et à l'exécution de ses obligations financières5.
La raison d'Etat – parfois utilisée comme simple "feuille de vigne"
de l'arbitraire gouvernemental – a servi aussi à "justifier " l'ordre donné
à un arbitre nommé par la partie étatique) de démissionner ou de se
faire porter malade. Le vieux précédent de la Lena Goldfields v. USSR6
est encore souvent cité et mérite de l'être surtout du fait que le
2
On a même vu récemment un petit Etat latino-américain, mal conseillé, contester,
selon son droit interne (constitutionnel), la validité de sa ratification de la Convention
de Washington de 1965 et la compétence du CIRDI.
3
Comme dans l'affaire Losinger c. Yougoslavie; Cour Permanente de Justice
Internationale, 11 octobre 1935, CPJI, Série C, No 78.
4
Comme le fit la Libye auprès du Président de la Cour Internationale de Justice, dans
l'affaire Topco/Calasiatic.
5
Ce but fut finalement atteint grâce à une décision aberrante du Tribunal fédéral
suisse (ATF 102 Ia 574. Cf. sa critique in P. Lalive: "Arbitrage international et Ordre
public suisse: l'arrêt SGTM/Bangladesh, in Revue de Droit Suisse, ZSR 1978 (I) 529).
6
International Law Reports 1929/30 p. 3.426 and BYBIL 1957, p. 10
6
contrat,bien rédigé, avait prévu, ce qui est rare, l'hypothèse du
"truncated tribunal"7.
Depuis, l'Etat a, si l'on peut dire, fait mieux que provoquer une
démission pour saboter l'arbitrage international et paralyser une
procédure menaçant de prendre un cours défavorable pour lui. Un
exemple aussi pittoresque que scandaleux vient d'en être donné par
l'Indonésie, dans l'affaire Himpurna8 où, après le refus du Tribunal de
La Haye d'interdire une réunion du Tribunal arbitral, le Gouvernement
indonésien partie à l'arbitrage n'hésita pas à faire enlever par ses sbires
l'arbitre nommé par lui et cela sur un aéroport néerlandais, afin de le
contraindre à rentrer au pays, dans l'espoir (déçu ensuite) d'empêcher
toute décision du Tribunal Arbitral.
Un cas moins spectaculaire, mais juridiquement beaucoup plus
significatif, mérite que l'on s'y arrête davantage – ce d'autant qu'il
semble avoir été depuis des années quasi totalement ignoré des
commentateurs malgré les décisions judiciaires de l'Etat en cause –
décisions toutes favorables à la "raison d'Etat", on ne s'en étonnera pas
trop, et qui lui ont fait perdre tout caractère confidentiel. On en retiendra
ici les principaux éléments topiques:
Dans un Etat européen que nous appellerons F, une société
industrielle privée fabriquant du matériel utilisé par des usines
produisant de l'électricité de source nucléaire, conclut un contrat de
longue durée avec l'Agence (étatique) d'énergie nucléaire (AEC) d'un
pays P, en développement. Ce contrat prévoit notamment des
7
Cf. sur ce sujet les divers écrits du Juge S.Schwebel, notamment in "The Authority of
Truncated Tribunals" in International Arbitration: "Three Salient Problems" Cambridge
1987, pp. 144 ff. Cf. ASA Bulletin, Swiss Arbitration Association 1999/2p. 211-219.
8
Bulletin de l'Association Suisse de l'Arbitrage vol. 4/1999, pp. 511 ss.,
Mealeys'International Arbitration Report, vol. 15, Issue 1, January 2000, p.3.
7
livraisons
d'équipement
industriel
et
une
assistance
technique
comportant la formation de personnel qualifié. Ce contrat – et les
exportations vers le pays P acheteur qu'il implique – sont dûment
autorisés par le Gouvernement de l'Etat F, lequel exerce du reste une
surveillance générale sur tout ce qui touche au domaine nucléaire, que
ce soit par des agences étatiques, des sociétés mixtes ou d'autres
moyens.
Les autorisations requises s'inscrivent d'ailleurs dans le contexte
d'un Traité bilatéral de coopération et d'assistance conclu quelques
années auparavant entre les Etats F et P.
Un détail peut-être significatif se révélera par la suite: Après la
signature du contrat, l'acheteur découvrira que la société venderesse X
avait peu auparavant vendu la majorité de ses actions à l'Etat F, qui
désormais la contrôle. Dans l'hypothèse où cette acquisition, ou son
projet, avait été porté à la connaissance de l'acheteur étranger AEC, il
est permis de se demander si le contrat eût été conclu par AEC, ou tout
au moins s'il l'eût été dans des conditions identiques.
Quoi qu'il en soit, confiant dans les termes du contrat et conforté
sans doute par la protection du traité interétatique de coopération entre
les deux pays, l'agence AEC s'est engagée résolument dans son
programme de développement de l'énergie nucléaire, a commandé du
matériel, et a envoyé ses ingénieurs en F pour des stages de formation.
Or, pour des raisons générales, politiques et stratégiques, ce
projet inquiète certains pays tiers et déplaît fortement, par exemple, aux
Etats-Unis, qui multiplient démarches diplomatiques et pressions
diverses pour le faire abandonner.
8
Il en résulte, sans doute au nom de la raison d'Etat, la décision
gouvernementale (par un décret délibérément non-publié au Journal
Officiel) d'interdire à la société X d'exécuter le contrat, au grand
déplaisir non seulement de l'acheteur AEC mais aussi de la direction et
du personnel de la Société industrielle X, laquelle se voit privée
d'importantes commandes et menacée en outre d'avoir à payer des
dommages-intérêts très considérables, sans pouvoir invoquer le décret
(secret) de son actionnaire principal comme force majeure9. L'affaire est
portée devant un tribunal arbitral, composé de trois juristes éminents
mais en majorité publicistes, et dès lors sinon accoutumés par
conséquent à l'arbitraire étatique, du moins portés à s'incliner plus
aisément que d'autres, peut-on penser, devant la "raison d'Etat". D'où
une décision au fond justifiant en définitive non seulement la rupture
unilatérale du contrat au titre de la force majeure ou de la raison d'Etat,
mais encore consacrant diverses inégalités, astuces ou manœuvres
procédurales de la partie étatique, à la limite de la bonne foi.
Ainsi, au moment même où le Gouvernement décidait d'interdire
l'exécution du contrat, le Chef de l'Etat F n'hésitait pas à assurer par
télégramme son "homologue" le Chef de l'Etat P que son pays
entendait bien exécuter fidèlement toutes les obligations assumées par
F dans le traité bilatéral de coopération! Ainsi les Arbitres ont donné
plein effet au décret clandestin interdisant l'exécution du Contrat,
nonobstant les expertises juridiques démontrant tant l'inefficacité que
l'invalidité constitutionnelle en F d'une telle décision non-publiée. Ils se
sont donc fondés sur un acte non déposé au dossier et inconnu de la
9
Sur la force majeure, l'Act of State et la responsabilité de l'Etat, voir Böckstiegel,
Survey, p. 37 ss. et la jurisprudence citée.
9
partie demanderesse. En outre, au cours de la procédure arbitrale, le
Tribunal arbitral admit le témoignage, in extremis et hors-délais – d'un
haut-fonctionnaire
de
F
venu
lire
des
extraits
dudit
décret
clandestin,tout en en refusant la communication au Tribunal et à la
Partie demanderesse au nom du "secret-défense"!
Si l'on compare cette extraordinaire espèce aux litiges résultant
d'une rupture unilatérale de contrats commerciaux "ordinaires", entre
contractants purement privés, on mesurera par ces exemples la force
de l'influence de la "raison d'Etat" – liée peut-être ici à l' "aura"
mystérieuse qui entoure tout sujet touchant à la prolifération nucléaire.
Et l'on peut conjecturer, et surtout espérer, que rares seront à l'avenir
les arbitres du commerce international disposés à témoigner de pareille
compréhension ou docilité envers l'arbitraire de l'Etat et pareille
désinvolture procédurale.
Enfin, quant aux recours judiciaires qui furent intentés en cette
curieuse espèce contre une sentence arbitrale parfaitement choquante
en droit comme en équité, il est à peine besoin d'indiquer que, dans le
contexte hautement politique de cette affaire, le réalisme commandait à
la recourante de s'attendre, encore plus que chez les arbitres, à toute la
compréhension ou la docilité possibles des magistrats envers la
"raison" de leur Etat. Et cette attente ne fut pas déçue.
On laissera aux chercheurs curieux le soin de rechercher si et
jusqu'à quel point le cas résumé ci-dessus présente des analogies avec
telle ou telle affaire10. On pourra aussi comparer les cas connus
d'inexécution ou de violation de contrats qui ont été justifiés par une
10
Cf. par exemple, le cas PAEC/Société Générale pour les Techniques Nouvelles
(SGN), CCI affaire no 4600, et Cour Cassation (1e Chambre Civile), 7 janvier 1992, R.
Arb. 1992, p. 659.
10
prétendue force majeure (notamment lorsque la partie qui s'en prévaut
est l'Etat lui même ou une entité en dépendant, comme dans la célèbre
affaire Czarnikow Ltd)11.
Quoi qu'il en soit, il ne semble pas que la plupart des
commentaires proposés par une doctrine abondante sur ce genre de
situations aient attaché une attention particulière, ni même suffisante,
d'une part à l'intérêt légitime que peuvent avoir l'Etat ou ses
représentants à invoquer la "raison d'Etat" contre l'effet normal des
obligations contractuelles et, d'autre part, à cette sorte d'inégalité
latente dans laquelle se trouve le co-contractant non-étatique devant
les Arbitres lorsqu'il doit affronter un Etat ou une entreprise contrôlée
par lui. En une telle situation, le principe fondamental de l'égalité des
parties12 (qui découle, en Suisse, de l'article 4 de la Constitution et est
consacré par exemple par l'article 25 du Concordat et les articles 182,
ch. 3 et 190, ch. 1d de la LDIP de 1987), qui exclut tout traitement
privilégié d'une partie par rapport à l'autre, peut-il être pleinement
respecté?
Répétons-le,
un
tel
sujet
mériterait
de
plus
amples
développements que ne le permet un volume d'Hommages comme
celui-ci. Il y a lieu pourtant de compléter ce survol par quelques
observations d'ordre pratique sur la position des représentants des
parties d'abord, et des arbitres ensuite, face au principe fondamental de
l'égalité des parties dans l'arbitrage international.
Du côté de l'Etat (ou entreprise d'Etat) qui a souscrit une clause
d'arbitrage (valable) dans un contrat international, on est tenté
11
Cf. à ce sujet Böckstiegel in "Arbitration and State Enterprises – Survey, op. cit
supra note, at p. 37 ss.
11
d'affirmer – par une de ces généralisations dont nous n'ignorons pas la
témérité particulière en matière d'arbitrage13 – que la conscience de la
valeur de ce principe fondamental de l'égalité diminue au fur et à
mesure que, du niveau de l'avocat engagé dans la procédure arbitrale,
on
s'élève
dans
la
hiérarchie
administrative
jusqu'au
niveau
gouvernemental14.
Aux échelons intermédiaires déjà, il semble fort difficile au
fonctionnaire en charge du dossier, enfermé dans la conception
hiérarchique des choses qui régit l'essentiel de ses relations du
domaine interne – de traiter vraiment sur pied d'égalité le cocontractant
étranger devenu sa "partie adverse". Il sera naturellement enclin à
attendre dans l'arbitrage un traitement privilégié, par exemple à requérir
des délais plus longs ou telle autre faveur particulière. Ce à quoi le
Conseil adverse, tout en montrant la compréhension voulue pour les
pesanteurs administratives et les lourdeurs gouvernementales, devra
souvent s'opposer, en rappelant que l'engagement arbitral implique
nécessairement la reconnaissance de l'égalité fondamentale des
parties et le respect de ces "règles du jeu" que risque de détruire la
"raison d'Etat", souvent au mépris du principe supérieur de la bonne foi.
Pour l'arbitre international enfin, c'est un truisme que de rappeler
sa mission –combien délicate et passionnante – de rendre la justice, et
de rétablir la paix, et en toute indépendance. Ceci l'oblige certes à
12
Cf. Lalive-Poudret-Reymond, le Droit de l'Arbitrage en Suisse, ed. Payot, 1989, p.
353.
13
V. P. Lalive, "Assurer l'exécution des sentences arbitrales", in 60e Anniversaire
Cour d'Arbitrage CCI, Paris 1984, PP. 331, 338.
14
A la décharge de certaines autorités gouvernementales, qui donnent parfois des
instructions maladroites et inopportunes sur les positions à adopter dans l'arbitrage,
on doit observer que ces autorités sont assez souvent informées de manière
incomplète ou tendancieuse par leurs subordonnés ou leurs conseils, soucieux de
faire valoir leurs services ou d'esquiver leur responsabilité.
12
traiter les parties avec égalité, c'est à dire à traiter également des
situations égales (donc à ne pas ignorer, le cas échéant, la spécificité
des intérêts supérieurs de l'Etat).
La pratique arbitrale connue – de plus en plus abondante –
semble bien le montrer: à quelques regrettables exceptions près
comme celle du litige "nucléaire" résumé plus haut, ce que l'on peut
nommer la "jurisprudence arbitrale internationale" a su jusqu'ici laisser
au besoin sa juste part aux intérêts supérieurs des collectivités
publiques ainsi qu'à l'ordre public international ou transnational, ceci
sans pour autant s'incliner servilement devant ce qu'Emile Zola
désignait, le 13 janvier 1898, dans son célèbre "J'accuse", comme "le
prétexte menteur et sacrilège de la raison d'Etat".
Pierre Lalive
19 avril 2000
13