Le tigre, la ville et ses habitants

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Le tigre, la ville et ses habitants
Le Soir Jeudi 3 mars 2016
34 LACULTURE
Le tigre, la ville et ses habitants
SCÈNES
Rire assuré avec cinq comédiens suédois et un texte roumain au National
Gianina Carbunariu
et Sofia Jupither livrent
une fable hilarante
et dramatique.
Une autre manière
de parler de ces êtres
venus d’ailleurs
qu’on enferme
à la lisière de nos villes.
CRITIQUE
n client, c’est un client !
C’est le chauffeur de
taxi qui l’affirme. Alors
quand Mihaela est montée dans
son véhicule, il l’a emmenée.
Comme n’importe quel autre
touriste. Et peu importe que Mihaela soit une tigresse. Une vraie
tigresse. Un animal échappé du
zoo voisin…
Dès l’entrée dans la salle où se
donne Tigern, on comprend que
la soirée ne sera pas tout à fait
comme les autres. Les cinq acteurs sont déjà sur le plateau,
papotent entre eux ou avec les
spectateurs qui s’installent. Puis
l’un d’entre eux se lance : « Bon,
on peut y aller ? ». Là, il parle
anglais et précise deux ou trois
choses avant de commencer le
spectacle. Notamment que
celui-ci sera joué en suédois. Et
surtitré. En toute décontraction,
la petite équipe vérifie que les
surtitres fonctionnent puis démarre ce qu’elle présente
comme un spectacle documentaire inspiré par de véritables
témoignages enregistrés par la
télévision locale.
Première étape : le plan de la
ville exposé en détail avec son
parc, son zoo, son quartier chic,
son centre historique et sa périphérie « où personne n’aime aller ». On y trouve notamment
U
des gens « très créatifs » qui
construisent des maisons avec
des morceaux de tôle, des bouts
de carton… Mais aussi des
chiens errants vindicatifs venus
du Sud. Bienvenue dans la fable
moderne de l’auteure roumaine
Gianina Carbunariu mise en
scène par la Suédoise Sofia Jupither.
Les témoignages défilent ensuite, pris en charge par les cinq
comédiens alignés à l’avantscène, munis d’une table, de
quelques chaises et d’un micro.
Outre le chauffeur de taxi, on
verra défiler un couple de
clochards alcoolos, un médecin,
deux touristes (et leur interprète
faux cul), un directeur d’école,
un retraité qui regrette Ceaucescu, des employés de banque
mais aussi un homme riche, sa
femme et sa voiture (qui témoigne également), ou encore…
le pigeon, le corbeau et le moineau qui ont des avis bien différents.
Chaque témoignage vaut son
pesant de nougat. La voiture se
plaint des griffes du tigre, le pigeon s’estime très bien intégré,
la touriste française n’a réalisé
qu’elle avait affaire à un tigre
qu’après de longues minutes…
Quant à l’employé de banque, il
explique que « de nos jours, braquer une banque est devenu
presque aussi difficile que d’obtenir un prêt ».
Un final très visuel
On rit énormément d’un bout
à l’autre de ce spectacle qui,
comme toute bonne fable, nous
parle de nous, de notre rapport à
l’autre, de ces êtres parqués à
l’extérieur des villes et qui aimeraient avoir le droit d’y entrer, de
ces êtres venus d’ailleurs et parqués dans des camps entourés
de barbelés comme les animaux
d’un zoo… Au passage, on y
parle aussi de cupidité (ah ! la
fourrure du tigre), de responsabilité individuelle, d’hypocrisie,
de différences culturelles, de ter-
L’académie soutient « Ida »
recoloriage des planches de Gaston Lagaffe.
’European Film Academy (EFA) proteste contre l’attaque de la
télévision publique polonaise à l’encontre du film Ida, qui
raconte l’histoire d’une future religieuse qui découvre ses
racines juives. Un éditorial dénigrant de 12 minutes a précédé sa
diffusion, l’accusant d’avoir gagné l’Oscar du meilleur film étranger
en 2015 grâce à son point de vue pro-juif. Des textes génériques ont
en outre été ajoutés de telle manière qu’ils auraient pu être considérés comme faisant partie du film lui-même. L’EFA explique ne pouvoir « tolérer (un tel) un jugement unilatéral précédant la projection ». (b)
FESTIVAL
L
Jannin préserve
l’œuvre de Franquin
Depuis 2009, Fred Jannin s’est vu
confier la tâche délicate et passionnante de restaurer l’œuvre de
Franquin : rétablir les couleurs,
JEAN-MARIE WYNANTS
Jusqu’au vendredi 4 mars au Théâtre
National, www.theatrenational.be.
VILLES EN SCÈNE
Une réussite
européenne
Tigern est la huitième et
dernière création du projet
Vescos (Villes en scène
/Cities on stage), mené par
plusieurs théâtres avec le
soutien du programme
Culture de l’Union européenne autour de la question du « vivre-ensemble ».
Durant quatre ans, le
Théâtre National, le Folkteatern de Göteborg,
l’Odéon-Théâtre de l’Europe
à Paris, le Teatrul National
Radu Stanca de Sibu, le
Teatro Stabile di Napoli, le
Teatro de la Abadia de Madrid et, depuis 2014, le Festival d’Avignon, se sont associés pour coproduire et faire
tourner en Europe une série
de spectacles.
A l’occasion des représentations de Tigern, une petite
exposition rétrospective est
présentée au foyer de la
Grande Salle du Théâtre
National. On peut y revoir
des images de Exils (Fabrice
Murgia), Fragmente (Lars
Noren-Sofia Jupither), La
réunification des deux Corées
(Joël Pommerat), Solitaritate
(Gianina Carbunariu), Le
Sorelle Macaluso (Emma
Dante), Dire ce qu’on ne
pense pas dans des langues
qu’on ne parle pas (Bernardo
Carvalho-Antönie Araujo) et
Hacia la Alegria (Olivier Py).
Une belle brochette de spectacles de haut niveau. Avec
en prime ici, une sélection
de photographies de l’exposition Moving Cities Bruxelles,
réalisées notamment par
Gaël Turine et Loïc Delvaux.
On ne dirait pas comme ça mais vous avez ici un corbeau, un moineau et un pigeon... © URBAN JÖRÉN
J.-M. W.
LESBRÈVES
BANDE DESSINÉE
ritoires à défendre, de facebook
qui ne supporte pas les dépressifs… Avec cette phrase sans appel d’un des animaux du zoo à
l’égard de Mihaela la tigresse :
« Les gens veulent te rendre visite mais ils ne veulent pas que
tu leur rendes visite. »
Une phrase qui tombe comme
un couperet dans un final inattendu, soudain très visuel, à la
fois hilarant et dramatique. A
l’image de tout ce spectacle à
conseiller sans aucune modération. ■
rescanner le trait, mais aussi retrouver et remettre en valeur des
illustrations et publications oubliées. Le 4 mars à 16 heures, au
Centre belge de la bande dessinée, on pourra l’entendre parler
des techniques utilisées lors du
Emir Kusturica
à l’affiche d’Esperanzah !
Emir Kusturica et son No Smoking Orchestra, la fanfare newyorkaise Too Many Zooz, SaintGermain ou encore Deluxe font
partie de la programmation de la
quinzième édition du festival Esperanzah ! qui se tiendra les 5, 6
et 7 août prochains à l’abbaye de
Floreffe.
Les voix féminines auront la part
belle cette année, avec A-wa, les
protégées du leader des Balkan
Beat Box mêlant folklore yéménite et électro contemporaine
ainsi que l’ancienne choriste de
Mary J. Blige et Damon Albarn
Ala.ni. Odezenne, groupe ovni du
hip-hop français, ainsi que BigFlo
&amp ; Oli apporteront la note
urbaine à ce festival qui mêle musique, arts de la rue, cinéma documentaire et conférences-débats.
Par ailleurs, Esperanzah ! et le
festival Sfinks Mixed, qui a lieu à
Boechout près d’Anvers, souhaitent « mettre en lumière de nouveaux talents des deux côtés de la
frontière linguistique ». Un appel à
candidatures a été lancé pour les
jeunes groupes de musique souhaitant se produire dans les deux
festivals cet été. Les inscriptions
se clôturent le 15 mars ; les résultats seront communiqués au
cours du mois d’avril. (b)
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William Sheller
simplement
MUSIQUE Au Cirque royal avant le Forum
William peut toujours compter sur un répertoire sans faille. © BRENY
CRITIQUE
uand William s’avance sur
la scène du Cirque royal
quasi plein, mardi, sa
bonne mine rassure tout de suite
ceux qui s’étaient inquiétés pour
sa santé suite à son apparition
aux Victoires de la Musique.
William va bien – son teint
rougeaud et bouffi a miraculeusement disparu : bravo à son médecin liégeois ! – et l’artiste finit
de rassurer ses fans avec son légendaire humour. Habillé d’un
kimono noir comme il a toujours
aimé en porter, William reprend
vite ses bonnes vieilles habitudes
comme d’introduire et de présenter chaque chanson par une
petite (parfois longue !) anecdote liée à son passé. Le répertoire est quasiment le même que
celui gravé en 2007, avec le Quatuor Stevens au Carré Magique
de Lannion. Si ce n’est que le
programme plonge à quatre reprises dans son dernier album,
Stylus.
En fêtant les 35 ans de la création, au Théâtre 140, de son quatuor à cordes à qui il dit au re-
Q
voir, Sheller ne cherche pas à se
débarrasser de son impressionnant passé, que du contraire, il
s’y complaît pour le plus grand
bonheur de son public fidèle.
L’interprétation n’est pas pour
autant parfaite : William a la
bouche sèche (fichus médicaments !) et sa voix n’est pas toujours bien assurée. Elle est très
fragile, tout comme la mémoire
de l’artiste qui, à deux reprises,
lui joue des tours. Mais William
peut compter sur la beauté de
ses chansons et le soutien amical
du public pour s’en sortir haut la
main.
L’homme émeut autant que
ses mélodies fines et la dentelle
de ses arrangements pour piano
et cordes. S’il apparaît parfois un
peu en roue libre, le chanteur
préserve l’essentiel : cet amour
du public avec qui il communique sur le ton de la complicité
au travers d’un répertoire qui ne
le trahira jamais. ■
THIERRY COLJON
William Sheller sera ce jeudi 3 au Forum
de Liège.
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