La remuneration du credit en Europe, Table ronde, Credits gratuits

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La remuneration du credit en Europe, Table ronde, Credits gratuits
La rémunération du crédit en Europe
Droit et pratiques bancaires
Crédits gratuits et promotionnel : vraies et fausses
rémunérations
Table ronde introduite et présidée par Yves GÉRARD, Conseiller
à la Cour de cassation en service extraordinaire
Yves GÉRARD.– L’intitulé retenu pour cette table ronde peut apparaître provocateur parce
qu’il paraît tenir pour acquis le fait que le banquier – dont les talents commerciaux sont là
encore reconnus – obtiendra à tous les coups une rémunération et peut-être même deux : une
vraie rémunération et une fausse. Mais il est vrai qu’il n’est pas choquant que le banquier soit
rémunéré pour les crédits qu’il consent. Pour autant, rien ne lui interdit de consentir à son tour
des crédits qui seraient gratuits ou promotionnels pour les consommateurs. Si ces crédits
donnent lieu, au profit du banquier, à une rémunération, vraie ou fausse, qui la prend en
charge ? Première question. Et ensuite, au bénéfice de qui interviendra-t-elle ?
Qui prend en charge cette rémunération ? Évidemment, il peut s’agir de la banque ellemême. Il n’est pas interdit de penser que le banquier consente des crédits promotionnels pour
tel secteur d’activité quand il veut développer sa part de marché. Il s’agira aussi de l’État. L’État
peut vouloir, pour des motifs d’intérêt général, abonder certains crédits (prêts à taux zéro, prêts
aidés destinés au financement d’une formation à la conduite et à la sécurité routière par
exemple). Il s’agira, enfin et surtout, du fournisseur de biens et services qui entend développer
son chiffre d’affaires en permettant à ses clients potentiels, qui ne peuvent pas payer comptant,
de recourir à un crédit à un taux attractif.
Dans ce dernier cas, la prise en charge de la rémunération du banquier par le fournisseur
peut intervenir de diverses manières. Il se peut d’abord que le fournisseur effectue un dépôt,
c’est-à-dire demande l’ouverture d’une ligne de refinancement dans les livres de la banque, par
le biais d’un dépôt – non rémunéré –, qu’il a effectué et qui permettra au banquier de consentir
des crédits à des taux attractifs. Mais ce n’est pas la forme la plus usuelle. Le fournisseur
intervient souvent en prenant directement en charge tout ou partie des intérêts dus par le client.
C’est d’ailleurs cette pratique qui est visée et réglementée par le Code de la consommation.
Reste alors à préciser au profit de qui un tel crédit est consenti. Toutes les tranches et
secteurs de l’activité économique peuvent être concernés : tant les professionnels, bien
évidemment, que les profanes, pour reprendre la terminologie à la mode. Les crédits consentis
aux professionnels n’appellent pas d’observations particulières, sauf peut-être à rappeler la
règlementation prudentielle applicable en la matière. Mais il n’existe pas, à ma connaissance,
de dispositions spécifiques qui règlementeraient ce type de crédits. C’est essentiellement pour
les consommateurs qu’existe une règlementation. Cette dernière a, du reste, fait l’objet d’une
modification récente, par une loi du 28 janvier 2005, dont le titre III avait précisément pour objet
de libérer le crédit gratuit. Quelle formidable évolution quand on sait que le crédit à la
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consommation n’était certes plus considéré comme un procédé malsain de financement, mais
continuait néanmoins à susciter une certaine méfiance.
Pour autant, il me paraît excessif de considérer que cette règlementation a ouvert les
vannes du surendettement. En effet, le nouveau dispositif qui vous sera présenté au cours de la
table ronde comporte des mesures de nature à dissuader les établissements de crédits
d’abuser de cette liberté.
C’est donc au crédit à la consommation que nous allons réserver, pour l’essentiel, les
interventions qui vont suivre dans le cadre de cette table ronde. Nous avons prévu, de manière
très classique, que chacun des intervenants fera part de son point de vue à la faveur d’une
courte intervention préalable. La première question qui se pose est, bien évidemment, de définir
les différents concepts et donc de camper le décor. C’est le professeur Thierry Bonneau qui se
chargera de cette intervention. Non seulement parce que c’est une tâche qui incombe à la
doctrine mais, surtout, parce que tout le monde sait qu’il est un fin connaisseur des questions
de droit bancaire. Je lui cède sans attendre la parole, si nous voulons être en mesure de
démêler le vrai du faux...
Thierry BONNEAU, Professeur à l’Université Paris II (Panthéon-Assas), Administrateur de
l’AEDBF-France.– Le banquier est-il un philanthrope ? Assurément non, car les crédits, qui sont
au cœur de l’activité bancaire, sont nécessairement à titre onéreux
(1)
: le banquier est
rémunéré pour les crédits qu’il consent. Dès lors, la question doit être posée : lorsque sont
proposés aux clients des crédits gratuits, est-ce pour les tromper ? Est-ce pour les attraper
comme des mouches ? Car si le crédit bancaire est forcément onéreux, on ne voit pas alors
comment il peut être en même temps gratuit.
Pourtant, le crédit gratuit existe : c’est le crédit dont le coût – intérêts et frais – est supporté,
non par l’emprunteur mais par autrui, notamment par le vendeur (2). Aussi peut-on se demander
s’il porte bien son nom. Car le crédit gratuit l’est certes pour l’emprunteur, mais ni pour celui qui
paie, ni pour le banquier qui le consent et dont la rémunération est prise en charge par le
payeur. Et le crédit n’est effectivement gratuit pour l’emprunteur que si le prix du bien ou du
service financé par ce crédit n’a pas été augmenté. Car, en ce cas, le crédit n’est gratuit que
dans son intitulé. Mais il est vrai que les autorités veillent afin que cette gratuité ne soit pas
uniquement un miroir aux alouettes !
On l’aura compris, le crédit gratuit suscite la suspicion car, s’il est un moyen promotionnel
pour attirer le client, il peut se révéler plus ou moins sérieux, plus ou moins loyal. La gratuité
pour l’emprunteur n’est d’ailleurs pas l’apanage du seul crédit gratuit : elle caractérise
(1) C. mon. fin., art. L. 313-1. Sur la définition de l’opération de crédit telle qu’elle résulte de ce texte, v. T. Bonneau,
e
s
Droit bancaire, 6 éd., 2005, Montchrestien, n° 50 et sq., p. 44.
(2) V. G. Raymond, Crédit à la consommation, fasc. 940 : J.-Cl. Concurrence-consommation, n° 81.
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également le prêt à taux zéro qui correspond à une avance remboursable à taux nul, l’absence
d’intérêt ayant toutefois pour contrepartie une aide de l’État
(3),
de sorte que le prêt à taux zéro
a, comme le crédit gratuit, un coût supporté par autrui.
On doit, dans le même temps, souligner que la gratuité n’est que l’un des moyens
permettant d’attirer la clientèle de sorte que le crédit gratuit ne saurait être confondu avec le
crédit promotionnel que l’on peut définir comme un crédit qui comporte un avantage, un attrait
que les crédits ne comportent pas habituellement : cet avantage peut consister dans un taux
promotionnel, qui n’est pas par définition le taux du marché, mais un taux plus faible, un taux
réduit ; l’avantage peut être également une période de franchise de remboursement
(4)
ou
encore un cadeau ou une prime, encore que cet avantage ne peut être consenti que
conformément à la réglementation en vigueur (5), qui est assez restrictive.
Les notions de crédit gratuit et promotionnel étant précisées, on doit relever que si le Code
de la consommation
(6)
vise, en matière de publicité, le taux promotionnel, en revanche aucun
texte ne définit les notions de crédit gratuit et de crédit promotionnel. Ce qui est sans
inconvénient pour le crédit gratuit, mais regrettable pour le crédit promotionnel en raison des
difficultés générées par les avantages autres que les taux réduits.
On doit également souligner que les crédits gratuits et promotionnels ne sont réglementés
que s’ils sont consentis à des consommateurs, ce qui explique que la réglementation se situe
dans le Code de la consommation : au sein du chapitre consacré au « Crédit à la
consommation » (7), ce Code y consacre une section intitulée « Crédit gratuit » (8) pour y régir la
publicité
(9),
le prix des biens et services financés par le crédit (10), et exiger que le crédit gratuit
ou promotionnel fasse l’objet d’une offre préalable distincte de l’offre portant sur le crédit
onéreux (11). Ces dispositions attirent doublement l’attention.
Tout d’abord parce qu’elles prévoient que le vendeur doit « proposer un prix pour paiement
comptant inférieur à la somme proposée pour l’achat à crédit »
(12).
Est-ce à dire que le
consommateur supporte en fait le coût du crédit réputé gratuit ? Sans doute non car la réponse
(3) Cette aide a pris la forme, selon les époques, d’une subvention ou d’un crédit d’impôt : v. E. Huet, Aide de l’Etat
s
au logement – prêt à 0 % : J.-Cl. Contruction – Urbanisme, fasc. 645, n° 38 et sq., et la mise à jour.
(4) Ce que vise l’article L. 311-5 du Code de la consommation.
(5) Sur la réglementation des primes et cadeaux, J.-J. Biolay, Ventes promotionnelles, Offres d’avantages autres que
s
les prix, fasc. 3741 : J.-Cl. Contrats – Distribution, n° 2 sq.
(6) C. consom., art. L. 311-4.
(7) C. consom., art. L. 311-1 sq.
(8) C. consom., art. L. 311-5 à L. 311-7-1.
(9) C. consom., art. L. 311-5 et L. 311-6.
(10) C. consom., art. L. 311-7.
(11) C. consom., art. L. 311-7-1.
(12) C. consom., art. L. 311-7 ; v. également art. L. 311-6 qui fait référence au « montant de l’escompte consenti en
cas de paiement comptant ».
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contraire ne serait pas alors en harmonie avec la disposition
(13)
selon laquelle la publicité
comportant la mention « crédit gratuit » doit préciser « qui prend en charge le coût du crédit
consenti gratuitement au consommateur ». On peut alors être tenté d’expliquer cette disposition
par la volonté de ne pas pénaliser les consommateurs qui paient au comptant en les faisant
bénéficier d’un avantage comparable à la gratuité du crédit. On peut rester toutefois sceptique
sur cet argument, et plus généralement, sur le crédit gratuit, car rien n’est gratuit dans notre
société : tout se paie. Car nécessairement l’avantage consenti est récupéré, d’une façon ou
d’une autre, par celui qui le consent. Car il n’est pas le père Noël !
Ensuite, parce que les dispositions précitées ont été modifiées par la loi « Chatel » du
28 janvier 2005 (14) qui a entendu libérer le crédit gratuit, afin de favoriser la consommation des
ménages tout en l’encadrant pour prévenir les risques de surendettement et éviter que le
bénéficiaire d’un crédit gratuit soit mis dans la quasi-obligation de contracter en même temps
un crédit permanent, un crédit renouvelable, encore appelé crédit revolving
(15).
D’ou
l’obligation, posée par l’article L. 311-7-1 du Code de la consommation, d’émettre deux offres
préalables, l’une pour le crédit gratuit ou promotionnel, l’autre pour le crédit à titre onéreux (au
taux du marché).
Ce texte vise l’ensemble des crédits gratuits ou promotionnels consentis concomitamment
aux crédits à titre onéreux, et donc tant les crédits gratuits ou promotionnels liés à des achats
effectués auprès des commerçants que ceux proposés par les établissements de crédit lors de
l’ouverture du compte où est inscrite la réserve d’argent dont le consommateur peut disposer à
son gré. On doit d’ailleurs souligner que si le vendeur d’un bien ou d’une marchandise peut
attirer le consommateur au moyen d’un crédit gratuit, l’organisme de crédit peut l’attirer,
indépendamment de tout contrat de vente ou de fourniture, au moyen d’un taux promotionnel
utilisable pendant une certaine durée, le taux au prix habituel prenant le relais à l’expiration de
la fenêtre promotionnelle.
La promotion conduit aux mêmes questions que la gratuité : le crédit promotionnel en est-il
réellement un si le taux promotionnel à 2 % laisse la place, à l’issue de la fenêtre
promotionnelle, à un taux de 15 ou 16 % ?
On nous rétorquera qu’il ne s’agit là que de méthode de vente et qu’il n’y a là rien de
blâmable, ce qui est vrai car chacun doit être responsable et savoir dire non au crédit. Mais la
gratuité, la promotion sont, pour certains consommateurs, des avantages immédiats qui les
conduisent à faire l’autruche, avec des lendemains qui déchantent s’ils ont été trop imprudents,
(13) C. consom., art. L. 311-6.
(14) Loi n° 2005-67 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur.
(15) G. Raymond, Actualité législative en droit de la consommation : Contrats – concurrence - Consommation, mars
2005, Étude 3, p. 8, spéc. n° 33.
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voire capricieux, en voulant tout tout de suite. Doit-on alors interdire, encadrer les crédits
promotionnels et gratuits ?
L’usage du terme gratuit me paraît très critiquable et je pense que l’on devrait, en raison de
son impact psychologique et de son attrait, en interdire l’usage sans interdire la prise en charge
du coût du crédit par autrui. A fortiori, le crédit promotionnel doit être autorisé sans réserve. En
revanche, il faut éduquer le consommateur afin qu’il prenne conscience que tout crédit est une
charge et qu’il faut savoir user sans abuser des « bonnes choses ». Mais bien sûr est-ce
politiquement correct de faire une telle proposition à une époque où l’on considère que l’on doit
consommer, encore et toujours, du crédit ?
Yves GÉRARD, Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire.– Je
m’attendais à ce que vous fassiez preuve de votre sentiment sur la question et je n’ai pas été
déçu. Je cède sans attendre la parole à Alain Gourio qui va exposer le point de vue des
banques.
Alain GOURIO, Vice-Président de l’AEDBF-France, Responsable de la coordination
juridique de BNP Paribas.– C’est moins le point de vue des banques que je souhaiterais
exprimer, mais plutôt différentes observations personnelles permettant à la fois de faire un bref
état des lieux de la pratique et de nourrir le débat.
Dans quel contexte le crédit gratuit est-il, en fait, mis en œuvre en France ? On peut
préciser tout de suite que c’est une pratique française. On rencontre effectivement du crédit
promotionnel en Europe, mais le vrai crédit gratuit – celui que vous avez parfaitement décrit –
n’est pas pratiqué, à ma connaissance, dans les autres pays. Plus exactement, il ne l’est qu’au
travers des filiales des banques françaises, qui, peu à peu, vous le savez, s’étendent en
Europe. C’est un système français que nous sommes en train d’exporter. Mais en France, je
dirais que c’est devenu un principe universel car les banques ne sont pas les seuls agents
économiques à utiliser la technique du crédit gratuit. Aujourd’hui, la gratuité est un moyen
d’action économique, sociale et commerciale.
Moyen d’action économique et sociale, je vise ici l’intervention de l’État avec le prêt à 0 %
en matière d’accession à la propriété. Les banques sont évidemment impliquées puisque ce
sont elles qui distribuent le fameux crédit à taux zéro. Il ne s’agit pas, à proprement parler, de
crédit gratuit mais plutôt – peut-être que l’expression vous conviendra mieux, Monsieur le
Professeur Bonneau – d’un crédit à 0 %. Ainsi que vous l’avez bien rappelé, c’est l’État qui
verse en fait les intérêts aux prêteurs. Dans l’absolu, il est vrai que le crédit gratuit n’existe pas.
Vous avez tout à fait raison. Mais, lorsque l’on regarde la relation contractuelle, c’est-à-dire le
contrat de prêt ou le contrat de crédit de façon plus générale, il y a bien un crédit à taux zéro.
Quelles sont, en effet, les obligations de l’emprunteur ? Dans la configuration habituelle, il doit
rembourser le capital et payer les intérêts. En l’occurrence, il ne paye aucun intérêt. Il y a donc,
soit prêt à taux zéro, soit crédit gratuit et, personnellement, l’appellation qui est inscrite dans le
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Code de la consommation ne me choque pas. Ce dispositif est utilisé pour favoriser des actions
d’accession à la propriété : il s’agit d’accession sociale à la propriété parce que, évidemment,
tout le monde ne bénéficie pas du prêt à taux zéro. Des conditions de ressources ont été
posées.
Un nouveau système, construit sur le même modèle, existe depuis 2005 qui pourra peutêtre intéresser les jeunes dans l’auditoire : c’est le permis de conduire à 1 euro par jour, qui
était limité à l’automobile et qui vient d’être étendu, par un décret du 17 septembre 2006, aux
motos. Il repose exactement sur la même logique. La banque fait un crédit et l’État lui verse les
intérêts. Là encore, des conditions sont posées, mais uniquement des conditions d’âge puisque
tous les jeunes entre 16 et 25 ans peuvent y prétendre.
La gratuité est aussi un instrument, et vous l’avez souligné en le stigmatisant, de
développement commercial. Il est exact que c’est là un procédé dont usent à la fois les
vendeurs, les prestataires de services et les banques, afin de dynamiser leurs activités.
Les vendeurs recourent au crédit gratuit – c’est-à-dire la prise en charge par eux-mêmes
des intérêts du prêt – dans plusieurs cas de figure. D’abord, pour lancer un nouveau produit,
l’argument du crédit gratuit étant, alors, un instrument de promotion commerciale. Dans
d’autres hypothèses, le crédit gratuit est utilisé dans certains secteurs d’activité pendant les
périodes de basses eaux, c’est-à-dire les périodes où l’activité commerciale est faible. Vous
l’avez compris, le crédit gratuit est une technique, qui, dans le domaine commercial, a
également un champ d’application très large. En effet, il est susceptible de s’appliquer tant au
financement professionnel qu’au financement des particuliers. S’agissant des financements à
destination des professionnels, on pourrait évoquer la pratique très répandue des vendeurs de
matériels agricoles : comme, pendant la période hivernale, on ne vend pas beaucoup de
tracteurs ni de moissonneuses batteuses, le recours au crédit gratuit est fréquent. Il en va de
même pour les matériels de travaux publics où le système de prise en charge des intérêts par
le vendeur est une pratique très ancienne (une dizaine voire une vingtaine d’années) et très au
point. Elle s’inscrit dans des accords de partenariat entre les banques et les vendeurs pour
éviter, justement, le risque de dérive que vous avez souligné. C’est une façon d’essayer de
relancer les ventes et de maintenir l’activité économique.
Il y a aussi le dispositif qui s’applique en matière de crédit aux particuliers et qui est, on l’a
rappelé, bien encadré par le Code de la consommation. Le crédit gratuit et/ou promotionnel est
couramment utilisé dans la grande distribution (les hypermarchés, les grandes surfaces
spécialisées). Les professionnels recourent volontiers au système du « trois fois sans frais »
que l’on connait bien : on paie le prix d’achat de son écran plat, étalé sur trois mois sans aucun
frais, c’est-à-dire sans payer d’intérêt ; l’intérêt étant versé par le vendeur directement à la
banque. Le système, ancien et bien encadré juridiquement, ne semble pas créer de véritables
difficultés en pratique, y compris sous l’angle du contrôle administratif. Personnellement, je
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pense que, malgré peut-être une légère ambiguïté de dénomination, c’est une technique
particulièrement intéressante pour l’action économique et sociale.
Philippe GUILLERMIN, Adjoint au Chef du Bureau Droit de la Consommation, DGCCRF.–
Pour faire suite aux propos de Monsieur le Professeur Bonneau et de Monsieur Gourio s’il y a
une forme de crédit gratuit qui fait l’objet d’un encadrement législatif, c’est effectivement le
crédit gratuit à la consommation. L’objectif est évidemment de préserver les intérêts des
emprunteurs-consommateurs, agissant pour des besoins purement privés. Je ne parlerai pas
du crédit immobilier.
L’encadrement du crédit gratuit dans le Code de la consommation, dont Monsieur le
Professeur Bonneau a rappelé les grandes lignes, n’est pas nouveau. La réglementation
remonte même à l’origine de la législation sur le crédit qui date de 1978. Le dispositif a été
modifié à différentes reprises, notamment dans le sens d’une prévention du surendettement.
Vous savez comme moi que, depuis la fin des années 80 et le début des années 90, la lutte
contre le surendettement est une préoccupation majeure des pouvoirs publics. Ceux-ci se
trouvent, du reste, confrontés à un défi : devoir concilier des dispositions législatives qui visent
à prévenir le surendettement tout en favorisant le développement de la consommation
considéré comme un élément moteur de la croissance. Or, la consommation passe par un
accès facilité au crédit à la consommation. L’équilibre est parfois difficile à trouver.
En tout état de cause, les pouvoirs publics ont considéré que, pour cette forme de crédit
particulier, qui est le crédit gratuit, il convenait, non pas de le déréguler totalement mais à tout le
moins de lever, peut-être, certains obstacles. En effet, plusieurs règles qui encadraient ce type
de crédit sont apparues inutilement restrictives et leur suppression n’a pas semblé de nature à
accroitre le phénomène du surendettement.
Avec la loi « Chatel », le législateur n’a pas entendu, à proprement parler, libéraliser
totalement le crédit gratuit, mais a plutôt cherché à assouplir les conditions sa promotion, en
autorisant, désormais, la publicité pour ce type d’opération hors de lieux de vente. En effet,
avant l’entrée en vigueur du texte, la publicité sur le crédit gratuit n’était autorisée que sur les
lieux de vente ; son impact était donc limité. En revanche, était interdite la publicité hors des
lieux de vente. Il est indéniable que, d’un point de vue commercial, il y avait là un obstacle
majeur au développement du crédit gratuit. Comme l’a rappelé Monsieur le Professeur
Bonneau, les autres dispositions qui encadrent la pratique du crédit gratuit et qui visent à
s’assurer que ce crédit soit effectivement gratuit, sont restées inchangées avec la loi « Chatel ».
Le texte a même cherché à distinguer clairement crédit gratuit et crédit onéreux : une même
offre ne peut proposer à la fois un crédit gratuit et onéreux. Autrement dit, les deux formes de
crédit doivent faire l’objet de deux offres préalables, distinctes l’une de l’autre, de crédit.
À la DGCCRF, nous nous sommes intéressés à l’impact que pouvait avoir les mesures
législatives inscrites dans le Code de la consommation sur la pratique du crédit gratuit. C’est
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pourquoi, au cours du quatrième trimestre 2005 et du premier trimestre 2006, nous avons
procédé dans le cadre de ce que l’on appelle nos programmes trimestriels d’enquête, à des
contrôles sur le terrain. Un des objectifs a été d’essayer de déterminer si on constatait une
recrudescence de la pratique du crédit gratuit, notamment par le biais de la publicité puisque,
désormais, celle-ci était licite hors des lieux de vente. Nous avons aussi tenté de vérifier si le
dispositif législatif – celui qui était déjà en place avant la loi « Chatel », comme les mesures qui
ont été prises avec la loi « Chatel » – était respecté par les opérateurs économiques. Durant les
périodes que je viens d’indiquer, 275 contrôles ont été pratiqués par 38 directions
départementales. Généralement, nous procédons ainsi, sans mobiliser toutes les directions
départementales dans le cadre des enquêtes qui figurent au titre de notre programme
trimestriel d’activité. Ces interventions se sont déroulées en différents lieux comme les
hypermarchés. Bien évidemment, nous nous sommes exclusivement intéressés à la distribution
de biens ou de services, dans certains secteurs plus ou moins ciblés, qui, avant les
aménagements de la loi « Chatel », étaient des secteurs où, traditionnellement, se pratiquait ce
type de crédit. Je pense notamment au secteur du meuble ainsi qu’au secteur de l’automobile.
Nous avons également décidé d’intervenir chez des enseignes spécialisées de la grande
distribution, par exemple dans le domaine de l’informatique, de l’électroménager, de
l’équipement de la maison ainsi que chez des commerçants indépendants.
Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés sont de différents ordres. Tous d’abord,
nous n’avons relevé aucune recrudescence du recours à la pratique du crédit gratuit. Il a même
été, parfois, difficile de trouver dans les départements enquêtés, des exemples d’offres
publicitaires portant sur le crédit gratuit, que cette publicité soit réalisée dans la presse ou
même par voie de prospectus ou panneaux d’affichages.
Nous avons essayé de déterminer la raison de ce manque d’intérêt apparent, de la part des
professionnels, pour cette technique, qui venait pourtant, avec la loi « Chatel », de faire l’objet
d’un assouplissement notable. Il nous a été répondu que ce type de crédit demeurait onéreux
pour les professionnels. Surtout, ce coût n’était généralement pas compensé par un
développement corrélatif de leur chiffre d’affaires, en tout cas, pas suffisamment compensé
pour que l’opération devienne intéressante. En réalité, il semble que les opérations de crédit
gratuit, généralement proposées, sont stipulées remboursables à court terme, alors que les
particuliers, les consommateurs préfèrent souvent un crédit, certes à titre onéreux, mais
s’échelonnant sur un délai plus long. Manifestement, le caractère gratuit du crédit sur un laps
de temps trop court n’est pas de nature à séduire un nombre suffisant de consommateurs. À
cela s’ajoute aussi le fait que la capacité financière d’un certain nombre de ménages ne leur
permet pas, même si le crédit est gratuit, de rembourser des échéances qui peuvent être
relativement importantes. Par ailleurs, il a été constaté que les professionnels avaient recours
au crédit gratuit dans des cas très particuliers, dans la mesure où le crédit gratuit ne visait
généralement pas une offre de produits très large. Au contraire, il s’agissait souvent de produits
assez ciblés. En tout cas, les offres de crédit gratuit étaient réservées aux clients réalisant un
minimum d’achat. Enfin, beaucoup de professionnels considèrent qu’il est plus intéressent, pour
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eux, de favoriser les formules de paiement en 3 ou 4 fois sans frais, c’est-à-dire, pour des
durées inférieures à 3 mois car, ainsi, ils échappent au formalisme légal. En effet, la législation
française sur le crédit à la consommation ne s’applique que dans la mesure où l’opération est
supérieure à 3 mois, qu’elle soit à titre onéreux ou à titre gratuit, de sorte que, en deçà de
3 mois, le professionnel n’a pas à se plier aux exigences du formalisme contractuel ni aux
règles de publicité s’appliquant pour tout crédit à la consommation supérieur à 3 mois.
S’agissant non plus de l’appréciation que portent les professionnels et les distributeurs sur
le crédit gratuit mais des constatations que nous avons faites au cours de notre enquête, il est
apparu, d’une manière générale, que l’obligation de mentionner, dans les publicités, le montant
de l’escompte pour paiement comptant était correctement respectée, du moins en ce qui
concerne les publicités faites par les grandes enseignes. En revanche, on a relevé que ce
formalisme impératif était appliqué de manière moins rigoureuse par les commerçants
indépendants. Ceux-ci se déclarent, d’ailleurs, assez peu informés de l’état de la législation.
Néanmoins, les irrégularités les plus graves qui ont été constatées ont trait, pour l’essentiel,
à la publicité de nature à induire en erreur. En effet, il a été observé, dans un certain nombre de
cas, que les difficultés portaient non pas sur le respect des règles encadrant techniquement le
crédit gratuit (C. consom., art. L. 311-6 et art. L. 311-7-1), mais sur des questions liées aux
publicités de nature à induire en erreur le consommateur (C. consom., art. L. 121-1). Les
manquements les plus courants concernent des publicités qui n’annonçaient pas clairement les
conditions restrictives d’application du crédit gratuit. En effet, le crédit gratuit ne concernait en
réalité qu’un produit bien particulier, alors que l’annonce était présentée de façon à ce que le
consommateur soit légitimement fondé à croire que l’offre de crédit gratuit portait sur un nombre
beaucoup plus important de produits. Je songe en particulier à ce concessionnaire automobile
dont l’offre de crédit gratuit ne concernait qu’un seul type de véhicule, alors pourtant que la
publicité laissait clairement entendre que la proposition de crédit portait sur la totalité de la
gamme.
Nous avons aussi détecté des offres de crédit gratuit accessibles seulement à partir d’un
minimum d’achat, alors que cette condition essentielle n’était pas précisée dans la publicité. Il
s’agissait, là encore, d’une publicité de nature à induire en erreur. En revanche, nous avons
rencontré assez peu de cas de publicités qui annonçaient un escompte dont le mode de calcul
n’était pas conforme aux exigences de la règlementation. Vous savez qu’un tableau défini par
décret permet de connaître le montant de l’escompte qui doit être consenti au regard du
nombre de points de crédit pris en charge par le vendeur. À ce propos, nous avons détecté
quelques cas de publicités qui n’annonçaient pas clairement que l’escompte ne portait que sur
la partie financée à crédit dans l’hypothèse où il existait une possibilité de financement
seulement sur une partie du prix, l’autre partie étant réglée au comptant.
Ainsi, les publicités irrégulières constatées ont donné lieu à 18 rappels de réglementation,
15 notifications d’informations réglementaires et 5 procès-verbaux transmis au Parquet.
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Un autre volet de l’enquête concernait les conditions de mise en œuvre des opérations de
crédit gratuit. Cela a permis d’établir que, dans la grande distribution, les opérations de crédit
gratuit étaient souvent réservées exclusivement aux détenteurs de carte de paiement du
magasin. Cartes qui sont elles-mêmes associées à un crédit renouvelable ; ce qui revenait en
définitive à faire bénéficier les consommateurs, titulaires de ce crédit renouvelable, de la
possibilité d’utiliser la réserve, que ce crédit renouvelable met à leur disposition, gratuitement,
sans payer d’intérêt, à tout le moins, pendant une certaine période ou à partir d’un certain
montant d’achat ou pour l’acquisition d’un certain type de produit. La pratique devient
cependant contestable, y compris dans les enseignes de la grande distribution, lorsqu’elle
s’accompagne de conditions d’octroi de l’escompte ne respectant manifestement pas toutes les
exigences légales.
Nous avons notamment saisi une note de service dans une enseigne de la grande
distribution qui recommandait de ne pas accorder ou de ne pas proposer l’escompte aux clients
payant comptant, alors que celui-ci est expressément rendu obligatoire par les textes du Code
de la consommation. S’agissant de cette question de l’escompte, dix-neuf cas de nonconformité ont été relevés, donnant lieu à 9 rappels de réglementation, 7 notifications
d’informations réglementaires ; trois procès verbaux ont été dressés et transmis au procureur
de la République.
Au total, les contrôles effectués ont révélé un taux de non-conformité des opérations de
crédit gratuit de l’ordre de 20 %.
Yves GÉRARD.– Je vous remercie. Si je comprends bien, il y a peu ou pas de problèmes
en matière de crédit gratuit car il y a peu ou pratiquement pas de publicité sur le crédit gratuit.
Pour autant, des difficultés existent néanmoins, et notamment lorsqu’il s’agit de définir les
différentes notions utilisées. S’il est aisé de comprendre ce qu’est le crédit gratuit, le crédit
promotionnel pourra éventuellement susciter des interrogations quant à sa signification précise.
Mais je ne suis pas là pour créer un contentieux. La question que je voulais poser est de savoir
si le comportement du banquier est le même lorsqu’il s’agit de consentir un crédit gratuit ou un
crédit onéreux.
Alain GOURIO.– Je suis d’autant plus à l’aise pour répondre qu’il n’y a aucune différence
puisque, pour les banques, le crédit gratuit ne présente aucune véritable originalité : un capital
est versé pour lequel on perçoit une rémunération. Bien entendu, il faut apprécier la capacité de
remboursement de l’emprunteur, mais les critères d’analyse sont identiques à ceux utilisés en
présence d’un crédit classique. Il n’y a donc pas de distinction ni de discrimination négative ou
positive pour un crédit gratuit.
http://www.creda.ccip.fr
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