Etude de deux populations d`Harmonia axyridis(Pallas, 1773

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Etude de deux populations d`Harmonia axyridis(Pallas, 1773
Etude de deux populations d’Harmonia axyridis (Pallas, 1773)
(Insecta, Coleoptera, Coccinellidae) au Luxembourg
Jean-Michel Guinet
Musée national d’histoire naturelle de Luxembourg, 25, rue Münster, L2265 Luxembourg ([email protected])
Guinet, J.-M., 2009. Etude de deux populations d’Harmonia axyridis (Pallas, 1773) (Insecta,
Coleoptera, Coccinellidae) au Luxembourg. Bulletin de la Société des naturalistes luxembourgeois 110: 147-152.
Abstract. Harmonia axyridis is spreading in the Grand-Duchy of Luxembourg, and could
endanger the indigenous ladybirds species. This might happen through the great ecological
amplitude of the harlequin ladybird and not necessarily through direct confrontation such
as intra-guild predation. Field and laboratory observations from 2005 to 2007 confirm that
H. axyridis is able to outcompete the indigenous species because of its remarkable adaptability to abiotic as well as to biotic factors. One specimen found in 2005 was able to fast during
8 months before it died. Also, a population living in Luxembourg City was in declining
activity until December 2007, but still in activity then, when at that time it was impossible
to find any other ladybird species in the open air.
1. Introduction
La coccinelle asiatique ou arlequin est originaire de la partie centrale et orientale
de l’Asie. Sa distribution originelle s’étend
du sud de la Russie au sud de la Chine en
passant par la Mongolie, jusqu’à l’archipel
nippon, et remonte au nord jusqu’en Sibérie
(Koch 2003).
Son arrivée en Occident est sans nul doute
à attribuer à son utilisation comme agent
aphido- et coccidophage dans les cultures.
Les études en laboratoire comme en plein
champ ont montré que cette espèce était plus
vorace que les coccinelles européennes ou
américaines. Elle est largement utilisée par
l’INRA en France (Piotte et al. 1999) et commercialisée par la firme Biotest depuis 1997
en Belgique (Schneider & Loomans 2006).
Bien qu’aucune commercialisation officielle
ne soit enregistrée au Ministère de l’environnement du grand-duché de Luxembourg
(communication personnelle), l’on peut facilement imaginer qu’une personne privée ait
pu en commander en Belgique, en France ou
même au Pays-Bas sans demander d’autorisation, mais ceci n’est qu’une hypothèse. Une
autre voie d’entrée dans notre pays pourrait
être la Belgique, l’Allemagne ou encore la
France eu égard à la situation géographique
Bull. Soc. Nat. luxemb. 110 (2009)
du Luxembourg. En tout état de cause, la
première mise en évidence de l’espèce au
Luxembourg remonte à l’automne 2004
(Schneider & Loomans 2006).
En dehors de ses capacités à réduire rapidement et massivement les populations de
diverses espèces de pucerons, elle pourrait
représenter une concurrence sérieuse pour
nos espèces indigènes qui risqueraient à terme
de payer un lourd tribu à son implantation. Il
suffit pour s’en assurer de lire la pléthore d’articles déjà parus sur le sujet (Korschefsky 1932,
Savoiskaya 1970 a et b, Kawaushi 1979, Takahashi 1987, Labrie et al. 2006).
Il s’agit d’une coccinelle plutôt adaptée à la
strate arborée, qu’herbacée. Ceci la met en
concurrence directe avec Adalia bipunctata
et de manière indirecte avec Coccinella septempunctata, cette dernière étant plutôt un
membre de la faune herbacée.
L’habitus de l’espèce est éminemment variable.
En effet, il existe chez cette espèce un polymorphisme dans la coloration qui a été classé
en trois variétés du plus clair au plus foncé.
Tout d’abord la forme succinea (fig. 1) dont
la couleur principale va de l’orange au rouge
vermillon, fond sur lequel l’on dénombre
de 0 à 21 points plus ou moins confondus
(points cordiformes) ou formant parfois un
147
Fig. 1. Harmonia axyridis forme succinea (échelle : 1 mm).
trait transversal continu et festonné. La forme
spectabilis (fig. 2) dont la couleur principale
est le noir orné de 4 points rouges, les plus
antérieurs étant plus gros que les deux postérieurs. Enfin, la forme conspicua (fig. 3) où ici
Fig. 2. Harmonia axyridis forme spectabilis (échelle : 1 mm).
148
aussi la couleur dominante est le noir et, est
ornée de deux points rouges de forme variable
en position postérieure (Korschefsky 1932).
Les élytres sont pourvues d’un pli transverse
dans leur partie dorso-distale. Pour la détermination du sexe des individus sur le terrain,
une excellente clé a été proposée par McCornack et al. en 2007, pour l’établissement de
laquelle ils ont utilisé uniquement la forme
succinea. Le labre clair désigne un mâle, alors
qu’un labre foncé désigne une femelle.
Les œufs sont ovoïdes, long de 1,2 mm et de
jaune clair à jaune orangé ; plus ou moins
vingt-quatre heures avant l’éclosion, la coloration vire au gris (El-Sebaey & El-Gantiry
1999). Ils sont généralement pondus en
petits lots d’une trentaine d’œufs (Takahashi
1987). Les larves de première génération
font de 1,9 à 2,1 mm et atteignent de 7,5 à
10,7 mm après la troisième mue larvaire
(Sasaji 1977). D’autres auteurs parlent même
d’une quatrième mue qui pourrait survenir
chez environ 33% des individus (Labrie et
al. 2006). Durant la croissance deux facteurs jouent un rôle essentiel, la température (Kawauchi 1979) ainsi que la quantié de
nourriture disponible (Hukusima et Ohwaki
1972). En première approximation, lorsque
ces deux facteurs croissent, le temps de
développement diminue. Bien que des expériences menées en laboratoire par Kawauchi
en 1979 montrent qu’au-delà de l’optimum
de 20°C, la prise de nourriture est décroissante et ce quelque soit le sexe des individus.
En effet, à 20°C l’adulte ténéral atteint un
poids de 31,5 mg, à 25°C il n’est plus que de
27,5 mg et à 30°C l’adulte fraîchement éclos
a perdu 16% de son poids à 20°C, i.e. que son
poids est de 26,5 mg.
Les larves sont armées d’épines acérées et très
développées : tridentées en position médiodorsale et bidentées en position latérodorsale. Lors de la nymphose et de la mue
imaginale, il est primordial que la larve soit
solidaire du substrat, ce qui est rendu possible par la présence d’un organe ou disque
collant à l’extrémité de l’abdomen de la larve.
Les adultes vivent de 60 à 90 jours en fonction de la température (El-Sebaey and ElGantiry 1999) ; selon Savoiskaya (1970 a,b),
les imagos pourraient vivre jusqu’à trois ans.
Bull. Soc. Nat. luxemb. 110 (2009)
entre la mi-octobre et début décembre 2007.
A partir du 9 novembre 2007, il n’a plus été
possible de capturer de larves. Cependant,
il restait un très grand nombre de nymphes
et d’imagos y compris jusqu’au 4 décembre
2007.
Enfin, j’ai pu observer le 1er novembre 2007
sur le mur d’une propriété située dans la rue
« Op der Maes » à Syren, des individus qui
s’y étaient agrégés vraisemblablement en
vue de passer l’hiver sous l’épais feuillage
thermo-inerte de la forêt attenante.
3. Résultats
Fig. 3. Harmonia axyridis forme conspicua (échelle : 1 mm).
2. Matériel et méthodes
Le premier exemplaire qu’il m’a été donné
d’observer fut trouvé au domicile de l’auteur
à Syren en novembre 2005. Ma seconde rencontre avec H. axyridis date de novembre
2006 où j’ai trouvé un exemplaire sur le mur
de l’annexe du Musée national d’histoire
naturelle à Luxembourg-Grund. Mon troisième face-à-face avec cette espèce fut la présence d’un grand nombre de coccinelles sur
une barrière métallique située dans la cour
de la Clinique Ste-Thérèse à LuxembourgVille. Il s’agissait d’une importante population. Cependant, cette population était
visiblement en déclin d’activité. En effet, je
n’ai pu observer aucune ponte, mais il restait des larves de stades III à IV, des larves
récemment entrées en nymphose (jaune à
orange vif), des pupes plus âgées de couleur
noire, ainsi qu’une multitude d’adultes des
différentes formes (tabl. 1) énumérées dans
l’introduction. La seule autre espèce présente au sein de cette colonie était l’espèce
Adalia bipunctata comme dans le cas de la
population de Luxembourg-Grund citée par
Schneider et Loomans (2007).
Suite à la découverte de ce groupe, j’ai décidé
de capturer aussi bien des larves de stade IV
que des imagos et ce, à plusieurs reprises
Bull. Soc. Nat. luxemb. 110 (2009)
L’individu trouvé en novembre 2005 et
appartenant à la forme succinea a réussi
à survivre à un jeûne de 8 mois : 6 mois
dans l’encoignure d’une fenêtre, et 2 mois
dans un tube en polypropylène dans mon
bureau au musée. Ce qui tendrait à aller
dans le sens de l’assertion faite par Savoiskaya (1970 a, b).
Les larves de stade IV ont été placées isolément dans des boîtes de Pétri dans l’espoir
d’une nymphose, ce qui s’est produit entre 24
et 48 heures plus tard à une température de
20°C. Pour ce faire, la larve place l’extrémité
postérieure de son abdomen en contact avec
le substrat et s’y attache au moyen d’un exsu-
Fig. 4. Fixation de la larve de stade IV au moyen d’un
exsudat gluant. (échelle : 1 mm).
149
Tabl. 1. Proportions
relatives périodiques
des spécimens
observésde
danslalapériode
cour de la Clinique SainteProportions
relatives
en fonction
Thérèse à Luxembourg-Ville.
120
100
80
60
40
20
0
Larv es
stades III et
Mues
Ny mphes
IV
imaginales
(en cours)
Imagos f.
Imagos f.
Imagos f.
succinea
spectabilis
conspicua
15.10-23.11.07
10
102
0
20
6
1
23.11-04.12.07
0
57
5
27
6
2
tableau 1
dat gluant qui en séchant produit un disque
translucide dont le diamètre est d’environ 1
½ à 2 fois celui de la partie distale de l’abdomen (fig. 4). Au bout de 8 jours à 20°C, il y
a eu mue imaginale. Dans un cas la nymphe
s’est décrochée de son substrat, et la coccinelle a fini par mourir d’épuisement au bout
de deux ou trois jours.
La répartition des formes de la population
de Syren est reprise dans le tabl. 2, indiquant
que la forme succinea est la plus représentée.
4. Discussion
Harmonia axyridis est une espèce rustique.
Sa grande valence écologique est sans doute
due à ses origines géographiques. Sous nos
latitudes, sa saisonnalité précoce lui procure un avantage certain sur les espèces
indigènes. Sachant que les pucerons – lato
sensu - présentent des explosions démographiques importantes, mais en définitive de
courte durée, cela donne un avantage trophique indiscutable à cette espèce. Je pense
150
en effet que, si danger il y a pour nos espèces,
celui-ci ne vient pas tant de la capacité que
possède H. axyridis de s’attaquer au couvain
ou encore aux larves de nos coccinelles, mais
plutôt d’avoir en permanence un avantage
spatio-temporel sur les espèces indigènes.
De plus, cette espèce à comme je l’ai indiqué
plus haut l’extraordinaire capacité à jeûner
au moins 8 mois si ce n’est plus comme l’indique Savoiskaya (1970 a,b).
La prédation intra-guilde (PIG) me paraît être
un facteur tout à fait secondaire et se produit,
certes, mais essentiellement lors d’expérimentations en laboratoire au cours desquelles H.
axyridis est mise en stress trophique. Dans la
nature il s’agit d’un événement rare (Magro et
al. 2007) et accessoire, puisqu’il est préjudiciable au développement larvaire.
Un autre phénomène me semble beaucoup
plus important, c’est le « tracking », ou littéralement le « pistage » réalisé par les jeunes
larves lors de leur déplacement en quête de
nourriture. Lors de leur progression au sein
des populations de pucerons, elles appliquent
régulièrement leur extrémité abdominale sur
Bull. Soc. Nat. luxemb. 110 (2009)
Nombre d'imagos
en fonction
du “Op
phénotype
Tabl. 2. Composition phénotypique
de la population
du site
der Maes” à Syren.
35
30
25
20
15
10
5
0
01.11.2007
Imagos f. succinea
Imagos f.
spectabilis
Imagos f.
conspicua
31
3
2
tableau 2
le substrat et y laissent leurs phéromones. Ce
comportement permet d’éviter une surexploitation de la nourriture dans la mesure où ces
alcanes ont un effet disuasif sur la ponte. Cet
effet a été étudié de manière croisée (Magro et
al. 2007). D’où l’importance d’étudier cet effet
croisé entre nos espèces et H. axyridis. En effet,
si les alcanes produits par la coccinelle arlequin
sont dissuasifs sur la ponte des femelles de nos
coccinellidae, et compte tenu de la précocité
de cette espèce par rapport aux espèces endémiques ces dernières seront non seulement
dans une situation trophique, mais également
reproductive désastreuses. A tout cela, comme
si le tableau n’était pas suffisamment noir il faut
ajouter son extension régulière, et sa propension à devenir un sous-locataire de nos habitations en période hivernale et de provoquer des
rhino-conjonctivites, de l’asthme et de l’urticaire (Nakazawa et al. 2007).
Je voudrais cependant terminer sur une note
optimiste. Deux alcaloïdes extraits et isolés
entre autres d’H. axyridis ont in vitro un
effet cytotoxique supérieur au cisplatine en
tout cas pour le second lorsque ce dernier
fut testé sur 5 tumeurs solides humaines
(Alam et al. 2002). Enfin, il existe à mon
sens un moyen de mettre à mal les populations d’Harmonia axyridis en utilisant des
femelles porteuses du genre Spiroplasma
qui est un « male-killing symbiont » dont la
transmission verticale se fait de la femelle à
la progéniture mâle (Majerus et al. 1999).
Bull. Soc. Nat. luxemb. 110 (2009)
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