Et au milieu coule une rivière

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Et au milieu coule une rivière
Et au milieu coule une rivière
Critique écologique, expertise et construction du risque
environnemental autour d’une affaire de barrage*
Publié dans la revue Socio-logos, n°2, rubrique « Actualités », mis en ligne le 23 novembre
2007, URL : http://socio-logos.revues.org/document1042.html (version mise en forme et
références actualisées par l’auteur, septembre 2008).
Résumé
Cet article examine les modalités de construction du risque en matière d’environnement à
travers sa mise en expertise selon une approche pragmatique inspirée par la pensée de
Deleuze. Le risque environnemental interroge en effet la possibilité même d’une émergence
de l’environnement sur la scène publique, qui incite à déplacer l’interrogation sur
l’intentionnalité globale des mobilisations, pour privilégier davantage l’étude de leurs lignes
de fuite. Face à la professionnalisation du militantisme écologique, plusieurs travaux récents
insistent ainsi sur la part d’une perception non savante du danger et l’introduction d’une
compétence ordinaire dans le lancement des alertes. L’étude détaillée d’une controverse
portant sur l’existence d’un barrage, accusé par les militants écologistes de nuire à la pérennité
du saumon sauvage en France, atteste alors de la place centrale qu’occupe aujourd’hui
l’expertise, qu’elle soit initiée par les pouvoirs publics ou les milieux associatifs, savante ou
profane, dans l’équipement politique des passions. En ce cas, celle-ci apparaît autant comme
un révélateur d’épreuves en tout genre que de luttes pour l’appropriation des savoirs légitimes
qui s’organisent autour de la circonscription du risque et de l’émergence d’espaces sociaux aux
contours inédits. Si le redoublement des équipements d’expertise induit par moments la
formation de contre-expertises qui cherchent à mettre en question les intérêts du pouvoir en
place en leur opposant des équipements alternatifs, celles-ci n’en renvoient pas moins à un
même processus de politisation.
Abstract / Summary
This article examines how environmental risks take form as a consequence of expert
assessment, and adopts a pragmatic approach inspired by the thinking of Deleuze.
Environmental risks force the environment issue itself as a matter of public concern, forcing
one to shift the focus away from questioning the underlying motivations of activists and
concentrate on studying their “vanishing lines” and the multifarious types of tests that
contribute to shaping the alert. Faced with the increasing professionalism of ecological
activists, several recent works highlight the influence of the layman’s perception of the danger
and the emergence of non-specialist skills employed to raise the alarm. An in-depth analysis of
a controversy about the existence of a dam the greens accused of threatening the very survival
of wild salmon in France proves that expert assessment is now at the very heart of the
impassioned political debate, be it undertaken by government or by associations, being seen as
much a revelation of all types of tests as the embodiment of symbolic battles to control and
impose valid bodies of knowledge taking shape around the boundaries of risk, and the
emergence of social movements with new outlines. Although the escalation in equipment used
for expert assessment at times leads to second expert assessments that seek to cast doubt on the
interests of the “powers that be” by proposing alternative equipment, these second assessments
still relate back to the same process of politicization.
Introduction
“Eventually, all things merge into one, and a river runs through it. The river was cut by the world’s great
flood and runs over rocks from the basement of time. On some of the rocks are timeless raindrops. Under
the rocks are the words, and some of the words are theirs.”
Norman Maclean, A River Runs Through It, 1976.
« Le jeu du monde a singulièrement changé, puisqu’il est devenu le jeu qui diverge. »
Gilles Deleuze, Le pli, 1988.
L’existence d’un « style pragmatique » (Nachi) dans la sociologie française ne
semble plus aujourd’hui à démontrer1. Accordant une place centrale aux
épreuves et à la distribution des collectifs dans l’espace social, de nombreux
travaux viennent désormais témoigner de la fertilité de ces approches2.
Derrière le geste se cache en même temps une diversité de points de vue qui
peut rendre parfois difficile le repérage de ces dernières, sans parler de leur
identification3. Un parti pris consiste à les faire apparaître en actes, c’est-à-dire
« au travail » sociologique, en dehors de tout présupposé, théorique ou
empirique, homogénéisant. Si ces approches s’inspirent souvent d’auteurs
étrangers à la discipline, notamment philosophes, pas toujours acquis à une
vision légitime des « sciences du social », un détour par ces derniers peut aussi
constituer un bon moyen d’appréhender ce courant de pensée, si
particulièrement innovant dans la période récente. Derrière le cas concret se
profile ainsi un enjeu théorique de taille, qui renvoie aux filiations multiples et
variées des sociologies pragmatiques « à la française ». Cet article n’a
évidemment pas la prétention d’en explorer, ni d’en exposer toutes les
possibilités, et on ne fera que suggérer l’une d’entre elles, à titre d’hypothèse de
travail ; ce qui déjà, sous ce format, peut paraître à bien des égards comme une
Ce papier est la version remaniée d’une communication à la Graduate Conference du
European Consortium for Political Research (ECPR) qui s’est tenue à l’Université d’Essex du 7
au 9 septembre 2006. Je tiens tout particulièrement à remercier O. Piriou, J.-Y. Trépos et J.
Weisbein pour la gentillesse qu’ils ont eu de bien vouloir relire des versions antérieures de ce
texte en français ainsi que pour l’intelligence et la pertinence de leurs remarques.
2 L’ouvrage paru récemment de M. Nachi (2006), qui insiste sur certains travaux, en
particulier ceux de L. Boltanski, inaugure à cet égard une étape importante et sans doute
prometteuse vers la constitution d’une référence commune à ces approches dans le paysage
sociologique français contemporain.
3 Comme toutes les étiquettes, celle qu’on prête aux « sociologies pragmatiques » (Barthe,
Lemieux, 2002) peut ainsi paraître assez arbitraire. D’ailleurs, comme le dit M. Nachi (2006),
« la sociologie a beau construire des modèles perfectionnés, elle reste toujours la science de
l’inachèvement et, par voie de conséquence, elle demeure elle-même inachevée. C’est ce
principe épistémologique et éthique qui, nous semble-t-il, devrait demeurer le précepte de la
sociologie pragmatique » (p. 212).
1
2
véritable gageure. Parmi les filiations existantes, la pensée de Deleuze constitue
sans nul doute une source d’inspiration importante de ces approches, bien que
selon des régimes variables et différenciés4. L’intérêt de revenir sur cette
filiation, si particulière, réside alors à nos yeux dans la capacité qu’aurait
aujourd’hui la référence deleuzienne à faire tenir ensemble une diversité de
points de vue sur ces lectures du « social », qui actualisent, comme en retour,
explicitement ou implicitement, les virtualités sociologiques d’une pensée que
« nous ne connaissons pas encore »5.
Dans cette perspective, on peut prendre pour objet d’études les controverses
liées au risque environnemental qui, sans être entièrement nouvelles, n’en
conservent pas moins toute leur actualité. À cet égard, sans doute n’est-il pas
toujours aisé de distinguer l’événement authentique sous les « grands
événements bruyants » du moment : ainsi, quoi de commun, par exemple,
entre la réunion d’experts ayant quelques jours pour statuer sur l’avenir
écologique d’un pays et la longue mobilisation sinueuse et aléatoire d’un
collectif d’associations autour d’une affaire de barrage ? A priori pas grandchose, si ce n’est l’existence d’une controverse liée à une situation
d’incertitude, appelant une cartographie précise du risque encouru, réel ou
supposé. Le risque en matière d’environnement interroge toutefois la
possibilité même d’une émergence de l’environnement sur la scène publique,
ce qui est souvent éludé ou mal compris. Il peut paraître utile à ce stade de
prolonger le questionnement, en marquant un pas en arrière : comment naît
un risque ? Par qui et comment le danger est-il perçu ? Comment l’alerte estelle lancée ? Qu’est-ce qui fait qu’un risque « prend » ou « ne prend pas », et
atteint ou non une dimension collective ? Autant de questions qui donnent aux
sciences et à la nature bien plus de chances d’entrer en démocratie, mais pour
lesquelles il n’existe sans doute aucune réponse unique ou définitive, tant la
construction du risque, et du risque environnemental en particulier, comporte
4
L’exploration de cette filiation implique aussi plus largement en France la relecture
d’auteurs contemporains dits parfois « post-phénoménologiques » ou « post-structuralistes », à
rebours notamment de « l’affaire Sokal », qui avait rétrospectivement permis de pointer du
doigt leur étrange réception aux États-Unis (Cusset, 2005), au moment même où l’on célébrait
en Europe le « retour aux Lumières » et aux « "gros concepts, aussi gros que des dents creuses" »
(p. 328, citant Deleuze).
5 En effet, comme le dit F. Zourabichvili (2003), « nous ne connaissons pas encore la pensée
de Gilles Deleuze » (p. 3). Afin d’étayer cette hypothèse, on s’appuiera sur la figure de la
« taupe philosophique », chère à Marx, reprise et développée par J.-Y. Trépos (2001),
particulièrement adaptée, selon nous, à un usage en notes de bas de page. Ainsi, on sait que la
philosophie deleuzienne est hantée par le « non-philosophique », dont on peut faire
l’hypothèse sous-jacente qu’elle tire une large part de ses virtualités dans d’autres régions de la
pensée, ou comme le dit Deleuze lui-même (1996), « beaucoup d’autres disciplines qui en
reprennent la fonction » (p. 21).
3
de multiples « lignes de fuite »6, rendant d’autant plus complexe et aléatoire sa
cartographie que la labilité d’une mobilisation peut être grande, les séries
d’épreuves divergentes et les collectifs d’humains et de non-humains multiples
à assembler.
L’hypothèse principale que je souhaiterais développer consiste à rendre
compte d’une logique d’équipement du risque en lien avec la participation de la
société civile7. La mise en risque de l’action publique n’appartient pas aux seuls
pouvoirs publics ou à l’État, en effet, et peut émaner ou être directement
initiée par « des acteurs situés hors du champ institutionnel, hors du secteur
économique aussi » (Gilbert, 2003, p. 61), qui sont toujours susceptibles de faire
valoir leur propre perception du danger, en ayant, le cas échéant, recours à des
experts. Cette hypothèse tient compte de traits qui semblent aujourd’hui
particulièrement bien caractériser la modernité tardive, à la fois par la
généralisation d’un haut degré d’incertitude et une forte capacité réflexive dans
la société (Beck, 1986 ; Giddens, 1990). L’émergence de risques dits
« stochastiques », de type reporté ou résiduel (Lascoumes, 1996, p. 363),
marqués par une forte imprévisibilité et la difficulté de les évaluer
précisément, ne permet plus ainsi d’envisager la construction sereine des
certitudes : à l’inverse, ces risques nouveaux invitent à approfondir
l’incertitude qui leur est liée, en ne considérant plus le risque comme une
menace extérieure, mais comme une « donnée ontologique » propre aux
sociétés modernes. Sous cet angle, l’équipement du risque peut s’apparenter à
une mise en expertise de l’action publique, entendue comme l’agencement
d’un ensemble d’équipements qui concourent à « formater » le risque, c’est-àdire visent à donner un format à l’incertitude qui lui est liée, en particulier sur
des objets aux contours flous, en relation étroite avec les politiques publiques
censées encadrer leur prolifération. Ainsi, du barrage hydroélectrique aux
organismes génétiquement modifiés (OGM) en passant par les déchets
nucléaires ou les nouvelles épidémies transnationales – diversité qui enjoint au
passage à se méfier des définitions toutes faites de l’environnement, voire à se
passer du terme (Trom, 1999) –, ces politiques ont le plus souvent pour objet
des « hybrides », qui associent étroitement le monde des humains aux non-
6
Selon l’expression de Deleuze (1996), la ligne étant fuite et à elle-même sa propre fuite :
ainsi, « fuir, c’est tracer une ligne, des lignes, toute une cartographie » (p. 47) ; et Deleuze de
préciser que « ce que nous appelons de noms divers – shizo-analyse, micro-politique,
pragmatique, diagrammatique, rhizomatique, cartographie – n’a pas d’autre objet que l’étude
de ces lignes, dans des groupes ou des individus » (p. 153).
7 Par société civile, j’entends l’ensemble des minorités agissantes en marge du champ du
pouvoir.
4
humains (Latour, 1999)8. Aussi la question des risques liés à l’environnement
constitue-t-elle un terrain particulièrement propice à l’étude de la composition
des collectifs, qui peut s’inscrire plus largement dans le projet d’une sociologie
politique des objets9.
À cet égard, il existe deux grandes façons d’envisager le rôle de l’expertise
dans la construction des risques en matière d’environnement (Rudolf, 2001) : la
première consiste à voir dans l’expertise un outil purement technique au
service d’une raison instrumentale ; l’autre rompt avec cette vision scientiste et
normative pour souligner, au contraire, le caractère collectif de l’expertise et la
reconnaissance explicite d’une compétence profane (Callon, Lascoumes,
Barthes, 2001 ; Dumoulin, La Branche, Robert Warin, 2005 ; Fischer, 2000 ;
Fromentin, Wojcik, 2008 ; Lash, Szerszynski, Wynne, 1999). Cette seconde
conception de l’expertise peut trouver sa place dans une approche pragmatique
de l’alerte et du risque (Chateauraynaud, Torny, 1999). Ainsi, il existe toujours
un ensemble de séries d’épreuves qui contribuent à forger l’alerte, avec ses
précédents, ses réussites et ses échecs, dont les parcours sont par définition
indéterminés, marqués par des arrêts, des clôtures, des déviations ou des
bifurcations toujours possibles – un peu à la manière de ces « sentiers qui
bifurquent », que nous décrivait Borges dans l’une de ses fictions10. Reposant
8
Plus largement, l’« extension relationniste » (Vinck, 2007, p. 197) que fait subir la sociologie
de l’acteur-réseau au principe de symétrie défini dans le programme « fort » de la sociologie des
sciences invite à tenir compte aussi bien des réussites que des échecs scientifiques, c’est-à-dire
quelque que soit le résultat, mais aussi à rendre compte, dans les mêmes termes, des aspects
techniques et sociaux (symétrie nature/société). De là découlent deux autres principes, qui
consistent, d’une part, à donner la parole aux entités « non-humaines » (symétrie humain/nonhumain), et d’autre part, à « suivre les épreuves » qui génèrent des asymétries entre acteurs
(principe des associations).
9 En ce cas, comme le résument R. Barbier et J.-Y. Trépos (2007), « la dynamique des mondes
et des formats nous invite à élaborer une sociologie politique des objets, au double sens
suivant : politisation comme mise en compatibilité des personnes et des choses avec des
exigences socialement légitimes ; politisation comme engagement de forces, lutte structurée
autour d’une distribution inégale des contraintes et des bénéfices, des avantages et des
inconvénients » (p. 54).
10 Dans la sociologie développée par F. Chateauraynaud et D. Torny (1999), la série (concept
emprunté à Deleuze (1969), dont la réflexion irrigue l’ouvrage comme une référence
souterraine) désigne une épreuve « à travers laquelle s’actualisent les contraintes pragmatiques
et les contraintes configurationnelles » qui entourent l’alerte : ainsi, « parce qu’elle est d’issue
incertaine, toute épreuve peut créer un précédent ou, si l’on veut, une expérience marquante
capable d’infléchir les épreuves ultérieures. C’est dire que chaque épreuve contient en germe
les épreuves futures, contribue à configurer la série » (p. 88). Chez Deleuze (1969), toute série
est l’inclusion d’au moins deux séries : « la forme sérielle est donc essentiellement
multisérielle » (p. 50), et traversée par « trois sortes de synthèse : la synthèse connective (si…,
alors), qui porte sur la construction d’une seule série ; la synthèse conjonctive (et), comme
procédé de construction de séries convergentes ; la synthèse disjonctive (ou bien) qui répartit
5
sur une conception du temps non-linéaire (ou « généalogique »), c’est-à-dire
faite de discontinuités, qui rompt avec une vision linéaire (ou chronologique)
du temps plus classique, cette approche peut alors permettre d’apporter des
éléments de réponses aux questions formulées plus haut.
Dans cette perspective, j’esquisserai, à partir de l’exemple d’une mobilisation
environnementale récente, les traits d’une épreuve, en relations avec d’autres
épreuves, antérieures et à venir, à l’intérieur d’une série en cours de
détermination, en montrant la place spécifique qu’y occupent les experts et
l’expertise. Mais avant cela, il est nécessaire de poser plus précisément le cadre
de cette réflexion, en revenant sur des travaux qui indiquent des pistes
originales, aussi bien au plan théorique qu’empirique, afin d’appréhender, dans
un même continuum, la construction du risque, l’expertise et l’expression
d’une critique dans le domaine de l’environnement.
Environnement et contingence des formes d’expertise
Si la question du risque environnemental a déjà fait couler beaucoup d’encre,
il n’en demeure pas moins qu’elle soulève des questions persistantes.
L’incertitude liée au risque environnemental doit ainsi attirer l’attention sur le
caractère contingent des formes d’expertise qui se déploient autour de lui.
Cette contingence se manifeste d’abord par le caractère pluriel des voix
pouvant s’exprimer en matière d’environnement et où, comme c’est le cas en
France, les « corps intermédiaires » ont joué et jouent aujourd’hui encore un
rôle déterminant dans l’application des politiques publiques (Lascoumes, 1994).
L’autre dimension liée au caractère contingent des formes d’expertise dans ce
domaine renvoie à la prise en compte d’une compétence profane dans la
formation des alertes. Paradoxalement, la sociologie ne dispose pas d’un
les séries divergentes » (pp. 203-204). Dans cette perspective, l’épreuve est d’abord à entendre
comme épreuve de force qui peut (ou non) passer à l’état d’épreuve de légitimité, et atteindre
(ou non) l’état de « grand », pour reprendre ici le vocabulaire des économies de la grandeur
(Boltanski, Thévenot, 1991). Toutefois, comme le dit B. Latour (2001), « c’est parce qu’une
chose n’est pas, par elle-même, réductible ou irréductible à une autre, qu’il n’y a que des
épreuves (de force). En effet, ce qui n’est jamais ni réductible, ni irréductible, il faut bien
l’éprouver, le rapporter, le mesurer constamment » (p. 243). C’est pourquoi, « de même, comme
dit Deleuze (1996), il n’y a pas dualisme entre deux plans d’organisation transcendante et de
consistance immanente : c’est bien aux formes et aux sujets du premier plan que le second ne
cesse d’arracher les particules entre lesquelles il n’y a plus que des rapports de vitesse et de
lenteur, et c’est aussi sur le plan d’immanence que l’autre s’élève, travaillant en lui pour
bloquer les mouvements, fixer les affects, organiser des formes et des sujets » (p. 160). Cet
« empirisme transcendantal » (qui est aussi un « empirisme radical » lié à une problématique de
la littéralité chez Deleuze) n’est pas, en ce cas, sans entretenir des rapports étroits avec le
pragmatisme d’un autre philosophe, par exemple, William James (Lapoujade, 2007).
6
langage très étoffé, semble-t-il, pour signifier la connaissance non scientifique
(ou non savante), autant que pour en signaler les manifestations. Sans doute
est-ce dû à une catégorisation psychologique tenace du registre des émotions ;
ce qui est d’autant plus regrettable qu’une sociologie des émotions pourrait se
révéler essentielle afin de saisir comment la perception des personnes
ordinaires peut jouer, dans certains cas, un rôle actif dans le lancement des
alertes et la fabrique du risque11.
Le risque environnemental comme objet d’expertise
En France, l’environnement s’est constitué en politique de manière tout à fait
récente. Sa particularité est d’avoir fait des associations de défense de la nature,
comme l’écrit P. Lascoumes (1994), « des pivots essentiels de la politique
publique » (p. 156). L’ancrage local des associations, auquel s’ajoute souvent
une existence en réseau, qui peut dépasser le cadre national, leur confère ainsi
un fort potentiel dans le lancement des alertes12. L’alerte tend dès lors à
fonctionner à l’envers, en déréalisant virtuellement le risque, non plus comme
prophétie « autoréalisatrice » (self fulfilling prophecy), mais par déplacement
ponctuel des rapports de force, en vue de se saisir de l’incertitude – c’est
pourquoi aussi, d’une certaine façon, les « lanceurs d’alerte » peuvent toujours
paraître travailler à leur propre fin13. Certaines associations pourront aussi se
voir directement contribuer à forger le risque en travaillant à sa réversibilité
technique par l’invention de solutions positives. Selon l’approche retenue, la
mobilisation renverra ainsi, par exemple, soit à un « acteur » (Friedberg), soit à
un « réseau » (Callon), soit à un « monde social » (Strauss). Dans tous les cas, la
11
La perspective d’une sociologie des émotions en lien avec une problématique du risque et
des mouvements sociaux connaît ainsi des développements récents et originaux en science
politique, à l’instar de la construction de certains problèmes publics (Crespin, 2006) ou de
l’émergence de certaines formes d’action collective (Traïni, 2007).
12 L’alerte désignant « une démarche, personnelle ou collective, visant à mobiliser des
instances supposées capables d’agir et, pour le moins, d’informer le public d’un danger, de
l’imminence d’une catastrophe, du caractère incertain d’une entreprise ou d’un choix
technologique » (Chateauraynaud, Torny, 1999, p. 37).
13 La figure sociologique du lanceur d’alerte, proche de celle du whistleblower américain
(« tireur d’alarme »), est développée par F. Chateauraynaud et D. Torny (1999, pp. 13-14
notamment). Chez L. Boltanski et È. Chiapello (1999), le déplacement s’oppose ainsi à la
catégorisation qui fait passer de l’épreuve de légitimité à l’épreuve de force, ou plus
simplement, maintient l’épreuve dans un rapport de forces immanent : « le déplacement est
donc toujours local, événementiel et circonstancié. Il se confond facilement avec le hasard et se
contente d’une réflexivité limitée. Il échappe par là à la contrainte de justification en toute
généralité qui suppose la référence à un second niveau, celui précisément où se situe, dans une
logique de catégorisation, la convention d’équivalence » (p. 409).
7
mobilisation tend alors d’elle-même à générer une puissance de structuration,
ou ce qu’on pourrait aussi appeler une configuration, se traduisant, dans une
perspective pragmatique, par des épreuves et leur agencement dans l’une des
multiples séries menant à l’institution (ou non) du risque.
Par bien des aspects, l’expertise peut être considérée au centre de ce
processus, dans la mesure où c’est elle qui vient donner un format à
l’incertitude. Dans ce cas, l’expertise permet d’opérer, par ses équipements, à la
fois « objectivés » (cartes, machines, algorithmes, etc.) et « incorporés » (savoirs
et savoir-faire, dispositions éthiques, etc.) (Trépos, 1996, pp. 49-50), la
traduction d’une perception diffuse ou virtuelle du danger, qui n’est pas ellemême sans entretenir des rapports étroits avec l’acte d’expertiser en général
(Bessy, Chateauraynaud, 1995). Dès lors, l’expertise peut être ramenée à
l’actualisation d’un sens ordinaire de l’objectivité14. Coexisteraient ainsi en tout
processus d’équipement du risque des actes de qualification et de perception
simultanés, suivant un « art de la prise » spécifique, entendu à la fois comme
« construction mentale » et comme « mode de connexion entre les corps », qui
permet de placer sur un même plan l’existence d’une expertise profane aux
côtés de celle des professionnels15. Aussi y a-t-il une distinction à faire entre
l’expertise, qui constitue un processus large, souvent indéterminé au départ,
rassemblant des acteurs par définition extrêmement variés, et l’« expert », qui
ne serait qu’un acteur parmi d’autres dans ce processus. Cette définition « nonpositiviste » de l’expertise (Delmas, 2001) enjoint alors à imaginer les contours
d’une approche plus générale et dynamique à la fois des rapports entre
connaissance et action.
Cette perspective permet d’esquisser les traits d’une sémantique originale de
l’expertise qui rompt avec une lecture normative du recours aux experts
(Habermas, 1973). Fondée sur une double capacité générative des objets dans
14
Expression d’usage courant dans la « sociologie des épreuves » (Lemieux), notamment chez
B. Latour, actualisation emprunte directement au vocabulaire deleuzien (Deleuze, 1986), en
désignant « une intégration, un ensemble d’intégrations progressives, d’abord locales, puis
globales ou tendant à être globales, opérant un alignement, une homogénéisation, une
sommation des rapports de force » (p. 45). Prenant appui sur le modèle de la « personne
ordinaire compétente », tout en s’inspirant du « sens ordinaire de la justice », définis dans les
économies de la grandeur (Boltanski, Thévenot, 1991), R. Barbier et J.-Y. Trépos (2007)
conçoivent ainsi un « sens ordinaire de l’objectivité, qui rendrait compte de cette ouverture à
une pluralité de modes de saisie des objets en fonction des contraintes pragmatiques de
l’action » (p. 44).
15 Plus précisément, selon C. Bessy et F. Chateauraynaud (1995), « la prise est le produit de la
rencontre entre un dispositif porté par la ou les personnes engagées dans l’épreuve et un réseau
de corps fournissant des saillances, des plis, des interstices » (p. 239) ; dès lors, dans les relations
entre les hommes et les choses, celle-ci est à entendre aussi bien comme ce qui « donne prise
à » que comme ce qui « a prise sur ».
8
l’action, tenant essentiellement à la recherche d’une stabilité, la stabilisation
d’une réalité par définition instable, l’expertise y aurait essentiellement pour
fonction de stabiliser un ordre incertain – ou d’« endogénéiser » le
débordement –, selon les situations qui se présentent, par ses équipements.
C’est le sens qu’on peut donner au processus de politisation dans la sociologie
de J.-Y. Trépos (2004), entendu comme l’ensemble « des moyens de convertir
les individus à des modes d’expression préférentiels de leurs passions » (p. 47)16.
Il s’agit en même temps d’observer, particulièrement en situation d’incertitude,
la façon dont les épreuves portent et mettent au centre des controverses la
formation de dispositifs qui constituent déjà, dans ce contexte, comme une
« réponse à la réponse » politique, et dont la rencontre vient, pour ainsi dire,
redoubler l’événement, en actualisant, par exemple, une perception virtuelle
du danger. Chez J.-Y. Trépos (1996), le concept de cristallisation, inspiré à
l’origine d’une conception de l’amour-passion chez Stendhal (« qui nous envoie
le sang au cerveau »), indique ainsi la « formation interne de dispositifs
d’orientation et parfois de stabilisation de pratiques sociales exprimant en actes
ce qu’on appelle parfois "passions" mais aussi "besoins" ou encore
"insatisfactions", etc. » (p. 53). Cette formation n’implique donc pas
nécessairement la constitution d’une détermination antérieure (du type
habitus), puisqu’elle désigne elle-même le processus indéterminé auquel
renvoie l’existence de ces « dispositifs »17. Aussi l’articulation des concepts de
politisation et de cristallisation ne recoupe-t-elle pas non plus, à proprement
parler, une conception top-down/bottom-up de l’action publique. En effet,
dans les deux cas, l’événement peut être interprété comme l’émergence d’une
singularité (cristallisation) et l’émergence d’un équipement (politisation),
chacun pouvant, le cas échéant, se traduire par la mise en place de dispositifs
d’expertise, qu’ils soient d’origine savante ou profane18.
16
Ce processus ne saurait toutefois être identifié à la seule expertise des professionnels et les
derniers écrits de l’auteur (Trépos, 2006), à partir d’une relecture originale des travaux d’Eliot
Freidson, insistent bien sur le caractère différencié du processus de politisation, ou plus
exactement, sur « une diversité de formes de politisation de l’expertise », qui coexistent dans
l’événement, à la fois « professionnelle », « occupationnelle » et « amateure » (p. 147).
17 Ne présupposant aucune « métaphysique de la liberté », cette approche met ainsi dos-à-dos
les conceptions de « l’acteur-stratège » et de « l’agent-disposé à », pour leur substituer et
privilégier la notion d’actant (Barbier, Trépos, 2007, p. 37).
18 À cet égard, les concepts d’événement et d’équipement pourraient être rapprochés de ceux
de « diagramme » et de « dispositif » dans la lecture que Deleuze (1986) propose de Foucault
(Gros, 1995). En ce cas, l’articulation des concepts de politisation et de cristallisation n’est pas
non plus sans rappeler celle de l’actuel et du virtuel chez Deleuze (1996), que ce dernier
précise dans un texte ultime : « le rapport de l’actuel et du virtuel constitue toujours un circuit,
mais de deux manières : tantôt l’actuel renvoie à des virtuels comme à d’autres choses dans de
vastes circuits, où le virtuel s’actualise, tantôt l’actuel renvoie au virtuel comme à son propre
9
Politisation et événementialité de l’expertise
Politisation
Cristallisation
Événement
Équipement
Dans cette optique, le risque est toujours une construction singulière, jamais
un donné formel et formalisé, qu’on peut aussi interpréter en termes de
« forum hybride », c’est-à-dire générant la définition de lieux communs,
entendus à la fois comme « points d’appui efficaces pour l’action » et « espaces
où l’on peut s’entendre » (Trépos, Bernat, Barisel, 2002, p. 105). De ce
constructivisme – qui n’est pas subjectiviste, ni « social », à proprement parler –
, on déduira que la définition du « problème » ou d’une « cause » n’est pas
forcément un préalable au recours à des experts, et peut tout aussi bien faire
l’objet de l’expertise elle-même. Cette démarche permet de souligner au
passage les limites d’une approche plus classique en termes de « situations
d’expertise » (Fritsch, 1985), qu’elle incite alors à replacer dans l’événement,
c’est-à-dire « qui ne soit réductible au réarrangement ou à la recombinaison des
matériaux qui préexistaient à la rencontre », en « déconnect[ant] l’agir de l’idée
de maîtrise pour l’arrimer à la notion d’émergence » (Barbier, Trépos, 2007, p.
39). L’actualisation des contraintes configurationnelles et pragmatiques à
l’œuvre dans les épreuves permet ainsi de révéler des séries de correspondances
non-causales entre événements (ou pour oser un néologisme audacieux, une
« causalité événementielle ») que tend à recouper l’expertise en son milieu – ou
ce qu’on pourrait aussi appeler, pour paraphraser M. Serres (1992), une sorte de
« polytemporalité », renvoyant à un « temps plié » ou « chiffonné » (p. 152).
virtuel, dans les plus petits circuits où le virtuel cristallise avec l’actuel […]. Dans tous les cas,
le rapport de l’actuel et du virtuel n’est pas celui qu’on peut établir entre deux actuels. Les
actuels impliquent des individus déjà constitués, et des déterminations par points ordinaires ;
tandis que le rapport de l’actuel et du virtuel forme une individuation en acte ou une
singularisation par points remarquables à déterminer dans chaque cas » (p. 185).
10
Dans cette perspective, l’environnement émerge à chaque fois comme
territoire nouveau et en devenir, virtuellement inédit19. Dès lors, il n’y a plus
d’origine transcendante à la nature, celle-ci étant liée à l’émergence (ou à
« l’universel effondement ») de l’environnement lui-même, dans lequel vient
s’inscrire et s’enracine le collectif.
Savant/profane : sortir du face-à-face
Une conséquence directe du travail de mise en risque par les associations est
la transformation des figures du militantisme traditionnel. On sait que le profil
des écologistes se complexifie nettement à partir des années 1980, à travers une
tendance à la professionnalisation qui s’accentue durant les années 1990
(Ollitrault, 2001). Ce « deuxième âge » du militantisme se caractérise
notamment par la superposition nouvelle d’un ensemble de figures qui, jusque
dans les années 1970, pouvaient encore constituer une grille de lecture assez
pertinente. Aujourd’hui, les figures du militant, du scientifique, ou du
« profane »20, ne constituent plus forcément des entités clairement séparées ou
étanches ; au contraire, celles-ci tendent souvent à se confondre et deviennent
de plus en plus poreuses (Estades, Rémy, 2006 ; Gaïti, 2002). Que la critique
écologique tire de ce « mélange des genres » (comme entre le scientifique et le
militant, de manière archétypale) sa capacité à « produire un discours
acceptable dans d’autres univers sociaux, incluant notamment les médias et
l’opinion publique » (Siméant, 2002, p. 21), cela ne fait aucun doute – ce qui
explique aussi que les activités de type militant aient une forte tendance à
devenir « sérieux », et pas qu’en apparence. Mais l’actualisation des contraintes
propres à une épreuve doit également attirer l’attention sur ce qui rend ce
mécanisme possible et que le « mélange » n’explique pas, même interprété en
termes de conversion ou de reconversion (typiquement, là encore, du
scientifique au militant, par exemple), en invitant à prendre au sérieux l’idée
d’« un espace des mouvements sociaux » (Mathieu, 2001, p. 95) qui ne soit
réductible, ni à l’objectivisme, ni au subjectivisme. Certains travaux récents
attestent ainsi de façon originale de l’inclusion de ces figures au sein d’une
même épreuve, comme en un feuilletage, une sorte d’entrelacs de figures en
suspens, dont l’actualisation, liée à l’inflexion dans l’action, souvent en
« période critique » ou de « crise », force à emboîter le pas sur d’autres
19
L’expertise pouvant également se laisser déduire, dans une perspective davantage
foucaldienne, comme une « objectivité de substitution », qui construit l’environnement face à
une nature en péril réputée objective (Ewald, 1992).
20 Avec tout ce que le terme peut comporter de religiosité ordinaire, bien que le profane
partage avec le savant des savoirs de sens commun (Merchiers, Pharo, 1992).
11
épreuves, voire d’autres séries d’épreuves, tout en esquissant un élargissement
de l’alerte et du risque, son renforcement ou sa relativisation, des voies de
bifurcations toujours possibles.
Une entrée particulièrement intéressante de ces travaux consiste à mettre
l’accent sur la reconnaissance de la perception et d’une compétence profane
dans le lancement des alertes. C’est le cas, par exemple, des recherches de C.
Gramaglia (2006) lorsqu’elle analyse l’activité contentieuse de l’Association
nationale de protection des eaux et rivières (ANPER-TOS), à travers la
restitution de plusieurs affaires de pollution des eaux. Créée en 1958 par des
pêcheurs à la mouche passionnés, cette association développe en parallèle à
l’évolution de la législation sur le droit de l’environnement une activité
contentieuse importante, notamment à partir des années 1970, faisant de sa
revue un média précieux21. Dans cette perspective, les pêcheurs, pour la plupart
adeptes de la pêche à la mouche, jouent un rôle de médiation original, se
traduisant par des attachements singuliers aux êtres et aux choses22. Le plus
souvent proches d’une rivière, parfois fins connaisseurs de la nature, attentifs
aux moindres variations de leur environnement proche, ces derniers exercent
ainsi un rôle actif de vigilance, face à la pollution des eaux ou la menace d’un
site, par exemple (Gramaglia, 2005)23. Le jeu des associations ne s’arrête
21
La revue, qui s’appelle au départ « Truite, Ombre, Saumon », trois espèces de salmonidés
révérées par le pêcheur à la mouche, optera pour l’acronyme « TOS » en même temps que
l’association élargira progressivement sa vocation de défense des rivières et des poissons à
l’ensemble de l’environnement. Ainsi, ANPER-TOS fait partie des associations historiques
ayant joué et jouant aujourd’hui encore un rôle important dans l’application du droit de
l’environnement en France, à l’instar d’Eau et rivières de Bretagne (ERB), qui trouve
également son origine dans la défense de la pêche des salmonidés contre la pollution des
rivières et les élevages intensifs, engageant quant à elle une activité contentieuse à partir du
milieu des années 1980.
22 À ce niveau, par exemple, on dira alors que « l’épreuve est toujours une épreuve de force
c’est-à-dire l’événement au cours duquel des êtres, en se mesurant (imaginez un bras de fer
entre deux personnes ou l’affrontement d’un pêcheur et la truite qui cherche à lui échapper)
révèlent ce dont ils sont capables et même, plus profondément, ce dont ils sont faits »
(Boltanski, Chiapello, 1999, pp. 73-74). Ainsi, toute une partie de l’analyse de C. Gramaglia
tend à se développer sur un « mode mineur de la réalité » (au sens d’A. Piette, 1992), très
proche d’une « ethnographie du fait socio-animal », telle que ce même auteur, par exemple,
l’observe entre l’homme et le chien (Piette, 2002).
23 On peut aussi rapprocher cet exemple des pêcheurs d’alose sur le Rhône (Barthélémy,
2005). La vigilance des pêcheurs, sur un autre mode mineur, à travers ce qu’on pourrait
appeler, à la suite de P. Descola (2001), une combinaison analogique originale de la matérialité
et de l’intériorité, permet alors d’apparenter ces derniers à de véritables « porte-parole » des
poissons ; de la même manière qu’on pourrait aussi dire de ceux-là, à la suite de Deleuze
(1988), qu’ils constituent comme les « plis organiques » des rivières (p. 14). Ainsi, C. Gramaglia,
dans l’un des chapitres de sa thèse (2006), observe à plusieurs reprises l’existence d’un rapport
animal du pêcheur au poisson comme « devenir-animal » (l’incertitude de l’être aux aguets) qui
12
pourtant pas là, sans quoi il n’aurait que peu d’incidence sur les politiques
publiques. En lien étroit avec certains juristes et avocats, proche du Syndicat de
la magistrature, l’association de défense de la nature, grâce au rôle pivot de son
délégué, basé en région parisienne, peut alors jouer pleinement son rôle de
lanceur d’alerte, tout en instruisant des affaires, et ester en justice24. Plus
largement, en restituant le principe d’association qui préside à la mise en cause
environnementale, la casuistique des affaires de pollution des eaux analysées
par C. Gramaglia permet de pointer du doigt des « espaces socionaturels »
inédits, le plus souvent imperceptibles, muets et aveugles à nos consciences,
qui autorisent également des prolongements intéressants à une sociologie de la
critique25.
Un second exemple concerne la mobilisation des surfeurs face à la pollution
engendrée par le naufrage du pétrolier Prestige sur les côtes de l’Atlantique en
novembre 2002 (Comby, Terral, Weisbein, 2005). Partant de l’étude des
activités de l’association Surfrider Foundation Europe (SFE), une partie de ces
travaux montre comment l’expérience sensible des surfeurs et le « stigmate
inspiré » qui les caractérise – dans un rôle au fond relativement proche de celui
des pêcheurs à la mouche relevé plus haut26 – peuvent être relayés par
l’association et ses porte-parole. L’analyse souligne en particulier l’existence de
« contacts mixtes » (Goffman), qui permettent au collectif associatif de
développer sa propre capacité d’expertise27. L’élaboration de pavillons noirs,
par exemple, faisant appel à de nombreux équipements d’expertise28, appuyés
sur le statut de « gardien de la côté » des surfeurs, illustre bien alors comment
l’association s’efforce « de pénétrer l’espace public par un relais médiatique
efficace pour faire sortir l’enjeu de la qualité des eaux de l’écran que constitue
semble devoir renvoyer à l’acte même de pêcher (à la mouche) comme « art des distances » (le
zigzag de la mouche au-dessus de l’eau…).
24 À cet égard, ANPER-TOS travaille régulièrement avec des juristes faisant de leur
militantisme un métier, tel Raymond Léost, expert bien connu du droit de l’environnement en
France, ayant fait ses « premières armes » au sein d’ERB, aujourd’hui vice-président de France
nature environnement (FNE).
25 Cette perspective permet en effet de recouper l’hypothèse d’un continuum entre
jugements ordinaires et jugements de droit, bien que peu relevée jusqu’à présent par la
sociologie, qui semble davantage s’être construite « contre », en affirmant la césure (Thévenot,
2006).
26 On notera ainsi avec intérêt et curiosité Deleuze nous dire des surfeurs qu’« ils habitent le
pli de la vague » (2004, « C comme Culture »).
27 Ce qui renvoie également aux multi-usages politiques du surf en contexte local (Guibert,
2006).
28 Très spécialisés, ces équipements mobilisent des savoirs eux-mêmes extrêmement
diversifiés (du type bactériologique, courantologie, droit de l’aménagement, santé publique,
etc.).
13
le label des pavillons bleus, insuffisamment sélectif en raison de ses critères
d’attribution » (p. 7). Un réseau complexe de connaissances et de
reconnaissance des savoirs s’établit ainsi au sein du collectif, qui fait naître une
véritable « expertise de la vague », configurant et reconfigurant au passage aussi
bien la série que le monde social du surf lui-même, et autorise SFE (et les
surfeurs) à entrer singulièrement dans l’action publique, tout en la contestant.
Au regard de ces travaux, le risque environnemental apparaît bien comme
une construction hasardeuse qui suit des séries variées, toujours susceptibles de
bifurquer, de s’arrêter, de repartir ou de se clore. Qu’ils s’appuient sur une
analyse en termes de réseau ou de monde social, ces deux exemples engagent
en même temps des manières de faire de la sociologie, et donc aussi de
concevoir la société : dans le premier exemple, l’analyse des opérations
critiques menées à partir du relais de la perception immédiate du danger
permet de mettre à jour des attachements innovants, qui peut s’inscrire dans
une tradition renouvelée de la pensée par cas (Passeron, Revel, 2005) ; dans le
second exemple, l’analyse soulève l’existence d’une configuration tout à fait
singulière qui, en superposant les grandeurs (entre la grandeur « civique » et
« inspirée » notamment) et les régimes d’action (proche, fonctionnel et
conventionnel), permet de faire ressortir les multiples continuités de la
personne et du social. Ces différents feuilletages, parfois extrêmement raffinés,
comme dans le cas des pêcheurs à la mouche, n’engagent toutefois jamais un
individu solipsiste (et encore moins, semble-t-il, un « sujet »), mais tendent
davantage à souligner le caractère profondément singulier du social, composite
et plastique, à la fois « pré-individuel » et « impersonnel », pour paraphraser ici
Deleuze (1990), comme une « individualité d’événements » (p. 193) que les
collectifs rassemblent et font tenir ensemble29 ; ce qui incite d’autant plus à
déplacer l’interrogation sur l’intentionnalité globale des mobilisations (fort
incertaine par définition), pour privilégier l’étude de leurs lignes de fuite et des
multiples séries d’épreuves qui contribuent à façonner l’alerte.
Dans l’autre sens, la restitution des épreuves pointent des amorces de
généralisation qui mettent en avant la diversité des points de vue autour
desquels l’alerte et le risque se construisent, et où les controverses n’ont d’autre
horizon que « la possibilité d’un (nouveau) compromis » (Barthe, Gilbert, 2005,
p. 56), visant à réintroduire de la stabilité30. Sous cet angle, l’expertise peut
29
Comme le dit très justement J. Roux (2005) à ce propos : « ni amateurs, ni profanes, ces
porteurs de savoirs par accointance valident leur expertise dans l’actualisation d’une relation à
un milieu menacé d’existence » (p. 427).
30 Dans les économies de la grandeur, le compromis désigne un « hybride complexe » qui
associe des formes de justification auquel aucune d’entre elles ne se réduit : « la multiplication
des objets composites qui se corroborent et leur identification à une forme commune
contribuent ainsi à stabiliser, à frayer le compromis. Lorsqu’un compromis est frayé, les êtres
14
constituer une entrée particulièrement heuristique dans l’élaboration des
controverses, liées à des connaissances scientifiques et techniques relativement
instables (Latour, 1989). Dans cette optique, et comme y incitent les exemples
précédents, « suivre les épreuves » renvoie à se saisir des « processus de
stabilisation des connaissances par accumulation d’asymétries dont il s’agit de
faire l’inventaire » (Vinck, 2007, p. 195). Faire l’inventaire de ces asymétries
autorise dès lors une remontée du particulier au général (ou par
« sursomption »), qui tend à substituer à l’existence de l’intérêt général
classique celle d’un bien commun territorialisé, élargi et transitif, accordant
dans l’analyse une place centrale à la description (Descola, 2003). Ce qui
renvoie ici, dans chaque cas, à une « dramatisation de l’espace public », pour
paraphraser N. Dodier (2003a, p. 134), mais aussi à des dynamiques temporelles
qui s’entrelacent, enjoint alors le chercheur à porter une attention toute
particulière à la dimension narrative de ses observations ; l’écriture
sociologique visant, ni plus, ni moins, dans cette perspective, à actualiser la
rencontre virtuelle des points de vue qui composent la série, quitte à lier des
relations originales avec les personnes qui s’y trouvent engagées et mises en
scène31. À cet égard, tout environnement appelle sa généalogie propre, laquelle
n’est jamais fixée d’avance, ni a fortiori de manière définitive. Pour illustrer ce
point de vue et prolonger ainsi les analyses qui précèdent, je prendrai donc
qu’il rapproche deviennent difficilement détachables » (Boltanski, Thévenot, 1999, p. 340).
Comme le précise alors L. Thévenot, « frayer un compromis peut être le fait d’un être humain
qui favorise, en personne, le passage d’un ordre à l’autre, mais le stabiliser durablement
requiert des équipements » (cité par M. Nachi, 2006, p. 179).
31 Renouant ainsi avec les traditions clinique (histoire de l’art, psychanalyse) et casuistique
(morale, juridique, religieuse), cette lecture pragmatique du « social » permet alors de pointer
du doigt l’idée typiquement deleuzienne selon laquelle l’événement n’est pas simple
effectuation dans un état de choses mais aussi « contre-effectuation » dans le langage
(Zourabichvili, 1996) ; ce qui n’est pas, évidemment, sans avoir une portée à la fois politique et
épistémologique au regard des sciences sociales. Dès lors, comme le montrent A. Bensa et É.
Fassin dans leur article (2002), très marqué également par le concept de série, il ne suffit pas à
ces dernières « de faire le constat de l’irruption spectaculaire de l’événement, non plus que de
l’écarter ; encore faut-il en construire le sens […]. La contribution spécifique des sciences
sociales, c’est la construction des séries pertinentes, c’est-à-dire des séries dans lesquelles
l’événement prend sens » (pp. 14-15). La distinction entre épreuves endogènes et épreuves
diffuses, par exemple, dans l’approche pragmatique développée par N. Dodier (2003b), n’est
sans doute pas si éloignée non plus de cette démarche. Sur ce point, Deleuze (1990) nous dit
bien qu’« il y a deux manières de considérer l’événement, l’une qui consiste à passer le long de
l’événement, à en recueillir l’effectuation dans l’histoire, le conditionnement et le
pourrissement dans l’histoire, mais l’autre à remonter l’événement, à s’installer en lui comme
dans un devenir, à rajeunir et à vieillir en lui tout à la fois, à passer par toutes ses composantes
ou singularités » (p. 231).
15
l’exemple d’une affaire récente ayant débouchée sur un compromis temporaire,
où l’expertise s’avère constituer un excellent révélateur d’épreuves.
« Un barrage contre les saumons » ?
Construit progressivement pendant l’entre-deux-guerres, rehaussé durant la
seconde guerre mondiale, le barrage de Poutès-Monistrol fait depuis longtemps
l’objet d’intenses débats au sein des associations de défense de la nature32.
Intégré à un complexe hydroélectrique constitué de deux autres barrages,
Poutès33 est considéré depuis longtemps par les militants écologistes comme un
obstacle majeur au retour pérenne du grand saumon de souche naturelle sur
l’axe Loire-Allier. En 1956, l’entreprise Électricité de France (EDF) obtient le
droit d’exploiter le barrage pour une durée de 50 ans. Lorsque EDF annonce au
milieu des années 1990 qu’elle souhaite renouveler sa concession – laquelle
arrivera à échéance fin 2007 –, s’engage alors un véritable « bras de fer » avec
les militants écologistes, une épreuve de force. Comment la mobilisation
sociale se construit-elle dans cette affaire ? Quelle part y occupe l’expertise et
qui se l’approprie ? Enfin, quelle(s) série(s) dans l’alerte se dégage à travers
cette épreuve ? Le barrage constitue un objet problématique autour duquel
s’agrègent des énoncés contradictoires. Aussi lui prête-on une multitude
d’effets, réputés tout à la fois désirables (comme produire de l’énergie) et
indésirables (menacer d’extinction une espèce animale, par exemple).
Comment les propriétés objectives de ce barrage peuvent-elles renvoyer à de
tels énoncés, et dans quelles proportions ces derniers se révèlent-ils effectifs et
s’agencent-ils collectivement ? C’est tout l’enjeu de la construction du risque
environnemental et des alertes qui se trouve ainsi posé.
La mise en expertise du risque environnemental
La mobilisation contre le renouvellement de la concession accordée à
l’entreprise productrice d’électricité rassemble rapidement un grand nombre
d’associations de défense de la nature qui s’engagent en 2004 dans une
32
Cette partie restitue les résultats d’une enquête portant sur la campagne de démantèlement
d’un barrage hydroélectrique en Haute-Loire (Auvergne) lancée en 2004 par un collectif
d’associations de défense de la nature. L’enquête s’appuie en particulier sur la réalisation
d’entretiens avec plusieurs membres et responsables associatifs engagés dans la mobilisation et
à sa marge, ainsi que sur le dépouillage d’un corpus de textes essentiellement à base d’articles
de presse, de rapports d’expertise, de documents émanant aussi bien des associations que des
services de l’État et des collectivités locales impliqués dans l’épreuve.
33 On désignera dorénavant le barrage concerné de la façon suivante ; les deux autres
barrages étant ceux de Saint-Préjet et Pouzas, situés sur l’Ance du Sud.
16
campagne pour le démantèlement du barrage34. Si cette campagne fait appel à
des dispositifs classiques de médiatisation et de sensibilisation, tels que le
lancement d’une pétition, la publication d’articles dans la presse locale,
régionale et nationale, ou encore la réalisation d’un film-documentaire à
caractère engagé (au titre très « durassien », repris ici en chapeau), celle-ci
s’accompagne en même temps de la constitution plus souterraine d’un réseau
d’humains et de non-humains, sur lequel repose fortement le lancement
de l’alerte. Cette construction souterraine du risque s’exprime très clairement
dans le discours des écologistes, contraints d’élaborer un argumentaire « qui
tienne la route ». À la circularité classique des savoirs se superpose ainsi un
« militantisme de dossier », caractéristique des mobilisations contemporaines
(Ollitrault, 1996). L’apparence de sérieux dans les revendications des
écologistes renvoie alors aussi directement à une mise en forme du risque qui
s’appuie sur de nombreux équipements d’expertise – qu’il soit d’ailleurs fait
recours aux experts par les associations elles-mêmes ou par les autorités
publiques.
L’analyse du processus de politisation du risque lié au barrage de Poutès ne
saurait toutefois se comprendre sans une mise en rapport préalable avec les
épreuves antérieures au cours desquelles se cristallisent les passions, soulignant
bien au passage la dimension à la fois sérielle de toute épreuve et multisérielle
de toute série, à commencer par l’abandon du projet de barrage sur Serre de la
Fare dans les années 1990, qui débouche sur le Plan Loire Grandeur Nature35.
À l’autre bout de la ligne de fuite, si la perception des pêcheurs de saumon sur
34
Ou d’« effacement », lorsqu’une stratégie d’euphémisation se justifie (voir illustration ciaprès). Parmi les associations impliquées, on compte SOS Loire Vivante, le World Wide Fund
(WWF), l’Union nationale pour la pêche en France, les cinq fédérations de pêche Loire, Puy de
Dôme, Haute-Loire, Lozère et Ardèche, l’Association protectrice du saumon, l’Association
internationale de défense du saumon Atlantique, Agir pour l’environnement, les Amis de la
terre, ou encore ANPER-TOS. D’autres associations de protection de la nature ainsi que des
pêcheurs (guides de pêche ou amateurs) se joignent également au collectif.
35 Renvoyant lui-même à une large série d’épreuves, le Plan Loire Grandeur Nature est le
résultat d’un contexte politique tendu qui, au début des années 1990, oppose des conceptions
radicales de l’aménagement du fleuve. Arrêté quelques années plus tard par l’État, au terme
d’une longue mobilisation des associations de défense de la nature, « afin de concilier la
sécurité des personnes, la protection de l’environnement et le développement économique »,
ce plan – dont on peut rapprocher au passage le sens fonctionnel que lui donne L. Thévenot
(2006) avec le sens organisationnel que lui donne Deleuze (1996, pp. 156-157 en particulier) –
peut alors être considéré comme un équipement puissant (ou un « dispositif », puisque Deleuze
lui associe également un sens foucaldien) de la mise en risque environnemental sur l’axe LoireAllier. Institué en 1994 pour une durée de 10 ans, puis inclus aux contrats de plan entre l’État
et les régions concernées à partir de 1999, le Plan Loire Grandeur Nature fait actuellement
l’objet d’une large consultation auprès du public, afin de redéfinir ses objectifs pour la période
2007-2013.
17
l’Allier pouvait laisser depuis longtemps pressentir qu’une menace pesait sur
l’espèce de salmonidés, son interdiction totale à partir 1994 entraîne également
la mise en place de plusieurs dispositifs de contrôle ichtyologique (partie de la
zoologie traitant des poissons), qui confèrent aux scientifiques un rôle virtuel
de lanceurs de l’alerte36. En schématisant, on peut distinguer deux étapes dans
le processus de politisation du risque sur Poutès. Celles-ci invitent alors à
décrire et à saisir, comme à travers autant de « micro-épreuves », l’actualisation
des différents pôles de la controverse : l’une de ces étapes a trait au diagnostic
du problème, c’est-à-dire à la problématisation du risque, aussi bien du côté des
écologistes que de l’État, et pointe nettement le caractère sériel de l’épreuve ;
l’autre concerne l’envers de l’alerte, à savoir la démonstration d’une
réversibilité du risque, c’est-à-dire la possibilité de remédier en partie à
l’incertitude qui lui est liée, à travers la formulation de « solutions » positives.
Ainsi, émerge une temporalité spécifique de la mise en risque, qui renvoie
l’épreuve à d’autres épreuves et à leur agencement en une série génératrice
d’événements.
Éléments de chronologie
1927 : Construction du barrage de Poutès avec fonctionnement « au fil de l’eau ».
1941 : Rehausse du barrage par adjonction de trois vannes métalliques (hauteur : env. 16m).
1956 : Exploitation du barrage concédée à EDF par l’État pour une durée de 50 ans*.
1986 : Installation d’un système de franchissement du barrage dédié aux saumons (ascenseur).
1989 : Création de l’association Loire grands migrateurs (Logrami) qui se donne pour objectifs
la restauration et la gestion des poissons migrateurs de la Loire.
36
Née au début du siècle passé, la pêche sportive du saumon sur le Haut-Allier constitue un
facteur de développement économique indéniable à partir des années 1930, attirant pêcheurs
de toutes nationalités et avec eux touristes et visiteurs, à une époque où l’on compte encore
plusieurs dizaines de milliers du poisson argenté sur le bassin de la Loire (le village de Brioude,
en Haute-Loire, est surnommé « capitale européenne de la pêche au saumon »). Au début des
années 1990, estimant à environ une centaine la population de saumons sur l’axe Loire-Allier,
la pêche sportive se voit interdite. Refusant d’imputer aux pêcheurs la disparition du saumon
(pêche professionnelle, braconnage, obstacles en tout genre…), plusieurs centaines d’entre eux
répondent à l’appel de Jean-Claude Chavaillon, pêcheur passionné et actuel président de la
Fondation saumon, pour une réouverture sauvage et médiatique de la pêche. Entraînant avec
elle comme un « glissement de terrain », cette épreuve de force débouche sur le renforcement
des outils de contrôle scientifique de la population de saumons, avec en particulier la mise en
place, en 1996, d’une station de contrôle et d’observation innovante à Vichy. Cet événement
marque également la relance des activités de l’association Loire grands migrateurs (Logrami),
qui s’était fixée lors de sa création, à la fin des années 1980, de restaurer et de gérer les
populations de poissons migrateurs sur le bassin de la Loire (tels le saumon ou l’anguille, par
exemple), et s’accompagne de la création, avec un large appui de la recherche, quelques années
plus tard, en 2001, de la plus grande salmoniculture d’Europe (à Chanteuges), soutenue à
l’époque par le ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement.
18
1994 : SOS Loire Vivante obtient l’abandon du projet de barrage sur Serre de la Fare qui
débouche sur le Plan Loire Grandeur Nature : les barrages de Maisons Rouges et de SaintÉtienne de Vigan seront supprimés ; la pêche sportive du saumon se voyant interdite sur
l’Allier, plusieurs centaines de pêcheurs se réunissent à l’appel de Jean-Claude Chavaillon
pour une ouverture sauvage et médiatique de la pêche.
1996 : EDF annonce au ministère de l’Industrie son intention de renouveler sa concession sur
le barrage de Poutès.
1996 (avril) : Création d’une station innovante de contrôle et d’observation des saumons à
Vichy.
2000 : Établissement d’un accord de principe entre EDF et l’administration pour le
renouvellement de la concession sur le barrage de Poutès.
2001 : Mise en place de la plus grande salmoniculture d’Europe à Chanteuges, à l’initiative du
ministère de l’Environnement, et création du Conservatoire national du saumon sauvage.
2003 : Remise de l’étude d’impact d’EDF pour avis des maires et de l’État sur le renouvellement
de la concession du barrage de Poutès ; celle-ci étant considérée incomplète, EDF est mise en
demeure de la compléter.
2003 (mai) : Saisine du ministère de l’Écologie par SOS Loire Vivante, soutenue par une
trentaine d’associations locales sur le dossier du renouvellement de la concession EDF de
Monistrol d’Allier.
2004 (janvier) : Formation d’un collectif national d’associations et lancement d’une campagne
nationale pour le démantèlement du barrage de Poutès.
2004 (mai) : Lancement d’une pétition par le WWF-France, en partenariat avec la chaîne de
magasins Nature et découvertes, afin de soutenir le démantèlement du barrage de Poutès.
2005 (octobre) : Remise du rapport commanditée par la DIREN-Centre auprès du GRISAM sur
le complexe hydroélectrique de Poutès-Monistrol ; inauguration d’un parc éolien sur le
plateau d’Ally-Mercœur.
2005 (novembre) : Sortie du film-documentaire Un barrage contre les saumons (réal. D.
Roche/durée : 14mn).
2006 (printemps) : Remise de la première phase de l’étude énergétique et économique
commanditée par le WWF auprès du bureau d’études Énergies demain.
2006 (20 juin) : Démarrage de l’enquête publique pour le renouvellement de la concession du
complexe hydroélectrique de Poutès.
2006 (4 juillet) : Nouvelle demande de saisine du ministère de l’Écologie par SOS Loire Vivante
sur le dossier du renouvellement de la concession EDF de Monistrol d’Allier.
2006 (5 août) : L’enquête publique donne un avis favorable, sans réserve contraignante, au
renouvellement de la concession EDF sur le barrage de Poutès pour une durée de 10 ans
renouvelables ; un « comité de suivi » composé d’experts est mis en place par les services de
l’État.
2007 (8 et 9 mars) : Colloque organisé à Puy-en-Velay par le WWF et SOS Loire Vivante,
intitulé « Des énergies renouvelables, des saumons et des hommes », en la présence du
ministre de l’Écologie, avec le soutien de la Fédération nationale de pêche.
*Fin de la concession prévue le 31 décembre 2007.
Dans ce qu’on pourrait appeler une première phase de diagnostic, la
problématisation du risque s’effectue par l’entremise d’un ensemble
d’équipements qui permettent de déterminer une première extension à l’alerte
et lui confèrent un certain degré d’intensité. Dans l’épreuve de force qui
19
oppose les associations de défense de la nature à l’entreprise productrice
d’électricité, le rattachement de l’alerte à l’existence du complexe de PoutèsMonistrol, et en particulier au barrage de Poutès, s’effectue ainsi à travers une
première étude qui renvoie au pôle scientifique de la controverse.
Commanditée fin 2004 par la direction régionale de l’environnement (DIREN)
de la Région Centre dans la perspective du renouvellement de la concession
accordée à EDF, cette étude est réalisée par des chercheurs de l’INRA et du
CEMAGREF37, associés à des ingénieurs du Conseil supérieur de la pêche
(CSP)38. L’étude s’appuie en particulier sur un travail d’élaboration de scénarios
par modélisation algorithmique relativement complexe, qui contribue
fortement à « durcir » l’alerte, en imputant directement à l’existence du barrage
de Poutès le risque encouru pour la population naturelle de saumons39. Mais
l’argumentation des porte-parole d’EDF repose essentiellement sur la pluralité
des obstacles rencontrés par le saumon sur la Loire, ce qui ne permet pas, à
leurs yeux, de valider entièrement ces conclusions40. L’épreuve révèle ainsi
l’existence d’une controverse scientifique relativement instable, liée pour
partie à l’incertitude de l’état des connaissances et à leur caractère contingent.
37
Institut national de la recherche agronomique ; Institut de recherche pour l’ingénierie de
l’agriculture et de l’environnement.
38 Expertise du complexe hydroélectrique de Poutès-Monistrol, GRISAM, 2005. Composé
essentiellement d’ingénieurs-chercheurs, le GRISAM est un groupe d’intérêt scientifique (GIS)
portant sur les poissons amphihalins, c’est-à-dire capables de vivre en eau douce et en mer.
Dans la mesure où cette étude exige des chercheurs la production de connaissances basées sur
la science dans une perspective décisionnelle, on peut dire qu’il s’agit d’une « expertise
scientifique » (au sens de P. Roqueplo, 1997).
39 Les conclusions du rapport se veulent à cet égard très explicites, énonçant comme un
syllogisme de l’alerte : celles-ci commencent par rappeler que « l’étude d’impact remise par
EDF n’apporte pas d’élément pertinent pour apprécier le niveau de risque que l’aménagement
fait peser sur la pérennité de la population naturelle de saumon considérée sur l’ensemble de
l’axe Loire-Allier » (p. 15) ; par la suite, les experts ajoutent qu’« il est incontestable que
l’aménagement de Poutès-Monistrol constitue actuellement un obstacle très sérieux aux
migrations des saumons » (p. 15) ; le rapport conclut alors que, « par rapport à l’objectif de
minimiser le risque d’extinction du saumon du bassin Loire-Allier, l’application du principe de
précaution conduit à recommander la suppression du barrage de Poutès » (p. 17). Ce type
d’énoncés, souvent riches en déictiques spatio-temporels (« l’ensemble de l’axe »,
« actuellement », etc.), participe ainsi pleinement à la construction du risque, tout en donnant
prise à la critique.
40 Aussi peut-on lire dans l’étude d’impact remise par EDF que « l’ensemble des ouvrages de
franchissement de l’aménagement de Monistrol d’Allier fonctionne bien et le barrage de
Poutès ne peut être considéré à lui seul comme un obstacle majeur à la migration du saumon
atlantique. Il persiste toutefois des impacts résiduels » (Cf. Demande de renouvellement de la
concession de l’aménagement de Monistrol d’Allier (Haute-Loire), Étude d’impact, EDF, 2002,
p. 187).
20
Le deuxième temps qui intervient dans la fabrique du risque consiste à
renverser l’alerte en cherchant du côté des « solutions » possibles, c’est-à-dire
vers les alternatives au danger que fait courir l’existant et des voies susceptibles
d’en diminuer positivement l’incertitude. À l’initiative du WWF-France, qui
porte largement la mobilisation dans le cadre d’un programme spécifique
(« Rivières Vivantes »), grâce à l’un de ses représentants locaux, militant de la
première heure à Serre de la Fare – pointant au passage la dimension
générationnelle de l’épreuve –, une série d’études énergétiques
complémentaires est engagée. Celles-ci visent directement à concurrencer
l’étude d’impact remise par EDF, en se situant cette fois sur le pôle économique
de la controverse. La première phase de ces études consiste à élaborer un
nouveau diagnostic de la situation énergétique, en définissant puis en localisant
les gisements de production locale d’électricité et d’énergies de substitution (du
type biogaz, paille, bois, solaire thermique). Une seconde série d’études,
commanditée au même bureau d’études, vise alors à élaborer un « plan
d’action » sur la base de ces résultats, en valorisant notamment le potentiel
énergétique que recouvre le développement récent d’un parc éolien à
proximité du barrage41.
Ce lobbying d’expertise, associé au « travail politique » des associations
mobilisées pour le démantèlement du barrage, révèle tout son potentiel dans
l’emboîtement « chic et choc » des arguments qui permettent de définir un
discours militant cohérent42. L’illustration ci-dessous permet aussi de restituer
cet argumentaire sous une forme à la fois plus imagée et poétique. Relayé par la
presse nationale, mais surtout locale et régionale, ce discours équipe encore
davantage l’alerte, et en particulier son envers, en lui associant un argument
supplémentaire, qui consiste à faire valoir les retombées socio-économiques du
tourisme de la pêche en cas d’un retour du saumon sauvage, appuyé cette fois
par des données statistiques du CSP et les résultats d’une étude commanditée
par les associations de pêche locales43. En travaillant à la réversibilité du risque,
Synthèse. Identification d’un gisement de maîtrise de la demande d’énergie et de
production locale sur la zone Poutès, Énergies demain, 2006. Le barrage de Poutès produit
41
environ 52GWh par an, soit moins de 1% de la production nationale d’électricité d’origine
hydraulique, auxquels pourraient se substituer, selon le rapport, des voies énergétiques
innovantes (« électricité verte »). Ainsi, le parc éolien d’Ally-Mercœur (composé de 26
éoliennes), inauguré en 2005, dispose à lui seul d’une capacité globale de production d’environ
78GWh.
42 Le slogan de l’affiche officielle soutenant la campagne pour le démantèlement du barrage
en constitue sans doute la meilleure illustration : « Un grand barrage en moins, 20 éoliennes en
plus… 5000 saumons sauvages de retour ! ».
43 Étude sur les potentialités économiques de la pêche sur le Haut-Allier en Haute-Loire, SeaRiver, Fédération de pêche de Haute-Loire, 2005. Les retombées économiques et financières
21
l’agencement formel de ces arguments vise alors essentiellement à discuter un
argument politique de taille, renvoyant à l’emprise économique qu’exerce EDF
sur la zone par l’intermédiaire du reversement des taxes professionnelles et
foncières aux collectivités locales concernées, et dont les maires savent qu’un
soutien au démantèlement du barrage serait mal vu d’une partie de la
population.
Source : SOS Loire Vivante
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi « l’archaïsme de la
procédure d’enquête publique », qui se déroule au cours de l’été 2006,
maintenant la participation à l’échelon local, pourra être si vivement critiquée
par les militants écologistes, qui souhaitent et revendiquent l’élévation du
débat au niveau national. Concluant à un avis favorable au renouvellement de
la concession accordée à l’entreprise productrice d’électricité pour une durée
de 10 ans renouvelables sans contrainte majeure, l’enquête publique constitue
aux yeux des associations mobilisées une prise modeste, sinon un modeste
compromis, voire un échec44. En instituant un « comité de suivi » composé
d’experts dans la perspective de produire de nouvelles études, l’enquête
d’une réouverture de la pêche au saumon dans le Haut-Allier sont ainsi évaluées à environ un
demi million d’euros par an.
44 Comme l’affirme l’un des responsables associatifs particulièrement engagés dans cette
épreuve : « ce rapport précipité n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu. La commission a limité
son rôle à celui d’une commission locale, examinant un dossier local, pour un enjeu local,
refusant de prendre en compte toutes les considérations globales, tant sur la biodiversité et le
saumon que sur l’énergie et les alternatives économiques, dont elle ne dit quasiment rien »
(WWF, Bulletin d’infos, n°14, octobre 2006).
22
publique fait également apparaître l’expertise comme un enjeu de luttes
symboliques pour la maîtrise et l’imposition des savoirs légitimes autour de la
circonscription du risque. Si aucune des collectivités locales ne s’est prononcée
contre le renouvellement de la concession, celles-ci ne le font cependant que
pour des durées relativement limitées45. Par ailleurs, l’absence de prise en
compte des arguments des écologistes par les directions régionales de
l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) concernées tranche
singulièrement avec la position du ministère de l’Écologie, qui affiche son
soutien à la cause des militants écologistes46. Si tous ces paradoxes renvoient
bien à une situation d’incertitude, on peut alors se demander si, derrière le
conflit d’intérêt, ne pointe pas également un « conflit de rationalité » (Trépos,
2006), opposant des conceptions radicalement différentes sur la façon
d’envisager le risque et de gérer l’incertitude. Dans tous les cas, le refus
d’accorder pleine et entière légitimité aux équipements d’expertise alternatifs
mobilisés par les militants écologistes a pour conséquence de maintenir en
partie l’épreuve de force, renvoyant la critique écologique au problème de se
constituer en référence à une valeur (plus) générale.
Les prises incertaines de la critique écologique
Prélude à l’engagement de nouvelles controverses, les conclusions de
l’enquête publique doivent en effet attirer l’attention sur l’enjeu que constitue
la capacité de « montée en généralité », selon la formule consacrée (Boltanski,
Darré, Schiltz, 1984), des revendications écologiques autour du barrage de
Poutès. À cet égard, on dit souvent que les mobilisations environnementales
rencontrent une limite du fait de leur confinement local, qui réduit la critique
à l’expression d’un particularisme de type « NIMBY » (Not In My BackYard)
(Lolive, 1997). S’il est possible d’envisager la critique écologique selon un
régime de justification en public qui se superpose au régime du proche –
comme on l’a vu dans l’exemple des surfeurs –, tout en composant entre les
grandeurs (Lafaye, Thévenot, 1993), le problème demeure celui du passage de
l’épreuve de force à l’épreuve de légitimité, et vice-versa, en l’absence de
véritable « "septième" cité » (Latour, 1995), c’est-à-dire de toute convention
45
Le Conseil général de Haute-Loire ayant proposé une durée de 15 ans et la Région
Auvergne de 8 ans, sans démantèlement du barrage, quand la reconduction demandée par EDF
était à l’origine de 40 ans.
46 L’organisation début 2007 par le WWF et SOS Loire Vivante, avec le soutien de la
Fédération nationale de pêche, d’un colloque intitulé « Des énergies renouvelables, des
saumons et des hommes », largement relayé par la presse locale et régionale, s’effectue ainsi
avec la complicité et « sous haut le patronage » de Nelly Olin, alors ministre de l’Écologie et du
Développement Durable.
23
d’équivalence clairement identifiée ou identifiable a priori dans le domaine
environnemental (Trom, 1999). La conception de l’expertise esquissée plus
haut signale à cet égard une voie originale, qui peut éventuellement permettre
de surmonter ce dilemme. Ainsi, entre l’engagement des corps et la référence à
un dispositif, les prises sont enveloppées à l’infini dans les plis du social, dont
l’actualisation constitue, pour chaque cas, la possibilité d’une mesure
concrète47. C’est pourquoi, dans le cas du barrage de Poutès
(hybride « sociotechnique » par excellence), l’élargissement du collectif à
d’autres non-humains (les saumons, la rivière, hybrides « socio-naturels »)
implique déjà virtuellement une forme de « montée en généralité » de la
critique ; et on a vu comment celle-ci était effectivement rendue possible à
travers l’appropriation des jugements d’experts par les militants écologistes.
Toute tentative de généralisation en matière de risque, et en particulier de
risque environnemental, semble dès lors renvoyée à des processus de
déterritorialisation-reterritorialisation, comme à une « distance critique entre
deux êtres »48, qui oscille en permanence entre épreuves de force et de
légitimité, et cessent sans arrêt (mais ne cessent pas, à la différence du bien
commun conventionnel visé par l’acte d’engagement) de générer des prises et
des repères au cours de chaque épreuve.
Particulièrement sollicités par les écologistes durant la campagne de
démantèlement du barrage, les relais médiatiques contribuent fortement à la
diffusion de l’alerte. Toutefois, ceux-ci peinent à en rendre compte de manière
satisfaisante lorsqu’ils recouvrent par des déterminations les indéterminations
47
Ou comme le disent C. Bessy et F. Chateauraynaud (1995), « par le pli, la distance entre
deux points peut varier à l’infini tout en décrivant un espace de variations permettant la
mesure » (p. 289) ; et au passage de préciser l’idée de lieu commun associée aux forums
hybrides. Dans cette perspective, la promesse d’un bien commun visé dans (ou garanti par)
l’acte d’engagement, y compris sur un plan composé architecturalement (« plan-relief ») (voir
Thévenot, 2006), ne peut se passer, nous semble-t-il, d’une cartographie (« plan-surface », qui
paraît être le vrai sens du plan d’immanence chez Deleuze), ou plus précisément, d’une
« topologie » (Bessy, Chateauraynaud, 1995, p. 247) qui, en pratiquant une coupe à l’intérieur
du chaos, rend la prise du corps sur le monde des objets possible par le jeu du pli (autre concept
emprunté à Deleuze (1988), qui inspire également cet ouvrage) : il s’agit alors, pour reprendre
la formule de ces deux auteurs, de « substituer aux plis des prises » (p. 245) ; en même temps, la
pliure laisse une trace qui, « à la lettre », force la mémoire à fabriquer des repères. Dès lors, la
rencontre entre les plis (« replis de la matière ») et les repères (« plis dans l’âme », dirait
Deleuze) rend possible l’instauration de prises communes – et donc d’une expertise commune –
au voisinage des corps et des dispositifs, « permettant un apprentissage collectif et la création
de nouveaux repères » (p. 252).
48 Selon la célèbre formule de Deleuze et Guattari, que reprend à son compte A. Milon (2000,
p. 155) dans une approche tout à fait originale de la cartographie. Ainsi, les territoires
émergent comme de « nouvelles catégories d’action publique » (Hassenteufel, Rasmussen,
2000).
24
essentielles liées à l’incertitude, qui tendent à figer les controverses ; ce qui
peut aussi induire une vision en trompe l’œil de l’événement49. Dans le cas du
barrage de Poutès, l’actualisation des différents pôles de la controverse qui
entourent l’épreuve renvoie ainsi à de multiples points de repères en
construction, pouvant signaler autrement la possibilité d’une prise commune
de la critique sur l’environnement50. En ce cas, les opérations critiques sur
lesquelles repose la « communication des événements » entre eux au voisinage
de l’épreuve renvoient également à d’autres épreuves, antérieures, parallèles et
à venir, qui peuvent elles-mêmes s’inscrire dans d’autres séries d’épreuves. Dès
lors, en établissant des points de coordonnées réciproques entre événements,
l’analyse des controverses permet d’envisager d’autres agencements possibles
autour du problème et de définir une cartographie à la fois plus large et plus
49
C’est pourquoi les médias sollicités au cours de l’épreuve tendent parfois à
« substantialiser » le risque, comme en témoignent certains titres d’articles de presse, même –
et peut-être surtout – au moment où la controverse supporte le maximum de tension :
« Barrage de Poutès : poursuivre l’exploitation ou détruire l’ouvrage ? » (Cf. L’Éveil de la
Haute-Loire, 20 juillet 2006), « Barrage de Poutès : "ce sera le débat ou le conflit" » (Cf. La
Tribune, 29 juillet 2006).
50 L’entrée par les « séries d’épreuves » enjoint dès lors à formuler une « grammaire » moins
élaborée que celle décrite dans le « modèle des cités », en substituant notamment au régime
conventionnel « la communication des événements » entre eux (ou « mathématiques
récréatives ») (Deleuze, 1969, pp. 198-207 et p. 70). Plus proche d’une vision tardienne de la
sociologie, cette démarche situe l’opposition non plus entre l’individuel et le social (modèle de
la « synthèse chimique »), comme chez Durkheim, mais entre le collectif et le distributif
(modèle de la « contagion biologique ») (voir également Latour, 2006). Cette vision implique
ainsi une prise nécessairement concrète des références à l’action, qui vaut en théorie autant
pour des configurations événementielles à caractère restreint (de type micrologique ou, dans le
vocabulaire deleuzien, « moléculaire ») que pour des configurations plus larges (de type
macrologique ou « molaire »), sans induire de « rupture conceptuelle » – comme y invite aussi,
par exemple, à sa manière, la sociologie des régimes d’engagement (voir Thévenot, 2006, chap.
3 notamment). Appliquée à l’expertise, cette approche permet d’esquisser des prolongements
intéressants à la sémantique décrite plus haut. À ce titre, l’une des dimensions du modèle
sociologique de la compétence d’expert défini par J. Merchiers et P. Pharo (1992) – dont on
s’inspire ici librement – renvoie à la définition de critères de réussite, en rapport avec l’activité
et le succès lui-même, tout aussi importants que les niveaux de connaissances mobilisés et la
situation épistémique de référence, qui, bien qu’elles ne les recoupent pas nécessairement,
peuvent être mis en parallèle avec les trois sortes de synthèse composant et recoupant à l’infini
toute série chez Deleuze (connexion, conjonction, disjonction), selon trois manières distinctes,
non exclusives les unes des autres : succès juridique et technique, tout d’abord, qui « consiste à
atteindre un but qui était connu à l’avance et dont il était entendu que le fait d’atteindre ce but
constituerait un succès » ; succès tactique, ensuite, qui « consiste à atteindre un but dont on
n’avait pas établi à l’avance qu’il serait un but pertinent pour décider du succès, mais apparaît,
au moment où il est atteint, comme un critère évident d’évaluation » ; succès éthique ou
esthétique, enfin, qui « consiste à atteindre un but dont on ne sait qu’après-coup qu’il est le
critère décisif de la réussite » (pp. 60-61).
25
précise du risque encouru, réel ou supposé, mobilisant au passage des
équipements très divers. Dans le cas présent, l’analyse de la controverse qui se
développe à partir du barrage de Poutès permet d’esquisser au moins trois
pistes pour une prise commune possible de la critique écologique :
- La première d’entre elles consiste à mettre en relations le cas singulier du
barrage avec d’autres barrages. Cette démarche repose sur la mise en parallèle
de données caractéristiques des hybrides, orientée vers un succès juridique et
technique, qui produit une « synthèse connective » des séries d’épreuves. Aussi
en va-t-il des barrages de Vezins et de La Roche-qui-Boit sur la Sélune, près du
Mont-Saint-Michel, faisant également l’objet d’un renouvellement de
concession EDF, ainsi que d’un projet de barrage sur le Rizzanese, en Corse du
Sud, déclaré récemment d’utilité publique par un décret interministériel, dont
ANPER-TOS, très active sur ce dossier, a demandé l’annulation auprès du
Conseil d’État, bien que ce dernier en ait finalement autorisé la construction –
la revue de l’association constituant l’un des principaux supports de cette
controverse, au même titre qu’elle peut se ramener directement à l’un des lieux
du débat51. Cette perspective permet en outre de souligner l’existence d’un
versant risque-sécurité dans l’alerte, faisant également controverse, qui renvoie
aux rehaussements successifs du barrage de Poutès, non prévus à l’origine, et
donc à sa vétusté potentielle, concernant directement cette fois le ministère de
l’Industrie52. À travers la mise en parallèle de situations actuelles, la définition
d’un pendant positif au regard d’autres épreuves singulières permet ainsi
d’enrichir l’épreuve et de donner des arguments et une puissance
supplémentaires à la critique.
- Une deuxième piste renvoie à l’élargissement du diagnostic par corrélation
de la réversibilité de l’alerte à l’application du droit européen, selon un succès
tactique, qui produit une « synthèse conjonctive » des séries d’épreuves. Le vote
récent d’une directive cadre européenne sur l’eau, indiquant plusieurs objectifs
à suivre en matière d’environnement, afin d’atteindre le « bon état écologique »
d’ici 2015, incite actuellement les États membres de l’Union européenne à
modifier leur législation53. Dans cette perspective, et face notamment aux
intérêts puissants de l’hydraulique électrique en France, la critique écologique
tendrait davantage à se déplacer d’une scène de revendication nationale vers
51
TOS, « Trois rivières… Une même cause écologique », n°206, 2006.
52
La résistance du barrage ayant été calculée pour une crue centennale de 1450 m3/s quand
celui-ci ne peut a priori laisser passer que 2000 m3/s.
53 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant
un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. Si, dans ce contexte, le
Parlement français a adopté fin 2006 une nouvelle loi sur l’eau (loi n°2006-1772 sur l’eau et les
milieux aquatiques, promulguée le 30 décembre 2006), celle-ci apparaît cependant encore loin
de contenter les militants écologistes.
26
une scène de revendication internationale. Dans le cas du barrage de Poutès, ce
décloisonnement de la critique invite à ne pas séparer l’émergence de
revendications locales de l’existence de contraintes d’ordre international,
renvoyant à un processus de trans-nationalisation qui apparaît comme de plus
en plus fréquent dans les mobilisations à caractère écologique (Dezalay, 2007 ;
Ollitrault, 2004). Bénéficiant des relais du WWF, mais aussi du European
Rivers Network (ERN), dont SOS Loire-Vivante est le siège en France, la
mobilisation autour du barrage de Poutès trouverait dès lors ici sans nul doute
à développer un potentiel critique déjà largement éprouvé par ailleurs.
- Enfin, une troisième possibilité de prise commune apparaît avec l’appel au
précédent : c’est le critère de réussite éthique ou « esthétique », qui produit une
« synthèse disjonctive » (ou « disjonction incluse ») des séries d’épreuves. Sans
doute est-ce là où la généalogie de l’alerte manifeste le plus clairement son
caractère sériel et souligne le mieux l’existence d’une temporalité spécifique à
l’œuvre dans les épreuves. En résonance avec la première piste esquissée plus
haut, le précédent constitue en effet comme « l’élément paradoxal » à
l’intérieur de la série, capable d’infléchir les épreuves du présent et à venir, en
instaurant une distance critique à l’égard des épreuves du passé. De ce point de
vue, les revendications des écologistes sur le complexe de Poutès-Monistrol
peuvent également trouver leur sens dans un alignement sur le précédent que
constitue la suppression des barrages de Maisons Rouges, sur la Vienne, bâti
dans les années 1920 et détruit en 1998, et de Saint-Étienne de Vigan, situé
également sur l’Allier, dont les premières traces de construction dataient de la
fin du XIXe siècle, et qui fut définitivement supprimé en 1999, suite à son
inscription au Plan Loire Grandeur Nature. Au moment où s’organise une
nouvelle concertation, l’inscription du barrage de Poutès dans le cadre du plan
voté par le gouvernement constituerait alors, à l’évidence, pour les militants
écologistes, le plus sûr moyen de contrebalancer l’influence locale d’EDF
exercée sur les élus et les populations par son emprise économique.
Au-delà de ces barrages, l’appel au précédent permet de situer les
revendications actuelles sur le barrage de Poutès dans une filiation étroite avec
les mobilisations antérieures sur le barrage de Serre de la Fare, point de départ
à la définition du Plan Loire Grandeur Nature, et qui avaient fait du saumon
(Salmo salar) leur emblème. Explicite et récurrent durant la campagne menée
pour le démantèlement du barrage de Poutès par les associations de défense de
la nature, l’appel au précédent, comme vecteur jurisprudentiel de réversibilité
dans l’alerte54, renverrait ainsi la critique écologique à une dimension
54
Ce que N. Dodier (2003b) nomme également « une jurisprudence d’affaires de référence »
(p. 339), reposant sur des épreuves marquantes, qui lui permet de formuler une définition
politique originale de la génération : ainsi, « la succession des générations n’est pas régulière,
27
proprement « esthétique », ou à une généalogie du symbole, un « cristal de
temps » reflétant, comme en un miroir (ou une rivière…), la double présenceabsence du risque. Quand on sait qu’il existe en Europe un grand nombre de
barrages du même type, si celui de Poutès devait disparaître à court ou moyen
terme, il n’est pas à douter alors que cette épreuve puisse à son tour faire
référence – non pas « école » mais plutôt « réseau » donc –, en se constituant
comme le précédent le plus actuel à l’intérieur d’une série en cours de
détermination, qui deviendrait par-là même signifiante ou donatrice de sens
pour d’autres épreuves à venir.
Conclusion
Ce petit essai de « mathématiques récréatives » montre que la cartographie du
risque est complexe, consistant à dresser de proche en proche le portrait de
séries d’épreuves aux contours multiples, qui parfois se recoupent et se
superposent, pour former une sorte d’écheveau, toujours très labile, sujet à de
nombreuses controverses55. Aussi y a-t-il dans la critique écologique qui
s’enveloppe et se développe autour et à partir du barrage de Poutès une
relation de proximité évidente entre l’alerte et la crise, qui renvoie à deux
figures limites : d’un côté, la « prophétie de malheur », de l’autre, la violence
politique (Chateauraynaud, Torny, 1999, pp. 74-75). Dans un cas, l’alerte émet
un signe à une puissance d’action (« il faut faire quelque chose ») ; dans l’autre,
elle appelle une construction politique et un fort engagement de l’État. Au-delà
d’une logique de désectorisation propre à la crise politique (Dobry, 1986), qui
peut se rapporter de près aux « crises » liées aux risques collectifs, la généalogie
de l’alerte sur le barrage de Poutès incite à mettre en exergue l’existence
d’autres épreuves, des épreuves de qualification, qui font du passage de
l’épreuve de force à l’épreuve de légitimité, ou plutôt de la rencontre des plis et
des repères, l’enjeu essentiel d’une prise commune de la critique. Dans le
même temps, apparaissent des foyers extrêmement diversifiés de production
d’expertise, émanant aussi bien de l’État que de la société civile, rappelant au
passage ce qui pouvait apparaître de manière ironique, par exemple, dans les
mobilisations contre l’alcool au volant (Gusfield, 1981), où un large recours au
mais dépend des événements en prise sur le monde » (p. 341), dont « la période critique
retenue pour l’analyse peut être tenu comme "cas", c’est-à-dire comme exemple lui-même
restitué dans une temporalité historique plus large qui éclaire son existence » (p. 343).
55 Des différentes manières d’envisager la « fabrique des risques », C. Gilbert (2003) montre
bien alors que cette dernière peut également résulter « d’une "construction" étroitement
associée aux jeux de multiples et différents acteurs, à la nature et l’intensité de leurs liens et
interactions » (p. 66).
28
registre du savoir expert existait déjà. Le « contre-pouvoir » auquel prétend le
collectif d’associations mobilisées dans le cas du barrage de Poutès semble à cet
égard très lié à des activités de « cadrage » (Céfaï, Trom, 2001), de mise en mots
et de mise en formes du problème, auquel les écologistes tentent de trouver
réponse par l’intermédiaire d’autres « visions du monde » (Trépos, 2007). Dans
ces conditions, ressort l’existence de rapports de force structurels qui, sans aller
jusqu’à déterminer entièrement les épreuves, ne peuvent également
qu’influencer le déploiement des controverses, dans un sens comme dans
l’autre. En ce cas, le maintien et le renouvellement d’un horizon temporel
peuvent apparaître comme autant de manières de lutter contre l’usure
narrative d’une critique déjà ancienne.
Ainsi, ce qu’on appelle d’ordinaire le « local » devient le lieu déterritorialisé
d’une multiplicité de rencontres à travers lesquelles s’enchaînent les épreuves
et d’où émerge l’événement. Dans l’ensemble des exemples retenus, c’est sans
doute là que la référence à la pensée deleuzienne, qui traverse, comme on a
essayé de le suggérer tout au long de cet exposé, un peu à la manière d’une
taupe, les différentes approches pragmatiques convoquées pour l’occasion,
exprime le plus son potentiel sociologique, en développant une image de la
pensée inséparable d’une pensée en actes de la politique et de la société, et de
leurs liaisons singulières56. Le social y apparaît ainsi inséparable d’un entredeux du politique, idéal et concret, à la fois stable et instable, sûr et incertain,
organisé et résistant ; une plasticité dont le ressort principal n’est autre que
l’innovation (ou l’équipement « nouveau ») qui saura le mieux s’adapter à la
contingence des événements – « cette étrange pliure à partir de laquelle plus
rien n’est pas pareil » (Bensa, Fassin, 2002, p. 11). La fabrique du risque, qui
transite par la critique écologique, apparaît dès lors intimement liée à celle de
l’environnement lui-même et à la définition d’une continuité symbolique
ponctuelle, qui se développe à la surface des choses ; à une synthèse de
l’hétérogène, ou un « feuilletage d’épreuves », se constituant à un moment
donné en référence concrète à l’action, et qui confère ce qu’il faut bien appeler
un « devenir-politique » aux épreuves de force57. Alliant, selon les cas, des
formes de contenu et d’expression multiples et variées, l’expertise y apparaît
56
M. Nachi (2006), à la suite de L. Boltanski, donne ainsi en conclusion de son ouvrage de
synthèse cette très belle définition de la sociologie comme « science des processus de
singularisation » (p. 213), dont on sait par ailleurs que Deleuze a poussé très loin la pensée avec
le concept de multiplicité (virtuelle et intensive).
57 Dès lors, comme le dit Deleuze (1996), « la politique est une expérimentation active parce
qu’on ne sait pas d’avance comment une ligne va tourner. Faire passer la ligne dit le
comptable : mais justement on peut la faire passer n’importe où » (p. 166) – donnant du même
coup un sens « épistémologique et éthique » particulièrement aigu au regard du caractère
essentiellement inachevé de la sociologie.
29
autant comme un révélateur d’épreuves en tout genre que de luttes pour
l’appropriation des savoirs légitimes qui s’organisent autour de la
circonscription du risque et de l’émergence d’espaces sociaux aux contours
inédits. Si le redoublement des équipements d’expertise induit par moments la
formation de contre-expertises qui cherchent à mettre en question les intérêts
du pouvoir en place en leur opposant des équipements alternatifs, celles-ci n’en
renvoient pas moins à un même processus de politisation.
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*Yann Bérard
Doctorant en science politique au Centre de recherches sur l’action politique
en Europe (CRAPE) (UMR CNRS 6051), chargé de conférences à l’IEP de
Rennes : [email protected]
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