CORRIGÉ DU DEVOIR D0018

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CORRIGÉ DU DEVOIR D0018
DROIT DES SOCIÉTÉS – CORRIGÉ DU DEVOIR D0018
CORRIGÉ DU DEVOIR D0018
CAS PRATIQUES
La correction reproduite ci-dessous se veut la plus explicative possible. En conséquence, il
n’est pas exigé que toutes les informations qu’elle contient soient intégralement présentes
dans la copie.
I.
AFFAIRE FRANÇOIS CONTRE ENTREPRISE SÉGO
1.
M. Bertrand veut savoir si une quelconque infraction peut être
reprochée à François.
François est sans doute susceptible d’être pénalement poursuivi pour abus de confiance. Il
faut donc caractériser l’infraction dans tous ses éléments constitutifs pour le vérifier.
a.
L’élément légal
L’article 314-1 du nouveau Code pénal incrimine l’abus de confiance, défini comme « le fait
par une personne de détourner au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou des biens
quelconques qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les
représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
b.
Les conditions préalables à l’infraction
 L’abus de confiance suppose l’existence d’un contrat préalable
Dans I’ancien Code pénal, le législateur énumérait les contrats au titre desquels la chose
devait être remise. Le nouveau Code pénal n’a pas repris cette énumération. D’application
large, le nouvel article 314-1 du Code pénal sanctionne désormais le détournement d’un
bien remis dans n’importe quel titre ou contrat (contrat de travail, contrat de mandat, contrat
de nantissement...). Toutefois, les magistrats devront s’assurer de l’existence de ce titre ou
contrat préalable à la remise.
En l’espèce, c’est en vertu d’un contrat de travail que l’ordinateur et sa connexion Internet
ont été détournés de l’usage professionnel pour lequel ils avaient été mis à la disposition de
François.
 L’abus de confiance suppose une remise qui doit avoir été effectuée à titre
précaire
Le détournement caractéristique de l’abus de confiance ne peut pas être caractérisé lorsque
le bien n’a pas été remis à titre précaire. Cette précision permet de caractériser le
détournement frauduleux. La remise doit viser un but déterminé : elle est faite à charge de
rendre les biens, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
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En l’espèce, l’ordinateur et la connexion Internet ont été remis à François à charge pour lui
d’en faire un usage déterminé, à savoir l’utilisation de l’ordinateur à des fins professionnelles
au bénéfice de son employeur, ce dernier n’ayant, en aucune façon, transféré au salarié la
propriété du matériel. Bien que volontaire, il ne s’agit donc là que d’une remise à titre
précaire.
 La chose objet de la remise doit porter sur « des fonds, des valeurs ou un bien
quelconque »
Par une interprétation extensive du domaine de l’abus de confiance, la Cour de cassation a
considéré que « les dispositions de l’article 314-1 s’appliquent à un bien quelconque et non
pas seulement à un bien corporel » (Cass. crim. 14 nov. 2000, Bull. crim. n° 338).
Cette décision a, par la suite, été confirmée par un arrêt récent (Cass. crim. 19 mai 2004,
Bull. crim. n° 126), dont les faits sont similaires au cas posé en l’espèce.
Dans cette affaire, il a été retenu que l’abus de la connexion Internet dont un employé bénéficie pour ses besoins
professionnels a été considéré comme constitutif d’un abus de confiance. En l’espèce, cet employé s’était
abusivement servi, à des fins personnelles, de l’ordinateur et de la connexion Internet fournis par son employeur. Il
avait, par le biais de ces outils, régulièrement visité des sites pornographiques, stocké des images sur le disque dur
et utilisé sa messagerie professionnelle pour envoyer et recevoir des courriels à caractère sexuel. Rejetant le
pourvoi formé contre l’arrêt d’appel, la chambre criminelle a jugé « qu’en l’état de ces énonciations qui établissent
que le prévenu a détourné son ordinateur et la connexion Internet de l’usage pour lequel ils avaient été mis à sa
disposition, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées. »
En l’espèce, la remise, qui porte sur un matériel informatique et sur une connexion Internet,
entre donc bien, selon l’interprétation large opérée par la Cour de cassation, dans la
catégorie des « biens quelconques » visés par l’article 314-1 du Code pénal, pouvant faire
l’objet d’un détournement constitutif d’abus de confiance.
c.
L’élément matériel
L’article 314-1 du Code pénal définit l’abus de confiance comme un acte matériel de
détournement commis au préjudice d’autrui.
 L’acte matériel de détournement
L’acte de détournement n’a pas été défini par la loi, c’est donc la jurisprudence qui a
déterminé le contenu et la portée de la notion.
La Cour de cassation a considéré que le seul usage de la chose ne caractérise pas l’abus
de confiance. En revanche, le détournement sera caractérisé si cet usage implique la
volonté de l’utilisateur de se comporter, même momentanément, comme le propriétaire de la
chose.
Ce détournement peut prendre des formes différentes, dont un usage abusif de la chose,
c’est-à-dire un usage différent de celui initialement prévu, caractérisé par la volonté de se
comporter, même momentanément, comme le propriétaire de la chose.
En l’espèce, l’usage par François du matériel informatique et de la connexion Internet à des
fins personnelles et différentes de celles initialement prévues par son contrat de travail
(usage professionnel), caractérise un usage abusif et constitue donc un acte positif de
détournement.
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 Le préjudice causé par le détournement
Le détournement doit ensuite être préjudiciable à la victime. Mais la jurisprudence s’est
toujours montrée souple à l’égard de l’existence de cet élément de l’infraction, considérant
que ce préjudice peut être seulement éventuel, en jugeant que le préjudice est établi par le
seul fait du détournement du bien d’autrui.
En l’espèce, en détournant son ordinateur et la connexion Internet de l’usage professionnel
pour lequel ils avaient été mis à sa disposition, François a bien causé à son entreprise un
préjudice matériel, ne serait-ce que par le manque à gagner en raison des heures de travail
perdues. Pour prouver son préjudice, l’entreprise pourra même se contenter de faire état du
détournement.
Dans ces conditions, il est dès lors possible de conclure à l’existence de tous les éléments
matériels du délit d’abus de confiance.
d.
L’élément intentionnel
L’abus de confiance est un délit intentionnel dont la consommation suppose la preuve de la
mauvaise foi de son auteur.
L’auteur doit avoir conscience, à la fois, de la précarité de sa possession et du caractère
illicite de l’acte de détournement (agir sciemment et en violation des obligations
contractuelles acceptées ou légales imposées). Mais le mobile est indifférent à la
constitution de l’infraction.
En l’espèce, il est évident que François a agi en connaissance de cause.
 Premièrement, il ne pouvait pas ignorer que le matériel informatique lui avait été
remis à titre précaire par son employeur, à charge de l’exploiter pour les besoins
professionnels de l’entreprise.
 Deuxièmement, en utilisant l’ordinateur et la connexion Internet à un usage
personnel, le salarié avait conscience de détourner le matériel informatique de
l’usage professionnel auquel il était initialement prévu et destiné.
L’élément moral est donc également caractérisé ici. François pourra bien être poursuivi du
chef d’abus de confiance.
2.
Quelles sont alors les peines encourues ?
François encourt, au titre de l’incrimination d’abus de confiance, une peine maximale de trois
ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
II.
AFFAIRE FRANÇOIS CONTRE CIE ASSURANCES TOURISQUES
1.
Qualifiez les agissements de François au regard de la loi pénale
La responsabilité pénale de François peut ici être retenue au titre de la tentative
d’escroquerie, c’est ce que nous allons mettre en évidence.
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a.
L’absence d’escroquerie
Les agissements de François semblent pouvoir tomber sous le coup de la qualification
d’escroquerie, infraction prévue et réprimée par l’article 313-1 du Code pénal.
Aux termes de l’article 313-1 du Code pénal, l’escroquerie est une tromperie reposant sur
l’utilisation de procédés énumérés par la loi (usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité,
abus d’une qualité vraie ou emploi de manœuvres frauduleuses), destinée à obtenir une
remise causant ainsi un préjudice à la victime.
Pour être caractérisée, l’infraction nécessite donc la réunion d’un élément matériel constitué
par la mise en œuvre de l’un des procédés énumérés par la loi et par la remise d’une chose.
C’est la remise de la chose qui consomme l’infraction.
En matière d’escroquerie à l’assurance, la jurisprudence considère qu’il y a tentative à
demander le remboursement du sinistre à la compagnie d’assurance et escroquerie
consommée à percevoir ce remboursement.
En l’espèce, le but recherché n’a pas été atteint, puisqu’il n’y a pas eu d’indemnisation par la
compagnie d’assurance, l’expert ayant découvert la supercherie. Il n’y a donc pas eu remise,
l’infraction n’est donc pas consommée. En conséquence, il est clair que François ne peut
pas être poursuivi du chef d’escroquerie.
En revanche, François est susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée pour
tentative d’escroquerie.
b.
La tentative d’escroquerie
L’alinéa 1er de l’article 313-3 du Code pénal prévoit que la tentative d’escroquerie est
punissable. On peut donc envisager de s’interroger sur la constitution en l’espèce d’une telle
tentative.
 Élément légal
Aux termes de l’article 121-5 du Code pénal, « la tentative est constituée dès lors que,
manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son
effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. »
 Éléments matériels et intentionnels
Pour que la tentative soit constituée, il faut un commencement d’exécution et une absence
de désistement volontaire.
1. Le commencement d’exécution est défini par la Cour de cassation, qui exige deux
éléments pour que le commencement d’exécution soit caractérisé :
 un élément subjectif qui consiste dans l’intention irrévocable de l’auteur de
commettre l’infraction ;
 un élément objectif qui réside dans la réalisation d’un acte qui a un rapport direct
avec l’infraction.
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Ainsi, il a été jugé par la Cour de cassation que « l’escroquerie à l’assurance suffit à
constituer le commencement d’exécution caractérisant la tentative, dès lors que la
déclaration de sinistre faite à l’assureur, lorsqu’elle est accompagnée d’une déclaration de
vol aux autorités compétentes, est destinée à donner force et crédit à la réalité du vol »
(Cass. crim. 8 sept. 2004).
En l’occurrence, dans la mesure où la communication par François de sa déclaration de
sinistre, accompagnée d’un procès-verbal du dépôt de plainte, était destinée à donner force
à la réalité du vol, le commencement d’exécution de la tentative d’escroquerie est dès lors
caractérisé.
2. L’absence de désistement volontaire signifie que l’absence de résultat est due à des
circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.
Or, en l’espèce, le défaut de résultat ne tient qu’à la découverte par l’assurance du
subterfuge et non au désistement de François lui-même. Son désistement est donc
involontaire.
Dans ces conditions, la tentative d’escroquerie est constituée.
 Peines encourues
Quant à la répression, la tentative, pour être punissable, doit être expressément prévue par
un texte d’incrimination. Or, en matière d’escroquerie, la tentative est punissable (art. 313-3).
François encourt donc, au titre de la tentative d’escroquerie, une peine identique à celle de
l’escroquerie simple, soit cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
2.
Xavière
encourt-elle
personnelle ?
une
quelconque
responsabilité
pénale
Xavière s’est contentée d’assister à la première scène, elle n’a donc accompli aucun acte
matériel de fourniture d’instruction, d’aide ou d’assistance à la commission de l’infraction.
Or, la complicité ne peut être, en principe, retenue qu’en présence d’un acte positif (à
l’exception notamment des affaires douanières). Tel n’est pas le cas en l’espèce.
Xavière n’a donc pas commis d’infraction, sa responsabilité pénale n’est pas engagée à titre
de complice de l’auteur principal.
3.
La situation serait-elle différente pour elle si elle avait aidé François
dans sa simulation de cambriolage, en cachant les objets de valeur
dans son propre appartement ?
Ici, en revanche, Xavière aurait commis un acte matériel positif d’aide et d’assistance à la
commission de l’infraction de tentative d’escroquerie. Que cette tentative aboutisse ou non à
l’infraction est sans importance puisqu’en matière d’escroquerie, la tentative et la complicité
sont punissables comme l’infraction elle-même.
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Xavière risquerait donc, dans cette hypothèse, d’être condamnée comme complice de
François pour tentative d’escroquerie et elle encourait alors les mêmes peines que lui.
III.
AFFAIRE XAVIÈRE CONTRE SARL BOZABI
1.
Xavière est-elle, de ce fait, passible de poursuites pénales ? Quelle est
alors l’infraction commise ?
Xavière, en falsifiant le livre de caisse de la boutique, se rend sans doute coupable de faux.
Nous allons le vérifier en l’espèce.
a.
Élément légal
Le faux est un délit défini par l’article 441-1 du Code pénal, aux termes duquel « constitue un
faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie
par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la
pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait
ayant des conséquences juridiques ».
b.
Élément matériel
La matérialité de l’infraction suppose un comportement punissable qui se matérialise par une
altération de vérité, portant sur la substance même d’un écrit ou d’un support ayant une
portée juridique et dont l’altération cause un préjudice.
 L’altération de vérité
En l’espèce, nous sommes bien en présence d’une altération de la vérité, puisque les
chiffres des ventes figurant dans le livre de caisse ont été mal reportés. Il s’agit là d’un faux
intellectuel qui modifie de façon mensongère le contenu de l’acte, tout en laissant l’écrit
intact dans son aspect matériel.
 Un document ayant une portée juridique : un document valant titre
Tout document mensonger n’est pas en lui-même un faux punissable : il faut encore qu’il ait
pour objet ou qu’il puisse avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des
conséquences juridiques.
Il doit donc avoir une portée juridique et une valeur probatoire, on dit qu’il doit « valoir titre ».
Or, tel est bien le cas d’un livre de caisse qui est un document comptable ayant une valeur
probatoire et qui a pour objet d’établir la preuve d’un fait ayant des conséquences juridiques.
 Une altération portant sur la substance de l’écrit
Le faux punissable suppose, en outre, que l’altération de la vérité porte sur la substance
même de l’écrit ou du support. Tel est le cas en l’espèce puisque les modifications des
chiffres représentant l’argent des ventes portent sur des mentions essentielles de
comptabilité que le livre de caisse a pour objet d’établir.
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 Une altération de nature à causer un préjudice
Le faux punissable suppose que l’altération de la vérité soit « de nature à causer un
préjudice », mais un préjudice même éventuel suffit, qu’il soit matériel ou moral.
Tel est, en l’occurrence, bien le cas en l’espèce puisque les chiffres reportés constituent des
mentions essentielles du livre de caisse, ayant pour objet d’établir et de prouver les comptes
de la boutique. Par ailleurs, il y a bien un préjudice qui affecte l’entreprise et les tiers,
puisque les comptes ne reflèteront pas une image fidèle de l’entreprise.
En conséquence de quoi, le comportement matériellement punissable de Xavière est
caractérisé.
c.
Élément moral
Il faut, pour que l’infraction de faux soit constituée, avoir agi sciemment, c’est-à-dire avoir eu
connaissance de l’altération de la vérité et avoir eu conscience que le faux pouvait causer un
préjudice.
En l’espèce, Xavière avait bel et bien conscience, en agissant de la sorte, de faire une
déclaration contraire à la vérité dans le livre de caisse.
Toutefois, l’élément moral peut être délicat à établir dans la mesure où il s’agit là d’un faux
intellectuel, plus difficile à prouver qu’un faux matériel. Certes, dans la mesure où la
jurisprudence entend largement la notion de préjudice, cela ne devrait toutefois pas poser de
difficulté.
En conséquence, les éléments constitutifs du faux sont réunis dès lors que la preuve de
l’altération de la vérité pourra être établie. À ce titre, Xavière sera susceptible de voir sa
responsabilité engagée du chef de faux en écriture.
d.
Répression du faux
Le faux est punissable de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
2.
Dans l’hypothèse où Xavière aurait totalement omis de reporter les
sommes versées dans le livre de caisse, la réponse serait-elle
différente ?
La rédaction de l’article 441-1 permet d’incriminer aussi bien des actes de commission que
des actes abstentions.
Dans la mesure où le faux en écriture peut se commettre aussi par omission, Xavière, qui
omet d’inscrire une somme dans le livre de caisse de l’entreprise, commet un faux en
écriture comme dans le cas précédent.
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IV.
AFFAIRE FRANÇOIS
BELLAUTO
1.
François peut-il voir sa responsabilité pénale engagée du chef de recel
de vol ?
ET
XAVIÈRE
CONTRE LE CONCESSIONNAIRE
François a commis un vol de véhicule, infraction prévue et réprimée par l’article 311-1 du
Code pénal. Mais il ne peut pas être poursuivi en même temps pour recel.
En effet, François ne peut pas cumuler, sur un même fait, les qualités d’auteur de l’infraction
d’origine (le vol) et de receleur du bien volé.
La règle « non bis in idem » interdit de poursuivre à la fois pour recel et pour l’infraction source l’auteur de
l’infraction d’origine, car cela conduirait à une double déclaration de culpabilité pour un fait unique. On ne peut donc
pas poursuivre pour recel le voleur qui conserverait par-devers lui une partie du butin dérobé.
Par conséquent, la qualification de recel ne sera donc pas retenue à son encontre. En
revanche, il sera poursuivi du chef de vol.
2.
Que risque Xavière ? Peut-on soutenir que Xavière est une receleuse ?
Il faut ici vérifier, élément par élément, si l’infraction de recel de vol peut être retenue à
l’encontre de Xavière.
a.
Élément légal
Aux termes de l’article 321-1 al. 1er du Code pénal, le recel est « le fait de dissimuler, de
détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre,
en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ».
En outre, « constitue également un recel le fait en connaissance de cause, de bénéficier, par
tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit ».
b.
Éléments préalables
Le recel, délit de conséquence, nécessite une infraction source, à l’origine de la détention
constitutive de recel. En effet, la chose recelée doit provenir d’un crime ou d’un délit.
Or, pour remplir cette condition, il est nécessaire que le crime ou le délit ait été réellement
commis.
En l’espèce, il n’existe aucun doute quant à l’origine frauduleuse du véhicule et quant au fait
que le crime ou le délit ait été réellement commis : la détention de la Bellauto est le produit
d’un vol, délit qui a été antérieurement caractérisé.
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’infraction d’origine ait été effectivement sanctionnée
ou poursuivie, ni même que son auteur ait été condamné ou identifié.
Peu importe donc ici que l’auteur de l’infraction source, en l’occurrence François, ait déjà fait
l’objet de poursuites pénales et ait été condamné. Il suffit que l’infraction d’origine soit
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punissable. En l’espèce, le véhicule a bien fait l’objet d’un vol, délit prévu et réprimé à
l’article 311-1 du Code pénal.
Enfin, le recel doit porter sur un bien meuble corporel. Tel est le cas en l’espèce, il s’agit d’un
véhicule, meuble corporel qui répond aux exigences légales et jurisprudentielles.
c.
Élément matériel
Le recel ne nécessite pas la survenance d’un résultat, seul le comportement est incriminé.
Matériellement, le recel vise cinq différents agissements. L’article 321-1 incrimine le fait de
dissimuler de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de
la transmettre. Le recel peut également consister en un profit tiré de l’infraction d’origine.
En l’espèce, Xavière dispose matériellement du véhicule. On peut donc caractériser un fait
de détention.
Peu importe qu’elle ait reçu le véhicule directement de l’auteur de l’infraction ou par
l’intermédiaire d’un tiers en l’espèce le garagiste, ami de François.
En outre, le texte vise la simple détention de la chose recelée. Cette détention peut être très
brève. La durée de la détention est donc sans influence sur la commission de l’infraction.
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’auteur ait tiré profit de la chose reçue.
En l’occurrence, le seul fait que Xavière ait détenu le véhicule volé pendant un temps de
conduite suffit à caractériser l’élément matériel de l’infraction.
d.
Élément moral
Le recel nécessite la caractérisation d’un élément intentionnel : il convient de relever une
intention frauduleuse, qui consiste dans la connaissance de l’origine infractionnelle de la
chose détenue. L’auteur doit en effet savoir que l’objet qu’il détient provient d’un crime ou
d’un délit.
Or, en l’espèce, la connaissance par Xavière de l’origine délictueuse est improbable : celle-ci
ignore totalement les faits commis par François.
L’élément moral de l’infraction ne peut donc pas être caractérisé à son encontre. Par
conséquent, elle ne sera pas poursuivie pénalement, l’infraction de recel n’étant pas
constituée.
3.
Imaginons maintenant que Xavière soit au courant du vol de la voiture.
Si elle prend place dans la voiture aux côtés de François en sachant
que celle-ci est une voiture volée, peut-elle être poursuivie pour recel ?
Le législateur a, dans le nouveau Code pénal, légalisé la notion prétorienne de « recelprofit ». Le recel est ainsi étendu à tous ceux qui tirent un profit ou un bénéfice de l’infraction
d’origine.
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Tel est le cas dans le fait de se faire transporter, en connaissance de cause, dans une
voiture volée. Il semble donc que Xavière puisse être poursuivie, cette fois, du chef de recel
de vol.
En effet, la Cour de cassation a jugé, dans une hypothèse semblable, que, « conçu en
termes généraux, l’article 460 du Code pénal atteint tous ceux qui, en connaissance de
cause, ont, par un moyen quelconque, bénéficié du produit d’un crime ou d’un délit. Commet
le délit de recel celui qui, en se faisant transporter dans une voiture qu’il savait volée, a
bénéficié personnellement du produit du vol » (Crim. 9 juill. 1970, D. 1971. 3, note
Litermann ; 24 août 1981, JCP 1982. Il. 19801, note Allix).
Il suffit donc de profiter, en connaissance de cause, du produit de la chose recelée pour
commettre l’acte de recel.
En l’espèce, le seul fait que Xavière ait pris place à bord du véhicule volé et ait profité ainsi
du produit de l’infraction suffit à caractériser l’élément matériel de l’infraction. Xavière s’est
donc rendue coupable, en profitant de la voiture, de recel d’usage.
En plus, à la différence du cas précédent, Xavière a agi ici en connaissance de cause : elle
n’ignore pas le vol du véhicule, puisque François lui a raconté l’intégralité de l’histoire.
Elle pourrait toujours tenter de contester l’existence de l’infraction de recel, en arguant qu’elle ignorait la provenance
frauduleuse du véhicule. Toutefois, la jurisprudence présume, en matière de recel, l’intention coupable à partir de
circonstances de fait : il pourrait donc lui être opposé, par exemple, en raison des liens affectifs l’unissant au
conducteur, qu’elle ne pouvait pas ignorer que ce véhicule ne lui appartenait pas.
En conséquence, dans cette deuxième hypothèse, elle pourra être qualifiée de receleuse
d’objet volé et elle encourra les peines prévues pour le recel simple : en peine principale, le
recel simple est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende
(art. 321-1), somme qui peut être élevée jusqu’à la moitié de la valeur des biens recelés
(art. 321-3).
4.
Qu’en est-il de la situation du garagiste, ami de François ?
Le garagiste détient la chose, objet d’un délit – le vol commis par François –, plus ou moins
momentanément dans son garage.
Cela suffit amplement à caractériser les éléments matériels du recel de vol. La seule
difficulté à le faire tomber pour recel proviendra alors, comme pour Xavière, de la preuve de
l’élément intentionnel de l’infraction : la détention de la Bellauto en connaissance de son
origine délictueuse.
Toutefois, faisant preuve d’une grande sévérité à l’égard des prévenus, la jurisprudence
n’exige pas une connaissance exacte de la qualification de l’infraction d’origine ou encore
l’identité de son auteur. Il suffit d’établir que le receleur, compte tenu des circonstances, ne
pouvait avoir de doute sur l’origine frauduleuse des choses recelées.
On peut alors penser, pour le garagiste, qu’en l’espèce, sa qualité de professionnel de
l’automobile devait l’obliger à une plus grande vigilance et qu’elle jouera en faveur d’une
présomption de mauvaise foi de sa part, devant les juges.
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V.
AFFAIRE XAVIÈRE ET LE VASE DE CRISTAL VOLÉ
1.
Traitez la situation de Xavière : peut-elle être qualifiée de receleuse et
être pénalement poursuivie dans cette hypothèse ?
Nous allons le vérifier en caractérisant les éléments de l’infraction un par un.
a.
Élément légal
Article 321-1 du Code pénal précité.
b.
Élément préalable
Le bien recelé doit provenir d’un crime ou d’un défit. En l’espèce, l’existence d’une infraction
d’origine est caractérisée et elle revêt une nature délictuelle, c’est un vol.
Il importe peu que l’auteur de l’infraction d’origine ne soit pas encore condamné, identifié ou
même qu’il ait échappé aux poursuites. Il suffit que les faits d’origine présentent un caractère
infractionnel. Le fait que l’auteur du vol ne soit ici ni condamné ni identifié est donc indifférent
à la qualification de l’infraction de recel et à la poursuite de son auteur.
c.
Élément matériel
L’élément matériel du recel est caractérisé : Xavière détient bien la chose volée. La
jurisprudence précise, en outre, que le fait que le bien ait été acquis à titre onéreux est
indifférent, la loi ne déterminant pas à quel titre le receleur doit avoir acquis la possession
des choses.
d.
Élément moral
Le recel est une infraction intentionnelle. Or, en l’espèce, la question qui se pose est
double :
 Premièrement, Xavière pouvait-elle ignorer l’origine frauduleuse du vase acheté
auprès d’un brocanteur ?
Ce sont les circonstances de fait qui permettent d’établir l’élément intentionnel du recel et,
en l’espèce, rien ne permet d’affirmer qu’elle pouvait en connaître l’origine frauduleuse. Au
contraire, plusieurs indications militent en faveur de la bonne foi de Xavière : le lieu de
l’achat (une brocante classique ouverte au public), le caractère raisonnable du prix payé
pour un vase prétendument ordinaire.
Ces indices ne permettent effectivement pas d’établir la mauvaise foi de Xavière au moment
même de l’achat. Toutefois, celle-ci a, par la suite, découvert l’origine frauduleuse du vase.
À partir de ce moment, Xavière a donc eu conscience de sa provenance illicite.
 Dans ces conditions, doit-on considérer de bonne ou de mauvaise foi celui qui s’est
procuré une chose de bonne foi et qui apprend en cours de détention, a posteriori,
son origine infractionnelle ?
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DROIT DES SOCIÉTÉS – CORRIGÉ DU DEVOIR D0018
C’est la question de l’incrimination du recel a posteriori, dit encore tardif ou à retardement.
1. La Cour de cassation a, dans un premier temps, considéré qu’il y avait recel à conserver
une chose dont on apprenait, en cours de détention, l’origine frauduleuse (Crim. 7 juill. 1944,
BuIl. crim. n° 157).
2. Mais abandonnant par la suite cette jurisprudence, la chambre criminelle a opéré ensuite
un important revirement, par un arrêt en date du 24 novembre 1977, au terme duquel elle a
déclaré qu’il n’y a plus recel à conserver une chose dont on apprend, au cours de la
détention, l’origine frauduleuse. Dès lors, pour apprécier la bonne ou la mauvaise foi du
prévenu, il faut se placer au moment où celui-ci reçoit, transmet la chose ou en tire profit.
Dans ces conditions, les acquéreurs, initialement de bonne foi, n’engageront pas leur
responsabilité pénale.
En l’espèce, dans la mesure où Xavière était, dès le départ, de bonne foi, l’infraction de recel
ne peut être retenue à son encontre, même si elle a désormais connaissance de l’origine
délictueuse du vase qu’elle a acheté.
En conséquence, Xavière ne saurait voir sa responsabilité pénale engagée de ce chef, mais
elle s’expose à une éventuelle action civile en revendication de la part du propriétaire du
vase.
2.
Vous direz enfin sur quels fondements légaux le brocanteur qui lui a
vendu le vase peut être poursuivi, en droit pénal commun et dans les
textes spécifiques à son activité professionnelle.
1. Le brocanteur peut être poursuivi pour recel aggravé sur le fondement de l’article 321-2
du Code pénal : les peines sont portées à dix ans et 750 000 euros (et jusqu’à la moitié de la
valeur des biens recelés) lorsque le recel est commis en utilisant les facilités que procure
l’exercice d’une activité professionnelle (brocanteur, antiquaire, garagiste, expert…).
2. Mais il peut également être soumis à la répression spécifique des infractions relatives à la
vente ou à l’échange d’objets mobiliers : loi du 30 novembre 1987 et décrets du
14 novembre 1988 (art. 321-7 et 321-8 C. pén.).
Le législateur impose, entre autres, la tenue et la rédaction de registres (« livres de police »)
assurant la transparence, pour supprimer l’anonymat des opérateurs et la clandestinité des
transactions, qui permettent aux professionnels malhonnêtes d’écouler les marchandises
ayant une origine délictueuse.
 Pour les personnes physiques, les manquements les plus graves à cette
réglementation sont punis de six mois d’emprisonnement et de 30 000 euros
d’amende (art. 321-7 et 321-8). Les coupables encourent, en outre, toutes les
peines complémentaires prévues par l’article 321-9.
 Les irrégularités les moins graves aux dispositions énoncées par les articles R.
321-1 à R. 321-12 constituent seulement des contraventions de 3e classe (art.
R. 633-1 à R. 633-5) ou de 5e classe (art. R. 635-3 à R. 635-7). Dans ces cas,
le cumul des peines, infraction par infraction, est possible.
EFC C0018
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