Patrick Dupond

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Patrick Dupond
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Exclusif
PATRICK DUPOND,
remet les chaussons
Malgré les épreuves, son grave accident de voiture en 2000
et l'incendie de sa maison en décembre 2007, le danseur Étoile
Patrick Dupond, regarde droit devant lui et franchit tous
les obstacles. Rencontre avec un homme brisé par la vie,
mais qui, à force de volonté et de courage, revient sur scène…
pour notre plus grand plaisir.
PAR GAELLE PITON PHOTOS : DR
P
ouvons-nous revenir brièvement sur votre participation en
tant que jury à l'émission
« Incroyable Talent » ?
C'était une très belle expérience. J'ai
trouvé l'éthique de l'émission formidable : c'était
propre, clair et net. Il n'y avait pas de magouille
entre le jury, le public et les organisateurs. Ce côté
franc, pur, me convient parfaitement. Je connais
bien l'univers des concours. J'en ai fait et présidé
énormément. L'émission est très démocratique car
ouverte à tous. Le résultat m'a ravi. Junior n'avait
pas tous les atouts au départ tant au niveau de son
langage que de son agressivité. Les deux autres
danseurs de Hip Hop, Sébastien et Raphaël,
étaient très bons aussi. Des millions de téléspectateurs ont suivi l'émission. Il y aura des retombées,
j'en suis convaincu…
C'est la production qui vous a sollicité ?
Absolument. La production m'a téléphoné et m'a
demandé si je voulais participer à l'émission. Je
leur ai répondu très franchement que je ne la
connaissais pas du tout et que ce n'était pas mon
genre de programme. Un peu à la manière de ce
qui s'est passé pour « La Ferme Célébrités », sauf
que j'avais uniquement fait cette émission pour
empocher le chèque pour mon association d'enfants handicapés. Si je tenais le coup, c'était une
opportunité formidable pour étendre l'activité de
l'association. Juste pour moi, je ne l'aurais pas fait.
Néanmoins, il y a certaines causes qui méritent que
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l'on se déplace et que l'on mouille sa chemise. Pour
« Incroyable Talent », c'est une démarche de jury.
Le public a aussi son mot à dire. J'ai vu des gens
biens, d'autres moins biens ; certains étaient là
pour s'amuser, d'autres très sérieusement pour leur
métier. J'aime bien cet esprit, ce mélange. En plus,
l'équipe de production est très soudée autour du
jury, à l'écoute de nos désirs et de nos réflexions,
respectueuse de la façon dont nous conduisons
l'émission. J'étais à la fois juge et partie et ce double
rôle me va bien.
Peut-on parler de vos projets personnels ?
Autrement dit : qui est Patrick Dupond
aujourd'hui ?
Je suis actuellement enseignant et pratiquant. Je
danse et j'enseigne à Soissons. La dimension pédagogique me passionne toujours autant. Travailler
EN SAVOIR +
LEÏLA DA ROCHA
Leïla Da Rocha commence une carrière
de basketteuse professionnelle, brusquement interrompue par une blessure
alors qu'elle a 23 ans. C'est par hasard
qu'elle découvrira la danse, désormais
essentielle à son équilibre. Elle donne
alors des cours et crée par la suite sa
propre compagnie K Danse Etna.
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avec des danseurs en devenir, les préparer aux auditions, les mettre « dans le bon train », c'est très enrichissant, même si, comme je dis toujours, je ne connais
pas la destination finale. Je donne également un cours
de danse amateur où tout le monde se mélange. Je
reproduis en quelque sorte ce que j'ai pu connaître
avec Noureev à mes débuts. Je refuse cependant l'étiquette classique. Le 16 septembre dernier, j'ai donné
un ballet, « Fusion », à Saint Quentin dans l'Aisne avec
ma partenaire et associée Leïla Da Rocha. Pour l'anecdote, la pièce a duré 26 minutes et nous avons été
applaudis pendant presque autant. Nous avons entamé
un travail très intéressant qui est un mariage entre
l'Orient et l'Occident. Cela donne un langage très singulier et un spectacle multicolore à multiples facettes.
Nous souhaitons remanier ce ballet pour en faire une
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version longue. Je suis actuellement en répétition. C'est
très difficile, je suis épuisé et j'ai mal partout (rires).
Paradoxalement, je me sens en pleine forme, de bonne
humeur. A priori, nous allons avoir une date à Paris en
avril prochain pour un show-case mais je n'ai pas le
droit de vous en dire plus pour le moment. C'est en
gestation, le « bébé va sortir » (rires). Sachez juste que
j'ai remis les chaussons… même si je ne les ai jamais
vraiment quittés.
C'est difficile pour vous de revenir à la scène
non seulement comme interprète mais aussi
comme chorégraphe ?
Non, pas du tout. À 18 ans, j'avais déclaré en jeune
présomptueux : « À 40 ans, j'arrête la danse. Je ne veux
pas qu'on me voie flétri sur ma dentelle, comme disait
Barbara ». Le 16 septembre dernier, suite au succès
remporté avec Leïla, j'ai pris du plaisir et vécu un réel
bonheur. Certes j'ai dansé dans la mesure de mes capacités. Je n'ai pas re-dansé « Don Quichotte ». Nous
avons créé une chorégraphie sur mesure et ça m'a vraiment comblé. Le public lui aussi a bien fonctionné.
Désormais je me dis qu'il y a une vie après l'Opéra et
une possibilité de danser après 40 ans. C'est un peu
cela la nouvelle : je suis devenu chorégraphe, moi qui
pensais que je ne serais qu'interprète.
“
Il y a une vie
après l'Opéra !
„
Avez-vous envie de monter une compagnie
dans le futur ?
Ce n'est pas à l'ordre du jour. Pour monter une compagnie, il faut des moyens. De plus je n'en ai pas
réellement envie dans la mesure où j'ai dirigé pendant
3 ans le Ballet Français de Nancy ; pendant 6 ans
j'ai été Directeur de la Danse à l'Opéra de Paris. J'ai
dédié ainsi 9 ans de ma vie aux autres danseurs et
j'ai la sensation que désormais je dois m'occuper
de moi. Des gens m'ont remis à ma juste place.
J'ai encore des choses à faire, des choses à dire. Je m'y
consacre entièrement en ce moment. Mais je crée des
choses pour moi. Je ne me sens pas encore l'envergure
de le faire pour les autres. Je n'en suis pas encore
là dans ma maturation.
Pour cette chorégraphie, vous vous êtes éloigné
de votre période classique je suppose ?
Je n'ai pour ainsi dire jamais vraiment eu de période
classique ou du moins je l'ai quittée très tôt. À 12 ans,
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j'ai pris mes premiers cours de jazz ; à 15 ans je travaillais avec Alvin Nikolaï puis avec Bob Wilson, Alvin
Ailey, Maurice Béjart… Ma base classique m'a servi de
tremplin pour aborder d'autres langages, des univers et
des gestuelles différents. Ma carrière est jalonnée de
rencontres. Par exemple, Bob Wilson m'a appris l'immobilité. Une immobilité intelligente est plus intéressante qu'une mobilité bête.
Comme vous le savez, le « Juste Debout magazine » est le magazine des autres danses. Quel
regard portez-vous sur ces autres danses, en
particulier sur la danse Hip Hop qui sera à
l'honneur en mars à Bercy pour l'édition 2008
du « Juste Debout » ?
Il y a une quinzaine d'années j'ai mis sur scène des
danseurs Hip Hop, avec des danseurs espagnols et
africains. Ce que je trouve passionnant dans cette
« nouvelle danse » c'est qu'on la voit se former sous nos
yeux. Actuellement je crois qu'on s'éloigne des traditionnels « battles ». La danse semble entrer dans un
univers beaucoup plus poétique et s'emparer d'autres
registres. Les qualités physiques sont désormais mises
au service d'une certaine poésie. On assiste à la véritable naissance d'une danse avec un alphabet. Un nou-
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cette technique comme une technique de
spectacle et reste admiratif du travail fait.
Pour tous les défenseurs du Hip Hop, c'est
une bonne chose. Maintenant il faut que les
pouvoirs publics mettent des moyens à leur
disposition car les temps sont durs. Je trouve anormal par exemple qu'il n'y ait pas
encore de diplôme d'état pour cette discipline. Une technique existe depuis longtemps
pourtant… Néanmoins, je pense que pour
le Hip Hop, il y aura beaucoup d'appelés
mais très peu d'élus. Beaucoup sont répétitifs, se copient les uns les autres et manquent d'imagination. Certains se cantonnent dans leur vocabulaire de base au lieu
d'explorer de nouveaux univers. Souvent,
il manque une trame dramaturgique et
pour ma part j'y suis très sensible. On ne
peut pas enchaîner les mouvements sans
base écrite et enchaîner les ballets sans qu'il
y ait de liens.
veau vocabulaire est sorti de la rue pour entrer dans les
théâtres et je trouve cela fabuleux. Le fait qu'un danseur de Hip Hop gagne « Incroyable Talent » est
emblématique. Cela signifie que le public a absorbé
En novembre dernier, Maurice Béjart,
un grand de la danse, nous a quittés.
Vous devez être ému de cette perte ?
Ce n'était pas une surprise car je savais qu'il
était très malade. Maurice a bouleversé la
danse du XXe siècle. Pour moi il n'est pas
vraiment mort puisque ses ballets vivront
après lui. Sa compagnie ne sera pas une
compagnie-musée. Avant de partir, il a
laissé des instructions très précises à ce sujet.
Je suis ému parce que c'était un père, un
ami, un frère, un compagnon de voyage. Il me connaissait bien comme être humain et encore mieux comme
danseur. Il a fait sortir des choses extraordinaires
de moi.
INFOS +
Patrick Dupond, un défi… film de Nicolas
Ribowski. Pour ses 60 ans de carrière à
l'Opéra de Paris, Claude Bessy demande à
Patrick Dupond de danser "Salomé", chorégraphié par Maurice Béjart spécialement pour lui.
À 45 ans, l'ex-danseur étoile sort d'une longue
période de dépression. Il se confie à Nicolas
Ribowki sur ses moments difficiles, et accepte
d'être filmé pendant ses répétitions au cours
desquelles il doit réapprendre même les bases
les plus élémentaires. Un film touchant sur la
fragilité d'un corps, d'un homme, mais aussi
sur sa persévérance. Existe aussi un DVD
“Patrick Dupond, le talent insolent”. Un film
de Luc Riolon (chez Universal Vidéo), qui
inclut de longs extraits des ballets : “Le
Boléro” de Maurice Béjart ainsi que “Salomé”,
“Le Lac des Cygnes” avec M.Claude Pietragalla
et divers bonus et en livre “Etoile” de Patrick
Dupond (éditions Fayard, mars 2000)

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