« Le pape François ouvre les yeux à beaucoup de chrétiens »

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« Le pape François ouvre les yeux à beaucoup de chrétiens »
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RELIGION
mercredi 9 septembre 2015
« Le pape François ouvre les yeux
à beaucoup de chrétiens »
tique qui dépasse celle de
leur propre parti ain d’avoir
un jugement libre.
Mgr Georges Pontier.
d Pour La Croix, le président
de la Conférence des évêques
de France revient sur la demande
faite par le pape aux paroisses
de s’ouvrir aux réfugiés.
d Il s’exprime aussi
sur la polémique qui a agité
l’Église après la participation de la
députée du Front national, Marion
Maréchal-Le Pen, à l’université
d’été du diocèse de Toulon.
d Avant le Synode sur la famille,
il invite les catholiques à « faire
passer leurs idées en second ».
Avez-vous été surpris par l’appel
du pape, dimanche, à toutes
les paroisses européennes de
recevoir une famille de réfugiés ?
Mgr Georges Pontier : Lorsque
l’on connaît le pape François, pour
qui les actes sont plus importants
que les paroles, on n’est pas très surpris… Sa demande a une forte valeur
symbolique. Je sais qu’il n’ignore
pas que les paroisses françaises ont
déjà entrepris, depuis des années,
d’accueillir des migrants, notamment
des Roms et des chrétiens du MoyenOrient. Il existe une dynamique, mais
sa parole ouvre les yeux à beaucoup
de chrétiens, hésitants sur cette
question et représentatifs d’une
majorité de Français, pas très généreuse dans ce domaine. Pour la
conversion des mentalités, l’appel
du pape est capital.
Comment cette dynamique
va-t-elle se mettre en œuvre
dans l’Église de France ?
Le communiqué publié lundi
par la CEF traduisait une certaine
prudence comme si l’Église de
France paraissait prise de court…
Mgr G. P. : Nous avons surtout
voulu dire que cet accueil nécessite
de profondes rélexions s’il entend
être durable. L’État ne peut rien
faire tout seul, mais il est directement partie prenante pour le logement et surtout l’emploi. Il faut sans
doute réviser l’accès au travail de
ces personnes réfugiées, non pas
pour les privilégier par rapport aux
travailleurs nationaux mais pour
alléger la complexité des démarches. La générosité individuelle
ne peut pas tenir longtemps sans
structure d’accompagnement. Dans
les diocèses, des cellules de coordination sont indispensables pour
soutenir les démarches des catholiques qui souhaitent s’engager. Il
faut désormais franchir une étape
dans l’organisation de l’accueil des
réfugiés.
RAPHAËL FOURNIER/ DIVERGENCES
M. MIGLIORATO/CPP/CIRIC/
ENTRETIEN MGR GEORGES PONTIER, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France (CEF)
Le Synode sur la famille,
auquel vous participerez
en octobre à Rome,
sera-t-il l’occasion
pour l’Église de délivrer
un message à la société ?
Mgr G. P. : J’aimerais
que l’on redise à tous que
la famille est un don de
Dieu, et non pas un fardeau
à porter. Dieu nous dit :
« Vous êtes capables d’aimer
pour toujours, d’être idèles
pour toujours et c’est une
voie de bonheur. » Concernant les catholiques, j’aimerais qu’ils se préparent
spirituellement à recevoir
l’exhortation apostolique
du pape, non pas en examinant s’il correspond à
leurs idées mais en mettant
leurs idées à l’épreuve de
ce texte. Il ne s’agit pas de
soumettre le texte à nos
conceptions. Si nous ne
L’église construite par des Érythréens dans la « jungle » de Calais. « Il ne s’agit pas de migrants qui viennent
sommes pas capables, dans
pour nous conquérir ou nous envahir (…), insiste Mgr Pontier. Ce n’est pas une armée, ils arrivent sans rien. »
l’Église, de faire passer nos
idées en second, quelque
Sentez-vous un élan chez les
s’interroger sur l’opportunité d’in- étrangers. Les partis s’afrontent sur chose ne va pas. J’invite à résister à
catholiques français ou reste-t-il viter un candidat, et pas les autres, deux grandes questions : la défense notre culture individualiste qui
à quelques mois d’échéances élec- de la vie et la défense de la dignité n’accepte plus de magistère. Chacun
limité aux acteurs habituels ?
Mgr G. P. : Nous sommes efec- torales. De ce point de vue, cette de tout homme. Toutes les deux veut enseigner l’autre, mais pertivement à un seuil : il faut désor- invitation n’était pas opportune, me relèvent de l’exigence évangélique. sonne ne veut être enseigné. L’esmais faire prendre conscience que semble-t-il. S’agissant du FN, il ne
sentiel, je crois, sera de redonner
cette question nous concerne tous. nous appartient pas de dire s’il a Quel dialogue l’Église de France
de la souplesse pastorale dans la
Nous pouvons tous faire quelque évolué : c’est à lui de montrer les veut-elle entretenir
gestion des cas particuliers sans
chose, en fonction de nos capacités. signes de son évolution. Or, concer- avec les partis politiques ?
gommer les vérités profondes que
Mais il existe des résisnant sa doctrine, ceuxMgr G. P. : Nous avons pris acte, personne ne remet en cause.
tances, reconnaissons- « Dans la Bible
ci ne sont pas évidents. depuis des décennies, qu’il n’existe
le. Dans la Bible
aucun parti chrétien à 100 %. Les Ne craignez-vous pas un
comme dans
comme dans l’ÉvanEstimez-vous qu’une catholiques peuvent se situer affrontement entre deux camps ?
gile, de grands textes l’Évangile,
comme ils l’entendent sur l’échiMgr G. P. : Il aura lieu, et je ne
« digue a sauté »
nous poussent à aller de grands textes entre l’Église
quier politique, pourvu qu’ils véri- le redoute pas. L’année qui vient de
au-delà de nos peurs.
ient qu’il n’y a pas de contradic- s’écouler a sans doute permis une
le Front national ?
nous poussent et Mgr
Il est d’ailleurs réjouisG. P. : Il ne t i o n s i n a c c e p t a b l e s a v e c maturation des esprits, qui évitera
sant de constater que, à aller au-delà
s’agit de l’expérience l’enseignement social de l’Église et une guerre de tranchées.
depuis huit jours, le de nos peurs. »
que d’un seul diocèse. avec l’Évangile. Notre rôle n’est pas
RECUEILLI PAR BRUNO BOUVET
personnel politique
Par ailleurs, depuis de juger les partis mais d’aider les
LIRE AUSSI p. 5.
tout comme les médias ne parlent qu’il y a des élus FN, nous ne pou- chrétiens à avoir une analyse poliplus de la même manière de cette vons pas les ignorer. Lors de mes
réalité. Il ne s’agit pas de migrants visites pastorales, j’invite tous les
qui viennent pour nous conquérir élus. Je ne peux pas faire d’ostraou nous envahir : ils fuient une réa- cisme. Ce serait un déni de démolité quotidienne invivable. Ce n’est cratie.
pas une armée, ils arrivent sans rien.
Certains catholiques
Ces dernières semaines ont été
Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a été reçu hier matin au
reprochent à l’Église d’être plus
siège de la Conférence des évêques de France, à Paris, à l’invitation de
agitées par l’invitation faite
intransigeante avec le Front
l’épiscopat. Il y a rencontré le Conseil permanent, la Conférence des
à Marion Maréchal-Le Pen
national qu’avec d’autres partis
archevêques et les présidents de conseil. « Nous avons parlé essentiellede participer à l’université d’été
favorables à l’euthanasie
ment de théologie, de philosophie, de politique », a dit Bernard Cazeneuve.
de l’Observatoire sociopolitique
et à l’avortement…
Mgr G. P. : Qui peut ignorer que
« De politique au sens le plus profond du mot », a ajouté Mgr Pontier. Le
du diocèse de Toulon.
nous sommes en désaccord avec le
ministre de l’intérieur, également chargé des cultes, s’est dit touché par
Qu’en avez-vous pensé ?
Mgr G. P. : Il y a deux manières gouvernement sur certaines évolula profondeur des échanges qu’il a eus avec les évêques, dont il a salué la
de l’envisager. L’OSP de Toulon af- tions législatives en matière de
« pensée élevée ». « Nous avons besoin de spiritualité, d’élévation, dans
irme qu’il n’est pas illégitime de bioéthique ? Si le Front national est
un contexte d’abaissement de la parole publique et de montée des intolédialoguer avec les responsables d’un opposé à l’avortement et à l’eutharances », a-t-il noté. À 16 heures, Bernard Cazeneuve a retrouvé Mgr Ponparti qui obtient plus de 40 % des nasie, je m’en réjouis mais j’aimerais
tier et l’ensemble des représentants des cultes, au ministère de l’intérieur,
voix dans la région. On peut aussi qu’il soit plus ouvert à l’accueil des
pour aborder la question de l’accueil des réfugiés.
Bernard Cazeneuve a parlé « théologie
et philosophie » avec les évêques