Patricia E.DEEGAN
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Patricia E.DEEGAN
Le rétablissement : L’expérience vécue de la réhabilitation Patricia E.DEEGAN Patricia E. Deegan, Ph.D. est Docteur en psychologie et chercheur, Professeur-adjointe à l'École de médecine de Dartmouth et à l’Université de Boston. Elle travaille actuellement comme consultante indépendante spécialisée dans le domaine du rétablissement (recovery) et de la reprise du pouvoir (empowerment) auprès de personnes ayant des troubles psychiques. Elle a vécu elle-même un processus de rétablissement après avoir été diagnostiquée ‘’schizophrène’’ à l’adolescence. Elle est ensuite devenue, par son action militante, une des pionnières du mouvement du rétablissement dans le monde. Ce texte est un article fondateur du mouvement du rétablissement, il a été publié dans sa première édition en 1988 dans le Psychosocial Rehabiliation Journal 1 aux Etats-Unis. 1 Référence de l’article original traduit de l’américain par Michael Bolton : Deegan P. Recovery: the lived experience of rehabilitation. Psychosoc Rehabil J 1988 1 L’application du modèle de la réhabilitation avec des adultes ayant des troubles psychiatriques est une évolution nouvelle et passionnante. Cette découverte nous permet d’envisager ces personnes d’une façon tout à fait nouvelle et vraiment enthousiasmante. Il est particulièrement important de noter que, dans la perspective de cette approche, il n’est plus nécessaire de séparer les personnes ayant des troubles psychiques des autres groupes de personnes ayant un handicap. Aujourd’hui, les frontières artificielles établies entre les groupes de personnes vivant avec une incapacité, quelle qu’elle soit, peuvent être abolies grâce à la reconnaissance des besoins fondamentaux et des aspirations que la plupart de ces personnes partagent : le besoin d’affronter le défi que constitue le handicap, de rétablir un sentiment de valeur et d’intégrité, d’avoir un but à atteindre tenant compte et en dépassant les limites du handicap; L’aspiration profonde de chacun d’entre nous est de vivre, de travailler et d’aimer au sein d’une communauté à laquelle on peut prendre sa place de façon pleine et entière. Il est important de comprendre que les personnes en situation de handicap ne se « réhabilitent » dans le même sens que les voitures sont « révisées » ou que les télévisions sont « réparées » Ces personnes ne sont pas des usagers passifs des services de réhabilitation. Au contraire, ils font l’expérience du rétablissement, il s’agit de la découverte d’une nouvelle image d’eux-mêmes et d’une nouvelle raison d’être. Cette distinction entre réhabilitation et rétablissement est importante. La réhabilitation fait référence aux services et aux techniques qui sont mis en place pour les personnes ayant des incapacités afin qu’ils puissent apprendre à s’adapter à leur monde. Le rétablissement fait référence à l’expérience vécue, ou à la « vraie vie », des personnes qui acceptent et surmontent le défi de leur incapacité. Nous devrions dire que la réhabilitation fait référence « au pôle du monde » et que le rétablissement fait référence « au pôle de soi-même » du même phénomène. 2 Le processus de rétablissement est le fondement même sur lequel construisent les services de réhabilitation. Ceci est particulièrement évident par la simple observation que nous pouvons développer les services de réhabilitation les plus avancés et ne toujours pas arriver aider ces personnes. Avoir de ‘’bons services’’ n’est donc pas suffisant, ceux qui sont engagés dans les programme de réhabilitation doivent par exemple sortir de leur lit, se secouer malgré l’abrutissante fatigue due aux neuroleptiques, s’habiller, surmonter la peur du bus bondé de personnes paraissant parfois hostiles pour finalement arriver jusqu’au service. Ils doivent ensuite affronter la peur d’échouer dans leur programme, etc. Au final, les personnes ayant des troubles psychiatriques doivent participer activement et courageusement à leur propre projet de réhabilitation, sinon celui-ci échouera. C’est au travers du processus de rétablissement que les personnes ayant des incapacités deviennent actives et courageuses et qu’elles investissent leur projet de réhabilitation. C’est là que nous découvrons que le rétablissement est un phénomène fondamental dont la réussite des projets de réhabilitation dépend. C’est pour cela qu’il est surprenant qu’il n’y ait pas plus d’écrits dans la littérature scientifique à ce sujet. Ce phénomène nous échappe-t-il justement parce qu’il est si fondamental ? Peut-être en est-il ainsi parce que les processus de rétablissement ne peuvent pas être totalement décrits par un langage scientifique, psychiatrique ou psychologique traditionnel. Bien que le phénomène n’entre pas facilement dans les paradigmes scientifiques classiques, ceux d’entre nous qui ont été touchés par des situations de handicaps savent que le rétablissement est bien réel parce que nous l’avons vraiment vécu personnellement. Dans une conférence récente qui rassemblait des personnes ayant différents types de handicap, j’ai eu le plaisir de parler avec un homme tétraplégique. Nous avons pu partager nos histoires respectives de rétablissement. 3 L’expérience du rétablissement : A l’adolescence, nous avions tous deux vécu un effondrement catastrophique de notre monde, de nos espoirs et de nos rêves. Il s’était brisé la nuque et était paralysé et j’avais pour ma part été diagnostiquée schizophrène. Nous nous sommes remémorés mutuellement l’impact de ces premiers jours suivant la survenue de notre incapacité. C’était un athlète et il rêvait de devenir professionnel dans le monde du sport. J’étais une athlète au lycée et je m’étais inscrit à l’université pour devenir professeur d’éducation physique. Quelques jours plutôt, nous nous laissions bercer comme tous les jeunes de notre âge par un avenir prometteur. Mais d’un seul coup tout s’est écroulé autour de nous. Alors que nous n’étions que des adolescents, il nous a été dit que nous avions une maladie incurable et que nous serions désormais « malades » ou « handicapés » pour le restant de nos jours. On nous a dit que si nous suivions les traitements et les thérapies recommandées, nous pourrions apprendre à « nous ajuster » et « faire avec » jour après jour. Il est évident qu’à cet âge nous n’avons pas cru un mot de ce que nous disaient nos médecins et nos travailleurs sociaux. En fait, nous étions profondément opposés et en colère contre ces sombres prophéties concernant nos vies. Il nous semblait que tout ceci était une erreur, un cauchemar ou juste une difficulté temporaire dans nos vies. Nous croyions simplement qu’au bout d’une semaine ou deux, les choses rentreraient dans l’ordre car nous sentions que notre monde d’adolescent était toujours là, et qu’il nous attendait pour que nous puissions rapidement y revenir. 4 Notre déni fut une étape importante dans notre rétablissement. Ce fut une réaction normale à une situation tragique. Ce fut notre façon de survivre durant ces terribles premiers mois.2 Les semaines sont passées mais nous n’allions pas mieux. Il devint de plus en plus difficile de croire que nous serions de nouveau comme avant. Ce qui nous semblait au départ être juste un mauvais rêve, s’était transformé en un cauchemar de plus en plus sombre duquel nous n’arrivions pas à nous réveiller. Nous nous sentions comme des navires flottant sur une mer noire sans cap ni objectif. Nous nous éloignions de plus en plus loin des jeunes insouciants que nous avions été. Lui était allongé horizontalement en traction alors que ses amis étaient sélectionnés dans de prestigieuses universités pour jouer au football. Moi, je titubais droguée et enraidie le long des couloirs d’un hôpital psychiatrique pendant que mes camarades de classe partaient pour leur première année d’université. Le temps nous avait trahis. Le temps ne nous avait pas guéris. Nos passés nous avaient abandonnés et nous ne pouvions plus revenir en arrière. Notre avenir nous est apparu comme un lieu vide, désertique dans lequel aucun rêve ne pouvait être planté et croître pour devenir un jour réalité. Pour ce qui est du présent, ce fut une assommante succession de jours et de nuits dépourvues de sens dans un monde dans lequel nous n’avions ni place, ni utilité, et surtout aucune raison d’être. L’ennui et la nostalgie étaient devenus notre seul refuge. (Knowles, 1986). Notre déni fini par céder au désespoir et à l’angoisse.3 Nous avions abandonné. A ce stade, ce fut une solution pour nous. 2 Le déni est la 1ère étape du processus de rétablissement décrit par l’auteur 3 Le désespoir et l’angoisse sont la 2 ème étape du processus rétablissement décrite par l’auteur 5 Cela atténua la douleur de notre désespoir parce que nous pouvions cesser de nous demander « pourquoi et comment vais-je continuer ? » (Harrisson, 1984). Abandonner signifiait que pendant 14 ans, il est resté assis dans les hôpitaux de jour à regarder des feuilletons à la télévision et à observer les autres vivre leur vie. Pendant des mois je suis restée assise sur une chaise dans le salon de mes parents, fumant cigarette sur cigarette, attendant qu’il soit 20 heures pour que je puisse retourner au lit. Durant cette période, même les tâches les plus simples étaient devenues insurmontables. Je me souviens d’une fois où l’on m’a demandé de venir dans la cuisine pour aider à pétrir des pâtons de pain. Je me suis levée, je suis allée dans la cuisine, j’ai regardé les pâtons pendant ce qui me sembla une éternité. Puis, je suis retournée à ma chaise et j’ai pleuré. La tâche me paraissait irréalisable. Ce n’est que plus tard que j’ai compris pourquoi : quand on vit sans espoir, (quand on a abandonné) la volonté de « faire » est également paralysée. Tous ceux d’entre nous qui ont fait l’expérience d’une maladie grave et invalidante ont fait cette expérience d’angoisse et de désespoir. C’est comme vivre dans le noir, sans espoir, sans passé, ni futur. On s’apitoie sur soi-même avec la haine de tout ce qui est bon et de ce que la vie nous donne. C’est une sorte de rage intérieure retournée contre soi-même. C’est une blessure sans bouche, une blessure si profonde qu’aucun cri ne peut sortir. L’angoisse est une mort d’où ne semble pouvoir surgit aucune résurrection. C’est l’inertie qui paralyse la volonté de faire et d’accomplir quoi que ce soit parce qu’il n’y a pas d’espoir. On est alors vraiment invalide, non pas à cause d’une maladie ou d’une lésion, mais à cause du désespoir. Cette partie du processus de rétablissement est une nuit noire dans laquelle même Dieu semble nous avoir abandonnés. Pour quelques-uns cette nuit dure quelques instants, quelques jours ou quelques mois ; pour d’autres elle dure des années. Pour d’autres encore, le désespoir et les angoisses ne finiront jamais. 6 Ni l’homme paralysé, ni moi-même ne pouvions nous souvenir d’un seul moment où la petite et fragile flamme de l’espoir et du courage ait illuminé la noirceur de notre désespoir. Par contre, nous n’oublierons jamais que, même quand nous avions renoncé, il y avait des gens qui nous aimaient et n’avaient pas abandonné. Ils étaient incapables de nous changer et ne pouvaient pas nous aider à nous sentir mieux. Ils ne pouvaient pas escalader cette montagne à notre place mais ils étaient prêts à souffrir avec nous. Ils ne nous ont pas accablés avec des projets optimistes pour notre avenir mais ils ont continué à espérer en dépit des contrariétés. Leur amour pour nous était comme une invitation permanente qui nous appelait à être autre chose de notre apitoiement sur nous-mêmes et notre désespoir. Puis le miracle se dessina petit à petit, mon ami et moi commencions à entendre et à répondre à l’invitation de l’amour. Durant 14 ans mon ami était resté affalé devant la télévision dans l’enfer de son désespoir et de ses angoisses… Pendant des mois, j’étais resté assise à fumer des cigarettes jusqu’à m’effondrer dans un sommeil artificiel sans rêves. Mais un jour quelque chose a changé en nous. Une minuscule et fragile étincelle d’espoir4 fit son apparition et promit qu’il y aurait quelque chose de plus que toute cette obscurité. Ceci est la 3ème phase du rétablissement. C’est le mystère. C’est la grâce. C’est la naissance de l’espoir qui vient avec la possibilité d’être aimé. Tous les discours et les théories de la psychiatrie, de la psychologie et du travail social et la science sont incapables d’expliquer ce phénomène d’espoir. Mais pour ceux d’entre nous qui se sont rétablit, nous savons que cette grâce est bien réelle. Nous l’avons vécue, c’est là notre secret partagé. Il est important de comprendre que pour la plupart d’entre nous le rétablissement n’est pas une expérience de conversion brutale et soudaine. L’espoir ne nous frappe pas à nous comme un éclair qui nous catapulterait vers une nouvelle façon d’exister. L’espoir est le tournant qui doit rapidement être suivi par une volonté d’agir5. Mon ami et moi, nous avons commencé par de petites choses ; de petites victoires 4 L’espoir est la 3ème étape du processus de rétablissement décrite par l’auteur 5 La volonté d’agir est la 4 ème étape du processus de rétablissement décrite par l’auteur 7 ainsi que de simples actes de courage. Il s’est rasé, il a essayé de lire un livre et il est allé parler avec un conseiller ; j’ai reconduit ma voiture, j’ai refait les courses le mercredi, et me suis mis à reparler un petit moment avec une amie. Lui a demandé à pouvoir bénéficier des aides sociales, il a acheté une petite camionnette et a appris à conduire ; j’ai pris mon traitement en main, j’ai trouvé un travail à temps partiel, et ai commencé à gagner ma propre vie. Il fit des études et se forma à l’accompagnement des personnes handicapées ; je fis aussi des études de psychologie en vue de travailler avec d’autres personnes. Jour après jour, malgré de nombreuses difficultés, nous avons reconstruit nos vies sur ce que j’appelle les 3 pierres d’angle du rétablissement : l’espoir, la volonté d’agir et les actes responsables.6 Nous avons appris à dire : « j’espère » ; « je suis d’accord pour essayer » ; et « je découvre ce que je suis capable de faire » (Knowles 1986) Ce que je viens de décrire est le processus du rétablissement, il est le fondement qui entraine une utilisation efficace des services de réhabilitation. Le rétablissement n’a rien à voir avec un produit fini ou à un résultat. Cela ne veut pas non plus dire que mon ami et moi-même étions « guéris ». En réalité notre rétablissement fut caractérisé par une acceptation de plus en plus approfondie de nos propres limites. Maintenant, nous découvrons que, plutôt que d’être l’occasion de désespoir, nos propres limitations sont le terreau pour que germe notre potentiel unique. C’est le paradoxe du rétablissement : par exemple, en acceptant ce que nous ne pouvons pas faire ou être, nous découvrons ce que nous pouvons être et ce que nous sommes capables de faire. Le rétablissement ne veut pas non plus dire absence de douleur ou de lutte. Le rétablissement se caractérise plutôt par la transformation de l’angoisse en souffrance. Pris dans la nasse, mon ami et moi-même vivions sans espoir. Nous avons expérimenté l’angoisse comme une douleur inutile, qui tourne en rond, une douleur qui n’avait pas d’autre issue que toujours plus de douleur, une douleur qui ne menait nulle part. Cependant, quand nous avons repris espoir, notre angoisse fut 6 Les actes responsables sont la 5ème étape du processus de rétablissement décrite par l’auteur 8 transformée en une vraie souffrance. La vraie souffrance est caractérisée par une paix intérieure : par exemple, bien que nous ressentions encore une très grande douleur, nous avions concomitamment fait l’expérience de la paix sachant que la douleur nous amenait vers l’avant et vers un autre avenir possible. Une biologiste qui avait un spina bifida résume l’esprit de la vraie souffrance au cours du rétablissement lorsqu’elle écrit : « La souffrance est paisible. Tu sais que la douleur pourrait te tuer, mais elle ne te détruira pas. D’une façon très risquée, tu es en sécurité » (Harrison – 1984). Pour bien d’entre nous, le rétablissement est un processus, une façon de vivre, une attitude, une façon d’appréhender les défis du quotidiens. Ce n’est pas un processus parfaitement linéaire. Parfois notre parcours est erratique et nous faillissions, nous régressons, puis nous nous rassemblons et nous recommençons. 7 Le rétablissement est une poussée, un combat et une résurrection. Le rétablissement permet de se lever sur des jambes déformées vers une nouvelle vie. Les professionnels que nous sommes aimeraient parfois, en quelque sorte, pouvoir maîtriser l’esprit du rétablissement afin de le transmettre à chacun des participants aux programmes de réhabilitation. Mais cela est totalement impossible. Nous n’avons pas la main sur la survenue du rétablissement dans un programme de réhabilitation. Les aspects essentiels du processus de rétablissement sont une question de ‘’grâces’’, et peuvent ne pas être obtenu simplement par la volonté. Cependant, nous pouvons créer des environnements au sein desquels le processus de rétablissement peut être nourri comme une jeune pousse tendre et précieuse. Quelques-uns des principes pour créer un tel environnement dans les programmes de réhabilitation sont cités ci-dessous. 7 Notre expérience du rétablissement ressemble à ce qu’écrit le poète ROETHKE (1948-1975) qui fut lui-même affecté par une grande détresse et étiqueté ‘’malade mental’’ : « … l’essence de la croissance libère un grain de sable, pousse au travers d’une coque moisie, sa corne pâle est vrillée. (…) Cette poussée, cette lutte, cette résurrection de bâtonnets desséchés, des boutures coupées luttent pour poser leurs pieds à terre, quel saint fit tant d’efforts, pour se lever sur de tels membres déformés vers une nouvelle vie… » 9 Recommandations pour des programmes de réhabilitation qui favorisent le processus de rétablissement I. Les programmes doivent être souples et non-linéaires. Comme nous l’avons vu, le rétablissement n’est pas un processus linéaire marqué par une succession de succès. Le processus de rétablissement est plus précisément une série de petits commencements et de pas minuscules. Pour se rétablir, les personnes ayant des troubles psychiatriques doivent être d’accord pour essayer et échouer puis de nouveau essayer. Trop souvent, la façon dont les programmes de réhabilitation sont élaborés va à l’encontre des processus de rétablissement. Ces programmes ont des protocoles trop rigides avec une structure linéaire où une personne doit entrer « au point A », se déplacer au travers d’étapes consécutives afin d’arriver « au point B » Un échec survenant à un moment donné dans le parcours ramènera le participant au point de départ. L’échec y est parfois défini de façon trop rigide : par exemple si un participant échoue au cours d’un stage professionnel parce qu’il a manqué le travail pendant un certain nombre de jours, il sera exclu et devra recommencer le programme au début quand il sera « prêt » à accepter les règles de celui-ci. Ces exemples montrent comment la structuration et la conception des programmes de réhabilitation peuvent aller contre le processus de rétablissement. Ils peuvent, par contre, faciliter le rétablissement s’ils permettent et prévoient une dynamique « approche/évitement », « essai/erreur » qui fait partie du processus de rétablissement. Ceci veut dire qu’ils doivent avoir des critères d’inclusion extrêmement flexibles et être facilement accessibles. La conception des outils devait être non linéaire et comporter de multiples points et niveaux d’entrée différents. Le véritable défi serait de créer des programmes « sans échec ». Cela signifierait que les participants pourraient reprendre un programme là où ils ont arrêté, afin de retenter leur chance. 10 Les personnes en cours de rétablissement peuvent tirer le meilleur profit des services de réhabilitation dans un environnement « sans échec » où chacun est le bienvenu, reconnu et valorisé pour ce qu’il est. II. Considérer le parcours de rétablissement de chaque personne comme foncièrement unique. Il va sans dire que certains aspects fondamentaux des processus de rétablissement qui sont similaires chez toutes les personnes qui ont un handicap ou une invalidité, par exemple, l’expérience qu’ils ont de la transformation du désespoir en espoir, de la volonté d’agir et des actes responsables ; cependant chaque personne est avant tout par essence unique, cela implique que chacun d’entre nous tracera son propre chemin de rétablissement en déterminant ce qui le facilite ou ce qui, au contraire, le freine. Il est donc important de pouvoir offrir aux personnes en cours de rétablissement une large variété d’options dans les outils proposés. Ils pourraient avoir par exemple le choix entre des programmes de travail accompagné, des associations, des programmes d’emploi transitoire, lieux d’échange entre usagers, des ateliers, des programmes de formation professionnelle, des programmes d’aide à la scolarisation ou à la reprise des études. Le soutien mutuel assuré par les usagers dans les groupes d’entraide, les groupes et les réseaux d’auto-support, les groupes de défense des droits et de conseil judiciaire sont des ressources importantes qui devraient être systématiquement proposés. Bien sûr, tous ces moyens ne peuvent être conduits que par des personnes ayant eux-mêmes une expérience suffisante du rétablissement d’un trouble de santé mentale. De ce fait, un des défis majeur qu’auront à relever ceux d’entre nous qui se rétablissent consiste à mettre en place ces outils, ainsi que créer des liens avec d’autres groupes de personnes concernées et de faire connaitre les moyens disponibles. De plus, si nous espérons vraiment offrir une large variété de programmes de réhabilitation aux personnes ayant des troubles psychiatriques, il est important 11 d’examiner les valeurs sur lesquelles beaucoup de nos programmes reposent. Trop souvent « les valeurs américaines traditionnelles» comme l’individualisme à tout crin, la compétition, la réussite personnelle, l’indépendance ou l’autonomie financières sont plaquées sur les personnes. Trop souvent les programmes de réhabilitation ont tacitement adopté ces valeurs, et seulement celles-ci. Nous devons nous poser la question suivante : tous les programmes de réhabilitation de notre région sont-ils bâtis selon un modèle compétitif dans lequel la réussite individuelle est beaucoup plus valorisée que la capacité à coopérer au sein d’un groupe ? Les programmes de réhabilitation par le logement doivent-ils préparer toutes les personnes à vivre de façon indépendante ? Pour certaines personnes qui ont des troubles psychiatriques les valeurs traditionnelles de compétition, de réussite individuelle, la recherche de « l’indépendance » et de « l’autonomie financière » sont oppressantes. Les programmes qui sont tacitement construits selon ces valeurs contribuent à l’échec pour bon nombre de personnes en cours de réhabilitation. Pour ces personnes « la vie indépendante » se résume à la solitude entre quatre murs dans le coin d’un quelconque logement social. Pour ces personnes, « la réussite professionnelle individuelle » se résume à mettre en échec les programmes de réinsertion professionnelle les uns après les autres jusqu’à ce qu’elles commencent à se persuader qu’ils n’ont aucune valeur et qu’ils n’ont rien à partager avec les autres. Pour ces personnes le choix d’un programme alternatif de réhabilitation et même le choix d’un autre style de vie devrait pouvoir être possible. Au lieu d’une réinsertion professionnelle compétitive basée sur la réussite individuelle, un travail de coopération, mettant en valeur la réussite du groupe pourrait être mise en place. Le partage des responsabilités dans le travail peut permettre au groupe de travailleurs de compenser les défaillances individuelles. Les programmes de logement devraient inclure la possibilité de vivre en petite communauté comme dans les communautés de l’Arche fondées par Jean Vanier (Dunne -1986; Vanier1979; Vanier et Wolfensberger -1974) Lorsque ces choix sont disponibles et existent parallèlement aux programmes de réhabilitation basés sur des valeurs plus 12 traditionnelles, alors nous pouvons être confiants car nous offrons un réseau vraiment étendu de services dans lesquels les personnes en cours de rétablissement peuvent choisir le parcours de réhabilitation qui leur convient. III. Reconnaitre les cadeaux que les personnes avec des troubles ont à se transmettre les uns aux autres. Ce cadeau est leur espoir, leur force et l’expérience vécue du processus de rétablissement. Des personnes avec des incapacités peuvent ainsi devenir des modèles les uns pour les autres. Durant les nuits d’angoisse et de désespoir où les personnes vivent sans aucun espoir, la présence d’autres personnes en cours de rétablissement peut chasser ce désespoir par le simple exemple qu’ils donnent. Il devient très difficile de continuer à se convaincre qu’il n’y a pas d’espoir quand on est entouré par des personnes qui font de grands pas en avant dans leur rétablissement ! L’espoir est contagieux et c’est pourquoi il est si important d’embaucher des personnes directement concernées dans les programmes de réhabilitation. Du fait que le rétablissement soit un phénomène très similaire pour toutes les personnes handicapées, il est très utile d’inclure des personnes ayant des troubles divers afin qu’elles puissent devenir des modèles les unes pour les autres. De plus, une personne n’a pas besoin d’être « totalement réhabilitée » afin de pouvoir être un modèle pour les autres. Très souvent une personne à peine plus rétablie, peut être d’une aide plus importante que quelqu’un dont les réussites semblent trop impressionnantes et éloignées. Finalement, et presque diront nous fondamentalement, la posture des équipes sont très importantes dans la construction des programmes de réhabilitation. Un bon nombre d’équipes sont particulièrement inexpérimentée pour accompagner des personnes en cours de rétablissement. Trop souvent les attitudes expriment, de façon implicite, qu’il y a une frontière entre « le monde des anormaux » et « le monde des normaux » L’objectif de l’équipe est d’arriver à aider les personnes dans « le monde anormal » à s’adapter au « monde normal » 13 Cette position engendre une dichotomie « eux /nous » dans lequel « eux » (les invalides) sont ceux qui doivent faire tout le travail de changement et d’évolution. Une telle attitude met l’équipe dans une position très confortable dans laquelle on peut maintenir l’illusion que ses membres ne sont pas vulnérables, qu’ils ne sont blessés en aucune manière, et que « eux » n’ont pas besoin de vivre selon l’esprit du rétablissement. Effectivement lorsque l’attitude « eux/nous » prévaut, « l’équipe » et « les patients » sont dans des mondes parfaitement séparés. Cela crée une atmosphère très oppressante pour les participants au programme qui se battent pour leur propre rétablissement. Si nous voulons qu’un programme de réhabilitation soit un environnement dynamique qui soutient et encourage le processus de rétablissement, alors les murs rigides qui séparent « le monde des invalides » et « le monde des normaux » doivent être détruits. Les membres des équipes doivent être soutenus afin qu’ils puissent reconnaitre leurs propres limites et blessures. Peut-être ont-ils fait l’expérience de l’angoisse dans leur vie ou peut-être ont-ils connu un conflit ou des drames personnels. Reconnaitre et accepter notre propre état de vulnérabilité est la première étape vers la compréhension de l’expérience de ceux que souhaitons accompagner. En faisant cela, nous découvrons que nous partageons une humanité commune avec des personnes touché par des troubles psychiatriques et nous reconnaissons que nous ne vivons pas dans « des mondes séparés » Un environnement de réhabilitation dynamique est caractérisé par un engagement actif des membres de l’équipe dans leur propre développement personnel et/ou leur rétablissement. Ils développeront ainsi une profonde empathie avec ceux qu’ils accompagnent. Ils comprendront ainsi que, mystérieusement, le fait d’être « un être humain » implique inévitablement que chacun d’entre nous a à « se lever en boitillant » vers une vie nouvelle. 14 Bibliographie : Dunne, J. (1986). Sens of community in l’Arche in the writing of Jean Vanier: Daybreak monograph 20; Richmond Hill, Ontario: Daybreak Publications Harrison, V. (1984). A Biologist’s view of pain, suffering and marginal life. In F. Dougherty (Ed.), The depraved, the disabled and the fullness of life. Delaware: Michael Glazier Knowles, R.T. (1986). Human development and human possibility: Erikson in the light of Heidegger. Lanham: University Press of America Roethke, T. (1948/1975). The lost son and other poem. In the collected poems of Theodore Roethke. New York: Anchor Press/Doubleday Vanier, J., and Wolfensberger, W.(1974). Growing together: Daybreak monograph 2. Richmond Hill, Ontario: Daybreak Publications 15