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Hiver 2012
Le Billet de Dany
Inoubliable
uand j'étais petite, ma maman m'envoyait souvent faire des “commissions” au village. Je profitais du beau temps pour enfourcher mon vélo,
trop heureuse de profiter de la liberté que me procurait
ce deux-roues pour effectuer les emplettes que maman
m'avait religieusement inscrites sur mon petit papier
pense-bête.
Q
DANY VINET
Suzanne Flon
Juste après la guerre (je parle de la Seconde), les tickets
de rationnement étaient toujours présents dans nos
porte-monnaie et "L'Écho de la Mode" faisait partie des
hebdomadaires incontournables qui trônaient à la maison.
La raison en était simple. Au beau milieu de ce magazine, se trouvait agraphé un "Patron" en papier de soie.
Jupes, chemisiers & robes
n'avaient pas de secret pour
Maman. Une fois le tissu acheté
au marché, restaient les boutons
chez la mercière. Clarisse, elle
s'appelait. Petite dame à l'allure
frêle, toujours bien coiffée, toujours bien mise, se glissant sans
bruit parmi ses milliers de boutons rangés précautieusement
dans des tiroirs s'étalant du sol
au plafond, où, aussi extraordinaire que cela puisse paraître,
elle trouvait toujours son bonheur sans aucune hésitation.
Elle revenait vers vous, la commande honorée dans les mains,
munie de cette arme qu'elle
seule possédait ; un sourire
d'une tendresse... avec ce petit
air malicieux dans les yeux, que
les paroles en devenaient superflues tant ses yeux pétillaient de
douceur.
De passage à Paris avec mes parents, les belles soirées d'automne 1961 nous invitèrent à
visionner sur "Les Champs", "Les
Années Célèbres" de Michel Boisrond, film superbe, avec Pierre
Brasseur, Alain Delon et Brigitte
Bardot. Mais aussi d'une incomparable comédienne qui, d'emblée, me transporta en un éclair,
chez ma mercière Clarisse.
La ressemblance était saisissante et la voix, surtout la Voix,
douce et grave, même fragilité,
mêmes intonations, même légè-
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Le Billet de Dany - Hiver 2012
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reté à se déplacer, pleine de délicates attentions.
Je venais de faire la connaissance d'une
comédienne exceptionnelle, associée à
jamais dans mon imaginaire à Clarisse,
ma mercière : Suzanne Flon.
Depuis cet instant, chaque fois que j'ai
pu aller voir un film avec Suzanne Flon, je
ne m'en suis pas privée.
Lors de nos déplacements dans la capitale, mon mari et moi mettions un point
d'honneur à aller l'applaudir au théâtre.
Ce fut toujours un enchantement, une
pure merveille, notamment quand, accompagnés de Clarisse, ma mercière préférée, avant qu'elle ne parte pour le
grand voyage.
Originaire des Vosges, Suzanne Flon voit
le jour dans une famille modeste au
Kremlin-Bicêtre, le 28 janvier 1918. Elle
est la cadette et unique fille de la famille.
Papa était cheminot, Maman, brodeuse
de perles.
Suzanne voudrait bien faire du théâtre
ou de la comédie, mais ses parents préféreraient qu'elle devienne institutrice.
Tout doucement, malgré tout, elle découvre son chemin et la comédie, grâce à
l'une de ses institutrices qui lui transmet
le goût d'apprendre et de réciter des vers.
Comme elle est assez douée en anglais,
elle devient interprète au grand magasin
du Printemps. Là, elle attire l'attention
de la Môme Piaf qui lui propose de devenir sa secrétaire.
Édith est de tout suite conquise par sa
nouvelle découverte, parce qu'elle mord
les côtelettes d'agneau à pleines dents
et adore rire.
Viennent ses débuts sur les planches en
1943, au cinéma la même année avec Le
Colonel Chabert.
Depuis, 45 pièces de théâtre et plus de
60 films sont venus complèter le panorama de cette grande Dame, parmi lesquels : Le Moulin Rouge de John Huston
en 1952 (une tendre liaison entre Suzanne et John est restée longtemps secrète, mais tout aussi discrète que
passionnée), Un Singe en Hiver d'Henri Verneuil en 1962
avec Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo, Le Procès d'Orson Welles en 1963, Le Train de John Frankenheimer en
1964, Les Volets Clos de Jean-Claude Brialy en 1972, Monsieur Klein de Joseph Losey en 1976, avec Alain Delon,
Effroyables Jardins de jean Becker en 2003 mais aussi, et
je m'en voudrais de passer sous silence sa courte apparition dans La Septième Cible aux côtés de Lino Ventura
et de Robert Dhéran qui vient de la rejoindre au pays
éternel.
« Au théâtre, c'est mon héritière », disait
d'elle Madeleine Renaud. Dès ses débuts,
Suzanne devient l'égérie du dramaturge
Jean Anouilh. Elle ne cesse de déclamer
les plus beaux vers sur les plus belles
scènes. Qu'ils soient de Pirandelleo,
Tchékhov ou Shakespeare.
Bien que discrète, elle se voit récompensée à deux reprises par un césar du Meilleur second rôle féminin. Une première
fois en 1984 dans L'Été Meurtrier de Jean
Becker avec Isabelle Adjani et Alain Souchon, et une seconde fois en 1990 pour
La Vouivre de Georges Wilson.
Deux molières la sacrent Meilleure comédienne de l'année en 1987 dans Léopold le Bien-Aimé et, en 1995, dans La
Chambre d'Amis.
Au plan international, c'est la Mostra de
Venise qui en 1961 la déclare "Meilleure
actrice" en lui décernant La Coupe Volpi pour son rôle
dans Tu ne tueras point de Claude Autant-Lara.
En 2002, un Brigadier d'Honneur lui est remis pour l'ensemble de sa carrière et, en 2005, elle couronne son remarquable parcours avec le rôle magnifique de la
Grand-Mère excentrique que lui offre Danièle Thompson dans Fauteuils d'Orchestre.
Le temps suspend son souffle jusqu'au 15 juin 2005, où,
atteinte d'une gastro-entérite, "La Sono Cassée" se tait
définitivement à l'orée d'un été se voulant meurtrier.
Cela fera bientôt 8 ans que Suzanne nous a salués.
Je garde au fond de mon cœur les rayons de soleil
qu’elle nous a donnés et cette gentillesse aussi malicieuse que discrète qu'elle savait, à nulle autre pareille,
nous distiller.
Avec mes pensées les plus affectueuses, Suzanne. 3
JEAN-JACQUES DESCAMPS, fidèle collaborateur de
France Magazine pendant des années, a décidé
comme candide d’aller cultiver son jardin de plantes
médicinales bio. Il vous invite à aller le visiter en tous
temps.
www.lejardindejacky.ch
Email : [email protected]

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