histoire d`eau

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histoire d`eau
Extrait du bulletin des naturalistes des Yvelines. Avec l’aimable autorisation de Jérôme PIGUET et
Alain MORAND (conservateur de la réserve Naturelle).
Pour le Club de Voile de St Quentin, Benoit NEROT
HISTOIRE D’EAU
Par Jérôme PIGUET (responsable des animations de la Réserve Naturelle)
L’étang de St Quentin en Yvelines offre le paradoxe apparent d’une Réserve Naturelle établie sur
un étang artificiel entouré de terrains modelés et remodelés maintes fois par l’activité humaine.
Les Grandes Eaux
Quand, en 1661, Louis XIV âgé de vingt-trois ans accède enfin au trône, son choix est fait de ne
pas maintenir sa cour au palais du Louvre. Etait-ce parce qu’une méfiance envers le remuant peuple
parisien lui restait en souvenir de sa fuite, à huit ans, devant les agitations de la fronde ? Ou bien voulut-il
créer de toute pièce une demeure à la mesure de son ambition et ainsi « rentabiliser » en quelque sorte
ses vint-trois années d’une éducation princière, âpre et difficile, en surpassant son père et ses
prédécesseurs ? Toujours est-il que son choix s’était porté sur un « vilain » petit château de briques, sis
en plein marais, où il avait connu quelques répits lors de ses parties de chasse.
A l’époque, lorsqu’on pensait château, on comprenait non seulement les bâtiments, mais aussi les
jardins (à la française), écrins de verdure pour les jeux de fontaines, de cascades et de jets d’eau qui en
étaient l’apanage principal.
Colbert et quelques autres osèrent faire humblement remarquer à sa majesté que le problème de
l’eau, indisponible à Versailles hormis quelques « mares puantes » obérait le projet, mais comme disait
Mitterrand, « on ne peut rien contre la volonté d’un homme », surtout si c’est le roi.
La course à l’eau était donc lancée et elle mobilisa pendant environ trente ans les savants, les
ingénieurs et les techniciens les plus brillants de l’époque.
Le drainage des terres environnant Versailles ne permit que la réalisation de quelques réservoirs
(Etang de Clagny, réservoir de Montbauron, Gobert, …)
Les premières Grandes Eaux, en 1666 ne purent bénéficier que de quelques 600 m³ par jour : les
fontaines devaient donc jaillir alternativement. En 1667, la construction des trois réservoirs de Glaise
permit de disposer de 5000 m³ mais une fois vidés, il fallait attendre plusieurs jours leur remplissage
assuré par une batterie de moulins et de machines à chevaux, à l’efficacité toute relative.
Le barrage du cours de la Bièvre, par l’étang du Val, en 1668, la réalisation de nouvelles
machineries et moulins destinés à faire franchir à l’eau la bute de Satory, de nouveaux réservoirs (Satory
72000 m³), la tentative de récupérer les eaux après leur jaillissement dans les réservoirs sous le Parterre
d’eau, ne suffirent pas à suivre le rythme de construction des jeux d’eau du parc toujours en extension. En
1672, c’étaient 2400 jets d’eaux qui pouvaient fonctionner, contre seulement 600 de nos jours.
A leur apogée, les jeux d’eaux consommaient 6300 m³ à l’heure pendant 3 heures de spectacle.
Le personnage providentiel fut alors l’abbé Picard (1620-1682). Astronome et géodésien, il fut
l’inventeur de la lunette à visée qui permit de réaliser des nivellements avec précision de l’ordre d’1 cm
par km.
Il évita d’abord au Roi de s’embarquer dans l’aventure ruineuse que préconisait le Sieur Riquet :
aller chercher l’eau de la Loire. L’abbé Picard démontra que le point de captage dont la hauteur aurait pu
convenir se situait à plus de 200 km de Versailles.
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Ses études aux environs du château, ouvraient de nouvelles perspectives, en établissant que ce
qui sera le fond de l’étang de Trappes (aujourd’hui St Quentin) se trouvait à 5 m au-dessus du réservoir
de Thetys, ceux de Bois d’Arcy et Bois Robert (asséchés en 1807) à 8 m au-dessus.
Le drainage du plateau de Saclay et de celui de la plaine de Trappes, pouvait commencer avec
les deux réseaux des étangs gravitaires.
Ces plateaux marécageux, constellés de mares plus ou moins temporaires, dont la toponymie
garde la mémoire, furent certainement des paradis pour la sauvagine limicole en transit.
La quantité d’eau de pluie annuelle sur les terrains drainés est estimée à 75 millions de m³. Les
étangs en récupéraient entre 5 et 8 millions de m³.
La première étape fut donc la construction des étangs de Trappes qui amenaient en quatre
heures leurs eaux à la pièce d’eau des Suisses, via le réservoir de Satory, avec une pente de 1 mètre sur
7800 mètres (soit 0,12 ‰).
Suivirent les étangs inférieurs (1680-1685) : Saclay, Viliers, Orsigny, Trou Salé et Préclos (tous
eux asséchés).
Enfin la chaîne des étangs supérieurs, fut achevée en deux années (1684-1685), reliés à celui de
Trappes par le canal du « Grand lit de rivière » et comprenant l’étang des Noës, les étangs de Hollande
Bourgneuf, Malmaison (Corbet), Port Royal (Pourras), St Hubert, le Perray et la Tour.
L’ensemble des rigoles drainant les pluies jusqu’aux étangs représentait environ 180 km dont 34
pour le « Grand lit de rivière ».
Le débit théorique des étangs gravitaires montait jusqu’à 12.000 m³/jour, sans compter les fuites
et l’évaporation. Or, le fonctionnement ordinaire des fontaines, c’est à dire, seulement les fontaines
visibles du château requérait déjà 13.250 m³/jour. Le débit maximum de toutes les fontaines, lors de
grandes fêtes, s’élevait quant à lui à 75.600 m³/jour.
C’est pourquoi la course à l’eau continua avec l’édification de la machine de Marly, devant relever
l’eau de la Seine d’à peu près 140 mètres jusqu’au Château et qui fut somme toute à la fois une nouvelle
prouesse technique et un nouvel échec du point vue rendement.
« Last but not least », la conquête des eaux de l’Eure, à quelques 80 km à l’ouest de l’étang de la
Tour, après avoir englouti les nouvelles fortunes resta inachevée ; les 22.000 hommes de troupe engagés
dans cette entreprise durent reprendre le chemin du front, en 1668, lors de la guerre contre la ligue de
Ausbourg. Les travaux ne reprirent jamais et les fontaines du château furent condamnées à la pénurie.
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Carte n°1 : Chaîne des Etangs et Rigoles (adaptation d’après plusieurs cartes)
Les dynasties des « Fermiers-Laboureurs »
Jusqu’à la réalisation du système de rigoles qui l’a drainé, le plateau de Trappes recouvert de
limons imperméables, n’offrait que des terres lourdes, souvent marécageuses, parsemées de
nombreuses mares (lieu dit « Les 7 mares » à Elancourt, par exemple), comme le lieu l’atteste le nom
même de Maurepas, désignant un mauvais pâturage, ou parfois des affleurement des sables comme le
lieu dit « le désert » (près du Manet). Néanmoins, au XVII ème siècle, à Trappes et alentours sont établies
quelques fermes d’importance appartenant souvent à des ordres religieux. Ferme de la Villedieu à l’ordre
de Malte, Ferme de Villiers-le-Bâcle, Ferme du Manet, à la confrérie des Dames de Port Royal, Ferme de
Troux, Ferme Vaugien, Ferme du Château (de Trappes) appartenant aux Dames de la Maison Royale de
Saint-Louis à Saint-Cyr (sis non loin de la rivière Nord de l’étang de Bois Robert). Cette dernière ferme est
louée, de 1745 à 1772, à la famille Dailly, originaire de Trappes, première des trois grandes dynasties de
fermiers-laboureurs qui régnèrent jusqu’aux années 1970 sur la vie économique-agricole locale.
En 1760, est construit un mur percé de 23 portes, entourant les 6614 ha du Grand Parc du
Château.. Vous pouvez assez aisément retrouver les contours de ce domaine, en réunissant, sur une
carte au 1/25000, les points indiqués « Porte de … » (Porte de Sebaque, du Cerf-volant, Criton, de la
Bretèche, de Trappes …) En 1678, l’étang de Trappes est achevé.
(La hauteur moyenne de l’eau de l’Etang de St Quentin en Yvelines à la fin du XVIIIème siècles
jusqu’à la seconde guerre mondiale, excédait d’un mètre le niveau actuel).
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Sur ce domaine, entourant Versailles, le Roi Chasse à courre et à tir.Quatre mille hectares de
terres cultivables sont louées à 36 familles paysannes, qui eurent bientôt tendance à se considérer
comme une élite endogame. Parmicelles-ci nous rencontrons la deuxième famille de seigneurs de la
Terre, les Pluchets : avant la révolution, Pluchet père est fermier à la ferme royale de la Tremblaye à Bois
d’Arcy, et les fils à la ferme royale de Gally ou à celle de Troux. A l’époque, le roi-chasseur incarne
parfaitement le rôle de super prédateur, réservant à lui seul et sa meute, l’exploitation des ressources
cynégétique. Les paysans du domaine royal sont tenus de respecter le gibier : laisser sur pied une partie
des récoltes, ne pas faucher les prairies en période de nidification, ne pas défricher les remises à gibier
(deux petits bois de la base, l’un à l’ouest du golf, l’autre dans la zone des pêcheurs au nord de l’étang,
portent encore ces noms).
Malgré ces contraintes écologiques dont ils étaient largement dédommagés, les Fermiers du Roi
garnissent leur bas de laine. Lors de la vente des biens nationaux en 1792, les Pluchets achètent la
Ferme du Château. Et rachetant peu à peu les parcelles des communaux partagés entre les 262 familles
de Trappes, ils portent la surface exploitée de 235 hectares en 1812 à 410 hectares en 1900.
Les Dailly ont quant à eux acheté leur ferme des faubourg de Monfort en 1755. En 1900, les deux
fermes Dailly totalisent près de 300 hectares. Au début du XX ème siècle, les familles Pluchet et Dailly
emploient près de un trappiste sur quatre en âge de travailler. Entre 1812 et 1919, trois membres de la
famille Pluchet occuperont, pendant 71 ans, le fauteuil de maire de Trappes.
La fabrique de Dailly fut à l’origine une fabrique de fécule de pommes de terre. La culture de la
betterave s’étendant à partir de 1812, elle fut transformée en distillerie dont l’exutoire était les « mares
putrides », futur emplacement du bassin intermédiaire, lieu de prédilection pour les limicoles. Enfin sous le
règne de Cuypers, elle devint aussi conserverie de petits pois. Elle fut détruite en 1974.
Dès les années 1814, les Dailly se diversifient en prenant la charge de Maître de la Poste aux
chevaux de Paris (le relais de l’Etoile d’Or, à Trappes, en témoigne encore). Ils y feront fortune et seront à
l’origine du Crédit Foncier de France, vers 1880. On trouvera un Pluchet gouverneur de la Banque de
France (1920). Leurs descendants finiront sénateurs de l’Eure et de la seine et Marne.
En 1932, le domaine Pluchet passe aux mains d’immigrants belges, les Cuypers, troisième et
dernière exprssion du capitalisme agricole. Très vite le nouveau seigneur de la Terre absorbe toutes les
terres cultivables (± 650 hectares, les surfaces diminuant au fur et à mesure que s’installent le triage et le
dépôt du chemin de fer).
De 1970 à nos jours
Le rachat des terres, en 1972 par l’Agence Foncière préparant l’installation de la Base de Loisirs,
marquera le terme du passé agricole de Trappes.
L’histoire aurait pu prendre un autre tour, si la seconde guerre mondiale n’avait tué dans l’œuf ; un
projet grandiose d’aéroport intercontinental juxtaposant une plate forme terrestre et un plan d’eau pour les
hydravions.
Elaboré en 1936, ce projet avait emporté l’adhésion des « décideurs », devant le site du Bourget
sur lequel on se rabattit après la guerre.
Le lac (car alors sa taille lui aurait donné droit à ce nom) d’une profondeur de 6 mètres, aurait
atteint le bord du plateau, vers les Clayes-sous-Bois au Nord, Plaisir les Gâtines à l’ouest, et il aurait ètè
alimenté par les eaux de la Seine, grâce à la machine de Marly rénovée !
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Carte n°2 : projet d’aéroport sur l’étang de S-Quentin en Yvelines
Conclusion
Il est intéressant que, par un de ces retournements de sens dont l’histoire a le secret, cette œuvre
démesurée toute à la gloire à la gloire de l’homme par excellence, le Roi, manifestant sa volonté de
puissance jusque sur les éléments, est en passe de devenir, par la Réserve Naturelle de St-Quentin en
Yvelines et la réserve ornithologique de l’Etang de Saclay qu’elle abrite, et celles qu’elle devrait abriter
aux étangs de St Hubert, Pourras et Corbet, un sanctuaire de la Nature patiente.
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Carte n°3 : Situation topographique de la région autour de l’étang De St-Quentin
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Carte n°4 : Vue aérienne de l’étang de St Quentin en Yvelines
(d’après photo I.G.N, 1998)
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