la clientele des magasins, les habitants des bidonvilles - UN

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la clientele des magasins, les habitants des bidonvilles - UN
LA CLIENTELE DES MAGASINS, LES HABITANTS DES BIDONVILLES ET LES SANS-ABRI1
Extrêmes à l’ère de la mondialisation
Il s’agit d’un artifice cinématographique courant, conçu pour susciter un sentiment de culpabilité chez n’importe quel spectateur de cinéma. La
limousine s’arrête au bord du trottoir. La portière aux vitres réfléchissantes s’ouvre. De sous le vison frôlant le sol, une jambe galbée émerge.
La femme richissime pose pied à terre, et réussit tant bien que mal à ne pas trébucher sur le corps d’un sans-abri lorsque ses hauts talons se
fraient prétentieusement un chemin en direction du magasin qui vend des sacs Prada.
Cela pourrait se passer à Madison Avenue à New York, ou au Water Tower Plaza de Chicago. Cela pourrait avoir lieu à l’Admiralty de Hong
Kong, à Naughtiness City à Shanghai ou aux Champs-Elysées à Paris. Mais c’est le contraste évident qui est censé vous frapper. La
limousine. Le vison. Le corps dans la rue.
Ces images ont été montrées pour leurs effets comiques dans Le clochard de Beverly Hills et Un fauteuil pour deux, film des années 80.
Mais, comme l’indique ONU-HABITAT dans sa nouvelle publication, un rapport sur « L’état des villes dans le monde, 2004 », elles sont
désormais plus que des images de comédies sur pellicule. En effet, de plus en plus, leurs contrastes constituent des réalités de la vie citadine
au quotidien.
Scènes tirées d’un centre commercial
Le centre commercial clos et couvert, qui se trouvait autrefois exclusivement en banlieue, avec ses magasins phares et ses boutiques de haute
couture, s’est déplacé vers le centre ville. Que ce soit le Mall of America de Minneapolis ou le Shangri-la Plaza à Manille aux Philippines, les
murs se sont érigés, l’air conditionné s’est installé et des gardes de sécurité ont été recruté pour éloigner la racaille. Le shopping est devenu à
la fois le dénominateur commun et la face publique de ces projets de mondialisation. Pour presque tout le monde, c’est là un moyen d’« acheter
sa part » d’économie symbolique, tout en poursuivant ses rêves personnels dans un lieu public. Le danger de ce type de mondialisation est que
les lieux publics clos représentent une forme plus limitée de citoyenneté à laquelle il est inutile que les pauvres aspirent.
A l’instar des centres culturels construits pour la performance et l’exhibitionnisme, ces nouveaux centres commerciaux à usages multiples sont
des endroits où les citadins peuvent jouer le rôle du consommateur moderne cosmopolite et faire étalage de leurs connaissances et de leur
richesse. Ce type d’espace n’est pas tant, comme le prétendent bon nombre de critiques, « américain » qu’il est « moderne » et
« international ». Ou plutôt, bien qu’il ait fait sa première apparition aux Etats-Unis, il a été réimplanté dans toutes les villes du monde.
Selon le rapport « L’état des villes dans le monde, 2004 », de nombreux pays ont récemment connu une longue période de « shopping »
intense. Cette tendance ne tient pas seulement au fait que, grâce au développement économique, les consommateurs ont plus de loisirs et
d’argent de poche. Le « shopping » s’est intensifié suite à l’action d’un réseau institutionnel de magasins de vente au détail, de fabricants,
d’experts en marketing, de décorateurs, d’agences de publicité et de critiques indépendants qui donnent leurs avis sur les produits et les styles.
Il est modélisé ou stimulé par les politiques gouvernementales en matière de salaires et de taxes et, de plus en plus, par les traités
internationaux sur le commerce et les zones de libre échange.
La libéralisation des échanges commerciaux a contribué à mettre le shopping au rabais de style occidental à la portée des populations du
monde entier. Mais ces mêmes tendances ont également un impact négatif sur les citadins pauvres. Les changements structurels économiques
aux niveaux local, régional et mondial ont énormément profité à certains mais n’ont pas encore apporté à la majorité les bienfaits de la
mondialisation. Il y a davantage d’emplois, mais pas encore assez. Le fossé entre les riches et les pauvres s’élargit. Les bidonvilles prolifèrent.
Le nombre de
sans-abri s’accroît. Le reste d’entre nous continue apparemment à faire des achats.
Le pouvoir d’achat
L’intensification globale du shopping a été stimulée par les décisions gouvernementales de réduire les barrières d’entrée en faveur des
commerces de détail sous contrôle étranger, qui ont négocié l’ouverture de plus de magasins dans certains pays en développement. Le
shopping s’est aussi amélioré suite à la prolifération des cartes de crédit. Cependant, le plus important pour les gouvernements c’est la
compatibilité entre le shopping et leurs objectifs sociaux et culturels.
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1
SOWC/04/F/03.
A Singapour, par exemple, le gouvernement a décidé en 1996 que le shopping offrait l’image moderne suprême dont la ville-Etat avait
besoin pour attirer les investisseurs commerciaux multinationaux. En Chine, le shopping symbolise la modernité, l’accès aux marchés
mondiaux, un déblocage des marchés nationaux et une ouverture culturelle. On a constaté, aux Etats-Unis, que le shopping fait l’objet
d’un effort patriotique visant à soutenir l’économie, surtout en situation de crise politique et financière, facteur important dans un pays où
les deux tiers du produit national brut (PNB) dépendent des dépenses des consommateurs.
Aujourd’hui, l’intensification du shopping reflète aussi l’expansion stratégique des grandes marques mondiales. Les produits de luxe ne
sont désormais plus l’œuvre de talents artistiques individuels ni d’un savoir-faire artisanal collectif; ce sont des noms qui acquièrent leur
valeur par association avec un créateur célèbre, et qui confèrent cette valeur à l’entreprise qui les vend, sous diverses formes et à des prix
différents, comme une marque de statut social. La transformation des produits de luxe en marques force les entreprises à intensifier la
promotion. La construction de nouveaux magasins dans les principaux quartiers commerçants, dans le monde entier, est l’une des formes
de publicité les plus efficaces. Les sociétés multinationales de produits de luxe engagent comme architectes ceux-là même qui conçoivent
les espaces culturels à usages multiples et qui sont avidement sollicités par les autorités municipales.
Flâner au centre commercial
Les adolescents et les jeunes adultes constituent la clientèle la plus enthousiaste des magasins. Le shopping est après tout une façon de
chercher son identité et les jeunes gens se prêtent donc naturellement à ce genre d’expérience. Pour les adolescents, le shopping est
également un moyen de se faire des amis et, pour la jeune génération actuelle qui n’est guère impliquée dans la politique ou le
syndicalisme, c’est l’occasion d’entrer dans la sphère publique. Mais il ne s’agit pas de la sphère publique du café du quartier, de la place
du marché ou d’autres formes de culture locale traditionnelle. L’achat de produits mondialement connus comme des signes de jeunesse,
tels que les jeans, les chaussures et la musique, est une manière d’opposer une résistance à la sphère publique traditionnelle. C’est une
forme de rébellion des temps modernes. Comme le dit un écrivain à propos des jeunes de Singapour, ils créent des modes à partir d’une
« banque mondiale » d’images qui leur sont familières puisqu’elles sont tirées de films, de la télévision et des vidéos musicales qu’ils
consomment en guise de protestation. Dès lors, l’achat de produits mondiaux indique le rejet d’une politique qui s’identifie à la culture
traditionnelle ou locale1.
Les « autres » adolescents
Le coût de la vie métropolitaine détermine la richesse individuelle et la mobilité sociale. Pour un nombre croissant de citadins pauvres, la
ville ne promet plus une vie meilleure à leurs enfants. Sans compétences et en mauvaise santé, ils ne peuvent espérer rien d’autre qu’un
modique salaire. Aux feux de signalisation des villes, les enfants sont de plus en plus nombreux à se précipiter pour laver les pare-brise.
Les programmes dont la seule ambition est de procurer une éducation et des qualifications élémentaires aux pauvres, plutôt qu’une
formation de haute qualité, ne font qu’aggraver le problème, car pour être compétitifs, les jeunes doivent posséder des aptitudes
susceptibles d’améliorer la qualité de la production des biens et des services. Or une éducation de qualité est prohibitive dans la plupart
des villes.
La pauvreté a tendance à se concentrer dans certains quartiers qui sont généralement devenus l’habitat des citadins pauvres et des
groupes minoritaires : minorités raciales dans certaines sociétés et groupes d’immigrés dans d’autres. Les inégalités existantes et
historiques sur le plan racial et ethnique, entre pays et au sein des nations, sont exacerbées par la mondialisation. Les jeunes, qui
grandissent au contact du chômage et qui n’ont pas reçu l’éducation qu’ils méritaient, risquent de demeurer dans les quartiers pauvres, où
ils seront exposés à la criminalité et à l’insécurité.
Les sans-abri au sein des économies avancées
Le nombre sans précédent de sans-abri au sein des économies avancées est l’un des symptômes les plus visibles du changement social
à l’ère nouvelle de la mondialisation. Dans les banlieues de Paris, dans certains quartiers déshérités de la ville de Londres et dans les
ghettos de New York, la misère et les inégalités ont atteint des niveaux alarmants et inacceptables.
Le nombre de sans-abri en Europe occidentale est à son niveau le plus élevé en 50 ans; on n’avait plus vu cela depuis la fin de la
deuxième guerre mondiale. On estimait à trois millions le nombre d’Européens occidentaux sans-abri pendant l’hiver 2003. Toutefois, le
nombre croissant de sans-abri n’est pas exclusivement propre à l’Europe occidentale. Aux Etats-Unis, environ 3,5 millions de personnes
sont sans-abri, y compris entre 0,9 et 1,4 millions d’enfants. Au Canada, le nombre de sans-abri s’est accru régulièrement jusqu’à
atteindre un niveau bien supérieur à ce qu’il était au cours de la génération précédente. La population totale des sans-abri en Europe
occidentale et aux Etats-Unis combinés équivaut à la population entière du Danemark.
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1
Chua, 1998; à propos de l’Amérique latine, voir Garcia Canclini, 2001.
Depuis la fin des années 80, la pauvreté résulte de l’incapacité des gouvernements à assurer les conditions minimales permettant à la
majorité des citoyens d’entrer sur le marché. Dans le monde industrialisé, les filets de sécurité ne parviennent plus à protéger les couches
les plus vulnérables de la société. A un certain moment, les citadins pauvres qui se retrouvent sans-abri deviennent incapables de
mobiliser un capital social en termes de famille, de relations sociales, de liens communautaires et de valeurs partagées. Dépourvus de
leur capacité d’être compétitifs au sein de l’économie de marché et privés de l’assistance sociale de l’Etat et de capital social, la plupart de
ceux qui tombent dans le piège d’une situation sans-abri sont des gens dont la vulnérabilité a été aggravée par des problèmes de santé,
de drogue ou d’alcoolisme, ainsi que par des abus physiques et sexuels.
A New York, sur quatre personnes porteuses du virus du Sida une se trouve sans logis ou occupe un logement marginal. Une étude
réalisée à Los Angeles conclut que deux tiers des personnes souffrant du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) se retrouvent
sans logement. Selon les estimations en certains endroits, les taux d’infection par le VIH au sein des communautés de sans-abri iraient de
8,5 % à 19,5 % aux Etats-Unis. Les personnes souffrant du SIDA/VIH sont plus susceptibles de se retrouver sans logement puisque leurs
revenus sont engloutis par les frais médicaux.
Le profil du sans-abri a considérablement évolué au sein des économies avancées au cours de la dernière décennie. Le vieil « ivrogne »
échoué sur un banc public a été rejoint par des hommes plus jeunes, sans emploi et indigents; par des êtres confus et des malades
mentaux, effrayés par le rythme de l’activité environnante; par des femmes et des enfants fuyant des situations familiales violentes et
destructrices; par des adolescents rejetés par leur famille et qui ne s’en sortent plus ou qui ont abdiqué. Le parcours d’un sans-abri n’est
pas seulement lié à son histoire personnelle mais à celle de sa famille, ce qui témoigne de l’échec des services sociaux traditionnels à
pouvoir s’adapter à l’évolution de la société et de la famille.
Comme le montre très clairement le rapport d’ONU-HABITAT, la forte croissance du nombre de sans-abri enregistrée au cours de la
dernière décennie risque de se poursuivre. Dans un même temps, la résistance raciale, religieuse et culturelle continue de favoriser la
création de bidonvilles. Par réaction, cela entraîne la création de nouvelles communautés enclavées et de centres commerciaux clos
réservés aux plus riches. Pour les villes, le défi à relever dépasse la solution du problème des sans-abri. Il faut trouver des remèdes
efficaces pour abattre les murs de la pauvreté et lutter contre la tendance à la ségrégation sociale engendrée par une politique
d’urbanisation inadéquate.
Le clochard de Beverly Hills et Un fauteuil pour deux étaient des films qui cadraient très bien avec leur décennie. A l’ère de la
mondialisation, on ne peut vraiment plus se permettre d’en rire.
Le présent article d’ONU-HABITAT peut être repris ou cité à condition d’indiquer qu’ONU-HABITAT en est la source. Les
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