Nouvelles_files/Péritone et Globulus

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Péritone et Globulus ou L’improbable idylle Petite, déjà, Péritone était grande, montée en tige, atrocement étique bien qu’elle n’eut jamais souffert d’anorexie. Depuis sa naissance, elle était dotée d’un appétit d’ogresse, et sa mère dut se résoudre à embaucher non pas une mais deux nourrices afin d’amener le nourrisson à satiété. Bien sûr, Péritone n’avait pas toujours été appelée Péritone. Pour l’Etat civil, elle se prénommait Shirley car son père était dingue des vedettes de cinéma américaines ou autres (Shirley Temple, Shirley MacLaine, ou Shirley Tra La La -­‐ célèbre girl du « Cheval fou »). A l’âge de 10 ans, lors de sa première année de collège, en plein cours de géo, Shirley fut prise de convulsions subites qui la jetèrent à terre. Elle dégobilla tout son repas, et ceci impressionna fort désagréablement ses camarades. Une crise d’appendicite fut diagnostiquée, elle fut opérée. Le problème aurait du s’arrêter là, mais voilà que trois années plus tard, un matin, lors du cours de mathématiques, elle fut prise de convulsions subites qui la jetèrent à terre où elle dégobilla tout son petit déjeuner, et ceci révulsa ses camarades. Une crise d’appendicite fut diagnostiquée, elle fut réopérée. L’anatomie de Shirley recelait (au moins) deux appendices, alors que, généralement, les représentants de l’espèce humaine n’en sont dotés que d’une, seule et unique, et la conservent souvent leur existence durant, la nécessité d’une ablation n’étant pas toujours justifiée. C’est pour cette raison que ses camarades de collège l’affublèrent du surnom de Péritone… Les enfants sont méchants ! Globulus, bien sûr, n’avait pas toujours été nommé Globulus. Pour l’Etat civil, il était Gérald. Très court sur pattes, il développait un abdomen proéminant et rond, une tête en forme de boule. Cette conformation physique qui confinait à la difformité était imputable à une maladie orpheline de la formulation sanguine qui entravait sa croissance et le développement harmonieux de ses proportions. En outre, le crâne de Gérald était vierge de tout cheveu, ce qui en faisait véritablement un aérodrome à coléoptères. A la moindre contrariété, Gérald se lamentait : « Aïe mes globules ! J’ai mal à mes globules ! ». Le statut surprotégé que lui conférait sa pathologie avait pour effet d’exaspérer ses camarades de pension qui se trouvaient entravés dans leurs élans naturels à faire de Gérald leur tête de turc : on ne pouvait sans impunité le malmener, le violenter, lui faire des croche-­‐
pieds. Ceux-­‐ci trouvèrent donc une voie de défoulement en le surnommant Globulus… Les enfants sont si méchants ! A force de vivre au raz du sol, Globulus avait développé une proximité avec les insectes. Ils étaient ses amis. Ses activités d’entomologiste en herbe l’avaient conduit à fonder une nursery pour bébés blattes, jusqu’au jour où ses parents organisèrent le génocide de ces dernières. L’Académie (de Médecine, s’entend) adorait plonger dans les cas atypiques. Ainsi, Péritone et Globulus auraient pu se croiser et lier connaissance lors de symposiums médico-­‐scientifiques où l’un et l’autre étaient fréquemment conviés à titre d’énigmes pour les spécialistes, généticiens, globulistes ou autres nutrirationnistes. Mais tel ne fut pas le cas. Et le temps passa… Suite à son renoncement forcé pour la vie des cafards, Globulus s’était pris de passion pour les cétoines dont il aimait admirer les spécimens au Muséum d’histoire naturelle. Péritone quant à elle était doctorante à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle préparait une thèse sur «La muséologie et l’éthique de la conservation des espèces en bocal ». Ce fut un 25 septembre, à 15H45 précises, que la rencontre se produisit. On était mercredi. Un groupe d’enfants conduit par des animateurs socioculturels déboula en force au troisième niveau du Muséum, très excité et fort peu intéressé par la visite. Globulus fut bousculé et roula telle une boule de billard contre l’une des vitrines hébergeant des cétoines décédés, conservés là selon divers conditionnements mortuaires. Sous l’effet de l’impact, la vitrine vola en éclats, aspergeant de ses contenus une jeune fille longue et maigre en train d’examiner la couleur des bocaux et d’étalonner les degrés de délitement des insectes. Les enfants s’égaillèrent dans la pagaille de leur méfait, riant aux éclats ; ils ne regretteraient pas leur sortie au Muséum d’histoire naturelle ! Pendant ce temps-­‐là, les deux victimes étaient à terre, shootées par les vapeurs éthyliques échappées des bocaux brisés, les membres arachnéens de Péritone enserrant les rotondités bulbesques de Globulus. C’est ainsi que Shirley-­‐Péritone et Gérald-­‐Globulus convolèrent. Nonobstant leurs conformations physiques respectives, ils copulèrent, et enfantèrent. Les codes sériels génétiques de leur progéniture pourraient être ainsi représentés : I 8 I 8. Filles (I) et garçons (8) restaient, du point de vue de leur apparence, scrupuleusement fidèles aux caractéristiques et antécédents familiaux (notons encore que les 8, c'est-­‐à-­‐dire les garçons, avaient également hérité l’alopécie de leur père). Avec l’avènement de leur cinquième enfant, leur destinée se corsa… L’enfant était de sexe féminin, bien que très différente de ses sœurs les I. Dès sa seizième année, force était de constater qu’elle avait atteint la taille d’un mètre soixante quinze, développé de superbes volumes, et déployait des courbures absolument harmonieuses. Bref : elle était vraiment canon ! Blonde (comme il sied à un canon), elle se trouvait dans la ligne de mire de plusieurs agences de mannequinat, mais ce fut l’Académie (non celle des Beaux Arts mais celle de Médecine, s’entend) qui s’en emparât : cette bombe anatomique se différenciait tant de sa parenté qu’elle devint suspecte aux yeux de la Science. Cas ou canon, on est comme on nait. Mais… les gens sont bien méchants ! Cécile