Les encres végétales font désormais jeu égal - WAN-IFRA

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Les encres végétales font désormais jeu égal - WAN-IFRA
Dossier
juin 2002
techniques de presse
Tendances
Les encres végétales
font désormais jeu égal
Jérôme Godin
Directeur technique et
responsable du laboratoire recherche & développement de Trenal
techniques de presse : Depuis 1987, la société Trenal est considérée comme le
pionnier des encres à base d’huiles végétales sur le marché européen. Cela signifie-t-il que la totalité de votre production
est faite à partir de ce type d’huile ?
Jérôme Godin : Il est important premièrement de préciser que lorsque Trenal parle
d’encres végétales cela veut dire qu’elles
sont basées à 100 % sur des huiles végétales, le terme souvent utilisé dans notre
industrie est « mineral oil free inks ». Aux
Etats-Unis, une encre est dite « végétale »
dès lors qu’elle contient 30 % d’huile
végétale dans sa formulation. Depuis le
lancement de nos encres végétales nous
défendons leurs avantages en facilité
d’utilisation, qualité d’impression (meilleurs contrastes, vivacité des couleurs et
du noir, netteté du point de trame...) et,
évidemment, pour l’environnement.
Les détracteurs de ces encres n’ont pas
manqué de nous attaquer sur tous ces
points par le passé, cependant l’augmentation du nombre d’imprimeries utilisant
(parfois exclusivement) ces encres plaident
en notre faveur. Historiquement, nous
avons toujours proposé parallèlement des
encres basées sur des huiles minérales ou
mixtes (comportant les deux types d’huiles) soit pour des raisons de prix, soit afin
de résoudre des problèmes particuliers. Par
exemple, les encres mixtes ont apporté
une solution lors de problèmes d’impression sur des papiers spéciaux. Nous les
conseillons pour les papiers UPM Pro,
A ce titre, il participe à la mise au
point des nouvelles encres et à
l’élaboration des
procédures pour
les tests qui sont
quotidiennement
réalisés sur les
encres produites
par Trenal ou
sont effectués à
la demande des
imprimeurs pour
des essais particuliers (nouvelles
machines, papiers spéciaux,
optimisation...).
Unité de production des encres heatset couleur :
Trenal en produit près de 10 000 tonnes par an.
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cette qualité de papier amélioré qui permet
aux imprimeurs coldset de produire sans
sécheur des imprimés proches de la qualité
de certains magazines.
Le facteur prix reste souvent décisif dans
l’achat des encres coldset noires. Seulement 15 % de notre production est totalement végétale dans cette catégorie. Dans
les encres noires, le pigment, c’est-à-dire
le noir de carbone, est relativement bon
marché ; le prix de l’encre coldset noire
sera donc déterminé principalement par le
type d’huile utilisé. En utilisant des huiles
minérales peu coûteuses, il est possible
d’obtenir une encre à un prix compétitif.
Si des encres végétales entrent dans la
fabrication des encres noires, le prix va
augmenter et les acheteurs, surtout en ce
moment, regardent malheureusement plus
le prix d’achat que la qualité finale.
La composition des encres coldset couleur
joue en faveur des encres végétales. En
2001, 80 % de notre production coldset
couleur était des encres végétales. Dans
cette catégorie, les pigments organiques,
beaucoup plus chers que le noir de carbone, vont être le facteur prépondérant
dans le prix de l’encre. On peut donc mettre une huile végétale sans affecter le prix
global de l’encre. De plus, les huiles minérales qui entrent dans la composition des
encres couleur doivent être plus raffinées,
ce qui fait au final qu’elles coûtent le
même prix que des huiles végétales donc
autant utiliser ces dernières !
tdp : Existe-t-il de fortes variations sur le
prix des matières premières utilisées dans
les encres végétales ?
Jérôme Godin : Dans les années 70, les
fournisseurs d’encres américains ont commencé à s’intéresser aux encres végétales
après les chocs pétroliers afin d’être moins
vulnérables en cas de crise.
Les huiles végétales sont relativement à
l’abri de ce type de problèmes et les
« jachères » sont suffisamment nombreuses
dans le monde pour générer les matières
premières nécessaires. Cela dit, nous sommes également tributaires des politiques
techniques de presse
juin 2002
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« Un jour prochain, la loi sera plus précise et les encres végétales
pourront vraiment décoller, ce qui sera salutaire pour tout le
Jerôme Godin
monde. »
agricoles. Nous consommons chaque année environ 4000 tonnes d’huiles végétales. Nous avons généralement le choix
entre l’huile de soja, de colza ou de tournesol pour fabriquer nos encres. On pourrait également ajouter l’huile de palme
(bien que solide à température ambiante)
couramment utilisée dans les pays asiatiques ou le lin.
Techniquement, une formulation basée sur
l’ensemble de ces huiles est possible pour
des applications coldset. Le choix dépend
ensuite des tarifs que nous pouvons obtenir sur les marchés. Sur les trois dernières
années nous avons quasiment toujours
utilisé l’huile de soja. L’huile de colza
étant difficile à obtenir car cette plante est
très demandée pour des applications énergétiques comme le biodiesel. Les fournisseurs d’encres ne constituent pas une force
d’achat suffisante pour bousculer l’ordre
établi. Si toutes les encres coldset étaient
basées sur des huiles végétales, elles ponctionneraient moins d’1 % de la production
mondiale d’huiles végétales.
tdp : Les huiles entrent à hauteur de
60 % dans la fabrication des encres, d’autres composants sont-ils nocifs pour l’environnement ?
Jérôme Godin : Tous les fabricants
d’encres utilisent actuellement des pigments organiques. Les pigments contenant
des métaux lourds ne sont plus utilisés
dans notre industrie depuis déjà des années. Il faut savoir qu’au niveau européen,
aucune réglementation n’oblige à utiliser
des produits écologiques pour formuler les
encres. Mais les préoccupations environnementales de la communauté européenne
militent en faveur d’une telle réglementation. Un jour prochain, la loi sera plus
précise et les encres végétales pourront
vraiment décoller, ce qui sera salutaire
pour tout le monde.
tdp : Fabriquez-vous vos encres avec des
pigments sous forme de poudres sèches ou
sous forme de flushs. L’utilisation de l’une
ou de l’autre de ces méthodes d’incorpo-
pigments secs. Les encres heatset sont au
contraire basées sur la technologie du
flush ce qui nous permet d’obtenir, lors de
l’impression, un niveau de brillance supérieur par rapport aux encres basées sur des
pigments secs. Cette propriété est recherchée en heatset. En coldset, l’encre pénètre
dans le papier journal et l’effet de brillance n’est pas possible.
Dans la technique du flush, la taille des
particules est assez petite pour être directement utilisée et produire l’encre sans
devoir passer par un broyeur.
Le flush est assez cher, peut-être parce
qu’il ne subsiste plus en Europe qu’un seul
fournisseur. Aux Etats-Unis, plus de fournisseurs cohabitent et, la nécessité, du fait
de l’étendue du territoire, de décentraliser
les unités de production joue en faveur
du flush.
Réaliser des encres à partir de pigments
secs demanderait de gros investissements
(les broyeurs sont des équipements onéreux). Les unités produisant des encres à
partir de flush demandent comparativement moins d’investissement.
ration des pigments influe-t-elle sur la
qualité finale de l’encre ou sur son prix ?
Pourquoi la méthode flush est-elle si
courante aux Etats-Unis et si rare en
Europe ?
Jérôme Godin : De part sa nature chimique, le noir de carbone n’existe pas
sous forme de flush. Techniquement, pour
les encres couleur, nous pourrions utiliser
les deux méthodes. La méthode du flush
ne présente pas d’amélioration particulière
pour les encres coldset par rapport à une
formulation à base de pigments secs.
Dans le cas des encres basées sur des poudres sèches, la taille des particules de
pigments est trop importante pour être
utilisée directement en impression offset.
Il faut donc passer l’encre dans des
broyeurs afin de casser ces agglomérats de
pigments et obtenir la finesse nécessaire.
Notre référence est une taille de pigment
inférieure à 5 microns.
Notre laboratoire vérifie, pendant la production des encres, que cette taille de particule est respectée. Chez Trenal, toutes les
applications coldset sont faites à partir de
> Une structure très spécialisée
Dans le concert des regroupements, Trenal fait figure d’exception dans le
monde des Industries Graphiques. Cette entreprise familiale représente
environ 15 % du marché des encres coldset en Europe et réalise 50 millions
d’euros de chiffre d’affaires. La société emploie une centaine de personnes
dont 48 sur son principal site de production de Lessines en Belgique. Le secret
de sa longévité s’explique par une forte spécialisation dans les encres coldset
et heatset destinées à la presse et par une capacité d’innovation qui ne s’est
pas démentie depuis le lancement sur le marché des premières encres végétales européennes.
Le site de production de Lessines (capacité de 30 000 tonnes par an ; certifié ISO 9002 depuis 1994) frappe par sa modernité : le processus de fabrication est totalement automatisé et la production est pilotée par ordinateur.
Mais ce qui intéressera le plus les spécialistes c’est le laboratoire (huit
personnes y sont affectées) qui effectue en permanence des tests sur les productions en cours, des essais spécifiques à la demande des imprimeries (certaines souhaitant une sorte de rapport de production avec la livraison des encres) ou participent à la mise au point d’encres en fonction de l’évolution des
papiers et des rotatives.
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En 2001, 80 % de la production coldset couleur de la
société Trenal était réalisée à partir d’huiles végétales.
La production totale de coldset couleur est d’environ
11 000 tonnes par an.
L’unité de production de coldset noir génère une production d’environ 18 000 tonnes par an. Sur ce total,
une infime partie (10 à 15 %) est réalisée à partir
d’huiles végétales.
tdp : Les encres doivent rester stables lors
du processus d’impression et pénétrer le
plus rapidement possible dès qu’elles sont
déposées sur le support : quels sont les
progrès réalisés et grâce à quelles techniques/chimie sachant que les rotatives
sont de plus en plus rapides, que la technologie d’encrage court évolue et que l’on
parle maintenant d’offset sec ?
Jérôme Godin : Chaque fois que nous le
pouvons, nous travaillons en étroite collaboration avec les fabricants de rotatives
lors de la conception de nouvelles machines. Malheureusement, nous sommes
souvent invités à participer aux discussions assez tardivement.
Si l’on dresse un bilan des dernières
« grandes » innovations dans le domaine
des rotatives, Trenal a développé des gammes d’encres destinées à suivre l’accélération de la vitesse des rotatives ou à
s’adapter aux derniers systèmes d’encrage
sans vis mis au point ces dernières années
(la Wifag 570 GTD USIS, les machines
Anilox de KBA et MAN, Goss Colorflow,
Mitsubishi Key-less...). La rapidité des machines ne cause pas vraiment de soucis si
l’on respecte certaines adaptations de la
balance eau-encre et l’évolution des propriétés rhéologiques de l’encre lorsqu’elle
est soumise à ces nouvelles contraintes.
Côté encrages courts, Trenal est très fier
d’être, depuis 1998, la seule qualité d’encre permettant un bon résultat d’impression aux journaux du groupe Amaury (Le
Parisien et l’Equipe) et du journal « Le
Monde » . Nos encres « Key-less » sont les
mieux adaptées pour les rotatives Wifag
570 GTD USIS dotées d’une technologie
« Ultra Short Inking System ».
Les derniers développements sur lesquels
nous travaillons activement sont les en-
cres dites « Waterless » pour le nouveau
modèle de rotative Cortina de KBA et
l’amélioration de l’impression en configurations satellites pour le papier UPM Pro.
Les tests sur la Cortina sont positifs, du
moins pour des tirages de 35 000 exemplaires déjà réalisés avec nos encres. Il
faut maintenant attendre que KBA trouve
un premier site de production afin de véritablement tester des productions industrielles. L’offset sec implique d’analyser
la modification des comportements mécaniques des encres dans ce nouvel environnement.
Depuis deux ans nous avons démarré la
production d’encres couleur mixtes, combinant les meilleures caractéristiques de la
technologie d’encres minérales et végétales et avec une concentration de pigments
élevée. Ces encres ont été mises au point
pour améliorer l’impression sur le nouveau papier UPM Pro. C’est un papier
couché moins poreux pour l’impression
coldset sur lequel on doit donc avoir une
pénétration de l’encre plus rapide. En
configuration satellite, on peut avoir des
dépôts sur les cylindres de contre-pression
avec ce papier. Avec les encres mixtes, les
dépôts diminuent.
Nos encres servent à imprimer un magazine réalisé sur papier UPM Pro à l’imprimerie Saint-Paul au Luxembourg. Cette
imprimerie a d’ailleurs joué un rôle très
actif dans la mise au point de ces encres
mixtes.
tdp : Les encres végétales avaient la réputation de causer des difficultés techniques
et de créer des soucis de nettoyage et de
désencrage : comment répondez-vous à
ces critiques ? Où en sommes-nous également sur les produits de nettoyage à base
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de produits végétaux (cf. projet européen
Subsprint) ?
Jérôme Godin : Avec les encres végétales,
le réglage de la balance eau/encre est plus
rapidement atteint. Ce qui doit se traduire
par moins de gâche papier, ceci est très
important pour les journaux à multiples
éditions. Cette balance s’avère aussi plus
stable en cours de tirage qu’avec des
encres minérales.
Le nettoyage ne cause pas de problèmes
particuliers, idem pour le désencrage,
certaines études récentes menées par l’institut INGEDE à Munich ont montré que
les imprimés réalisés avec des encres
végétales sont tout aussi facilement désencrables que ceux utilisant des encres
minérales.
Nous produisons dans notre usine de Lessines une gamme de produits de nettoyage
basés sur des esters d’huiles végétales
obtenus avec diverses plantes (colza, soja,
noix de coco, etc.). Certains ont d’ailleurs
le label européen Subsprint. L’utilisation
de ces produits suppose une autre façon
de nettoyer car ils ne s’évaporent pas
comme les produits à base pétrolière. Il
faut donc essuyer et rincer. L’avantage est
qu’ils sont très efficaces (un pouvoir solvant élevé) et ne sont pas nocifs pour les
gens et l’environnement.
Ces produits sont plus chers mais ont des
propriétés de nettoyage supérieures donc
leur consommation est plus réduite. Il
convient également de considérer d’autres
questions importantes comme la sécurité
de l’imprimerie des produits à bas point
d’ébullition (risque d’incendie, prime d’assurance plus élevée) et là, les produits à
base végétale ne causent pas ces soucis
habituels de stockage.
tdp : Certains de vos clients sont-ils certifiés ISO 14 000 et comment travaillezvous avec eux ? Vous-mêmes, ressentezvous le besoin d’être ISO 14 000 ?
Jérôme Godin : Nous nous sommes
concentrés sur la norme ISO 9002 que
nous avons obtenu en 1994 et qui va
bientôt passer 9001. Nous sommes donc
en train de revoir notre manuel de qualité.
Nous n’avons pas de demandes particulières de nos clients concernant cette norme ISO 14 000.
L’interview a été réalisée par Valérie Arnould, rédactrice
en chef de techniques de presse.

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