PARADOXE SUR LE DROIT MEDICAL Le Code d`Hammourabi

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PARADOXE SUR LE DROIT MEDICAL Le Code d`Hammourabi
PARADOXE SUR LE DROIT MEDICAL
Le Code d'Hammourabi (1752 av. J-C) renferme les premières dispositions concernant la
responsabilité pénale du médecin. La faute du chirurgien est sanctionnée par la mutilation du
bras.
Plus près de nous – et contrairement à une idée reçue – les tribunaux civils ont maintes fois
condamné les médecins. On peut citer les deux arrêts célèbres de la Cour de cassation des 18
juin 1835 et 21 juillet 1862 rendus (1) sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code
Civil. Dans ce dernier, la cour jugeait "qu'il était de la sagesse du juge de ne pas s'ingérer
témérairement dans l'examen des théories médicales et prétendre discuter des questions de
pure science ... mais que les médecins restent soumis au droit commun"….
I - L'arrêt Mercier (2) rendu par la Cour de cassation, le 20 mai 1936, pose des principes
nouveaux toujours en vigueur (Code de déontologie médicale art. 32).
Abandonnant le délit et le quasi-délit, il fonde les relations patient – médecin sur le contrat et
l'obligation de moyens. "Il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat
comportant pour le praticien, l'engagement sinon bien évidemment de guérir son malade, du
moins de lui donner des soins, non pas quelconques mais consciencieux et attentifs et, réserve
faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science".
Le patient devait donc s'attacher à établir un lien de causalité entre la faute de son praticien et
le préjudice subi (art. 1315 C. civ.). Cependant, selon l'expression de M. le Professeur
Mémeteau, celui-ci pliait sous la charge de la preuve (3).
Aussi, la Cour de cassation a-t-elle chercher à alléger ce lien de causalité en l'affectant d'un
doute.
II - Trois théories jurisprudentielles sont venues au secours du patient :
A – Les présomptions suffisamment graves précises et concordantes :
Dans une affaire jugée le 14 décembre 1965 (4) un enfant ayant fait une chute fut soigné par
un médecin qui diagnostica une fracture de l'humérus. Ce dernier estima inutile de pratiquer
une réduction. L'enfant éprouvant toujours une gêne fut examiné par un second médecin qui
décela une luxation. Lors du procès, les experts émirent des doutes sur les résultats de la
réduction qui n'avait pas été pratiquée. Cependant, la Cour de cassation jugea "qu'il existait
des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes pour admettre que l'invalidité
était la conséquence directe de la faute du docteur".
Plus récemment, il convient de citer l'arrêt du 21 mai 1996 de la Cour de cassation dans lequel
"une clinique est présumée responsable d'une infection (nosocomiale) contractée dans une
salle d'opérations – à moins de prouver l'absence de faute de sa part" (5).
B – La perte de chance de guérison ou de survie :
Celle-ci a une origine étrangère au droit médical. Certains auteurs citent l'accident d'un cheval
de course dû à la mauvaise conduite de son van. Le propriétaire de ce crack fut indemnisé sur
le fondement de la perte de chance encourue sur le champ de course. On pronostiquait, en
effet, la victoire du cheval.
En matière médicale, il est bon de citer l'arrêt rendu le 18 mars 1969 par la Cour suprême :
(6).
Le patient opéré d'une appendicite décède quelques jours plus tard d'une crise d'urémie. "En
s'abstenant des examens préopératoires normalement pratiqués en pareil cas, juge la Cour, le
docteur a privé son patient d'une chance de survie. Ayant retenu une faute du chirurgien,
l'arrêt attaqué a pu sans se contredire décider que s'il n'était pas certain que la faute du
médecin avait été la cause du décès, elle n'en a pas moins privé le patient d'une chance de
survie". Le doute affectant le lien de causalité entre la faute et le préjudice entraîne une
indemnisation partielle. La Cour d'appel de Lyon, dans un arrêt du 31 mars 1994, a condamné
un psychiatre n'ayant pas ordonné les médicaments appropriés. "Cette attitude constitue un
manquement à son obligation de moyens, qui n'est pas la cause du préjudice subi, mais qui a
enlevé à la patiente une chance d'éviter un geste suicidaire" (7).
La théorie de la perte de chance a suscité des protestations.
D'une part, la Cour de cassation, dans l'arrêt Godde a rappelé à la logique la Cour d'appel de
Versailles. Celle-ci constatant l'absence de preuve d'une relation de cause à effet entre la faute
médicale et la réalisation du dommage, avait pallié cette défaillance par l'usage de la notion de
perte de chance (8).
D'autre part, la doctrine a révélé une confusion dans l'invocation de la perte de chance en
matière de causalité (Savatier, Mémeteau, Penneau) (9).
Enfin, la sémantique écarte toute expression utilisée pour masquer les aspects d'un langage
que nous connaissons mal (ou sous la forme du calcul des probabilités) (cf. les travaux de N.
Chomsky).
C – Le renversement de la charge de la preuve de l'information :
En cas d'accident médical, c'était au patient d'apporter la preuve que le médecin ne l'a pas
informé des risques et des conséquences du traitement proposé (Cass. 29 mai 1951) (10).
Mais compte tenu de son ignorance en matière médicale, il était quasi-impossible au patient
d'administrer cette preuve (11).
L'arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997 (12) mettant l'information à la charge du
médecin a modifié profondément le droit de la responsabilité médicale. En fait, le problème
n'est pas neuf. Le Code de déontologie médicale impose au médecin "une information loyale,
claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose" (art. 35). Par
voie de conséquence, "le consentement de la personne soignée doit être recherché dans tous
les cas" (art. 36).
Il faut bien avouer que cette information était donnée chichement. Le professeur Portes
n'écrivait-il pas : "Face au patient inerte et passif, le médecin n'a en aucune manière le
sentiment d'avoir affaire à un être libre, à un égal, à un pair qu'il puisse instruire
véritablement. Tout patient est, et doit être pour lui comme un enfant à consoler, non pas à
abuser, un enfant à sauver ou simplement à guérir. Il apparaît que le patient en tant que tel
n'arrive jamais à la connaissance claire et distincte de sa maladie" (13). L'arrêt du 25 février
1997 (J.P. H.C. / P.C. et autres) précise : "le médecin est tenu d'une obligation particulière
d'une information vis-à-vis de son patient et qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette
obligation". La Cour motive son arrêt en se fondant sur l'art. 1315 – al. 2 du Code civil.
Cette règle a d'ailleurs depuis lors été appliquée à d'autres débiteurs d'informations,
notamment aux avocats (14).
L'arrêt du 25 février 1997 risque de changer les rapports patients-médecins (15). A la
confiance risque de se substituer la méfiance. C'est qu'en effet, craignant l'aggravation de la
responsabilité de leurs adhérents, de nombreuses associations de médecins ont rédigé des
contrats relatant l'ensemble des risques de l'opération – même les risques exceptionnels.
Un arrêt de la Cour de cassation est venu calmer les esprits jugeant que "sauf circonstances
particulières … il ne saurait être exigé du médecin qu'il remplisse par écrit son devoir de
conseil" (16). Selon M. le Président Glorion, la preuve peut-être rapportée par tous moyens,
notamment un échange de lettres entre le médecin généraliste et les spécialistes (17). Pour être
complet, il convient de signaler l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 9 juin
1998, condamnant un hôpital n'ayant pas apporté la preuve qui lui incombait que le patient a
été informé du risque de paraplégie (18). L'harmonie est-elle rétablie entre les deux Ordres ?
Il n'est pas sûr que le Conseil d'Etat retienne les arguments jusqu'alors propres aux juridictions
civiles.
III - La brèche ouverte par le renversement de la preuve de l'information allait être sensiblement
aggravée d'une part, par la responsabilité sans faute des établissements publics de santé,
d'autre part, par l'arrêt du 7 janvier 1997 de la Cour de cassation.
- Le juge administratif depuis plusieurs décennies, (C.E. Hôpital – Hospice de Vernon, 13
décembre 1957, p. 680) a engagé la responsabilité sans faute du service public hospitalier.
L'arrêt Gomez (C.A.A. Lyon 21 décembre 1990 p. 498) et surtout l'arrêt Bianchi (C.E. 9 avril
1993 p. 127) – engageant la responsabilité des hôpitaux pour risque thérapeutique - constitue
une innovation majeure. Certes, on peut remarquer le nombre – sept – et la rigueur des
conditions mises par le juge pour engager la responsabilité pour risque, mais l'arrêt Bianchi a
ouvert la porte à une jurisprudence encore plus favorable : l'arrêt Hôpital Joseph Imbert
d'Arles (C.E. 3 novembre 1997). Elle admet l'anesthésie comme acte médical et prend en
considération le malade et non plus le patient (19).
La jurisprudence administrative a-t-elle une influence sur la jurisprudence civile ? Certains
juristes en doutent.
La Cour de cassation et le Conseil d'Etat possèdent chacun une compétence spécifique, des
traditions et des méthodes juridiques particulières.
Il serait plus prudent de parler d'une mutation sociale – les droits du patient influençant les
deux Hauts Tribunaux.
- La Cour, dans l'arrêt du 7 janvier 1997 (20) retient non la faute, mais le fait du chirurgien
sans s'attacher à vérifier si une faute avait été prouvée ou présumée. Une telle logique
juridique suggère la mise en place d'une obligation de sécurité-résultat. Le chirurgien ne peut,
alors, s'exonérer du préjudice causé qu'en allégeant un cas de force majeure ou la faute du
patient. Cependant, le 25 février 1997 (affaire Goenvic) fut rendu par la Cour suprême un
arrêt rejetant l'obligation de résultat et confirmant l'obligation de moyens de l'arrêt Mercier
(21). La lecture de cet arrêt a donné lieu à une controverse. Pour certains juristes , "la charge
de la preuve incombe, donc, de nouveau au patient … Les raisons de ce revirement, en
l'espace d'un mois sont indéterminées, sauf à invoquer le "lapsus calami" (22).
Pour d'autres juristes, les arrêts du 7 janvier et du 25 février 1997 concernent deux actes
médicaux différents engendrant deux jurisprudences sans rapports.
Dans l'arrêt du 7 janvier 1997 "Engage sa responsabilité le chirurgien qui au cours d'une
intervention chirurgicale portant sur une côte, blesse par maladresse une artère. Encourt dès
lors la cassation l'arrêt qui exonère le praticien de toute responsabilité au motif que celui-ci
n'avait pas commis de "maladresse fautive ou non admissible", alors que la blessure résultait
de son fait". Il semblerait que la Cour suprême ait tenté de "rattraper" l'arrêt par trop indulgent
de la Cour d'appel.
Quant au second arrêt (25 février 1997), "le chirurgien alors même qu'il procède à la pose d'un
appareil sur la personne du patient, n'est tenu qu'à une obligation de moyens". Il confirme une
jurisprudence classique assujettissant à l'obligation de moyens, la pose d'un appareil dans le
corps humain (23).
Pour notre part, connaissant le soin avec lequel les hauts conseillers de la Cour suprême
pésent leurs mots, nous estimons que l'expression "de fait" pourrait marquer un tournant d'une
jurisprudence.
Le Tribunal de grande instance de Paris, dans quatre jugements du 20 octobre 1997, a retenu
l'obligation de sécurité : "Si la nature du contrat qui se forme entre le chirurgien et son client
ne met, en principe, à la charge du praticien qu'une simple obligation de moyens, celui-ci est
néanmoins tenu d'une obligation de sécurité de réparer le dommage causé à son patient". (24)
(25). On ne saurait évidemment parler de dérive américaine. Les institutions françaises
diffèrent trop profondément des institutions américaines. En fait – les statistiques le
démontrent -, le contentieux médical, en France, reste encore peu alarmant. Mais, les progrès
de la Science, les moyens techniques mis à la disposition des médecins, la protection sociale
généralisée risquent d'altérer l'aléa médical et de créer au profit du patient un droit de guérir.
Il appartient au législateur de prendre les mesures qui s'imposent pour donner au patient une
indemnisation équitable (26).
J. BONNEAU
Ancien chargé de Cours
A l'Ecole Polytechnique
(1)
Cass. requ. 18 juin 1835. Thouret – Noroy D. jur. gén. T. 39 V. responsabilité n° 129.
Concl. Dupin ; Cass. requ. 21 juillet 1862. D.P. 1862. 1. 419. (cités par G. Mémeteau.
Le droit médical. pp. 35 et 412. Litec. 1985).
(2)
Cass. Civ. 20 mai 1936. D.P. 1936. 1. 88 note E. P.
(3)
G. Mémeteau. opus cité. p. 367.
(4)
Cass. civ. 1ère. 14 déc. 1965. Bull. civ. 1. 541.
(5)
Cass. civ. 1ère. 21 mai. 1996. Gaz. Pal. 1996. 2. panor. 1985
(6)
Cass. civ. 1ère. 18 mars 1969. Bull. civ. 1. 117.
(7)
Lyon. 31 mars 1994. Gaz. Pal. 29-30 juin 1994.
(8)
Cass. civ. 1ère. 17 nov. 1982. Gaz. Pal. 1985. 1. panor. 139. F.C.
(9)
R. Savatier. La responsabilité médicale en France ; aspects de droit privé. R.I.D.C.
1976. 493 et s. spéc. 502.
(10)
Cass. civ. 1ère. 29 mai 1951. Gaz. Pal. 1951.
(11)
Selon l'expression des anciens juristes :"probatio diabolica" (preuve du fait négatif)
(12)
Cass. civ. 1ère. 25 fév. 1997 (Hedreul c/Cousin). Gaz. Pal. 27-29 avril 1997. p. 13 avec
le rapport de M. Sargos.
(13)
Portes. Du consentement à l'acte médical. in A la recherche d'une éthique médicale.
p. 163
(14)
Cass. civ. 1ère. 29 avril 1997. J.C.P. 1997. ed. G. II.
(15)
C.E. Rapport public 1998. Réflexions sur le droit de la santé. p. 309.
(16)
Cass. civ. 1ère. 29 mai 1984. D. 1985. 281. Note G. Durry ; Cass. civ. 1ère. 1 oct. 1997
(J.P.G c/ Mme L. n°1564).
(17)
B. Glorion, intervention au colloque du S.I.R.I.F. sur "la responsabilité médicale", le
23 sept. 1998 (Gaz. Pal. n° Droit de la Santé. 23-24 oct. 1998. p. 93).
(18)
C.A.A. Paris. 9 juin 1998. M.G…n°95 PAO 3660. JuriSanté. note K. Genet. n°23
1998. p. 18 ; F.J. Pansier. note sous arrêt. Gaz. Pal. n° Droit de la Santé. 23-24 oct.
1998. p. 67.
(19)
Sylvie Welsch. Responsabilité médicale : La nouvelle donne. Les petites affiches. 10
avril 1998. p. G et S.
(20)
Cass. civ. 1ère. 7 janv. 1997. Bull. civ. 1. n°6 ; Gaz. Pal. 1997. 1. somm. p. 2 – n°39. p.
32 note Jean Guigue.
(21)
Cass. civ. 1ère. 25 fév. 1997. Bull. civ.1. n°72 ; J.Guigue obs. sous arrêt. Gaz. Pal. 27.
29 avril 1997. p. 27.
(22)
Fr. J. Pansier et Fr. Skorricki. La faute et l'accident en matière de responsabilité
médicale. Gaz. Pal. n° Droit de la santé. 23-24 oct. 1998. p. 11.
(23)
Cass. civ. 1ère 15 nov.1972. D. 1973 somm. 50.
(24)
Trib. Gr. Inst. Paris. 20 octobre 1997. Note J. Bonneau. Gaz. Pal. 8-10 mars 1998. p.
40.
(25)
Y. Lambert-Faivre. A propos de l'accident médical d'un ministre. "Tout acte médical
devrait toujours présenter la sécurité à laquelle le patient peut légitimement s'attendre",
écrit Mme Y. Lambert-Faivre s'appuyant sur l'art. L 221-1. C. Consom. D. 24 sept.
1998.
(26)
Annexes. C. Cass. arrêt du 7 janv. 1997.
C. Cass. arrêt du 25 fév. 1997.