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BOUQUINS
JOURNAL DU DIMANCHE du 30 mars 2008
Un monde à part
Rubrique réalisée par PM.F
SUR MA MÈRE. «Elle ne dit rien. Son regard est vide. Que fait le temps ? Je ne suis pas
certain qu’il passe. Il la contourne comme si elle ne comptait plus pour personne. Le temps
enjambe ce corps réduit à si peu de chose. Elle est là, oubliée du temps, installée, figée
dans les années quarante, fidèle à ses fantômes.»
Le récit d’une maladie dont on parle de plus
en plus sans arriver à la vaincre, l’Alzheimer.
Dès la première page nous lisons : « Elle
croit que nous sommes à Fès l’année de ta
naissance ». Une phrase qui fait tomber les
barrières du temps, de l’espace et des
connections humaines. Une mère qui voyage
par l’esprit dans son enfance, l’enfance de
ses enfants, qui revisite les moments charnières de sa vie et de celle appartenant aux
personnes qu’elle a aimées. Les parents, les
voisins, les amis qui ont fréquenté la maison familiale, les frères et sœurs, tout le
monde y est pour la plupart du temps présent pour elle, du passé pour les autres.
Parfois elle revient dans le monde factuel
et le temps réel. Elle voit ce qui se passe
autour d’elle, elle est consciente des agissements de son entourage et surtout des
deux femmes qui sont censées veiller sur
elle. Seulement, elle repart vite, très vite
vers un univers qui lui a procuré le plus de
plaisir lorsqu’elle était la petite fille protégée de son père. Est-ce une évasion, une
fuite devant la mort qui la guette, une compensation des années endurées auprès d’un
mari peu délicat et des enfants qui l’ont
quittée la laissant à la merci de ces deux femmes
qui perdent patience face à la lourdeur de leurs
tâches ?
Entre la volonté de rendre compte d’une maladie qui
arrive on ne sait comment ni d’où et tombe on ne
sait sur qui et celle de revisiter son pays d’origine
et ses coutumes, l’auteur choisit le style libre du
flash back et du parallélisme narratif. Pour mieux
comprendre ce qui se passe ou ce qui pourrait se
passer dans la tête de sa mère, il raconte par saccades les différentes étapes de sa vie, son enfance,
ses mariages, ses relations avec son pays, sa ville,
ses habitudes et tout ce qu’elle a dû abandonner
pour se comporter en bonne épouse suivant son
mari quitte à y laisser des morceaux de son cœur.
Le fils se retire pour laisser le champ libre à l’auteur.
Fès, la ville de tous ses petits bonheurs est loin de
Tanger où elle doit opter pour une vie totalement
étrangère à celle qu’elle aime mais elle y est
contrainte : « Ma mère a eu trois maris et a fait
quatre enfants, les a nourris et éduqués. Trois maris
et une seule histoire d’amour.
Cette histoire je ne l’ai pas entendue la raconter, je
l’ai devinée. Ma mère ne parle pas d’amour. Ce mot,
elle ne le prononce que pour ses enfants, elle dit je
meurs pour toi, toi l’iris de mes yeux, l’arc-en-ciel de
ma vie, je meurs pour toi ! » Les relations maternelles et les attachements parfois étouffants mais oh
combien humains sont au centre de ce livre sur Sa
Mère : « Avec le temps je n’ai pas compris ni admis
cet attachement étouffant. J’essaie de ne pas reproduire ces comportements avec mes propres enfants.
Mais j’avoue que mes parents m’ont refilé le virus de
l’inquiétude et de l’impatience. » Ces relations partagées entre les liens invincibles et celles prêchées
par le monde occidental dans lequel l’auteur est
immergé, se posent comme un écheveau qu’il essaie
de démêler en se replongeant dans l’univers de sa
mère, dans ses joies et ses tristesses, ses blessures
et ses incompréhensions, sa solitude et son isolement pas seulement à cause de la maladie mais également dus à cette modernité occidentale que ses
enfants subissent aussi bien à quelques mètres de
chez elle qu’à des kilomètres d’elle.
Déchirement
Comment trouver un compromis entre ses sentiments
divers comprenant le remord, la peine, l’amour inéluctable pour sa famille, ses responsabilités en tant
que fils et frère et ceux qu’il observe autour de lui
notamment chez son ami européen qui parle de l’autonomie de sa mère malade qu’il préfère laisser vivre
seule avouant qu’elle – même a choisi de garder son
fils à distance de ses souffrances.
Pourtant, sa mère, en quelque sorte, s’est isolée
aussi mais pour protéger ses enfants : « Quelle
vie ai-je eue ? Me dit-elle un jour ; elle répond
par un long soupir puis passe à autre chose. A
Une brève histoire du tracteur en Ukraine. Quand leur père Nikolaï,
veuf depuis peu, leur annonce qu’il compte se remarier avec Valentina, Vera
et Nadezhda comprennent qu’il va leur falloir oublier leurs vieilles rivalités pour
voler à son secours.
Les deux soeurs passent à l’action. Commence alors une bataille épique pour
déloger l’intruse aux dessous de satin vert, sur fond de secrets de famille.
Chaque s?ur agira à sa façon et avec ses moyens pour préserver ce qu’elles
considèrent être leur vie familiale et leur complicité. Tandis que Nikolaï poursuit tant bien que mal son chef d’?uvre – une grande histoire du tracteur et
de son rôle dans le progrès de l’humanité.
De Marina Lewycka
Des Deux Terres Eds. 21,50 euros
moi de deviner cette vie. »
Comment laisser partir un être cher sans se poser les
questions auxquelles nous ne pouvons apporter de
réponses. Malgré les égarements dus à la maladie,
malgré les absences répétées et l’éloignement qui
sont traduits par des récits du passé et les douleurs
du présent, l’auteur ne peut envisager encore pire :
laisser sa mère seule dans un trou qui n’est plus le trou
béant de sa mémoire mais bien celui dans lequel elle
doit y rester une fois son cœur arrêté : « Mais où est
ma mère ? Ce trou noir n’est pas sa tête, et cette planche n’est pas son lit. »
Des négations qui en disent long
sur l’acceptation du départ définitif.
Tahar Ben Jelloun donne le ton adéquat à chaque
situation par rapport à la profondeur de ses sentiments face à la mère qu’il est sur le point de perdre.
Lorsque la mère voyage dans les recoins agréables de
son passé, le style devient léger. En revanche, dès
que le présent douloureux reprend sa place, les négations et le lyrisme prédominent.
C’est un livre à priori sur la maladie d’Alzheimer mais
en réalité il englobe tout le malaise universel face
aux départs inévitables dans un style pourtant aérien.
Sur ma mère
De Tahar Ben Jelloun
Ed. Gallimard, 17,90 euros
Lait et
chardon
Le roman débute
avec le retour de
Simon, le narrateur,
dans l’appartement
de sa mère décédée.
Cette visite suscite
chez lui diverses
réminiscences qui lui
font revivre la vie de
la famille installée
dans le bassin minier
de la Ruhr vers la fin
des années 60.
Rothmann rend particulièrement bien
l’atmosphère de cette époque révolue, à travers des
scènes typiques et des dialogues très vivants.
Tableau de la jeunesse prolétarienne du narrateur,
Lait et charbon peint une Allemagne en marge du
miracle économique. Le titre évoque le parcours du
père, d’abord agriculteur puis minier. Il évoque aussi
les couleurs des paysages miniers l’hiver.
De R. Rothmann
Ed. Laurence Teper, 19 euros
L’étrange
disparition
d’Esme Lennox
Entre l'Inde et l'Ecosse, des années 1930 à nos jours,
l'histoire déchirante d'une femme enfermée, rejetée de la société et oubliée des siens. Un roman
d'une beauté troublante,
où s'entremêlent des
voix aussi profondes
qu'élégantes pour évoquer le poids des
conventions sociales et
la complexité des liens
familiaux, de l'amour à
la trahison.
À Edimbourg, l'asile de
Cauldstone ferme ses
portes. Après soixante
ans d'enfermement, Esme
Lennox va retrouver le
monde extérieur. Avec
comme seule guide Iris, sa petite-nièce, qui n'avait
jamais entendu parler d'elle jusque-là. Pour quelle
étrange raison Esme a-t-elle disparu de la mémoire
familiale ? Quelle tragédie a pu conduire à son
internement, à seize ans à peine ?
De Maggie O’Farrell
Ed. Belfond, 19 euros
Je ne souffrirai plus par amour. Vous êtes complexé(e) ? Votre reflet
dans le miroir vous déprime et les critiques vous fatiguent, sans parler de
votre partenaire qui ne pense vraiment qu'à lui ? Ce livre est fait pour vous
!
Relations homme - femme, femme - femme et plus si affinités, Lucia Etxebarria
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