Gilles LAPOUGE - Devoir-de
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Gilles LAPOUGE - Devoir-de
Gilles LAPOUGE, Encyctopœdia Universatis, Volume X, pp. 592-593. Le masque et la transgression Cette relation du carnaval au sacré trouve confirmation dans le style même de la fête. Ces explosions populaires n'ont rien de comparable aux admirables rituels des peuples sauvages : rires, vulgarité, saouleries, farces et hurlements, voilà ce qui fait le bonheur de l'Occident. Mais, sous ces formes frustes, le désir persiste de rompre avec la continuité, la cohérence et la raison qui scandent la vie humaine. Si la licence balaie toutes les habitudes, n'est-ce pas qu'elle est en quête d'une autre vie, d'une seconde nature ? La règle est d'inverser, dans la fête, toutes les règles. L'interdit devient le licite. De sorte que le carnaval, même expressionniste, réaliste et caricatural, recherche, à la fois par la transgression et la coupure, une issue hors du temps profane. Plus raffinée, une autre famille de masques envahit le théâtre. Elle s'épanouit aux XVIe et xvne siècles dans la commedia dell'arte, survivance des pantomimes de la Rome antique, appelées atellanes. Le masque triomphe dans ces étincelants monologues improvisés : le vieillard Pantalon, le dottore, le capitan 1 forment les figures d'un ballet voué à l'imagination. Mais, sous la fantaisie, ce qui anime le théâtre est d'un autre code :qu'une grande fixité préside aux canevas des pièces, comme à la forme des masques de cuir, nous introduit dans une dimension codifiée, liturgique et donc symbolique. Comme est symbolique l'échantillon fini de grimaces éperdues ou de sourires déchirants que nous adressent les masques du clown blanc. L'Occident a enfin aimé le masque mondain. Il est lié à Venise mais il se répand dans toute l'Europe aristocratique, du XVIe au XVIIIe siècle. Les peintres, de Watteau à Tiepolo, de Longhi à Guardi, en ont laissé la trace. Quel est le sens du masque mondain ? Son aspect avertit qu'il s'agit d'une forme abâtardie. Il est réduit à la moitié ou au quart du visage. On veut moins transformer la créature, l'introduire à l'être qu'organiser un jeu, une duperie. Même à Venise, où il est agrémenté de la bauti, ce voile diaphane et léger qui cache et dévoile le corps, le loup favorise une liberté que le temps normal interdit. Il s'agit donc bien d'un appareil de transgression. La Renaissance avait développé un autre avatar du masque, le mascaron2 et les têtes d'appliques dans les décors des maisons. Ces têtes grimaçantes qui se nichent sur les consoles, les clefs de voûte, rassemblent un décor fantastique ou baroque mais toujours allégorique. Suit l'agonie du masque. Cette agonie se perçoit dans l'intérêt que les autres arts portent au masque, au moment où celui-ci s'étiole : le cubisme, Picasso, le surréalisme contemplent d'un regard ébloui cet RÉSUMÉ. QUESTIONS DE VOCABULAIRE DISCUSSION. immense musée de l'imaginaire. Toute la peinture moderne lui consacre des soins ainsi qu'aux thèmes du clown et du carnaval (Daumier, Toulouse-Lautrec, Rouault, Nolde, Ensor, Picasso). Mais la mort véritable du masque se repère dans l'usage du fard. Cet usage est ancien, mais voici qu'il devient à lui-même sa propre fin. Pour la première fois, le masque accomplit la tâche pour laquelle il semble avoir été inventé : pour masquer. Le mouvement amorcé par le loup vénitien s'achève ici :ce poudroiement de crèmes et de paillettes, ces rectifications du visage, ces ombres, ces bleus et ces pourpres que les femmes ajoutent à leur chair deviennent des armes pour tromper la vie, pour prendre au piège le regard de l'Autre. Et pourtant, même à ce degré extrême de corruption, le masque demeure ambigu et troublant :pourquoi se doter de cils imaginaires si ce n'est pour devenir une autre ? On joue le jeu de la création, on procède, avec sa propre peau, comme procéda le démiurge qui créa le premier masque essentiel, le visage humain. « Je est une autre »3 , dit toute femme fardée, et cette parole n'est pas futile. Il n'est peut-être pas fortuit que les produits de beauté se nomment « cosmétiques ». Le mot, qui pourrait désigner tous les masques du monde, n'est pas insignifiant : rectifier les traits que la nature a disposés, c'est modifier, en même temps qu'une chance ou qu'un destin, l'ordre même du« cosmos »dont le visage, avec ses yeux, ses lèvres, son nez, ses reliefs et ses espaces forme un double minuscule et vertigineux (microcosme). 1. Le dottore, le capitan : personnages de la Commedia dell'arte. :Z. Mascaron : masque fantastique et grotesque utilisé dans l'architecture. 3. « Je est une autre » : transposition de la formule célèbre d'Arthur Rimbaud : << Je est un autre >>. Questions: 1. Résumez ce texte en 170 mots avec une marge de tolérance de plus ou moins JO %. Indiquez le nombre de mots à la fin de votre résumé. 2. Expliquez: - L'interdit devient le licite, - une dimension [... ] liturgique. 3. « Je est une autre» dit toutejemmejardée, et cette parole n'est pas futile ». Vous commenterez cette réflexion de G. Lapouge en vous interrogeant sur la jonction du maquillage moderne. Barème de notation : Question 1 : 8 points - Question 2 : 2 points - Question 3 : JO points.