EXISTENCE D`UNE FAUNE CRYPTIQUE RELICTUELLE AUX ILES

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EXISTENCE D`UNE FAUNE CRYPTIQUE RELICTUELLE AUX ILES
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EXISTENCE D'UNE FAUNE CRYPTIQUE RELICTUELLE AUX ILES GALAPAGOS
par
N. LELEUP
Musee Royal de l'Afrique Centrale - Tervuren
Dejinition et signification paleogeographique de la faune c ryptique relictuelle.
Dans toute s Ie s regions <iu monde eme rgee s au moins depuis Ie Te rtiaire ,
n'ayant plus ete submergees par des transgressions marines et qui n'ont pas
ete recouvertes par les inlands is pleistocenes, existent les survivants d'une
vieille faune largement antepliodme. Ces fins de lignees ont subi une evolution
regre ssive caracterisee par une depigmentation generale, une atrophie de s
yeux souvent poussee jusqu'a l'anophtalmie totale et, dans Ie cas de s Insecte s
pterygotes, ces phenomenes ont ete accompagnes ou ont ete precedes de la
perte des ailes.
Ces relictes, terrestres ou aquatiques, sont refugiees dans les diverses
couches de la rhizosphere, dans les grottes et dans les nappes phreatiques.
Elles comprennent surtout des Invertebres d'ordres divers, mais aussi des
Poissons et, dans la region holarctique, des Batraciens UrodeIes. Physiologiquement vieilles, elles ont perdu tout pouvoir d'autoregulation, sont devenues
stenothermes mais aussi stenhygrobies dans Ie cas des formes terrestres, font
montre d'un metabolisme notablement ralenti et d'un pouvoir de reproduction
considerablement amoindri. Aussi ces veritables fossiles vivants, sauf rares
exceptions parmi lesquelles il faut inclure certains Apterygotes dont des
Japygidae et df'S Campodeidae, font-ils montre d'extraordinaires exigences
ecologiques.
L'ensemble de ce s caractere s rece ssifs entraine une fragilite telle,
que les especes qui en sont affectees ont perdu toute possibilite de dispersion
ou d'emigration et les condamne a une disparition ineluctable en cas de perturbations, me me faible s, de leurs biotope s toujours re stre ints.
Dans la region holarctique, ou un climat anisothe rmique s 'e st et abli au
Pleistocene, le s survivants stenothe rme s et hygrophiles de s elements te rre stre s
de cette vieille faune se sont refugies dans Ie s grotte s ou dans Ie s couche s
profonde s de la rhizosphere, qui constituaient de s place s vide s. Le s colons
y ont trouve une temperature stable et une hygrometrie a saturation qui,
jointes a I'absence de competition biologique, leur ont permis d'y survivre
jusqu'a nos jours.
En Europe, Ie plus riche refuge d'Artnropode s troglobie s ou endoges ano-
-
::;
phtalmes est la chaine de s Pyrenees et. il cst significatif que celie-ci
est un de s fragments de la vieille Tyrrhenide.
Dans ie s asile s des regions tropicale s re stees relative ment isothermiques pendant :i.e Pleistocene. la viei:i.le faune terricole ne s'est pas
trouvee dans l'imperieuse obligation de s'enfoncer sous t;;rre pour
echapper aux ecarts de temperature. S'ii faut logiquement attribuer a
la stabilite du climat t la rarete des Arthropode s te rre stres anophtalme s
dans ia plupart de s grottss de s regions tropicale s. il faut aussi y voir
la cause de la survivance. parfois massive, d'especes seniles aveugles
dans l'humus superficiel des forets humides. Dans cet horizon heterogene. la faune relictueiie avsugle semble cohabiter avec una pullulation
d' elements de faune s expansive s parfaite merit ocules. pig mentes et souvent ailes.vlais il est hors de doute que cette cohabitation n'e st qu'apparente. L'humus, meme considere en surface re streinte. doit etre re garde
comme une mosafque de microbiotope s. se transformant et se reconstituant
de maniere immuable. La grande riche sse qualitative peuplant ce milieu
argue d'ailleurs en faveur d'un amalgame d'associations a interpenetration
faible ou nune.
De ce qui precede, il resulte que l'existence d'une faune relictuelle
anophtalme variee dans une fle oceanique est tres importante. car elle
lui confere une grande anciennete. En eHet, dans la majorite de s cas,
il n'y a que Ie s souche s encore expansive s de ce s forme s actuelle ment
seniles qui ont pu, d'abord atteindre vivantes les rivages, puis peupler
line at sly indigeniser ; l'evolution regressive poussee a l'extr~me dont
ils peuvent faire montre actuellement a dil obligatoirement se declancher
et se poursuivre sur place.
Projet et concretisation de la mission zoologique beIge aux fle s Galapagos
et en Equateur continental
En janvier 1964, Ie regrette Profe sseur Victor VAN STRAELEN, qui
assumait a l'epoque la Presidence de Ia Fondation Charles Darwin, avait
exprime Ie desir de nous voir confia rune mission zoologique a double
objectif en Republique de l'Equateur.
Le but primordial de la mission projetee consistait a dresser un
inventaire aussi complet que possible des faunes des divers domaines
hypoges de l'archipel de s Galapagos I afin de s 'assure r si celle s-ci renferment ou non, de s elements anophtalme s constituant de s fins de lignee s
seniles. L'objectif secondaire de l'expedition comprenait la prospection
de biotope s similaire s en Equateur continental afin de pouvoir juge r du
degre d'affinite des faunes cryptiques insulaire et equatorienne.
..,6 La realisation d'un tel programme soulevait d'importants problemes.
En pre mie r chef, notre appartenance au pe rsonnel scientifique du Musee de
Tervuren, qui est une institution essentiellement orientee vers l'Afrique"
nece ssitait l'autorisation prealable de notre Directeur, Monsieur Ie
Professeur Lucien CAHEN. En deuxieme lieu, il nous fallait solliciter les
subsides necessaires, au Fonds National de 1a Recherche Scientifique.
Enfin, notre epouse etant une re marquable specialiste de la reche rche de s
microfaunes humic01e et cavernicole, sa participation active a la mission
s'averait indispensable pour llaccomplissement d'une partie du programme
etabli.
\t1onsieur CAHEN noys ayant non seule ment accorde son autorisation
mais ayant de surcroft envisage le projet de mission avec sympathie, Ie s
autorites scientifique s et administrative s du Fonds National de la Reche rche
Scientifique accueillirent favorable ment notre requete et la mission pu se
concretiser.
Nous prions Monsieur CAHEN et le s pe rsonnalites du F. N. R. S.
d'agreer l'expression de notre vive reconnaissance.
11 nous est agreable de signaler Ilaide primordiale que nous a prodigue
Monsieur Roger PERRY, I'actif Directeur de la Station Darwin. Grace a Ia
sollicitude de Monsieur Pe rry, nous avons pu loge r dans de bonne s conditions
et bene£icier de s grands avant age s offe rts par Ie 1aboratoire de la Station.
En outre, Ie bateau de la Fondation - Ie venerable mais excellent "Beagle" a ete mis a plusieurs reprise s a notre disposition. Enfin, Ie Directeur nous
reservait un accueil amical a chacun de nos retours d'exploration.
APERClJ SCHEMATIQUE DU TRAVAIL EFFECTUE ET ENUMERATION DES
STATIONS ET BIOTOPES PROSPECTES DANS L'ARCHIPEL DE COLON ET
EN EQUATEUR CONTINENTAL.
1. - Archipel de Colon
Travaillant en etroite coilaboration, notre epouse et nous-meme avons
prospecte, de septembre 1964 a fevrier 1965, les divers biotopes souterrains
de line de Santa Cruz et, dans une moindre me sure, de celie s d'Isabela et
de Floreana. Nos pas sage s a Santiago et a Fe rnandina furent malheureuse ment
tropbrefs, fa ute de temps, pouryentreprendre ce genre de recherches
souvent difficiles et toujours de longue duree si l'on vise a des resultats
serieux. Aussi, dans ces deux dernieres nes, avons-nous da limiter notre
activite a la recherche de la faune terric01e banale.
Accessoirement, lafaune epigee fut recueillie dans toutes les regions
visitees et notamment les Arthropodes aquatiques des eaux douces ou saumatres superficielles.
A. - Biotopes explores
a Santa Cruz
a) Le s grotte s, toute s volcanique s, dont une de plus de 600 metre s de
developpement et une autre, situee pres du sommet. renfermant une importante et profonde nappe d'eau douce. Nul doute qu'il s'agisse la de la seule
eau douce vraiment perenne de Santa Cruz.
b) Le s profonde s fis sure s situee s a plus ou moins grande distance du
pied de s faille s de s regions basse s du Sud et du Sud-oue st. D'acd~s parfois
difficile, plusieurs de ces fractures aboutissent a des nappes d'eau plus ou
moins saumatre dont la faune fut egalement inventoriee.
c) L'humus de la foret ombrophile et aussi de certains points d'accumulation dans la foret seche de basse altitude.
d) L'argile situee sous l'humus en foret de Scalesia et dans la doline
de la grotte reperee pres du sommet de l'ile,
2) A titre secondaire :
a) A toutes les altitudes, les mares ou pOints d'eau saumatre et les
depressions ainsi que les "rock-pools" contenant de lteau douce.
b) Le s troncs morts de Scale sia.
c) Les plages et les dunes du Sud de Santa Cruz, plus specialement
a
proximite de la Bahia de la Tortuga.
Ces recherches ont ete completees par des chasses ala lumiere
qui furent faites pratiquement chaque soir, au moins par l'un de nous, de
19 a 22 ou 24 h.
B. - Biotope s explores
a Isabela
a) L'humus en foret humide de la partie Sud de l'ue.
b) Trois crevasses renfermant de l'eau saumatre. Aucune grotte ne fut
reperee au cours de notre penetration dans Ie Sud d t Isabela.
8 2) A titre secondaire:
-----a}Le-;-mares epigees d'eau saumatre et les points d'accumulation
d'eau douce situes entre 50 et 1. 300 metres.
b) Le s troncs d'arbre s morts en foret ombrophile.
c. - Biotopes
explores
a Floreana
1) ~~_p~~~~i~~ :
a) Deux grottes, dont la plus importante communique avec l'ocean et
renferme d'innombrables ossements de Tortues de mer.
~) A titre se condaire :
a) La foret seche (faune terricole banale).
b) La plage de ia Post Office Bay (faune 1.alophile).
A Floreana, des chasses
a la
lumiere furent egalement pratiquees.
II. - Equateur continental
En E--1uateur continental, nous avons travaille au cours de deux
periodes distinctes. La premiere de celles-d, imposee par Ie manque temporaire de communications avec Ie s Galapagos, se situa aux mois d'aout at
septembre 1964 ; la seconde s'echelonna de mars a avril 1965. Au cours de
ces deux campagnes essentiellement itinerantes, nous aVOIlS travaille aux
altitudes comprises entre 0 et 5.300 metres.
Regions et biotope s explores
1) Le long de la cote
a Bahia Agangue,
au Nord de Salinas
a) Le s marais salants
b) Le s plage s
2) Dans la lagune du fieuve Guayas :
a) L'humus en certains points d'accumulation
b) Le s rivage s de cours d'eau et de mare s
c) Le s eaux stagt;l.ante s et courante s
- 9 3) Versant Ouest de la Cordillere :
a) L'humus en foret equatoriale, en particulie r dans Ie s environs de
Santo Domingo, entre 500 et 700 metres d'altitude
b) Les arbres morts dans la meme region
c) De nombreuse s cascade s et cours d'eau a courant rapide, ainsi que Ie s
berges de ceux-ci, etnre 600 et 2.500 metres
d) Les terrains pierreux, boises ou non (faune 1apidicole)
4, Regions centrale s de la Cordillere :
a) Les prairies subalpines et alpines, entre 3.200 et 5.300 metres,
plus particuliere ment sur Ie s volcans Cayambe et Cotopaxi, ainsi que dans
Ie s regions du lac de Papallacta, de Canar et de s environs de Quito
b) De tres nombreux rus et riviere s torrentueuse s dans Ie s me me s
regions (faune s aquatique et ripicole)
5 Versant Est de la Corci.illere :
a) La grotte seche de B3.nos situee a quelque 2.300 metres d'altitude
et la doline de ceile-ci
b) La grotte creusee par une longue riviere soute rraine a Archicona,
en foret amazonienne (faunes cavernicoles terrestre et aquatique)
c) L'humus dans ia foret amazonienne, aux environs de Pue rto Napo,
de Puyo et d'Archidona, entre 500 et 1. 00: metres d'altitude
d) Troncs d'arbres morts, Gans 1es memes regions
e) Nombreux c ours d'eau et mare s (faune s aquatique et ripicole)
f) Terrains pierreux, boises ou non, entre 500 et 3.000 metres
d'altitude (faune lapidicole).
RESULTATS ACQUIS DANS LE CADRE DES OBJECTIFS PRIMORDIAUX
DE LA MISSION
A l'epoque ou fut envisagee notre mission, soit en janvier 1964, rien ne
pe rmettait d'affirme r que Ie s He s Galapagos soient assez ancienne s pour
constitue r Ie refuge d'une vieille faune autochtone rtHictuelle. Aucune
publication basee sur des donnees concrete s, ne mentionnaient l'age de
l'archipel. Par ailleurs I Ie statut de ce s He s est controve rse ; generalement
consideree s comme typiquement oceanique s, ce rtains auteurs re stent cependant convaincus qu'elles ont ete anciennement reliees au continent.
L'entomologiste E. C. VAN DYKE (1953), en se basant sur i'inventaire des
Co1eopteres connus de ces regions, refuse de leur attribuer Ie statut d'Ues
oceaniques. A I'oppose de ce point de vue se situe la seduisante theorie de
K. W. VINTON {1951:, qui suppose que les Galapagos actuelles resultent de
l'af£aissement d'une grande lie miocene, dont seuls les sommets ne furent
pas immerges. Cette grande lie primitive, baignee par des courants venus
de la mer des Cara1"bes a travers Ie detroit contemporain de Panama, aurait
ete separee de l'ancienne peninsule des Cocotiers, par un bras de mel'
d'environ 100 miles.
Au moment de notre depart et normis ce s donnee s contradictoire s,
nous n'en connaissions pas plus que tout un cnacun sur Ie statut et l'anciennete de l'arcnipel de Colon. Toutefois, un travail du Professeur
Jacque s LARUELLE publie en 1953, signale I'existence d'une coucne
d'humus dans la foret ombrophile a Scalesia, ceinturant Santa Cruz.
Malgre Ie fait qu'une mission americaine, remarquablement equipee
et comprenant de s entomologiste s d'une grande competence, avait eu lieu
aucours dupremier semestre de 1964 aux Galapagos, l'existence de sols
fore stie rs numifere s signalee par Ie geo-pedologiste LARUELLE nous
decida a entreprendre l'expedition proposee. A lui seul, l'inventaire aussi
pousse que possible de ,la faune numicole de ces regions presentait, en
pffpt. Ill'1 interet intrinseque considerable.
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Si Ie s importante s Iacune s of£e rte spar Ia faune humicole ne tarderent
pas a nous persuader du bien-fonde de la tneorie attribuant un statut essentiellement oceanique aux Galapagos, en revanche, Ie premier mois de
rechercnes a Santa Cruz ne nous apporta aucun element plaidant de maniere
convaincante en faveur d'une origine ante-pleistocene de l'archipel. Nous
avions bien decouvert rapidemcnt des Syr.phyles, des Campodeides et
meme des Palpigrades, mais la presence de ces Arthropodes n'est pas
probante. On sait que des Symphyles et des Diploures, malgre leur cecite
et leur depigmentation totales, comprennentdes especes certainement
encore expansive s, puisque plusieurs d'entre elle s ont pu recoloniser, en
quelques millenaires, l'immense place vide que constituait Ie "boucHer
scandiJ1ave" apres Ia fonte de l'enorme calotte de glace qui recouvrait
celui-ci au cours de la glaciation de Wurm. Quant au Palpigrade, d'ailleurs
recueiHi en nombre, sa seule presence ne pouvait evidemment pas etre
consic:.~ ..·ee comme significative.
Mais un jour, alors que nous dechaus sions de groB bloc s de lave proenfonces dans l'argile recouverte d'humus, en foret de Scalesia,
notre epouse decouvrit un minuscule Coleoptere anophtalme et depigmente.
Examine au binoculaire, celui-ci s 'avera etre un Tenebrionide. L'e spece
est d'une grande rarete dans l'unique station ou elle fut decouve rte. En
effet, en 10 jours de chasse intensive au cours desquels d'innombrables
fonden-,i~nt
... 11 pierres furent arrachees a l'argile, seulement 5 exemplaires de cette espece
furent decouve rts ; en plus, elle ne cohabite avec aucun autre Coleoptere
endoge, mais uniquement avec des Isopodes partiellement depigmentes et
ocuIes, et de s Campodeide s.
L'indice devenait plus interessant, mais non encore suffisant, car il
ne faut pas ecarter la possibilite d'un processus accelere d'evolution regressive ayant aifecte ce Tenebrionide. Si Ie s acquisitions de la geologie et de la
paleogeographie, en correlation avec Ie s dispe rsions actuelle s de nombreuse s
lignee s senile s anophtalme s, atte stent que leurs souche s expansive s re montent souvent au Secondaire, i1 existe de s donnee s valable s demontrant que
l'evolution regressive, meme poussee a son stade ultime, peut etre infiniment
plus rapide. crest ainsi que sur Ie Mont Meru, contigtl au Kilimanjaro, en
Tanzanie, existent deux Coleoptere s Carabidae du genre Trechus. L'un de
ceux-ci Trechus (Meruitrechus) sjoestedti ALLUAUD, est parfaitement
pigmente, d'un noir profond, et normalement ocule ; l'autre Trechus
(Meruitrechus) basilewski JEANNEL, totalement depigmente et chez qui i1
ne subsiste plus la moindre trace des yeux, est confine dans l'argile d'une
tete de source. Or, les Trechus sont indubitablement d'origine palearctique
et font donc montre d'une cryophilie relative; d'autre part, Ie Meru est un
volcan de surrection recente, pleistocene. De ce s donnee s, il resulte que
la souche de ce sous-genre etait encore obligatoirement expansive au Pleistocene inferieur et que sa penetration en Afrique tropicale, doit s'etre
effectuee ala faveur du climat frais d'une des Pluviales. Les deux formes
sont tres affines comme Ie demontrent l'identite de leur chetotaxie et la
similitude de leurs edeages. Ainsi, bien qu'appartenant a un meme sousgenre, l'une s'est montree refractaire a toute evolution regressive, l'autre
a atteint rapidement Ie stade ultime de cette evolution.
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Suite a la decouve rte de ce minuscule Tenebrionide anophtalme, nous
avons continue la recherche systematique d'Arthropodes aveugles dans les
dive rs horizons du sol de la ceinture de foret ombrophile de Santa Cruz. Mais
Ie s resultats furent decevants et nous avouons avoir ete passable ment desorientes.
Abandonnant les sols forestiers, nous avons poursulvl nos recherches
de s faune s hypogee spar la prospection de s grotte s volcanique s seche s. Comme
prevu, celle s-ci s'avererent azorque s, sauf en que 1que s points d'effondrement
ou prospere une faune sciaphile banale.
La presence d'une faune anophtalme varlee aux Ga.lapagos nous paraissait
de moins en moins probable. jusqu'au moment ou nous avons commence
- 12.- l'exploration des profondes crevasses situees dans la foret seche des basses
regions peripheriques de lIne I pratiquement au niveau de la mer.
A peine avions-nous atteint Ie fond de la pre miere crevasse dans laquelle
noua nous etions glisse, que nous constations deux faits de grande importanc~
lO) La crevasse aboutissait a une nappe d'eau sauma:tre.
2°) Des accumulations d'argile humide, de pierres et de feuilles mortes
emergeaient suffisamment du plan d'eau pour etre a l'abri de l'influence des
se Is rra rinse
Des ce moment, nous fumes persuades d'avoir trouve les biotopes
-refuge s de Santa Cruz; leur decouverte tardive, apres de nombreux tatonnements, etant due aux faits qu'ils sont atypiques et situes dans les regions
les plus arides de l'ne.
Sur une vingtaine de crevasses prospectees, huit communiquent avec la
nappe d'eau saumatre souterraine et leur faune, comportant bon nombre
d'animaux microphtalmes ou anophtalmes et entierement depigmentes, est
d'un interet extr<a.ordinaire et, pour nous, hautement significative.
Ci-dessous, nous donnons Ie releve des elements absolument anophtalmes
des associations aquatique et terrestre refugiees dans ces crevasses souvent
etroite s et d'acces dif£icile
1) Faune aquatique
Poissons (famille des Brotulidae) :
Caecogilbia galapagosensis POLL et LELEUP
7 exemplaire s
Crustaces (Decapoda Natantia)
Une petite Crevette recueillie en grand nombre
Crustaces (Tanaidacea) :
Une espece recoltee en nombre.
2) Faune terrestre (a l'exclusion des Symphyles et Thysanoures)
Coleoptere s :
Une e spece de Carabidae (Anillini ?) recueillie en
5 exe mplaire s de s deux sexe s
De rmaptere s :
Une espece recueillie en nombre,
a divers
stades.
- 13 -
Araneides :
4 especes nettement differentes
Pse udosc orpions
2 especes
Opilions :
1 ou peut-€tre 2 e spece s, recoltee s en nombre.
Plus 'tard, nous avons decouvert, a 650 metres d'altitude, une profonde
faille envahie par toute une flore sciaphile. Cette crevasse conduit ~ une
grotte renfermant une importante nappe d'eau douce. Sous des pierres enfoncees dans l'argile detrempee, nous y avons decouvert des exemplaires
d'un Isopode totalement anophtalme et d'un blanc pur, ainsi que des Chelonethes et des Opilions egalement depigmentes et n'ayant conserve nulle
trace de s yeux.
Par ailleurs, des Crevettes anophtalmes furent encore recueillies dans
les eaux souterraines du Sud d'Isabela et plusieurs exemplaires d'une
Araignee aux patte s deme surees, depigmentee et pratiquement anophtalme
furent decouverts dans une grotte de Floreana communiquant avec l'ocean.
CONCLUSIONS
1. - Anciennete de l'archipel :
La faune cryptique de certaines iles des Galapagos renferme done des
elements anophtalme s, aussi bien parmi Ie s biocenose s aquatique s soute rraines que parmi les associations terrestres hypogees. Si l'on considere
la pauvrete qualitative de la vieille faune di£ferenciee de l'archipel, Ie pourcentage de ce s elements depigmentes et aveugle s est considerable, tout au
moins a Santa Cruz. Si l'on en retranche les Symphyles et les Apterygotes,
cette faune senile comporte un minimum de 13 Arthropode s totale ment anophLalmes, repartis en des ordres divers, ainsi qu'un Poisson. 11 est evident
que ce nombre se ra considerablement augmente, lorsque de s explorations
de plus longue duree que Ie s notre s auront ete faite s dans Ie s principale s lie s
de l'archipel. A cet egard, il est certain que la recherche de la faune cryptique de San Cristobal reserverait des surprises.
Cette riche s se en vieille s rc!Hicte s aux exigence s ecologique s tres
strictes et d("C~Lt l'evolution a dii s'e££ecLuer sur place, confere, au moins
a certaines fles de l'archipel, une origine Iargement antepleistodme. Nous
rappelons ici, l'etude de A. COX et G.B. DALRYMPLE (1966), basee simultanement sur Ie paleomagnetisme et la technique potassium-argon et qui
confere a certaines laves du Nord de Santa-Cruz, un age pouvant exceder
2.400.000 ans. Les memes auteurs admettent que l'existence d'un substrat
plus ancien n'e st pas exclu. Mais il faut souligne r que tous Ie s pre1E~ve ments
de roche s ont ete effectues, par ce s che rcheurs, dans Ie s regions peripheriques des nes visitees. On peut regretter qu'aucun ecnantillonnage
n'ait
recueilli dans les parties centrales, notamment sous la couche
d'eluvions des hauteurs de Santa Cruz. n est en effet possible que de
nombreux bancs de laves peripheriques proviennent d'eruptions de crateres
adventifs, moins anciens que ceux des regions centrales.
ete
La survivance d'une vieille faune anophtalme d'origine humic ole , dans
une grande ile, qui. fut pe rturbee par de s eruptions volcanique s repetee s,
n'a rien de paradoxa!. Le s coulee s succe ssive s de lave n'affectent qu'une
partie du te rritoire et Ie s regions pe rturbee s ont pu etre recolonisee spar
Ie couve rt vegetal et la faune humic ole au depart de s secteurs inde mne s.
2. - Statut de l'archipel:
Comparee a celle de l'Amerique continentale tropicale, la faune cryptique
terrestre de Santa Cruz offre de grandes lacunes qu'il serait aleatoire
d'enumerer avant que l'etude systematique de nos recoltes ne soit achevee.
L'existence de ces lacunes, constatees aussi a Isabela, plaide en faveur du
point de vue prevalant generalement et selon lequell'archipel est d'origine
e ssentielle ment oceanique ; par ailleurs, I'inventaire de Ia faune relictuelle
aquatique renforce encore la theorie de l'isolement perenne des Galapagos,
depuis leur surrection.
Cependant, comparee a la faune entomologique te rre stre cryptique
d'autres nes oceaniques, la pauvrete de fond de celle de I'archipel de Colon
est moins considerable. Cette caracteristique vient a Pappui de la conception
de K. W. VINTON qui suppose que ce n'e st qu1un bras de me r relative ment
etroit qui separait l'ensemble des Galapagos primitives a l'Amerique tropicale.
Les conclusions de E.C. VAN DYCKE (1953), qui refuse d'admettre Ie
statut d'nes oceaniques aux Galapagos, reposent sur des arguments rien
moins que convaincants, bases sur l'inventaire de la £aune coleopterologique
epigee banale et qui n'englobe que des especes encore physiologiquement
jeunes, expansives dans leur majorite, et ayant conserve des possibilites
d'adaptations dive rse s.
3. - Le probleme de l'isolement des iles :
Selon VINTON) au Miocene, Ie s Galapagos formaient une seule et
grande ile, dont un affais sement du soele n'aurait laisse subsiste r que
les regions elevees qui constituent les iles actuelles. Mais pour certains
- 15' -
geologue s J d'importante s iles auraient toujours ete separee s.
A son stade actuel, il nous semble que l'inventaire de la faune entomologique des Galapagos n'est pas a meme de renforcer l'une ou l'autre de ces
theories.
A pre miere vue J ia speciation asse z importante qui affecte ce rtains
genre s d' Insecte s peuplant plusieurs ne s, plaide rait en faveur d'une grande
ne primitive dont Ie soele se serait affaisse au Pleistocene. Mais, en
re~lite, on constate que ces Insectes, parmi lesquels il convient de citer
les Coleopteres Carabidae du genre Feronia et les Tenebriniodae des genres
Stomion, Ammophorus et Pedonoeces, sont parfaitement pigmentes et ocules
aussi leur apterisme eventuel a une epoque peu lointaine et il est probable
qu'au Pleistocene elle s ont eu la pos sibilite d'etendre leur dispe rsion
plusieurs lie s.
a
En revanche, si des recherches ulterieures faisaient ressortir l'identite
taxinomique complete entre dive rs elements relictuels anophtalme s te rre stre s
peuplant des lies diverses, la theorie de VINTON en serait singulierement
etayee. Une telle constatation laisse rait en eHet suppose r un affaissement
pleistocene du socIe d'une lie unique dont n'eme rge raient plus que Ie s hauteurs diversement remaniees, mais cet affaissement serait intervenu apres
que la vieille faune autochtone, deja senescente a l'epoque, ait perdu toute
possibilite d'evolutions morphologiques divergentes.
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