Jean Calvin, si lointain, si proche : Quelle est la place de sa
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Jean Calvin, si lointain, si proche : Quelle est la place de sa
Jean Calvin, si lointain, si proche : Quelle est la place de sa théologie dans ma vie spirituelle ? Le très rapide tour d'horizon que je vous propose est en même temps un petit jeu de piste : Qu'est-ce que nous partageons, dans notre vie spirituelle, avec Jean Calvin ? En quoi sommes-nous redevables de sa pensée ? Sur quoi ne sommes-nous qu'à moitié d'accord avec lui ? Qu'est-ce que nous refusons ? Et qu'est-ce que nous avons perdu et pourrions redécouvrir ? Cet exposé a été donné une première fois lors de la soirée "Protestants en débat", le 16 mars dernier, et il a été ensuite adapté à notre culte de ce matin. Nous ne ferons pas de Jean Calvin un contemporain ; nous respectons la distance par apport au XVIème siècle, qui était très différent du nôtre. Mais nous ne l'enfermerons pas non plus dans son siècle ; nous reconnaissons son influence sur l'évolution du protestantisme. Quand vous prononcez les mots "protestant" et "Calvin" devant un public toutvenant, on vous répondra invariablement "austérité", "capitalisme", et peut-être encore "prédestination" et "le bûcher de Michel Servet". Mais les préjugés ont parfois quelque chose de bon, car ils peuvent nous donner des pistes de réflexion ! Pour commencer, le seul mot "austérité" nous ouvre déjà à des perspectives spirituelles importantes. Je parlerai donc d'abord de l'austérité, et après, nous verrons rapidement le rôle central de la Bible, la question de la modernité, et enfin un aspect de Calvin largement négligé, c'est-àdire l'amour de la nature ! L'austérité protestante ! C'est l'image caricaturale du protestant historique, du huguenot vêtu de noir, des repas plus que frugaux, d'un incroyable contrôle des émotions, jusqu'à en être complètement coincés, et puis, beaucoup de gens trouvent aussi nos chants au culte très tristes ! Petit clin d'œil : les évangéliques ont la réputation d'être plus exubérants et colorés, mais alors, c'est la morale sexuelle qui est très austère ! Bien sûr, il y a des raisons historiques à l'austérité. Le XVIème siècle était très dur pour tout le monde sauf pour une mince couche de privilégiés. Calvin, pour parler de lui, était malade presque la majeure partie de sa vie, et quand il ne l'était pas, il souffrait de violentes migraines. Il réagissait en faisant peu de cas du corps physique. Les protestants avaient à affronter la persécution et devaient être capables de résister. Et là où ils vivaient en sécurité, ils avaient l'obligation morale de mener une vie exemplaire. Genève, en tant que cité chrétienne (presque) idéale, était comme une vitrine observée par ses adversaires sans aucune bienveillance. Tout le monde vivait sous les yeux du public ; il y avait très peu d'intimité. Mais la sobriété protestante, comme nous allons dire plutôt qu' "austérité", a son fondement spirituel dans la conviction que nous devons user des biens de la vie avec modération et bon sens, et surtout, exactement selon l'usage prévu par le créateur. Donc, il faut éviter le détournement de ces biens tout comme leur gaspillage, y compris le gaspillage du temps ! Il y a sans doute là une interaction avec l'horlogerie suisse, et nous reconnaissons la devise profane "time is money"… mais nous parlerons du capitalisme plus tard. La sobriété protestante est aussi une question de responsabilité devant Dieu. En effet, les Réformateurs valorisent le travail de l'homme et le considèrent comme une vocation de la part de Dieu. L'éthique nous prescrit aussi l'amour du prochain. A la différence de nous, Calvin considère qu'il faut aimer son prochain plus que soi-même. Il y a à ce sujet une amusante anecdote vécue : Lors d'un partage biblique avec des personnes très engagées dans la paroisse, le pasteur pose la question de l'amour de soi, par rapport à l'amour du prochain. La réponse fuse, spontanée et sincère :"Mais, on en s'aime pas, on se déteste !" Enfin, Calvin a le souci permanent de la justice sociale et économique. Nous devons veiller constamment à ne pas réclamer ou retenir, pour nous, un bien qui ferait défaut à mon prochain plus pauvre. D'où l'exigence de se contenter du strict nécessaire. Au niveau de la foi personnelle, la sobriété découle de la relation du croyant avec Dieu. Calvin insiste sur la petitesse de l'homme (qu'il appelle "ver de terre") devant le Dieu Très-haut, ce Dieu de qui nous avons tout reçu et à qui nous devons faire honneur par notre vie. Pour le croyant, il n'y a rien de plus beau, de plus exaltant, que de laisser toute la place à Dieu, et de regarder le moins possible à soi. C'est une relation mystique où l'on approche de l'indicible. La petitesse de l'homme devant Dieu n'est donc pas triste, mais au contraire libératrice ! Ouf ! Je n'ai plus à me soucier de moi-même. Ceci très caractéristique pour le calvinisme. Calvin insiste aussi sur le péché humain, mais là encore, souffrir de mon péché m'est une joie puisque le pardon du Christ est d'autant plus important, et je m'attache d'autant plus au Christ. Au niveau de la théologie, il faut savoir que Calvin étudiait régulièrement les philosophes de l'Antiquité et aussi les théologiens, en particulier Saint Augustin et Saint Jean Chrysostome. Il est d'accord avec l'éthique de la philosophie antique : il faut rechercher le juste milieu en toutes choses (attention, c'est le contraire du "consensus mou" !), mais il faut en même temps rechercher l'excellence et agir avec discernement et détermination. Bien sûr, nul n'est parfait, mais il faut tendre vers la perfection. Seulement, attention, dans ce domaine plus qu'en tout autre, les vertus ne doivent pas être un but en soi ni servir à se faire valoir ! Nul ne doit son salut à soi-même, mais uniquement à Jésus Christ selon la volonté insondable de Dieu. La conséquence pour la vie du chrétien, que j'ai déjà esquissée, est à la fois une grande joie intérieure… et une grande capacité à souffrir ! Calvin considère cette vie essentiellement comme un chemin de croix – là, nous, les modernes, nous ne nous y retrouvons pas ! Mais la croix veut dire union avec Jésus Christ par le Saint Esprit. Elle n'est donc pas angoissante ; mais elle ouvre notre petite vie à la dimension de l'immensité de Dieu. En apprenant à supporter la souffrance, on pénètre sans se laisser détourner jusqu'au sens authentique de notre vie, et on ne tient pas cette vie terrestre pour le but ultime, mais bien la vie éternelle. C'est le bois dont on fait les martyrs ! Mais c'est aussi un moyen de ne pas perdre la foi suite à la souffrance, quelle qu'elle soit.1 Je traiterai maintenant beaucoup plus brièvement les points du rôle central de la Bible et de la question de la modernité. Le rôle central de la Bible a été remis en valeur par la Réforme. La culture "humaniste", suite à la Renaissance, insiste sur la lecture des manuscrits dans les langues anciennes. Le statut du texte est revalorisé, il n'est plus caché par la tradition et autorité de l'Église. A la suite de Calvin surtout, les protestants lisent l'Ancien Testament (presque) sans préjugés ; ils se rapprochent aussi de la pensée du judaïsme. Et puis, les protestants portent souvent des prénoms bibliques ! A Genève, ils étaient même obligatoires. La place centrale de la Bible se retrouve bien sûr dans l'emploi du temps d'une paroisse. A Genève, Calvin prêche très régulièrement ; ces sermons forment le peuple dans la connaissance de la Bible. Par extension, la Réforme valorise l'instruction et la création d'écoles. La piété aussi est nourrie de la Bible, notamment avec le chant des Psaumes. La modernité de la pensée de Calvin vient du principe qu'on appelle la désacralisation de monde. Ce principe est inspiré de la Bible et veut dire : Seul Dieu est 1 Voir texte : méditation sur la germination, en annexe sacré. Seul Dieu peut être adoré. Le monde appartient à Dieu, mais il ne contient pas Dieu ! Dès lors, toute tentation de manipulation à la limite magique des éléments du monde est derrière nous. Il y a Dieu, et il y a la réalité terrestre. S'il y a quelque chose entre, ça ne nous concerne pas ! Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que Calvin était contre l'astrologie prédictive, appelée en son temps astrologie "judiciaire". Par contre, et avec la Bible, il affirme l'importance des lois naturelles, tant au niveau du savoir qu'au niveau de la morale. Au niveau du savoir, il est intéressant de noter que les sciences naturelles se sont épanouies à Genève et que la première ascension du Mont Blanc a été effectuée par un Genevois. Au niveau de la morale, on pensera que même les non chrétiens peuvent comprendre où est le bien et où est le mal. Cette vision universaliste du Dieu créateur de tous prépare à terme un désenclavement de la pensée occidentale et contribuera à l'idée des droits de l'homme. La désacralisation du monde et de la nature, c'est aussi la désacralisation de l'argent ! Les territoires protestants ont autorisé le prêt à intérêt, contrairement au Moyen Âge ; mais ils ont toujours refusé l'usure, en réglementant les taux d'intérêt. Je n'entre pas dans les détails ; mentionnons juste le souci, depuis Calvin, pour que les pauvres puissent s'en sortir par le travail. !après la Réforme, le mendiant ne sera plus une icône du Christ. Mais le Christ nous ordonne d'être équitables et secourables envers notre prochain plus pauvre, et de tout faire pour qu'il devienne moins pauvre. Vous voyez que c'est moins le capitalisme proprement dit qui trouve son fondement dans la pensée réformée que plutôt le christianisme social. Mais la désacralisation de l'argent a en effet libéré les dynamiques d'entreprise et de recherche. Enfin, disons un mot de la désacralisation de l'image. Avec le Deuxième commandement du Décalogue, plus question de vénérer des images dans les églises. Dans un premier temps, le protestantisme a tout misé sur la musique et la parole. Mais dans un deuxième temps, cette désacralisation de l'image a contribué à l'émancipation de l'art et des artistes. De nos jours, on assiste à un nouveau rapprochement entre artistes et Églises, mais toujours en liberté réciproque. Dernière désacralisation : celle de l'Église elle-même ! L'Église n'est pas un moyen de salut, elle est un simple outil de l'annonce de l'Évangile, ainsi que l'assemblée de ceux qui obéissent à la Parole de Dieu. Dieu aime son Église, comme chacun des croyants. L'Église doit s'organiser de façon autonome. A ce sujet, Calvin avait beaucoup de difficultés avec l'administration politique de Genève ; mais dans un certain sens, elles sont inévitables puisque l'Église existe dans la cité. Calvin tenait beaucoup au lien et à la solidarité des Églises entre elles – son abondante correspondance en témoigne – mais il considérait, en rupture avec la tradition et inspiré par le Nouveau Testament, qu'il faut penser une pluralité d'Églises (pluralité protestante, bien entendu !) et non pas développer l'idée d'une seule et même Église présente partout. On constate en effet aujourd'hui que les créations de nouvelles Églises et communautés ont surtout lieu dans le contexte du calvinisme, suivi de près par la tradition anglicane. Pour terminer cet exposé, je voudrais brièvement parler d'une dimension de la théologie et spiritualité de Calvin que nous avons, à mon avis, largement négligée et qu'il serait peut-être temps de redécouvrir. Cette dimension, c'est l'amour de la nature. Le Dieu Très Haut, le Dieu absolument souverain devant lequel nous ne sommes que des "vers de terre" (tiens ! c'est déjà une image tirée de la nature), c'est avant tout le Dieu créateur immensément généreux, qui nous donne, à travers la création, tous les biens, non seulement pour notre nécessité, mais aussi pour notre joie et même notre plaisir. Et alors, cette joie, chez Calvin, elle n'est pas du tout théorique ou philosophique ; il décrit vraiment ce qu'il voit, entend et sent (!), les couleurs du printemps, le chant des oiseaux, le parfum des fleurs… d'une façon très vivante. Comment cet amour de la nature dans la spiritualité de Calvin peut-il nous parler aujourd'hui ? L'engagement écologique est encore balbutiant dans le protestantisme français ; il en va autrement dans les pays protestants du Nord de l'Europe. Mais les choses bougent, par exemple avec le projet pédagogique du scoutisme unioniste. Mais, comme disait un jeune responsable des louveteaux : "L'écologie, ça ne se borne tout de même pas à trier ses déchets !" Non, c'est avant tout la découverte, la fascination par la nature, et pour le chrétien, l'action de grâces envers Dieu. Et je conclus avec une petite phrase extraite d'une déclaration de la , Fédération protestante de France faite au moment de Noël et intitulée Simplicité de vie – limites des ressources et partage des richesses : "Le Créateur nous a fait cadeau d'une planète généreuse qu'il s'agit d'habiter avec mesure et reconnaissance : notre vie est une grâce. La gratitude nous poussera donc à partager ce que nous avons reçu." ANNEXE : "Et bien qu'en l'hiver notre Seigneur retire tellement sa vertu des arbres et de toute la terre qu'on n'y voit qu'une difformité ; et toutefois, quand le printemps est venu, il fait germer les herbages en sorte que tout reverdit. Que nous concluons, donc, quand nous serons du tout desséchés, lorsque Dieu se cachera de nous, que nous serons là comme pauvres trépassés, qu'il nous laissera là en langueur, que nous n'attendions la mort à chacune minute, qu'il nous souvienne de ce mot "germer". Cité d'après Yves Krumenacker, Calvin au-delà des légendes, Bayard 2009, p 509 ; mais je n'ai pas la référence d'origine.