L`Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne

Transcription

L`Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
L'Espace Politique
Numéro 7 (2009-1)
L’État en Afrique
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Kevin R. Cox et Rohit Negi
L’Etat et la question du développement
en Afrique subsaharienne
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Avertissement
Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de
l'éditeur.
Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous
réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant
toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,
l'auteur et la référence du document.
Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation
en vigueur en France.
Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le CLEO, Centre pour l'édition
électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Référence électronique
Kevin R. Cox et Rohit Negi, « L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne », L'Espace
Politique [En ligne], 7 | 2009-1, mis en ligne le 15 juillet 2009. URL : http://espacepolitique.revues.org/
index1287.html
DOI : en cours d'attribution
Éditeur : Département de géographie de l'université de Reims Champagne-Ardenne
http://espacepolitique.revues.org
http://www.revues.org
Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://espacepolitique.revues.org/index1287.html
Document généré automatiquement le 17 juillet 2009.
Tous droits réservés
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
Kevin R. Cox et Rohit Negi
L’Etat et la question du développement en
Afrique subsaharienne
« (…) au sens marxiste du terme, l’Afrique a souffert, non d’avoir été exploitée, mais de n’avoir
pas été suffisamment exploitée. L’investissement du capital n’y a pas été suffisant, trop peu
d’Africains ont travaillé et gagné suffisamment pour produire une plus-value relative. Le surplus
réinvesti a été insuffisant » (Leys et Saul, 1999).
1
2
3
4
5
La faiblesse des institutions politiques constitue une des représentations les plus courantes
concernant l’Afrique subsaharienne. Les chercheurs parlent d’États faibles, sinon « échoués »,
marqués par le tribalisme, les guerres civiles, ainsi que par une nette disjonction entre
le caractère formel des institutions démocratiques, dans la mesure où elles existent, et la
conduite de la politique. La conséquence, prétend-on, est le retard matériel du sous-continent :
un manque de développement. Ces représentations sont très courantes et les réflexions
des chercheurs contribuent à leur donner une certaine légitimité. Selon eux, le problème
fondamental vient de l’État et de son rapport à la société : c’est la faiblesse de l’État, et la
vacuité des institutions démocratiques, qui produiraient le sous-développement2.
Dans cet article, nous contestons cette interprétation. En ce qui concerne le problème
du développement en Afrique, la littérature actuelle privilégie les interprétations
« individualistes » (par exemple, l’absence d’esprit entrepreneurial), culturelles ou
institutionnelles. Nous souhaitons au contraire mettre l’accent sur les obstacles structurels au
développement capitaliste en Afrique. A notre avis, les observateurs ont pris les effets pour les
causes. Au contraire, la raison pour laquelle l’Afrique subsaharienne (à quelques exceptions
près qui confirment la règle) a des institutions politiques faibles est le sous- développement et
la faiblesse du développement capitaliste en particulier.
Le développement capitaliste facilite la construction d’États forts en même temps qu’il
produit la seule classe sociale capable d’engendrer la démocratie universelle, même dans les
contraintes d’un État bourgeois : la classe ouvrière. Nous affirmons que, compte tenu de la
géographie actuelle de la production en Afrique, un transfert généralisé vers un développement
de type capitaliste est improbable. A partir de ces hypothèses, les pays africains sont face à
deux choix. Première possibilité, les élites gouvernantes choisissent la route du développement
capitaliste, ce qui entraîne des transformations sociales de grande ampleur, et appelle la mise
en place d’un programme vigoureux que Marx appelle l’étape d’accumulation primitive. En
toute probabilité, cette voie est complètement opposée aux intérêts des défavorisés ; aussi,
provoque-t-elle inévitablement une marée de contestations populaires. En fait, et jusqu’à
présent, seuls les États autoritaires comme la Corée du Sud, Singapour et Taiwan, qui peuvent
ignorer les pressions populaires, ont réussi à promouvoir la transformation capitaliste. Par
ailleurs, on voit également des États autoritaires, comme l’Indonésie, qui se sont servi du
discours sur le développement afin de légitimer la répression et la corruption. On peut donc
se méfier de tels efforts.
La deuxième possibilité pour les élites gouvernantes est l’abandon de l’objectif du
développement de type capitaliste parce qu’il représente une utopie impossible en raison des
obstacles structurels identifiés plus haut et de la place ténue que l’Afrique occupe dans la
structure du capitalisme mondial. Au lieu de cela, elles se focaliseraient alors sur une politique
plus autonome et créative en se servant des conditions actuelles (cf. Bernstein, 2001 ; Saul,
2006).
Nous commencerons ici par interroger les principaux arguments concernant la faiblesse des
institutions étatiques et de la démocratie en Afrique subsaharienne. Ensuite, nous en ferons
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
2
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
une critique et suggérerons une interprétation différente, qui se fonde sur les faiblesses du
développement capitaliste en Afrique et sur l’absence des prérequis nécessaires à la séparation
des producteurs et des moyens de production (ici, le sol). Le développement capitaliste
produit une classe ouvrière dont la résistance nécessaire entraîne, de manière dialectique,
l’approfondissement du premier. Par ailleurs, l’émergence d’un mouvement ouvrier suscite
des changements politiques, car celui-ci exerce une pression en faveur de la représentation
de la classe ouvrière au niveau de l’État. De son côté, et partiellement en conséquence, l’État
accroît sa capacité de fonctionnement, étape essentielle de la division sociale du travail. Il
s’agit là du processus classique du développement capitaliste dans tous les pays où il a réussi
à s’enraciner. Mais cet enracinement s’est fait de manière inégale et « dénivelée ». Dans la
troisième partie de l’article, nous discuterons de la façon selon laquelle ce « dénivelé » a touché
l’Afrique. Nous démontrerons qu’il existe, dans cette région, des causes spécifiques expliquant
la faiblesse de la propriété foncière – facteur important du développement capitaliste –
qui sont notamment liées à la géographie historique de l’expansion européenne en Afrique
subsaharienne. S’il a eu lieu, le développement de la propriété privée du sol est, en grande
partie, le résultat d’une dépossession des indigènes par les colons — ce qui fut par exemple
le cas en Afrique du Sud.
Théoriser les institutions étatiques en Afrique
subsaharienne
6
7
8
9
Il existe trois thèses principales concernant l’État en Afrique subsaharienne : celle de Jean-François
Bayart (1993), celle de Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz (1999), et celle de Mahmood Mamdani
(1996). Les deux premières sont largement de type culturaliste, la troisième est plus étatique. Toutes
sont instructives, même si, en fin de compte, elles restent peu convaincantes.
P. Chabal et J.-P. Daloz s’intéressent à la faiblesse de l’État africain et au manque concomitant
d’institutions représentatives. Selon eux le problème immédiat, mais pas fondamental, provient de
l’incapacité à différencier l’État du reste de la société. Les cadres officiels, élus et nommés, le
traitent comme s’il était une ressource privée. Cela révèle l’ampleur de la corruption, du népotisme,
de l’escroquerie et du détournement des ressources allouées théoriquement au renforcement de ces
institutions étatiques. Selon eux l’explication fondamentale de cet état de fait est d’ordre culturel et
spécifiquement africain : il est dû à l’omniprésence du caractère patrimonial de la société. Les
fonctionnaires et les élus conservent leurs positions et leur légitimité par la création de réseaux
personnels avec leurs clients. Ces réseaux s’organisent selon des critères comme l’ethnicité, la
parenté, et les affinités locales. On les considère comme de Grands Hommes en échange d’un
partage plus large des richesses qu’ils détournent.
Par conséquent, là où l’on trouve des institutions démocratiques formelles, il faut rester prudent sur
leur signification réelle. En effet, la position de l’individu au sein de ces institutions ne s’inscrit pas
dans le cadre d’un programme politique répondant à des intérêts sociaux – intérêts qui n’existent pas
au niveau individuel mais plutôt à celui d’un parti politique. Or, les élections ou les nominations à
des positions officielles désignent toujours des individus particuliers, derrière l’étiquette partisane.
Ce sont les « Grands Hommes » [Big Men] qui sont dorénavant responsables face aux électeurs qui
les ont élus, ou qui ont voté en faveur du parti qui les a nommés. L’idée de responsabilité s’applique
presque exclusivement aux individus et non pas aux partis. L’État et ses institutions ne possèdent
pas de légitimité. Celle-ci est plutôt l’affaire des patrons et, de leur côté, leur légitimité dépend de
leur capacité à irriguer leurs réseaux respectifs avec les richesses qu’ils ont réussi à capter.
De cette interprétation culturelle, P. Chabal et J.-P. Daloz déduisent plusieurs hypothèses sur le
faible développement économique du continent. Ainsi, l’absence d’un État autonome vis-à-vis de la
société, et relativement impartial, accroît les avantages que l’on tire de la participation aux réseaux
de pouvoir. Le résultat du nécessaire investissement dans les réseaux clientélistes pour les « Grands
Hommes » est que cet argent n’est pas investi dans les entreprises. Certes, la participation aux
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
3
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
10
11
affaires de l’État facilite l’acquisition ou la gestion d’entreprises, mais celles-ci sont utilisées par
ces « Grands Hommes » moins comme moyen d’accumulation que comme moyen de maintenir
leur légitimité dans leurs réseaux. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de distribuer des richesses
mais également de consommer à la manière d’un « Grand Homme » afin de satisfaire ce que Chabal
et Daloz appellent le besoin d’« émerveillement » des clients devant le patron … ce qui peut être
également défini comme une ressource politique (p.107)3.
La position de Bayart sur l’État subsaharien est similaire: l’Etat est une ressource permettant le
pillage des richesses à des fins privées. Il met au centre de son analyse le même type de facteur,
à savoir le caractère patrimonial de la société, qui est un élément clé de l’interprétation de Chabal
et Daloz. Il utilise des arguments culturels similaires en parlant des Grands Hommes ou de ceux
qu’il appelle « ceux aux grands ventres » – expression inspirée du sous-titre de son livre (Bayart,
1993) : « Un homme de puissance qui a la capacité d’amasser les richesses et de les redistribuer
devient “un homme d’honneur.” Dans ce contexte, la prospérité matérielle est une des vertus
politiques principales et elle ne suscite pas de désapprobation » (p.242). Toutefois, il ajoute que cette
redistribution des richesses est nécessaire pour que celles-ci soient considérées comme légitimes.
On doit cependant remarquer maintenant quelques différences.
Tout d’abord, Bayart attribue un rôle éminent au fait que les États de l’Afrique subsaharienne ont
toujours été faibles. En essayant de l’expliquer, il recourt à un déterminisme environnemental très
critiquable. Il affirme ainsi que la construction des États était difficile pour deux raisons. D’une
part, la faible densité de la population qui facilite le déplacement, ce qui permet aux gens de ne
pas avoir à se subordonner à un dirigeant en particulier. D’autre part, la technologie agricole – en
particulier l’absence de la roue, et ses implications en ce qui concerne la mobilisation de l’énergie
éolienne et hydraulique, et l’utilisation des animaux de trait – qui impose des limites sévères en
termes de productivité. Or, cette faible productivité est un défi pour extraire le surplus dont l’État
dépend. Ensuite, il fait référence à l’absence de droit foncier formel et à ses conséquences sur les
rendements agricoles. C’est l’avènement des empires européens qui a permis la centralisation de
l’accumulation, et l’établissement d’institutions qui, dans un contexte postcolonial, vont permettre
le pillage du surplus minier et agricole voué à l’exportation. Mais, en accord avec ses croyances
déterministes, il indique que l’accroissement de la densité de population peut faire la différence à
l’avenir :
« Prédominance des stratégies d’extroversion et d’évasion, manque de surexploitation, faiblesse
d’accumulation, sous-production dans l’économie, évaluation de la richesse en termes d’hommes
plutôt que de biens et de sol, représentation de l’espace en termes de mobilité, conception
plurielle du temps : toutes ces caractéristiques doivent probablement beaucoup à une faible
pression démographique. De fait, et à la lumière d’un changement démographique rapide et les
changements sociaux qu’il accompagne ou qu’il suscite — urbanisation accélérée, instabilité
économique et financière, spoliation de l’environnement écologique, remaniement des rapports
entre l’individu et l’espace et le temps — on se demande sur le futur. Rien ne nous prévient
d’imaginer que ces forces produisent à l’avenir une augmentation de l’exploitation économique
et de la domination politique, donnant lieu à une institutionnalisation des processus qui est plus
proche à l’idéal de Max Weber d’un État bureaucratique » (Bayart, p.264 ; souligné par les
auteurs).
12
13
Cette affirmation est étonnante et sa logique contraste, dans une large mesure, avec le pessimisme
de Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz. D’autre part, F. Bayart comme P. Chabal et J.-P. Daloz
diffèrent clairement de l’interprétation de Mahmood Mamdani.
Contrairement à Bayart, M. Mamdani affirme en effet que la signification des institutions coloniales
n’était pas de fournir aux Africains une centralisation du pouvoir qu’ils avaient jusque-là éludée.
Il, il s’agissait plutôt de mettre en place ce qu’il appelle « l’État divisé ». Par conséquent, et
en opposition à Chabal et Daloz, l’interprétation que fournit Mamdani est plus politique, même
politiste, que culturelle. De plus, et en contraste avec les autres auteurs il rejette, du moins
implicitement, l’idée selon laquelle pour comprendre l’État africain actuel, il nous faut fouiller
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
4
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
14
15
16
17
dans l’histoire précoloniale. C’est plutôt la période coloniale qu’il faut mettre en exergue. Dans
l’Afrique subsaharienne, l’ « État divisé » offre un héritage crucial. Dans les empires français,
anglais, allemand, portugais ou belge, les formes de gouvernement était largement identiques. Le
territoire colonial était divisé en deux parties, l’une soumise au gouvernement direct, l’autre au
gouvernement indirect.
Dans les aires où prévalait le gouvernement indirect, les chefs coutumiers étaient des intermédiaires
nécessaires qui assumaient tout à la fois les fonctions administratives, législatives et judiciaires. En
conséquence, les Africains dans de telles aires étaient les « sujets » du livre de Mamdani. De plus,
les populations étaient tribalisées et sont demeurées telles parce que la tribu a été le critère selon
lequel le territoire colonial a été subdivisé pour renforcer ce gouvernement des chefs coutumiers.
Le régime foncier était tribal et le sol était alloué par le chef. Par conséquent, les rapports de marché
ne s’étendirent dans les aires du gouvernement indirect que par la pratique du travail migratoire qui
se dirigeait vers les aires sous gouvernement direct — situation qui était fréquente en Afrique du
Sud, et en Afrique australe plus généralement, par la vente des produits agricoles.
Dans les régions où le gouvernement colonial gouvernait directement, les rapports étaient plutôt
fondés selon un régime raciste que selon un régime tribalisé. La loi civile prévalait ainsi que
la propriété privée qui était essentiellement aux mains des Blancs. Seuls les Blancs avaient
les droits de représentation dans l’assemblée coloniale dont étaient exclus les Africains. Dans
quelques cas, la division entre les aires sous gouvernement direct et celles sous gouvernement
indirect correspondaient à la dichotomie entre espaces urbain et rural quoique parfois, comme
dans l’ancienne Rhodésie du Sud et l’Afrique du Sud où se trouvaient plus de colons blancs, cette
distinction était moins claire. Néanmoins, M. Mamdani met en exergue la distinction entre urbain
et rural afin de souligner la séparation juridictionnelle entraînée par l’ « État divisé ».
Cette division facilita la tâche du gouvernement colonial, parce qu’elle permit une économie
de personnel européen. De plus, le gouvernement indirect divisa la population autochtone en
instrumentalisant l’appartenance tribale comme critère unique d’accès au sol. De plus, cette division
engendra des tensions entre les mondes urbains et ruraux empêchant l’émergence de mouvements
de résistance unifiés. D’une part, les chefs coutumiers donnèrent leur soutien à la continuation
du gouvernement colonial parce qu’ils en étaient les bénéficiaires. Le gouvernement indirect leur
donna accès à une variété de revenus – les amendes de la cour, le produit de travaux forcés,
et d’autres extorsions. D’autre part, les intérêts des Africains des villes sans attaches avec les
tribus et les intérêts des travailleurs migratoires ruraux toujours tribalisés ne convergèrent pas
nécessairement. L’intérêt des travailleurs migrants à l’amélioration des conditions de vie dans les
villes était faible en vertu du fait qu’ils en profiteraient peu. Souvent, les mouvements africains de
libération furent considérés comme une menace par les chefs tribaux, visés en tant que bénéficiaires
de l’ancien régime et, de fait, ces mouvements d’émancipation étaient combattus à la fois par le
pouvoir colonial et ses alliés tribaux. Cependant, dans de maints contextes, et particulièrement au
Ghana (Rathbone, 2000), l’État postcolonial devait lutter contre les chefs afin de s’emparer de
leur souveraineté. D’autre part, les chefs contrôlaient une partie essentielle d’un régime foncier qui
rendait possible une subsistance matérielle à ceux qui appartenaient à la tribu.
Par conséquent, et selon Mamdani, le problème auquel l’État postcolonial a dû faire face a été
de relier l’urbain et le rural. Il existe une tendance selon laquelle les institutions démocratiques
se trouvent seulement dans les aires urbaines alors que le rural sous le contrôle des chefs, qui
mobilisent les membres des tribus en raison de leur pouvoir à assigner la propriété du sol, résiste au
gouvernement civil. En même temps, ils essaient de faire passer les conflits avec l’urbain comme des
conflits de tribu, pour que le mouvement de libération devienne un mouvement ethnique en déguisé.
Ce fut ainsi le cas en Afrique du Sud, produisant la guerre civile au Natal et dans les cantonnements
près de Johannesburg. Inquiet pour le futur pouvoir des chefferies dans une Afrique du Sud où le
Congrès National Africain serait la principale force gouvernementale, le mouvement nationaliste
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
5
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
zoulou (Inkhata Freedom Party) tenta de peindre l’ANC comme un parti Xhosa souhaitant dominer
les autres peuples de l’Afrique du Sud.
1. logiques du développement capitaliste, l’Etat et la Démocratie
Les
18
Selon Chabal, Daloz, et Bayart, le sous-développement en Afrique subsaharienne est le produit
des institutions étatiques. Chabal et Daloz affirment que la nécessaire redistribution aux réseaux
clientélistes prévient la possibilité d’accumulation. Bayart, lui, est un peu plus prudent. Bien
que l’essentiel de son argumentation repose sur l’idée du caractère parasitaire de l’État en
Afrique subsaharienne et du détournement des ressources potentielles de développement, il suggère
également que la faiblesse des institutions étatiques est liée à la faible densité de population. De plus,
on doit remarquer que tous ces auteurs font référence à la classe sociale sans la relier à l’absence
de dynamique d’accumulation du capital. Encore une fois, c’est l’omniprésence du système
patrimonial qui explique l’absence de rapports sociaux capitalistes. Chabal et Daloz écrivent ainsi :
« (…) le continent est largement dépourvu de classes sociales … Dans la culture actuelle africaine,
les patrons auront toujours des liens plus proches avec leurs clients qu’avec les patrons des factions
rivales. A l’autre extrême de l’échelle sociale, les petits rapporteront plus directement toujours à
leur Grand Homme local qu’à leurs pairs économiques ailleurs dans le pays » (p.41)
19
20
21
22
Bayart est un peu plus nuancé en indiquant que le commerce demeure ‘la majeure activité
économique’ et non la production. Et par production, on doit supposer la production de biens
destinés à l’échange ayant pour but l’accumulation (p.103) et pas le paiement, par exemple, des
impôts. Mais comme P. Chabal et J.-P. Daloz, il reconnaît également que les sociétés africaines ne
sont pas des sociétés de classe.
La thèse de M. Mamdani est plus complexe. Son livre comporte en particulier une analyse
intéressante et surprenante sur le cas de l’Afrique du Sud. Il semble que ce soit ce pays, et les
conflits fratricides qui accompagnèrent la dissolution de l’apartheid, qui soient le principal motif
de son ouvrage. Il affirme ainsi que la division des structures d’État qui avait lieu sous l’apartheid,
entraînant la conversion des anciennes réserves indigènes en soi-disant ‘homelands’, était une
réponse à la peur que suscitait l’émergence d’un prolétariat africain, installé en permanence dans les
villes et coupé de ses liens avec les structures traditionnelles des réserves indigènes. Ces inquiétudes
manqueraient de sens sans l’existence d’un processus de développement capitaliste spécialement
vigoureux.
Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’en Afrique du Sud et depuis longtemps existait une croyance très
répandue selon laquelle le travail migratoire serait un préalable nécessaire à la rentabilité de
l’industrie minière. De plus, les réserves indigènes étaient une condition essentielle des bas salaires
des mineurs parce qu’elles assuraient la subsistance des familles des travailleurs migratoires,
bien que dans une part décroissante. Ces constats suggèrent que ce n’était pas une structure
étatique particulière qui était la cause du développement, mais le développement, et ses conditions
matérielles, qui fondèrent cette structure étatique. Cette interprétation est confortée par le fait que
les aires sous gouvernement indirect en Afrique du Sud étaient relativement petites en comparaison
à celles du reste de l’Afrique subsaharienne ; par ailleurs, dans deux des quatre provinces qui
constituèrent l’Union de l’Afrique du Sud en 1910, il n’y avait pas du tout de réserves indigènes
avant 1913. Ainsi, il ne s’agissait pas ici de résoudre un problème indigène, mais de résoudre un
problème de main d’œuvre4.
A partir de ces constats, nous arrivons au cœur du problème. Le cas de l’Afrique du Sud en
est la clef. En effet, Il s’agit du seul pays de l’Afrique subsaharienne qui a subi un processus
vigoureux de développement capitaliste accompagné d’une prolétarisation des producteurs . Un peu
de production de subsistance demeure dans les anciens homelands — qu’on appelle maintenant les
« aires rurales profondes » — mais de façon peu significative. Pour la grande majorité des Africains,
« travailler » veut dire « travailler afin de gagner un salaire ». C’est la seule partie du sous-continent
dans laquelle les affirmations de P. Chabal et J.-P. Daloz et de F. Bayart constatant l’absence de
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
6
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
23
classes sociales sont clairement fausses. Ensuite, en contraste avec l’ensemble des pays d’Afrique
subsaharienne, seule l’Afrique du Sud peut prétendre avoir des institutions démocratiques stables et
un État fort qui a pu considérablement pénétrer la société civile. Et en dépit des inquiétudes actuelles
le pays a réussi à se préserver du parasitisme que l’on trouve si souvent ailleurs en Afrique.
Ces constats sont liés les uns aux autres. Il nous semble que, pour comprendre le développement
politique, en Afrique comme ailleurs, il nous faut d’abord mettre l’accent sur le processus
de développement capitaliste. Au contraire de Chabal, Daloz et Bayart, nous pensons que le
patrimonialisme et la forme particulière de l’État en Afrique, sont le résultat d’un manque de
développement ; et non l’inverse. Ainsi, dans le reste de cette section, il nous faut développer deux
idées ; tout d’abord, le développement capitaliste est le préalable des processus de démocratisation ;
et deuxièmement, les prémisses du développement capitaliste ont dans un grande mesure manqué
en Afrique. Certes, ce préalable n’a rien à voir avec la faiblesse actuelle des États africains.
1.1 Le développement capitaliste et la démocratisation
24
25
Le lien entre un gouvernement stable et démocratique et le développement est une affirmation
commune en sociologie politique (voir par exemple, Lipset, 1959; Cutright, 1963; Cutright et Wiley,
1969). D’ordinaire, il s’agissait de rendre évident une corrélation entre d’une part une mesure
quantitative de la stabilité des institutions démocratiques d’un pays, et d’autre part une mesure
du développement – habituellement le produit national brut par habitant. Il n’est pas difficile de
nuancer de telles recherches mais le lien est fort et nécessite une explication.
On peut faire ici plusieurs constats liés. Premièrement, on ne peut pas séparer les conceptions
de liberté et d’égalité qui soutiennent l’État moderne démocratique des pratiques de l’échange de
marchandises. Marx, lui-même, était clair, bien qu’il tienne à souligner le caractère essentiellement
idéologique des sens particuliers dont on se servait :
« La sphère de la circulation des marchandises, où s'accomplissent la vente et l'achat de la force
de travail, est en réalité un véritable Eden des droits naturels de l'homme et du citoyen. Ce qui y
règne seul, c'est Liberté, Egalité, Propriété. » (Capital Tome 1, chapitre 6.)
26
27
28
Voici quelques conditions fondamentales de la construction d’un État qui, bien qu’il soit séparé de
la société civile, a la fonction de protéger ces droits. Le contraste avec les formes pré-modernes
de l’État est absolu. L’État capitaliste entraîne une forme de représentation, une autorité exécutive,
et une indépendance judiciaire qui y est étrangère. Le gouvernement ne peut plus fonctionner sans
une part de représentation populaire, même si au début cette représentation est conçue de manière
très étroite. Ensuite, en vertu d’une justice indépendante, le gouvernement ne peut pas agir contre
un ensemble de lois destinées à protéger les droits fondamentaux. En bref, les capitaux sont alors
libres d’accumulation ; leurs besoins sont désormais représentés, ce qui ouvre la voie à un État
qui peut orchestrer une grande division sociale du travail, facilitant l’échange, créant les systèmes
de formation, facilitant la construction des chemins de fer et des facilités portuaires, et palliant
les tensions entre les classes sociales. C’est ce type d’État qui est absent de la plupart des pays
d’Afrique subsaharienne.
La citation fameuse de Marx suppose la production de marchandises avec des marchandises : la
force de travail est une marchandise et par conséquent les pratiques matérielles de la liberté et de
l’égalité dans leurs formes bourgeoises deviennent universelles. Néanmoins, la prolétarisation de la
population n’engendrait pas mécaniquement des droits démocratiques. Il a fallu lutter pour eux et
ils ne furent obtenus qu’après que le processus d’accumulation se soit développé au point que l’on
puisse extraire de la plus-value dans sa forme relative. Comme l’affirment Fine et Harris (1979).
Et bien sûr la bourgeoisie s’efforça de s’employer à cette restructuration par la mécanisation et
le remaniement continuel du processus de travail cherchant l’augmentation de la productivité du
travailleur. C’est ce que Marx appela l’incorporation du travailleur en tant que partie intégrante du
capital. Ici, les affirmations de Goran Therborn (1977) deviennent importantes. Therborn reconnait
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
7
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
29
30
31
le rôle essentiel du mouvement travailliste dans la lutte pour les droits démocratiques. En outre, il
reconnaît qu’il avait également besoins d’alliés parmi les firmes capitalistes5.
Aussi, les divisions entre firmes capitalistes furent un allié dans cette lutte pour les droits : d’une
part, la division entre les plus grandes et les plus petites ; d’autre part, la division entre entreprises
appartenant à des branches productives différentes. Mais la contribution essentielle de Therborn est
de souligner une idée essentielle : c’est par l’incorporation du travailleur en tant que composante du
capital, dans le processus de travail, qu’il était possible de gagner des droits démocratiques. Au 19e
siècle, on eut peur que l’élargissement du droit de vote ouvre la voie à la création d’impôts punitifs
contre la bourgeoisie et in fine à la liquidation de cette dernière. Mais une telle interprétation néglige
ce que Therborn a appelé « l’élasticité et la capacité expansive du capitalisme … L’augmentation
de la productivité facilite une augmentation simultanée du taux d’exploitation et des revenus réels
des masses exploitées tous les deux » (1977, p.30).
Pourtant, une observation fondamentale demeure : la condition nécessaire de la différenciation de
l’État et de la société civile, que cherchent en vain Chabal, Daloz et Bayart en Afrique, est un
processus inhérent au développement du capitalisme. Le capital a besoin de la transformation de
l’État, surtout si ce dernier se révèle capable de protéger la liberté et l’égalité dans l’échange, rendant
ainsi possible l’accumulation. Du point de vue de la classe ouvrière, il faut remarquer que ce ne sont
là en fin de compte que des catégories idéologiques qui maquillent le manque de liberté et d’égalité
sur le lieu de production. Néanmoins, elles sont inscrites sur les bannières derrière lesquelles le
mouvement travailliste manifeste pour l’élargissement des droits démocratiques.
Pourtant, l’idée de droits individuels et par conséquent celle de citoyenneté sont inscrites dans
le processus même du développement capitaliste. Il nous faut par conséquent poser la question
suivante : comment expliquer la faible émergence du type occidental de l’individu citoyen dans la
plus grande partie de l’Afrique subsaharienne ?
1.2. La faiblesse du développement capitaliste en Afrique
subsaharienne
32
33
L’expansion du capitalisme à travers le sous-continent a été faible et c’est en grande partie à cause
de cela que les conditions nécessaires à l’émergence du capitalisme sont absentes. Le capitalisme
n’est pas possible à moins que les producteurs immédiats ne soient privés de la propriété des
moyens de production et ne soient par conséquent obligés de vendre leur force de travail à ceux
qui disposent de l’argent suffisant pour les réunir et leur fournir les moyens de production. C’est
ce processus qui entraîne nécessairement l’accumulation : développement de la productivité du
travailleur, croissance du revenu de l’État dans la mesure où l’État peut fonctionner effectivement
comme une partie de la division du travail capitaliste, émergence d’un mouvement travailliste qui
peut lutter pour l’élargissement des droits démocratiques ; ce qui, en retour, peut faciliter une
diminution des risques sociaux auxquels le prolétariat doit faire face.
Mais dans la plus grande partie de l’Afrique, les travailleurs ont toujours un droit d’accès à la terre6.
Le système d’affermage est généralement informel. Aussi, le régime foncier permet l’extension des
surfaces cultivées mais, en l’absence de droits de propriété privée, on ne peut pas se servir de la
terre agricole pour effectuer un nantissement dans le cadre d’une demande de crédit. En outre, on
ne peut déposséder personne de ses droits sur une terre. Par conséquent la formation d’une force
de travail est très difficile, à l’exception de travailleurs migrants qui ont temporairement le statut
d’ouvrier. Le mode de gouvernement souvent extensif et indirect pratiqué en Afrique subsaharienne
n’est pas étranger à cette situation non plus. Il a permis de geler les rapports de propriété dans leurs
formes précapitalistes sur de vastes aires. Cela a limité, comme l’a reconnu Mamdani, la pénétration
des rapports de marché, mais cela a aussi bloqué l’essor de formes capitalistes de développement.
Il est vrai que la domination des rapports précapitalistes de propriété et son implication sur le
développement capitaliste ne sont pas des affirmations originales. D’autres ont relevé ces éléments
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
8
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
avant.7 Notre objectif est ici de montrer le lien entre cela et les processus de formation de l’État
capitaliste.
Le cas de l’Afrique du Sud
34
35
36
37
38
Cette explication, applicable à l’Afrique subsaharienne dans son ensemble, est marquée par
l’exception révélatrice de l’Afrique du Sud. Sous le régime d’apartheid, le pays se dota déjà d’un
État à fort pouvoir de régulation. Certes on en mobilisa une grande partie afin d’atteindre des
buts apparemment8 raciaux. Mais de plus, il joua un rôle décisif en ce qui concerne, entre autres,
l’agriculture blanche, l’industrie, la planification urbaine, les infrastructures de transport (chemins
de fer, ports, aéroports), l’approvisionnement en eau ou les réseaux d’assainissement.
L’ingénierie sociale appliquée aux « non-européens » était de grande ampleur et, souvent, d’une
efficacité redoutable. Dans les villes, le gouvernement fit prévaloir une ségrégation raciale d’une
radicalité effrayante parvenant à renverser avec succès la tendance de longue durée à l’urbanisation
des Africains. Tout cela fut facilité par une économie nationale relativement performante, du
moins jusqu’au début des années 1980. Depuis 1994, on y a ajouté les institutions démocratiques
d’une stabilité évidente, dont le suffrage universel. L’Afrique du Sud est le seul pays de l’Afrique
subsaharienne qui s’approche, dans une large mesure, des standards de l’État moderne, stable et
démocratique. C’est le type de l’État qui attire l’attention des agences internationales d’analyse du
risque comme ‘atteignant les fondements convenables.’
Ce n’est pas par hasard si cela a été construit sur une forte base capitaliste. Durant l’histoire de
l’Afrique du Sud, la dépossession des indigènes fut constante. En raison d’un accès supérieur aux
armes comme à l’ensemble des technologies de domination (politique, financier, etc.) les Blancs
s’étaient approprié l’essentiel de l’espace sud-africain avant même la déclaration de l’indépendance
du pays en 1910. En termes d’accès à leur propre sol, les Africains étaient confinés sur moins de
quinze pour cent de la surface totale du pays, ce qui n’avait rien à voir avec la structure territoriale
de l’État colonial dont parlait Mamdani en renvoyant à « urbaine » et « rural ». Néanmoins, et de
façon pertinente pour expliquer l’apparition de la démocratie en Afrique du Sud, dans les régions où
les Blancs possédaient le sol, beaucoup d’Africains y avaient aussi accès. Il s’agissait des métayers9
et de ceux qui pouvaient cultiver un peu de terre en échange d’un travail pour le propriétaire, et
qu’on appelait les labor tenants. Dans ces conditions, l’achèvement du processus de l’accumulation
primitive allait être long et pénible.
Par conséquent, le développement des mines d’or qui allait fonder l’Afrique du Sud moderne,
allait être très difficile. On pouvait attirer les capitaux afin de les investir dans le secteur minier
mais la création d’une main-d’œuvre à salaires suffisamment bas10 était délicate. Une composante
fondamentale de la solution serait le recours à l’immigration. En utilisant la main-d’œuvre
immigrée, on pouvait réduire les salaires à un niveau permettant la rentabilité et ce en vertu du fait
que la famille du travailleur migrant tirait des moyens de subsistance du sol des réserves.
Néanmoins, pour réfuter le cadre interprétatif de Mamdani, on ne peut pas limiter ainsi les liens entre
l’urbain et le rural. Il a toujours existé une urbanisation permanente des Africains dans l’Afrique du
Sud. L’expansion des villes a engendré une grande variété des métiers, que ce soit dans le service
domestique et, plus tard, dans l’industrie. En outre, l’industrie ne reposait pas sur la main-d’œuvre
migratoire. Or, c’est justement la présence croissante des Africains dans les villes qui suscita, dans
une large mesure, et comme l’affirma Mamdani, dans les gouvernements d’apartheid la volonté
de renforcer les structures de l’État divisé. Pourtant, ce n’était qu’une partie d’un projet plus vaste
d’ingénierie sociale qui aurait eu, sur la longue durée, des implications très importantes pour le
développement de la démocratie dans ce pays. Le but ultime était de produire une Afrique du
Sud sans Noirs. Les Africains seraient devenus citoyens des homelands et l’on aurait cantonné les
derniers sur la base géographique de réserves indigènes. A son tour, ce projet entraînait une tentative
à grande échelle de les expulser des prétendues aires rurales « blanches ». Beaucoup d’Africains
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
9
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
39
40
41
42
vivaient toujours dans les fermes blanches et ils avaient, dans une certaine mesure, un accès au sol
et jusque-là, les fermiers-propriétaires ne pouvaient pas se passer de leur travail.
La contribution du gouvernement sud-africain était d’achever le processus d’accumulation
primitive et de la prolétarisation de l’Africain, dans le but de « blanchir » les aires rurales
« blanches ». Afin de réduire le besoin en travailleurs africains dans les fermes blanches,
le gouvernement subventionna la mécanisation à grande échelle. Cela produisit ce que le
gouvernement appelait les « gens en surnombre » qui étaient ensuite « rapatriés » vers les homelands
alors en cours de création. Les résultats, pourtant, furent inattendus, car, sans projet, les travailleurs
migratoires furent convertis au statut de semi-prolétaires disposant d’un accès au sol sur les
fermes blanches, ou de prolétaires complets dont les familles ne pouvaient survivre sans le travail
continu d’au moins quelques membres dans les villes. En effet, pour les ‘rapatriés’ il n’y avait
pas d’accès au sol dans les homelands. Cela ouvrit la voie au soi-disant travailleur migratoire
« professionnel » (Crush 1989, p.19-20 ; 1995, p.25) qui, à la fin d’un contrat, entrait immédiatement
dans un autre pour l’année suivante. Le contraste avec ce qui prévalait jusque-là était extrême car
le travail migratoire avait été, en général, discontinu : une année de travail suivie par six mois, ou
même un an ou deux, dans les réserves.
Une des conséquences de cette prolétarisation fut de donner un grand essor au mouvement
travailliste africain et, au bout du compte, au mouvement de résistance contre l’apartheid. Le
nombre d’Africains adhérant aux syndicats augmenta rapidement de 1975 à 1985. Privés de leur
accès au sol, les Africains faisaient face à un horizon très incertain. Du fait que le travail salarié
était maintenant permanent, faire pression afin de transformer les conditions de travail devint
une nécessité plus pressante. Et, bien qu’il soit vrai que le pôle national de la lutte de libération
était d’une importance cruciale, le mouvement travailliste n’en était pas moins déterminant. Non
seulement il donnait son soutien aux soi-disant ‘civics’ dans les townships, en particulier les
grèves d’une seule journée afin de faire pression sur le gouvernement, mais les syndicats africains
réussirent à gagner des augmentations substantielles de salaire. De fait, le bilan de la puissance de
consommation commençait à se déplacer vers les Africains dans la mesure où ces derniers pouvaient
s’en servir pour boycotter des magasins « blancs » et donc envoyer le message que le jeu était
terminé.
C’est une histoire de dépossession, de développement capitaliste et de démocratisation subséquente
qu’on ne trouve pas ailleurs en Afrique subsaharienne. Mais dans l’essentiel de l’Afrique
subsaharienne, les producteurs immédiats ont gardé les droits d’accès au sol, sauf la confirmation de
ces droits par le chef, une confirmation que selon la loi tribale, il doit fournir. Selon Catherine Boone
(2007), approximativement 80% de la terre cultivable de l’Afrique subsaharienne est actuellement
tenue selon un régime foncier coutumier sans documents légaux. L’appropriation privée du sol
ouvrirait la voie à une différenciation sociale, un développement technique et la formation d’une
main-d’œuvre payée mais cela demeure un rêve lointain.
Même si la propriété privée est un rêve pour quelques-uns, pour ceux qui ont été ou sont maintenant
les autorités gouvernantes, elle a été plus exactement un cauchemar. Selon Anne Phillips (1977), lors
des années précédant la Seconde Guerre mondiale, la création d’un prolétariat africain sans lien avec
la campagne, était une grande inquiétude pour les autorités coloniales. Orde Browne exprima cette
inquiétude, en 1933, dans un livre intitulé The African Laborer. Dans l’esprit de l’administrateur
colonial, la question foncière et celle de la détribalisation étaient liées. De son point de vue, le
travail migratoire était une alternative plus attirante. Catherine Boone (1994) a émis des conclusions
similaires à propos des régimes postcoloniaux. Les craintes concernant le maintien de la stabilité
politique a toujours été au cœur du projet d’un processus autonome d’accumulation capitaliste. Dès
que les chefs coutumiers ont été intégrés aux réseaux clientélistes, comme Chabal, Daloz et Bayart
le soulignent, ils se sont servis des ressources comme l’aide étrangère et les impôts indirects sur
les paysans par le moyen des conseils de marché — processus très courant en Afrique de l’Ouest.
Sous cet angle, la thèse de Mamdani révèle une signification nouvelle. Au lieu d’être un obstacle à
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
10
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
la démocratisation, l’État divisé devient un moyen de la part des élites qui contrôlent l’État central
de maintenir leur contrôle et de piller les ressources publiques simultanément par le contrôle des
liens avec le monde extérieur : le contrôle des permis d’importer, de l’aide étrangère, des licences
accordées aux compagnies minières, ou de l’aide d’urgence en ce qui concerne la nourriture. Par
conséquent il n’y a pas de problème pour lier l’urbain au rural ; ‘le rural,’ comme Mamdani le décrit
est un cadeau de Dieu à ‘l’urbain.’
Les potentiels et les limites de la classe ouvrière : le cas de
Zambie
43
44
45
46
Parmi les autres pays d’Afrique subsaharienne, la Zambie offre sans doute le meilleur exemple des
possibilités et des limites structurelles de la classe ouvrière en tant qu’agent de démocratisation.
En raison du développement précoce d’une industrie minière capitaliste du cuivre, la Zambie avait
une classe ouvrière vivante qui constituait le meilleur « laboratoire » anthropologique possible
(Ferguson, 1999) pour l’étude de l’urbanisation, des problèmes liés à « la détribalisation » et à
la politique de classe. Par conséquent, plusieurs travaux importants furent écrits (Epstein, 1953;
Parpart, 1983 ; Powdermaker, 1962). Au début des années 1960, lors de la lutte pour l’indépendance,
le mouvement des travailleurs sous la direction des syndicats joua un rôle crucial, de même
qu’au cours des mobilisations populaires qui ouvrirent la voie à l’instauration d’une démocratie à
partis multiples en 1991. Actuellement, il continue de jouer un rôle dans les affaires politiques du
pays. Pourtant, des contraintes structurelles empêchent la généralisation du capitalisme dans tout
le pays. Elles expliquent la persistance d’une structure sociale contrastée et du faible niveau de
démocratisation.
Historiquement, le syndicat des mineurs de Zambie (SMZ) était le mieux organisé et fut souvent
la partie la plus radicale du mouvement travailliste zambien, en raison de la longue histoire de
l’industrie minière et du syndicalisme. Ce dernier donne aux mineurs la conscience précoce de leur
rôle stratégique dans l’économie du pays et de leur exploitation (Larmer, 2002). L’extraction du
cuivre commença dans la Rhodésie du Nord, l’ancienne colonie qui deviendrait plus tard la Zambie,
au tournant du siècle 20e siècle, mais son développement à grande échelle ne commença qu’à la fin
des années 1920. Ensuite, les premières grandes grèves eurent lieu en 1935 et en 1940. Pendant celle
de 1940, les travailleurs en grève privèrent les anciens des tribus de leur rôle de porte-parole. Par
conséquent, les trajectoires comparées des deux grèves révèlent que le sentiment de classe s’accrut
sensiblement parmi les ouvriers de la Bande de Cuivre. Ces événements permirent de créer la base
de la croissance du mouvement travailliste et de sa représentation dans l’État. Et dans le contexte
colonial, cela rendait possible le succès de la lutte pour l’indépendance politique.
A la différence de maintes luttes d’indépendance ailleurs, où le mouvement travailliste n’était
pas aussi puissant et où les révoltes avaient une origine rurale, le militantisme syndical paralysa
l’économie de la Rhodésie du Nord pendant les années cinquante et était d’une importance cruciale
dans la lutte pour la décolonisation (Rakner 2003, p. 49). Les travailleurs firent pression afin de
renverser l’État colonial, attendant qu’un État indigène prît plus sérieusement en considération les
revendications du mouvement travailliste et s’attaquât à des problèmes comme la discrimination
de race et l’injustice fiscale. Certes, après l’indépendance en 1964, le nouveau gouvernement prit
des mesures afin de répondre à ces demandes. Mais il fit lui-même pression sur les syndicats pour
qu’ils réduisent leurs revendications sur les conditions de travail, dans l’intérêt du pays (Larmer
2002, p. 104). Dans l’État à parti unique qui apparut en 1969, un seul syndicat était reconnu. Cela
provoqua une confrontation dans laquelle le mouvement travailliste demanda plus de liberté. C’est
à ce contexte que le président Kenneth Kaunda se réfère lorsqu’il décrit la conscience de la classe
sociale comme « une des plus grandes menaces en Zambie » (cité en Larmer 2002, p. 105).
Par la suite, le mouvement travailliste et d’autres groupes, malgré un certain découragement,
continuèrent de faire pression à la fin des années quatre-vingts pour mettre fin au système
du parti unique. C’était le Mouvement pour la Démocratie multipartite. Des élections eurent
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
11
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
lieu en 1991 et Frederick Chiluba, ancien secrétaire général de la confédération des syndicats
zambiens et président du syndicat NUBEGW, devint le nouveau président de la République.
Plus généralement, et en dehors des quelques réussites zambiennes, la politique de classe
est limitée par des contraintes historiques et structurelles locales. Le nombre relatif des
ouvriers en Afrique subsaharienne reste bas à cause des obstacles opposés au développement
du capitalisme. Parmi les travailleurs, le nombre des syndiqués a diminué : le programme
d’ajustement structurel a entraîné de nombreux licenciements causés notamment par le retrait
de l’État de nombreux secteurs de l’économie.
Outre sa faiblesse numérique, la classe ouvrière est divisée par certains traits persistants
liés à l’ethnicité et au ‘tribalisme’ qui continuent de jouer un rôle dans la vie politique
(Posner 2005). Bien sûr, les capitalistes se servent de ces divisions pour saper l’efficacité du
mouvement travailliste contre le processus d’exploitation, ainsi que l’ont montré les travaux
sur les recrutements à critères ethniques pratiqués dans la nouvelle mine de cuivre récemment
ouverte dans la province du Nord Ouest de la Zambie (Crehan 1997).
47
48
Conclusion
49
50
51
Inévitablement, la conclusion de cet article est plutôt sombre. Il n’existe pas de raccourcis
du développement. Le capitalisme a démontré qu’il est le moteur majeur du développement
économique. Mais, dans les termes un peu cliniques du marxisme classique, déposséder les
producteurs immédiats est un préalable nécessaire : la révolution communiste demande de casser
des œufs, selon les termes de Lénine, mais la révolution capitaliste aussi. L’idée de balayer le
patrimonialisme, si tant est que cela soit possible, ou les pouvoirs des ‘autorités traditionnelles’,
afin d’achever une démocratisation profonde est irréaliste et même contre-productif. Cela risque de
reproduire ou d’ouvrir la voie à de nouvelles dépossessions et à de nouvelles oppressions, qui à leur
tour entraîneront un processus de développement capitaliste. A cet égard, les histoires récentes de
la Corée du Sud et de Taiwan fournissent des démonstrations frappantes. Pas de route démocratique
pour ces pays vers le développement économique.
C’est un truisme que l’Afrique a été une victime de l’histoire. En travaillant à diffuser les droits
humains et en privilégiant la démocratie bourgeoise, l’histoire mondiale a rendu plus difficile
l’établissement des fondations du développement capitaliste. De même, la fin de la guerre froide n’a
pas aidé le continent. Bien que Marx affirme que la liberté et l’égalité étaient des idées enracinées
dans les pratiques de l’échange, il faudrait une très longue lutte avant qu’elles ne deviennent des
principes constitutionnels. La dépossession arriva en Afrique du Sud bien avant l’arrivée de l’ONU
ou des médias mondiaux qui exigèrent la démocratie pour tous et diffusion inconditionnelle et sans
considération pour les rapports de production. Le processus de dépossession était déjà achevé dans
Afrique australe ; le ‘blanchiment’ des zones rurales et l’expulsion concomitante des noirs pourrait
bien arriver dans d’autres pays africains sans qu’on en fasse une grande publicité, au nom du respect
des droits humains, dans les médias populaires. Du point de vue africain, ‘la fin de l’histoire’ de
Fukuyama doit sembler être une mauvaise plaisanterie. Pour les Africains, et du point de vue de
cette histoire capitaliste qui met en place les fondations de la démocratie bourgeoise, l’histoire n’a
jamais commencé.
Dans la plus grande partie de l’Afrique australe, en dehors des zones industrialisées que nous
avons présentées, le futur immédiat du développement semble présager au mieux une très lente
pourriture des anciens rapports précapitalistes de production qui prévalent encore en dehors de ces
enclaves capitalistes. La modernité, conçue comme le délice du consommateur et comme capable
d’apporter des solutions techniques au développement capitaliste, s’est profondément installée dans
les arrière-pays africains. Les écoles sont un nouveau mantra mais, sans un processus profond du
développement capitaliste, il n’existe guère d’emplois locaux pour les qualifiés qui n’acceptent
pas de migrer vers l’Afrique du Sud ou de risquer une entrée clandestine dans l’Union européenne
d’où il est possible d’envoyer de l’argent à sa famille afin de soutenir la modernité - c’est-à-dire la
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
12
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
52
consommation - sans le développement. Il est possible que l’élargissement de la monétisation de
l’économie vers les arrière-pays, impulsée par la généralisation de l’impôt, libère assez de force de
travail pour fournir la base d’un processus d’industrialisation. Toutefois, l’absence d’une révolution
agraire semble s’opposer à un tel processus ; cet immobilisme entraîne une augmentation des
prix des denrées alimentaires et par conséquent des salaires. Il semble qu’il n’y ait pas de voie
facile pour l’Afrique subsaharienne vers l’acquisition d’institutions démocratiques. La plupart des
observateurs, qu’ils soient spécialistes ou non, les appellent de leurs vœux mais il semble qu’ils en
interprètent mal la signification dans le contexte de l’Afrique subsaharienne.
Dans un tel contexte, que peut-on dire du rôle de l’Etat moderne, sinon qu’il a manqué sa greffe à
cause d’un modèle de développement inapproprié ?
Bibliographie
Bayart J.-F., 1993. The State in Africa. London and New York, Longman.
Bernstein H., 2001, “‘The Peasantry’ in Global Capitalism: Who, Where and Why?” Socialist Register
2001, p.25-51.
Boone C. (1994). “States and Ruling Classes in Post-Colonial Africa: The Enduring Contradictions of
Power”, in J. Migdal, A. Kohli & V. Shue (eds.), State Power and Social Forces, Cambridge, Cambridge
University Press.
Boone C., 2007, “Property and Constitutional Order: Land Tenure Reform and the Future of the African
State”, African Affairs 106/425, p.557-586.
Browne O., 1933, The African Laborer, London, Frank Cass.
Callinicos L., 1981, Gold and Workers: A People’s History of South Africa, Volume 1, Johannesburg,
Ravan Press.
Chabal P., 1998, “A Few Considerations on Democracy in Africa”, International Affairs,vol. 74, n°2,
p.289-304.
Chabal P., Daloz J.-P., 1999, Africa Works, Oxford, James Currey.
Chazan N., 1994, “Engaging the State: Associational Life in sub-Saharan Africa”, in J. Migdal, A. Kohli
& V. Shue (eds.), State Power and Social Forces, Cambridge, Cambridge University Press.
Crehan, K.A.F., 1997, The Fractured Community: Landscapes of Power and Gender in Rural Zambia,
Berkeley, University of California Press.
Crush J (1989). “Migrancy and Militancy: The Case of the National Union of Mineworkers of South
Africa.” African Affairs 88, 5-23.
Crush J (1995). “Mine Migrancy in the Contemporary Era.” Chapter 2 in J Crush and W James (eds.),
Crossing Boundaries. Rondesbosch South Africa: Institute for Democracy in South Africa; and Ottawa:
International Development Research Center.
Crush J, Jeeves A and Yudelman D (1991). South Africa’s Labor Empire. Boulder, Westview Press.
Cutright P (1963). “National Political Development: Measurement and Analysis”, American
Sociological Review 28.
Cutright P and Wiley J A (1969). “Modernization and Political Representation: 1927-1966”,
Comparative International Development.
Diamond L (1988). “Introduction: Roots of Failure, Seeds of Hope.” In L Diamond, J Linz and S M
Lipset Democracy in Developing Countries, Vol 2, Africa. London, Adamantine Press.
Epstein, A.L. (1953). The Administration of Justice and the Urban African. London, Colonial Research
Studies.
Ferguson, J. (1999). Expectationsof Modernity: Myths and Meanings of Urban Life on the Zambian
Copperbelt, Berkeley, University of California Press.
Fine B and Harris L (1979). Rereading ‘Capital, New York, Columbia University Press.
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
13
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
Henderson, I. (1973). ‘Wage-Earners and Political Protest in Colonial Africa: The Case of the
Copperbelt, African Affairs, vol. 72, p.288-299.
Henderson, I. (1975). ‘Early African Leadership: The Copperbelt Disturbances of 1935 and 1940’,
Journal of Southern African Studies, vol.2(1), p.83-97.
Jessop B (1990). State Theory, Cambridge, Polity Press.
Lacey M (1981). Working for Boroko, Johannesburg, Ravan Press.
Larmer, M (2006). "'The Hour Has Come at the Pit': The Mineworkers' Union of Zambia and
the Movement for Multiparty Democracy, 1982-1991." Journal of Southern African Studies 32(2),
p.293-312.
Larmer M. (2002). “Resisting the State: the Trade Union Movement and the Working-Class in Zambia’,
in Zeilig, L. (ed.), Class Struggle and Resistance in Africa, New Clarion Press.
Leys C (1994). “Confronting the African Tragedy”, New Left Review, n°204, p.33-47.
Lipset S. M. (1959) “Some Social Requisites of Democracy: Economic Development and Political
Legitimacy”, American Political Science Review, vol. 53.
Mamdani M. (1996). Citizen and Subject. Princeton: Princeton University Press.
Marx K. (1867. New edition 1976) Capital: Volume 1. Harmondsworth, Middlesex: Penguin Books.
Parpart J. (1983). Labor and Capital on the African Copperbelt. Philadelphia, Temple University Press.
Phillips A (1977) “The Concept of Development.” Review of African Political Economy, n°8, p.7-20.
Posner, D. N. (2005). Institutions and Ethnic Politics in Africa. New York, Cambridge University Press.
Powdermaker L (1962). Copper Town: Changing Africa, the Human Situation on the Rhodesian
Copperbelt. New York, Harper and Row.
Rakner L (2003). Political and Economic Liberalisation in Zambia 1991-2001. Uppsala, Nordic Africa
Institute.
Rasing T (2001). The Bush Burnt, the Stones Remain: Female Initiation Rites in Urban Zambia. Münster,
LIT.
Rathbone R (2000). Nkrumah and the Chiefs: The Politics of Chieftaincy in Ghana 1950-60. Athens,
Ohio University Press.
Rueschemeyer D, Stephens E H and Stephens J D (1992). Capitalist Development and Democracy,
Cambridge, Polity Press.
Saul J. S. (2005). The Next Liberation Struggle: Capitalism, Socialism, and Democracy in Southern
Africa. Toronto, Between the Lines.
Saul J S and Gelb S (1986). The Crisis in South Africa, New York, Monthly Review Press.
Saul J S and Leys C (1999). “Sub-Saharan Africa in Global Capitalism”, Monthly Review 51.
Therborn G (1977) “The Rule of Capital and the Rise of Democracy.” New Left Review n°103, p.3-41.
Notes
1 Nous remercions Marjorie Cox pour son aide à la traduction.
2 Par exemple: Chabal 1998; Chazan 1994; Diamond 1988.
3 Ces auteurs accordent donc toute la responsabilité du retard économique à ce qu’ils définissent comme
une « spécificité culturelle ». Ils font aussi référence aux effets accablants de la dépendance (p.130),
mais cette réflexion est développée après coup.
4 Voir aussi Marian Lacey (1981).
5 « … lorsque le mouvement travailliste était la seule force démocratique dans l’arène politique, il
n’était pas suffisamment fort pour consolider seul la démocratie, c’est-à-dire sans l’aide d’armées
étrangères, sans alliés domestiques plus puissants que lui, ou sans bénéficier de scissions dans les rangs
de l’ennemi » (p. 266-67).
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
14
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
6 En parlant des droits de possession, nous voulons dire les droits d’usage, mais pas la vente ou la
location à un tiers.
7 Sauf Leys, (1994), Saul et Leys (1994), les contributions de Phillips (1997) de Boone (1994) sont
notables.
8 ‘Apparemment’ parce que l’agenda ultime était un agenda de classe sociale (voir par exemple : Lacey
1981; Saul et Gelb 1986).
9 Connus aussi comme ‘les squatters’ ou occupants sans titre.
10 Il fallait maintenir les salaires à un niveau très bas puisque le minerai était de qualité médiocre et
qu’un travail considérable était nécessaire afin de produire chaque once d’or.
Pour citer cet article
Référence électronique
Kevin R. Cox et Rohit Negi, « L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne »,
L'Espace Politique [En ligne], 7 | 2009-1, mis en ligne le 15 juillet 2009. URL : http://
espacepolitique.revues.org/index1287.html
Kevin R. Cox
Professeur
Département de géographie
Ohio State University
[email protected]
Rohit Negi
Doctorant Ohio State University
Droits d'auteur
Tous droits réservés
Résumé / Abstract
Il est fréquent que l’on considère que le principal obstacle au futur développement de
l’Afrique subsaharienne est de nature politique. Dans cette perspective, les Etats forts et les
institutions représentatives sont perçus comme les préalables nécessaires au développement
selon une représentation très répandue parmi les chercheurs et les médias. Ici nous affirmerons
au contraire l’inverse : c’est plutôt le développement, et surtout la forme capitaliste du
développement, qui est le préalable nécessaire à la constitution d’Etats forts et d’institutions
démocratiques. Cela suppose une transformation radicale du régime foncier sur la plus grande
partie du continent afin que les travailleurs aient un droit d’accès au sol. Cette hypothèse est
à la fois révolutionnaire et peu probable dans le contexte actuel.
Mots clés : développement, démocratie, Etat, Afrique sub-saharienne, capitalisme, régime foncier
A common view of the developmental prospects of sub-Saharan Africa is that the crucial
obstacle is political. Stronger states and representative institutions are a necessary precondition
for development. This is a common view in both the media and in academe. This paper
argues that this is to get things the wrong way round. Rather it is development, specifically
the capitalist form of development which is the necessary condition for strong states and
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
15
L’Etat et la question du développement en Afrique subsaharienne
democratic institutions. This in turn requires a radical change in the property relations that
tend to prevail over most of the sub-continent; a change that is unlikely to be forthcoming.
Keywords : democracy, State, sub-saharian Africa, capitalist development, land tenure regime
L'Espace Politique, 7 | 2009-1
16

Documents pareils