LE JUGE EN CHEF DE L`ONTARIO COMITÉ CONSULTATIF SUR

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LE JUGE EN CHEF DE L`ONTARIO COMITÉ CONSULTATIF SUR
LE JUGE EN CHEF DE L’ONTARIO
COMITÉ CONSULTATIF SUR LE PROFESSIONNALISME
GROUPE DE TRAVAIL SUR LA DÉFINITION DU PROFESSIONNALISME
« DÉFINIR LE PROFESSIONNALISME »
VERSION PRÉLIMINAIRE
OCTOBRE 2001
(Revue en décembre 2001)
Introduction
Le professionna lisme se voit aux comportements et aux démarches d’une personne dans
le cadre de son travail et se caractérise notamment par l’intelligence, l’intégrité, la
maturité d’esprit et l’attention portée envers autrui. Les juristes, dont le travail est décrit
en tant que profession, et le public, qui reçoit leurs services, s’attendent à ce que la notion
de professionnalisme dicte le travail et la conduite d’un avocat. Toutefois, en raison de
l’émergence récente de questions entourant le déclin du professionnalisme , un renouveau
à ce chapitre a vu le jour parmi les membres de la communauté juridique. Ce mouvement
vient répondre à un manque grandissant de respect entre juristes, face à la partie adverse
et, parfois même, face à la clientèle. Il existe une perception que les juristes se seraient
éloignés de leurs racines professionnelles, considérant le droit davantage comme un
commerce plutôt qu’une vocation. À la lumière des modifications de comportements, il
est impératif d’informer les avocats et avocates, ainsi que le public en général, des tenants
et aboutissants du professionnalisme et de jeter les fondations sur lesquelles édifier les
normes et les valeurs en matière de services et de comportements professionnels.
Les fondations du professionnalisme
L’élaboration d’une définition générale sur le professionnalisme vers laquelle tous les
juristes peuvent se tourner sous-tend l’énumération et la discussion de ses diverses
composantes. Le cœur de sa définition comprend notamment l’érudition, l’intégrité,
l’honneur, le leadership, l’indépendance, la fierté, l’enthousiasme, la collégialité, le
service envers le bien public et le commerce équilibré.
Érudition
Afin de pouvoir évoluer dans leur profession, les juristes doivent répondre à des critères
d’études avancées en droit leur permettant d’offrir avec compétence des services
juridiques au cours de leur carrière. L’éducation en droit implique l’apprentissage de la
pensée juridique utilisée par un avocat. Me Anthony Kronman, doyen de la faculté de
droit de Yale, explique :
(Traduction libre) « Généralement, on entend par (la pensée juridique) prêter
attention aux faits, reconnaître ceux qui, peu importe le contexte, jouent un rôle
important afin de pouvoir relater les faits en question, et maîtriser le pouvoir de la
narration. Elle englobe également la reconnaissance des objectifs des autres
parties, même ou encore plus précisément lorsqu’elles ont de la difficulté à
préciser leurs propres objectifs, et de comprendre une gamme d’objectifs humains,
de valeurs et d’idéaux plus vastes que ceux de l’avocat, et de connaître la
législation et le système juridique dans lequel il évolue. »
(Extrait tiré de Professionalism, par Anthony T. Kronman, Journal of the Institute
for the Study of Legal Ethics, Vol. 2, 1999, page 89.)
Acquise par l’expérience, renforcée par l’interaction avec des mentors, améliorée en
suivant l’exemple de collègues et soutenue par la formation permanente, l’expertise
professionnelle munit le bon avocat d’outils essentiels pour traiter adéquatement les
diverses situations de sa clientèle, et prodiguer des conseils juridiques et des opinions
professionnelles perspicaces et indépendantes.
Intégrité
Tout avocat devrait reconnaître le Code de déontologie comme étant la pierre angulaire
du professionnalisme. En sus de l’obligation de se conformer aux règles établies par
l’entité dirigeante, on s’attend à ce que l’avocat fasse preuve d’autodiscipline et qu’il
adhère à des normes de comportement élevées transcendant le Code de déontologie.
L’avocat accepte la responsabilité de ses propres actions, mais accepte aussi une
responsabilité collective d’assurer, dans les limites du possible, que la profession
remplisse le rôle qui lui incombe.
En tant que membres d’une entité dirigeante qui leur accorde des droits de pratique à titre
de privilège, les avocates et avocats sont sujets à l’autoréglementation. Certains juristes
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considèrent cet aspect du professionnalisme comme un contrat avec la société en vertu
duquel cette dernière aurait délégué des pouvoirs d’autoréglementation à la profession
juridique qui doit, en retour, n’exercer ces pouvoirs que dans l’intérêt du public. Pris sous
cet angle, les avocats portent individuellement et collectivement l’engagement moral et
éthique de répondre à l’obligation qui leur est confiée. La American Bar Association a
bien repris l’essence de ce message à l’article 11 du préambule du Model Rules of
Professional Conduct où la notion d’intégrité est étroitement liée à celle de la protection
du privilège d’autoréglementation et d’indépendance des avocats.
(Traduction libre) « De l’autonomie relative de la profession juridique naissent
certaines responsabilités propres à l’autogouvernement. La profession a la
responsabilité de veiller à ce que ses règles soient élaborées dans l’intérêt du
public et non pour servir ses propres intérêts. Outre se conformer à son code de
déontologie, tout avocat doit veiller à ce que ses collègues respectent le même
code. La négligence à ce chapitre met en jeu l’indépendance de la profession et
l’intérêt du public qu’il dessert. »
Par conséquent, la conformité de l’avocat à ses responsabilités professionnelles,
personnelles et collectives, vient prêter main forte à la protection des multiples valeurs
essentielles de la profession et de l’autoréglementation.
Honneur
Le droit en tant que profession noble est étroitement lié au concept de l’intégrité, non pas
au sens de statut social mais bien en raison des qualités telles que l’honneur, la dignité, le
courage et le dévouement qui y sont rattachées. Dans son document Mission et
commentaires, le Barreau du Haut-Canada décrit l’honneur comme « le respect ou
l’estime manifestés par autrui » et énonce que « (L)’intégrité et l’honneur de l’ensemble
de la profession dépend de l’intégrité de chacun de ses membres ». Un sentiment
similaire est repris quant à la dignité de la profession dont les avocates et avocates sont
les défenseurs. L’honneur et la dignité de la profession doivent s’incarner au quotidien
dans les gestes et les comportements des membres face à leurs collègues, aux nouveaux
membres de la profession, aux clients, aux juges et à ceux qui participent à
l’administration de la justice.
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La force de caractère et le courage illustrent souvent le travail assidu d’un avocat dans un
dossier peu populaire ou provocateur. Une représentation déterminée survivra à la
censure du public ou à la critique puisque notre système judiciaire repose sur son
intégrité, entre autres choses, et sur la loyauté et l’objectivité des avocats et avocates pour
venir en aide aux clients. Bien que la force de caractère autant personnelle que
professionnelle de l’avocat soit mise à l’épreuve dans de telles circonstances, le
professionnalisme exige de ce dernier un soutien inébranlable à titre de conseiller
juridique pour surmonter les difficultés qui peuvent entourer le dossier d’un client.
Leadership
Des questions les plus simples aux enjeux impliquant des expériences humaines les plus
touchantes, les avocates et avocats sont souvent appelés à prendre les commandes, à
montrer la voie à un client dans un dédale législatif complexe, à le guider ou à le
conseiller. Des circonstances particulières pourraient également dicter à l’avocat de
dénoncer des injustices systématiques. Ou encore d’offrir sans frais des services à
caractère juridique, d’organiser des séances d’information, de rédiger des articles dans
une revue ou un journal ou de siéger au conseil d’administration d’un organisme où
l’expertise et la pensée juridique d’un avocat ou d’une avocate s’avèrent indispensable.
Toutes ces activités prennent la forme d’un service inestimable au profit du public,
pouvant faire jaillir l’ordre du chaos, instaurer un sens de responsabilité parmi la
collectivité et informer cette dernière des activités d’un avocat dans le contexte du
système juridique et des raisons inhérentes à ces activités. Voilà les avantages du
leadership participant du professionnalisme.
Traditionnellement, les avocats ont souvent occupé des places privilégiées et des
fonctions associées au pouvoir dans la société, que ce soit dans le monde des affaires, au
sein du circuit académique ou en politique. À cet égard, ils font office de chefs de file.
Les avocates et avocats qui reçoivent la confiance des entreprises publiques ou privées
répondront à ce rôle de meneur avec dévouement et enthousiasme. Ils se sentiront
responsables de leur rôle, reflétant ainsi le caractère louable de la profession, et lui
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rendant hommage. Cet aspect constitue un autre point saillant du professionnalisme
juridique.
Indépendance
L’indépendance associée à la profession d’avocate ou d’avocat se joue à deux niveaux.
Le premier inclut l’indépendance du jugement professionnel d’un avocat quant à un client
donné et l’obligation d’éviter les conflits d’intérêts qui pourraient affecter la loyauté de
l’avocat face à son client. Inscrit au Code de déontologie, ce devoir doit être observé par
les avocates et avocats pour sa valeur éthique. Bien qu’il soit étroitement lié au premier,
la portée du second est plus élargie. Le professeur Robert Gordon de la faculté de droit de
Yale en fit la définition lorsqu’il décrivit l’idéal professionnel en tant que concept
intégrant un haut degré d’autonomie des contrôles externes autres que ceux imposés par
l’autoréglementation. Il explique que :
(Traduction libre) « (…) idéalement, le travail professionnel est autonome et
s’autoréglemente à un niveau exceptionnellement élevé dans la division des
tâches. On considère que l’exigence d’autonomie découle des relations
particulières de confiance et d’autorité d’un professionnel face à ses clients… et
de son besoin d’exercer un jugement discrétionnaire indépendant.
…
La réticence des professionnels face à la réglementation par une entité externe à la
profession repose dans la plupart des cas… sur la probabilité que les contrôles
externes perturberaient les relations professionnelles en atténuant les rapports de
confiance et d’autorité et en intervenant excessivement dans la capacité du
professionnel de prendre des décisions de façon indépendante. »
(Extrait tiré de Can Lawyers’ Professio nal Values Be Saved? Are They Worth
Saving? par Robert W. Gordon, professeur, et Fred A. Johnston, professeur de
droit et d’histoire, faculté de droit de Yale, octobre 1999 )
Me David Scott, c.r., exerçant à Ottawa, fit écho à cet aspect de l’indépendance du rôle de
l’avocat dans l’administration de la justice de la façon suivante :
(Traduction libre) « Le Barreau est indépendant de l’État et de toutes ses
influences. Il joue le rôle de sauvegarde institutionnelle placée entre le simple
citoyen et le pouvoir du gouvernement. Le droit d’être représenté par un avocat
qui, tel que susmentionné, est relié à la loi du privilège dépend de son
indépendance pour atteindre son plein rendement.
…
Afin d’accomplir les lourdes tâches imposées aux avocats à titre d’officiers des
tribunaux, il est essentiel d’avoir en place un environnement d'indépendance
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pratique et cohérent. C’est dans le cadre de cette relation que les intérêts
commerciaux du client et les intérêts de l’avocat doivent donner priorité au devoir
primordial de l’avocat envers les tribunaux. Cette obligation est unique à la
profession juridique. Les officiers des tribunaux ne peuvent s’acquitter de leurs
devoirs que dans un environnement de pure indépendance. »
(Extrait tiré du rapport du Barreau du Haut-Canada déposé auprès du Conseil et
produit par le Groupe de travail sur les partenariats multiples, septembre 1998)
Fierté
Plonger dans le monde juridique, c’est s’immiscer dans un monde d’activités qui repose
grandement sur les antécédents dans un environnement moderne et dynamique. Avocates
et avocats puisent leur fierté tant dans les contributions passées que présentes de la
profession envers la société. Dans le même article précité, le professeur Gordon
énumérait les raisons pour lesquelles le droit occupe encore une place importante dans
notre société moderne et celles pour lesquelles la notion de « professionnalisme idéal »
devrait être maintenue :
(Traduction libre) « (…) les marchés capitalistes et les démocraties stables
comptent sur une infrastructure de droit et de conventions culturelles pour assurer
leur reproduction et leur subsistance… (L)es professionnels jouent un rôle clé
dans le maintien de l’infrastructure du capital culturel. »…
Les membres du public aux prises avec des problèmes ou des enjeux tentent d’accéder
aux systèmes et aux procédures judiciaires dans l’espoir de les résoudre d’une façon
efficace et rationnelle et d’obtenir des résultats équitables. Une des fonctions des juristes
consiste à informer le public des capacités et des limites du droit et à préserver la santé
des établissements juridiques dans l’intérêt de la justice. Le barreau du Massachusetts
décrivait comment cela s’accomplit dans le cadre de la relation avocat-client :
(Traduction libre) « La défense d’un client consiste dans une grande mesure à
enseigner le droit d’une façon pratique, efficace et individuelle. Cela requiert une
intégrité absolue, un ardent désir de faire la lumière sur les faits, un respect
pratique de la législation et du système juridique en pla ce, une compréhension
approfondie et véritable de l’époque à laquelle nous vivons et, par-dessus tout, un
amour pour la vie et l’Humanité. »
«(Extrait tiré du Massachusetts Bar Association on Lawyer Professionalism,
octobre 1989)
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En adhérant aux éléments précédents du professionnalisme, les avocates et avocats se
forgent une réputation d’habileté et de respect aux yeux du public et de leurs collègues, et
peuvent s’enorgueillir de contribuer à l’amélioration de la société.
Enthousiasme
David Maister, autrefois professeur à la Harvard Business School et conseiller auprès de
divers professionnels, expliquait que le vrai professionnalisme suppose une fierté du
travail accompli, un engagement envers sa qualité, un dévouement envers la cause et les
intérêts du client et un véritable désir d’aider. Il poursuivait en disant que le
professionnalisme repose sur les comportements et sur la force de caractère et requiert à
la fois de l’énergie, du dynamisme, un esprit d’initiative, la capacité de s’engager et de
participer, mais avant tout de savoir faire preuve d’enthousiasme.
Courtoisie et collégialité
En tant que professionnels, on s’attend à ce que les avocats agissent de façon courtoise,
digne et civilisée face au public qu’ils desservent, à leurs collègues et aux membres de
l’appareil judiciaire. Agir de façon civilisée se veut le résultat de la camaraderie et du
respect entre les membres de la profession; tout avocat et toute avocate devrait nourrir et
étayer ce comportement. C’est par le biais du respect que s’effectue l’autoréglementation
et le contrôle de la profession, où les règlements et les normes sont élaborées et
appliquées par l’ensemble des membres de la collectivité même, plutôt que par des entités
externes.
S’appliquant autant aux avocats de la Couronne que de la défense, la courtoisie trouve
son application dans une variété d’activités courantes menées par les avocats et avocates.
Leur responsabilité est avant tout face à l’administration de la justice; à titre d’officiers
des tribunaux, les avocats possèdent l’obligation d’agir avec intégrité, une responsabilité
cruciale qui exige un comportement civilisé. Selon Me Michael Eizenga, avocat de
Londres :
(Traduction libre) « …des relations attentionnées, ouvertes et qui offrent un
respect mutuel entre les professionnels du monde juridique constituent les bases
essentielles du civisme sur lesquelles s’édifie la fragmentation des forces dans
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notre société. Ainsi, le civisme doit prendre sa place en tant que valeur
fondamentale inspirant la conduite des citoyens dans le cadre de la profession
juridique. »
(Extrait tiré de Citizenship in the Legal Profession : Civility as an Instrumental
Value in Self-Governance, par Michael Eizenga de Siskind, Cromary, Ivey et
Dowler LLP, Londres, octobre 2000)
La collégialité trouve son expression dans la volonté des avocates et des avocats
expérimentés de guider celles et ceux possédant moins d’expérience dans le domaine
juridique. Un mentorat efficace implique le développement de relations professionnelles
et personnelles entre les nouveaux avocats et ceux plus expérimentés, et le partage tant
des connaissances pratiques et de l’expertise que des normes de conduite et des valeurs
professionnelles. Les avantages de l’encadrement confirment sa valeur en tant qu’outil lié
au professionnalisme en permettant de former des avocats davantage compétents, en
favorisant une expérience professionnelle enrichissante, en instaurant un climat de travail
amélioré pour les nouveaux membres de la profession et en offrant aux clients un niveau
de service supérieur.
Servir le bien public
Essence d’un professionnel, le professionnalisme se distingue par un élément de
confiance que les clients, généralement dans l’impossibilité d’évaluer la justesse des
services offerts, portent face aux avocats. En retour, cela impose une obligation morale
aux avocates et aux avocats de veiller aux intérêts des clients, obligation qui ne se
manifeste dans presque aucune autre relation commerciale courante.
Les avocates et avocats reconnaissent également qu’ils possèdent l’obligation de servir de
façon à protéger les intérêts du public et à faire la promotion du bien public. Aux yeux de
l’avocat, le concept de l’intérêt public trouve son expression notamment en facilitant
l’accès à la législation et au système judiciaire pour tous les citoyens, peu importe les
moyens dont ils disposent ou la popularité de leur dossier. Monroe Freedman, professeur
à la faculté de droit de l’université Hofstra, écrit sur ce sujet :
(Traduction libre) « … le professionnalisme sous-entend qu’un avocat devrait :
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-
aider à informer les membres du public de leurs droits et de la
disponibilité des services juridiques afin que prévalent leurs droits;
-
aviser de façon franche et exhaustive chacun de ses clients des droits et
des obligatio ns morales et juridiques qui entourent le dossier;
-
faire appel sans relâche et avec compétence aux outils juridiques mis à
sa disposition pour protéger les intérêts du client et faire avancer sa
cause en fonction des intérêts précisés par ce dernier. »
(Extrait tiré de The Golden Age of Law That Never Was, Monroe H. Freedman,
Texas Lawyer, le 7 janvier 1991)
Les juristes, de par leur position singulière au sein du système judiciaire, peuvent
percevoir les tensions qui surviennent entre les intérêts du client et le bien public. Ils
peuvent se trouver dans une position peu enviable où ils doivent insister auprès d’un
client pour qu’il s’abstienne d’agir d’une façon donnée qui, bien qu’elle soit dans les
intérêts de ce client, pourrait corrompre le système judiciaire. Cette dichotomie entre le
devoir de servir les intérêts du client et l’obligation d’égale importance de servir le droit
dans l’intérêt du public définit l’avocate ou l’avocat en tant que véritable professionnel.
Commerce équilibré
En 1953, Roscoe Pound, professeur de droit américain et juriste, définissait le
professionnalisme à la lumière de l’exercice du droit par les avocats comme gagne-pain :
(Traduction libre) « Le terme “professionnalisme” fait référence à un groupe
voulant apprendre un art en tant que vocation commune dans l’esprit du service
public; bien que cette vocation soit incidemment un moyen de subsistance, cela
n’amoindrit en rien le fait qu’il s’agisse d’un service public. La poursuite de cet
art à la lumière d’un service public, voilà l’objectif premier. »
[Extrait tiré de The Lawyer from Antiquity to Modern Times, par Roscoe Pound,
(St. Paul, Minn. : West Publishing, 1953) à la p. 5]
Appliquée à la profession juridique, cette définition traditionnelle met l’accent sur
l’avocat en tant qu’individu dévoué au service public, dont la rémunération et le statut ne
constituent point les objectifs premiers. Cela s’oppose à ce que pensent plusieurs juristes
et membres du public face à la réalité actuelle de la profession, notamment le désir
d’optimiser les revenus et de hausser son statut social en ne portant pas d’attention au
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service public ou très peu. Bien que la dichotomie « droit-profession » contre « droitcommerce » ne soit pas nouvelle, la synthèse de ces notions nous mène à une autre
composante importante du professionnalisme : le commerce équilibré.
Dans un article rédigé en 2000 à l’intention du barreau de l’Alberta et du Alberta Law
Reform Institute, William H. Hurlburt énonçait que les avocats sont influencés par les
normes de déontologie commerciale dominantes, qui ne tiennent nullement compte des
éléments moraux ou du service public à moins qu’un important élément moral ou de
service public aide à optimiser les profits. Il ajoutait toutefois qu’en sus de ces facteurs
purement économiques et égoïstes, les avocats reconnaissent qu’ils possèdent une
obligation individuelle de faire avancer la cause et les intérêts de leurs clients en offrant
des services juridiques de façon consciencieuse et compétente, et une obligation
individuelle de mener les affaires de ses clients conformément aux normes acceptées à
l’égard de leur devoir envers leurs clients et envers la société. Il précisait que l’analyse du
modèle traditionnel et des réalités économiques n’exclut pas l’idée que les professionnels
offrent des services de façon à recevoir des honoraires. Il mettait également l’accent sur
un élément important de l’étude de l’avocat à titre de professionnel, dans la prestation des
services, qui n’est moralement ou éthiquement pas requis des individus œuvrant dans des
métiers dits « non professionnels » : celui de l’obligation.
Il peut parfois s’avérer difficile de trouver un juste milieu entre l’axe du service public et
celui des exigences à caractère économique. Sans faire abstraction des propres intérêts
d’un avocat, le professionnalisme exige que les clients reçoivent un niveau de service
adéquat et que la justice prévale. Tel qu’indiqué au credo du professionnalisme de la
Wake County/Tenth Judicial Bar de la Caroline du Nord (février 1997), « on n’exige
nullement d’un avocat de mettre de côté une occasion de prospérer; la pratique du droit
doit toutefois être motivée par la notion de “service” plutôt que par l’appât du gain. »
Conclusion
En résumé, les éléments du professionnalisme sont les suivants :
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?? Érudition : grâce à une formation intellectuelle poussée et au développement
d’habiletés juridiques de compétence et d’expertise;
?? Intégrité : illustrée par des comportements et une pratique professionnelle du droit
qui répondent au code de déontologie en vigueur;
?? Honneur : comprend l’intégrité, la dignité, le courage et la force de caractère;
?? Leadership;
?? Indépendance : de l’État et en tant que conseiller juridique loyal du client;
?? Fierté : par le biais des traditions de la profession et de ses apports modernes;
?? Enthousiasme;
?? Collégialité et courtoisie;
?? Service envers le bien public par l’intermédiaire de relations avec le client et de
responsabilités face à l’administration de la justice;
?? Commerce équilibré, en gagnant sa vie, service en tête;
Roger Cramton, professeur à la faculté de droit à Cornell, proposait le défi suivant :
(Traduction libre) « Bien que la notion de professionnalisme des avocats semble
ébranlée … il faudrait plutôt se poser la question suivante : le public reçoit- il des
services juridiques offerts par des personnes compétentes, à un prix raisonnable,
par des professionnels qui n’abusent point de la confiance qui leur est portée et
qui agissent dans l’intérêt du public ? »
(Extrait tiré de The Changing Legal Profession, par Roger C. Cramton, ILR
Report, printemps 1990)
La réponse aux enjeux, c’est le professionnalisme tel que décrit auparavant. Élément
essentiel de la vocation juridique, le professionnalisme doit s’intégrer au travail quotidien
d’une avocate ou d’un avocat. Ce concept prend substance et trouve son utilité lorsqu’il
est lié à la compréhension par un avocat du rôle de la profession juridique dans la société
et dans le cadre du service à l’intention du public.
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