L`Opération Grand Site de Collonges-la

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L`Opération Grand Site de Collonges-la
L'Opération Grand Site de Collonges-la-Rouge et Turenne
par Pierre Flandin-Bléty
Comme introduction à ce propos, j'emprunterai quelques lignes à Jean-Luc
Obereiner, le fondateur du Musée de Plein Air de Cuzals, dans le Lot, qui écrit
dans son éditorial du dernier numéro de Quercy-Recherche (n°124, juil.-sept.06) :
"Le tourisme oscille, a toujours oscillé, entre deux pôles pratiques : les grands
sites et les lieux déserts ;
*Les grands sites sont dans les guides, ils sont fléchés cinquante kilomètres à la
ronde, ils offrent de vastes parkings, des guichets, des services, des boutiques. Ils
font circuler rationnellement, à grand débit, les gens et l'argent.
*Les lieux discrets sont ici et là, ou ailleurs, au bout de routes improbables,
éparpillés au gré des terroirs et des personnalités de chacun. Et chacun oscille au
gré des attractions conjoncturelles, tantôt vers les hauts-lieux grégaires, vers les
produits normalisés, rassurants, culturellement corrects, tantôt vers les sentiers de
traverses, les petites choses décevantes ou sublimes, les plaisirs imprévisibles.
(…)"
Les élus de la basse Corrèze, particulièrement les maires de Turenne et de
Collonges, ont fait le choix du grand site et inscrivent leur action dans le cadre
juridique d'une O.G.S., dont la base légale repose sur les articles L 341-1 à 22 du
code de l'environnement (ex- loi du 2 mai 1930) sur la protection des monuments
naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire et
pittoresque.
A vrai dire, cet outil, utilisé depuis 1997, pour la protection des espaces naturels
ne paraît pas tout à fait correspondre à la situation de Turenne - Collonges car il
est surtout établi dans un esprit de réhabilitation et de restauration d'espaces
victimes de fréquentation touristique excessive et de dégradation de sites majeurs
"piétinés". L'O.G.S. n'est donc pas en soi un instrument de promotion touristique.
Quoiqu'il en soit de cette adéquation, une O.G.S. comporte deux phases
distinctes:
- celle des études préalables et de l'élaboration d'un programme général de
réhabilitation et celle des travaux. Nous en sommes actuellement au premier
stade, celui de la faisabilité: études préalables et programme général.
Les études doivent prendre en compte un territoire dans toutes ses relations et
par conséquent dépassent la seule compétence environnementale directe. C'est
pourquoi elles sont menées sous l'autorité préfectorale et d'un comité de pilotage
mis en place à cet effet. Les différents services de l'Etat concernés et les
partenaires locaux y sont associés. Des ateliers de travail se tiennent dans
l'intervalle des réunions du comité; nous n'y sommes pas, jusqu'à maintenant,
conviés.
Dans l'état actuel de la procédure, trois réunions du comité de pilotage tenues à
la sous-préfecture de Brive, sous l'autorité de Madame la sous-préfète, ont eu lieu
les 10 février, 5 mai et dernièrement le 5 juillet; à cette dernière rencontre un
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document de treize pages, dit "scénario de mise en valeur", dont je ferai état, a été
distribué, commenté et discuté.
Le comité est composé d'une trentaine de membres:
1- Des élus: les maires de Turenne et Collonges (Yves Gary et Henri
Bassaler); le député Monsieur Frédéric Soulier; des représentants des
conseils régional et général.
2- Des chefs de services régionaux et départementaux: environnement
avec Madame Françoise Maison, Inspectrice des sites; équipement;
agriculture et forêt; tourisme; architecture et patrimoine, etc. Mais on notera
l'absence de tout représentant des Affaires culturelles, qui cèdent le pas au
tourisme. Des fonctionnaires très majoritaires dans le comité, en général
assez silencieux et consensuels.
3- Des membres de la Chambre d'agriculture, plutôt satisfaits de l'opération.
4- Des représentants des associations: Les Amis de Turenne, les Amis de
Collonges, Turenne-Environnement que j'ai représentée à chaque fois en
compagnie de Bernard Laguarigue, puis de Claude Maze et enfin d'Antoine
Thiéffry.
Et naturellement les concepteurs de l'Agence Paysages sous l'impulsion de
Monsieur Lacaille, d'Avignon, plutôt tournés vers le marketing ou l'ingénierie
touristique.
A l'issue de ces trois réunions, l'impression prévaut d'une originalité gênante de
l'O.G.S. Turenne-Collonges. Celle-ci tente de fusionner un site bicéphale, ce qui
est unique dans le Réseau des quelque 25 Grands Sites de France réalisés:
"la pointe du Raz", "le pont du Gard", "le massif du Canigou", "la baie du Mont
Saint Michel", "la baie de Somme", "Carcassonne", "la montagne Sainte-Victoire",
"la bastide de Monpazier", "la dune du Pilat", etc, tous sites singuliers et bien
individualisés.
S'il y a tout lieu d'être satisfait de quelques perspectives, certains choix
fondamentaux du projet sont, de notre point de vue, parfaitement regrettables.
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I Des perspectives satisfaisantes
En paraphrasant une affirmation célèbre, on pourrait dire que "Tout ce qui est
protection de l'environnement et de l'esthétique de ce pays est nôtre". Quels sont
nos motifs de satisfaction dans l'O.G.S. de Turenne-Collonges? Ils paraissent
triples.
A La concertation
Elle est largement établie théoriquement au sein du comité de pilotage.
Nous devons chaleureusement remercier Monsieur Yves Gary d'avoir voulu
ménager une place en son sein à Turenne-Environnement en particulier. Notre
association n'avait pas été invitée à la rencontre initiale organisée à Collonges et
Turenne fin 2005. Cependant, nous aimerions participer également aux réunions
de certains ateliers de travail. Trop souvent, le comité de pilotage paraît jouer le
rôle d'une instance d'enregistrement de décisions prises par ces ateliers. Et il se
montre en général beaucoup trop consensuel. Madame la sous-préfète a suggéré
aux participants d'envoyer sous huitaine leurs éventuelles observations
directement au bureau d'études …
B
Le classement du site de Turenne
Jusqu'ici, le site de Turenne était simplement inscrit à l'Inventaire des sites,
étant entendu que les effets de l'inscription sont très limités. Mais l'existence d'un
site classé au titre des articles L341-1 à 22 du code de l'environnement est une
condition nécessaire pour l'établissement d'une O.G.S. La roque de Turenne,
l'habitat, le paysage immédiat avec ses falaises seront donc protégés. Au surplus,
la mise en œuvre d'une O.G.S. offre un mécanisme de gestion. Cette mesure très
attendue a une portée considérable et elle a depuis plus de dix ans l'appui total de
Turenne-Environnement. Les effets du classement sont vraiment protecteurs du
site.
C
L'implication de la profession agricole
Les trois réunions du comité de pilotage laissent à penser que
l'engagement des exploitants agricoles dans la sauvegarde du paysage et du bâti
rural semble optimal. Il est vrai que les trois agriculteurs présents le 10 février
étaient de Turenne (Gernes), de Collonges et de Noailhac, et qu'il y a des
subventions ou primes à glaner. Mais si, ici, la chasse à la prime coïncide avec
l'intérêt général, alors tant mieux! Un plan de gestion agro-paysager sera souscrit
et deviendra applicable au futur site classé de Turenne (voire au-delà) et à celui
de Collonges. Il y aurait notamment :
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* Gestion du paysage bocager (haies, lisières, points de vue, sentiers ..
* Intégration des bâtiments d'exploitation.
* Amélioration des abords de ferme.
Cet "axe n°1" de la mise en valeur de l'O.G.S. "Soutien à la gestion agricole du
territoire" nous paraît absolument essentiel. Pas de paysages durables sans le
travail paysan, et l'Agence Paysages a bien précisé que l'opération accorde au
paysage une place prépondérante. Mais cela repose naturellement sur la
pérennité des exploitations agricoles, et l'on peut nourrir quelque inquiétude sur
leur réduction programmée et la déprise des sols cultivés, les progrès de la friche,
l'avance de la forêt, phénomènes aujourd'hui hélas! observables.
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Si tels apparaissent les trois principaux motifs de satisfaction, il faut
néanmoins souligner que l'opération doit être avant tout placée dans le cadre
d'une très rigoureuse politique de l'urbanisme dont le primat est absolu. Il
faut que les autorités municipales et les services techniques fassent sans
compromis ni exception fermement obstacle à la rurbanisation et au mitage qui
sont le danger le plus insidieux et peut-être dans 20 ans la source de problèmes
de "quartiers"… La partie est manifestement perdue sur certaines communes:
Noailles, Jugeals-Nazareth… D'où l'intérêt des P.L.U. mais assorties de clauses
strictes empruntées aux Z.P.P.A.U.P. C'est dans l'extension même de ces zones
de protection, partout où elles sont possibles, que réside la véritable sauvegarde
durable de l'opération et d'un capital culturel considérable trop souvent ignoré des
habitants eux-mêmes.
Au doute sur la ferme volonté des édiles de faire prévaloir une politique sans
concession au plan urbanistique, s'ajoute malheureusement un désaccord de fond
sur certains aspects de l'O.G.S. Turenne-Collonges.
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II Un désaccord de fond
Nos plus expresses réserves quant à l'opération résultent de sa dénomination
ambiguë, d'une offre touristique de nature confuse, d'un territoire incohérent. Ce
projet manque de solidité à un triple point de vue.
A Une dénomination ambiguë
Il s'agit de la singularité de l'O.G.S. Turenne-Collonges, la seule de la liste
actuelle à présenter un double pôle.
Cet attelage bicéphale est mal identifiable par sa dénomination et reconnu
d'ailleurs comme tel (p 5 du "scénario de mise en valeur"): "L'amélioration de la
qualité de l'offre touristique oblige à promouvoir le site d'une seule voix: en lui
donnant un nom et en proposant au public l'ensemble des richesses qui le
caractérisent. Le GRAND SITE DE LA VICOMTE (sic) aux entrées de Collonges
et Turenne…, » etc. Et (p. 7) l'on souhaite un nouveau site, un site unique et
commun pour un nouvel office du tourisme. De même est-il proposé "une maison
de site" qui pourrait être associée à une "maison de pays". C'est ainsi qu'apparaît
dans sa dualité et son ambiguïté ce site bifide qu'à priori des aspects nombreux
opposent.
On connaît les facettes du contraste: calcaire blanc du jurassique et grès
permien rouge, fortifications castrales très lisibles et habitat résidentiel de plaine,
sanctuaire roman et église de la Contre-Réforme, site classé et site seulement
inscrit, rattachement à la C.A.B. et appartenance à la Communauté de communes
des villages du Midi corrézien (C.C.V.M.C.), etc. S'agirait-il alors du mariage de la
carpe et du lapin? La sauce manquerait-elle de liant? Nullement, car le lien existe.
Le seul dénominateur commun entre ces deux pôles reste leur inclusion
multiséculaire dans l'ancienne vicomté de Turenne (Voir carte n°1). Mais l'O.G.S.
Turenne-Collonges peut-elle confisquer à son profit exclusif le label "Grand Site
de la Vicomté"? Vis-à-vis des autres localités vicomtales en Corrèze et à l'égard
de la partie lotoise de la Vicomté, ce serait un véritable détournement d'appellation
contrôlée.
B Une offre touristique confuse
Qu'il s'agisse de "construire une offre de tourisme durable" (p. 7), l'objectif relève
du discours convenu car tout doit être désormais "durable".
Pour l'O.G.S., que faut-il promouvoir? Le projet retient simultanément et sans
les hiérarchiser quatre "thématiques" (p.5): l'histoire de la vicomté de Turenne qui ne saurait être présentée de façon partielle, du seul point de vue "corrézien"; le
riche patrimoine architectural (églises, châteaux, habitat vernaculaire); les produits
agricoles replacés dans la variété des terroirs (le bureau d'études s'est extasié
sur les noyeraies, avec leurs "routes de la noix"… qui se poursuivent dans le Lot);
les curiosités géologiques (faille de Meyssac, gouffre de la Fage)…
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Ce patchwork touristique peut osciller, au choix, entre un parc d'attraction, un
parc naturel, un spectacle Puy du Fou, etc. Incontestablement, il manque au
projet une colonne vertébrale, une idée conductrice, un fil rouge.
A notre avis, la démarche primordiale est de définir l'esprit du Grand Site. Il n'y
a pas d'autre approche, semble t-il, qu'une lecture historique. Il s'agirait, sur le
site, de lire l'histoire dans le paysage, de procéder au déchiffrement de
l'occupation séculaire du sol. Il est en effet beaucoup question de préserver la
qualité des paysages. Le scénario de valorisation ne cesse d'y insister.
Outre l'émotion esthétique qu'ils suscitent, ils offrent l'intérêt d'être de vivants
livres d'histoire et de géographie.
Cette démarche culturelle nécessite
évidemment un accompagnement pédagogique de qualité.
Mais alors se pose la question de la pertinence du territoire à observer. C'est un
troisième point de désaccord avec le projet.
C Un territoire incohérent
L'O.G.S. Turenne-Collonges s'interdit de raisonner en termes de territoire, de
circonscription, de périmètre pour ne s'en tenir abstraitement qu'à la dualité des
sites constitutifs. Mais le projet lui-même (qui d'ailleurs propose "le soutien à la
gestion agricole du territoire") institue (p.4) une "aire d'étude" à déterminer sur
le territoire des communes de Turenne et Collonges, naturellement, mais aussi sur
Noailhac, Ligneyrac, Saillac, Meyssac, Jugeals-Nazareth, Noailles (voir carte n°2).
Au fil du projet, on découvre d'autres lieux à prendre en compte: Brive, Beaulieu,
Curemonte. Sont également évoquées diverses solidarités incontournables de
voisinage ou de gestion administrative: communes limitrophes, communauté de
communes, cadre du canton de Meyssac, du "pays de Collonges" ou du midi
corrézien…
Bref, il s'agit d'un territoire à géométrie variable selon les
"thématiques" à développer.
Quoiqu'il en soit, cette "aire d'étude", limitée à la Corrèze et même élargie à
quelques communes des cantons de Beaulieu ou de Beynat, serait
nécessairement incomplète. Seule en effet l'histoire de l'ex-vicomté de
Turenne, dans toute son étendue, sa continuité territoriale et géographique,
tant en Limousin qu'en Quercy, peut offrir une grille de lecture cohérente.
L'histoire vicomtale permet de hiérarchiser le territoire à observer. Elle autorise
à distinguer:
- a) les villes dites "capitales": Turenne, Beaulieu, Argentat, Servières,
avec leur patrimoine spécifique. Mais la partie quercynoise a également
ses propres "villes capitales": Martel, Saint-Céré.
Lorsqu'en 1988, à l'occasion de la célébration du bicentenaire de la
Révolution, il fut organisé un colloque sur l'histoire de la Vicomté à cette
époque, l'on prit grand soin de répartir le programme des conférences entre
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les trois villes de Turenne, Martel et Saint-Céré. Les élus s'étaient montrés
sur ce point extrêmement susceptibles.
A ce niveau proprement urbain succède,
- b) les chefs-lieux de châtellenies qui sont, le plus souvent, d'intéressants
bourgs murés: Collonges, Meyssac; mais aussi, en Quercy: Creysse,
Montvalent, Bétaille, Gagnac. Le caractère touristique de ces localités,
parfois remarquables, est indiscutable, comme leur place dans l'histoire de
la Vicomté.
Viennent enfin,
- c) les villages, petites communes rurales actuelles et jadis communautés
d'habitants ou paroisses de l'ex-Vicomté. Dans ce cadre de base, l'on peut
trouver des sites ou monuments inscrits ou classés: églises (Saillac,
Cavagnac, Saint-Michel-de-Bannières …) et châteaux, principalement.
Leur existence serait un critère d'adhésion à l'O.G.S., de même que les
communes s'étant résolument dotées d'un P.L.U. avec de sévères clauses
de protection urbanistique et paysagères, et même d'une Z.P.P.A.U.P.
Mais alors pourrions-nous toujours être dans le cadre juridique d'une
O.G.S. ?
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Conclusion
Notre association demeure très favorable au principe même de l'O.G.S.,
de cet outil juridique pour la protection de l'espace remarquable qui s'inscrit
dans sa zone de vigilance et d'intervention. Turenne-Environnement
s'interroge, cependant, sur la pertinence de cet Objet Gravement Singulier
que constitue l'O.G.S. Turenne-Collonges. L'opération, qui tient du grand
site mais aussi du parc naturel et d'attraction, semble hybride, hétérogène.
Son contour est mal défini. Ce n'est pas une opération culturelle mais
simplement touristique. L'on passe à côté d'un grand et beau projet.
Si Grand Site il y a, il ne peut être désigné que par une dénomination
unique. Cet attelage de Turenne et de Collonges évoque en réalité, sans le
dire, une Vicomté croupion qui travestit la réalité historique.
Il faudrait avoir l'audace de dénommer l'O.G.S. en question "Grand Site
de la Vicomté de Turenne" ou "Grand Site de Turenne en Vicomté", sans
même mentionner Collonges qui n'est après tout, historiquement, que l'une
des anciennes châtellenies de ce grand fief, tout autant quercynois que
limousin. Le Grand Site de la Vicomté aurait vocation à fédérer toutes les
collectivités qu'elle rassemblait jadis, dont Collonges n'est que l'une des
plus remarquables, en Limousin. Aucun obstacle ne s'oppose à l'extension
au Lot de l'O.G.S..
L'ancienne France était riche en petites principautés au passé insolite.
En voici quelques unes: Henrichemont en Berry, Orange dans le Dauphiné
ou encore la principauté des Dombes, sans évoquer Monaco. La Vicomté
de Turenne jusqu'en 1738, et même 1789, est l'une de celles dont
l'originalité reste encore très lisible dans son patrimoine bâti et ses
paysages, peut-être même dans la mentalité de ses habitants, assez portés
sur "l'esprit de privilège". Il faut en faire un objet d'approche de l'histoire par
un tourisme intelligent.
Alors, "O.G.S. Collonges-la-Rouge et Turenne" ? Non, beaucoup mieux
et plus ambitieux: Observatoire Grande Seigneurie, un concept innovant
du tourisme vert et vraiment culturel.
Prononcé en l'Assemblée Générale de Turenne-Environnement, le 29 juillet 2006.
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