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Societe française pour le droit international
Extrait du Colloque du Mans intitulé :
Le sujet en droit international
LES DESTINATAIRES NON ETATIQUES DES RESOLUTIONS
DU CONSEIL DE SECURITE
par
Jean-Luc FLORENT
Conseiller juridique de la Missions française auprès des Nations Unies
Je souhaiterais tout d’abord remercier la Société Française pour le droit
international et, au premier chef, les organisateurs du colloque de cette année,
dont le professeur Michel Cosnard, d’avoir bien voulu me faire l’honneur de
m’inviter à y participer sur le thème des « destinataires non étatiques des
résolutions du Conseil de sécurité ». De par mes fonctions antérieures,
notamment à la Direction des Affaires juridiques du Ministère des Affaires
étrangères, mais également dans le cadre de mes attributions actuelles au sein de
la Mission Permanente de la France auprès de l’Organisation des Nations Unies
à New York, je suis parfaitement conscient de la notoriété, en France, mais aussi
bien au delà, de ce colloque annuel de la SFDI et de la contribution majeure qu’il
apporte au développement, si indispensable, de la réflexion sur le droit
international. C’est vous dire combien je suis sensible et touché de pouvoir y
participer en présence d’autant de spécialistes éminents du droit international.
Permettez moi également de préciser, d’emblée, que ma participation et
donc mon intervention dans le cadre de ce colloque sont d’ordre strictement
personnel. Elles ne sauraient en conséquence engager aucunement le Ministère
des Affaires étrangères ni, plus généralement, les Autorités françaises.
Mon intention, en traitant de la question des « destinataires non étatiques des
résolutions du Conseil de sécurité », ne vise pas à aborder ce sujet sous un angle
doctrinal, mais plus modestement sous celui de la pratique, au vu de l’expérience
que j’ai personnellement vécue au sein du Conseil de sécurité en tant que
membre de la Délégation française, au cours de ces trois dernières années qui ont
été particulièrement riches dans le domaine considéré.
Mode de citation :
Jean-Luc Florent, ◦« Les destinataires non étatiques des résolutions du Conseil de sécurité»,
SFDI Colloque du Mans, Le sujet en droit international, Paris, Pedone, 2005, p. 107-116.
© Editions A. PEDONE – PARIS – 2005
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La Charte des Nations Unies dans sa lettre, mais aussi dans son esprit initial,
traite avant tout de relations entre États et vise, au premier chef, à maintenir la
paix et la sécurité internationales comme le souligne son Chapitre 1er relatif aux
« Buts et principes » de l’Organisation universelle qu’elle crée. Au moment de
son adoption, et pendant les quinze années suivantes, le maintien de la paix et de
la sécurité internationales consistait exclusivement à prévenir ou mettre un terme
à des conflits interétatiques au sens étroit du terme. Depuis le processus de
décolonisation à partir des années 60 et ultérieurement avec la fin de la « Guerre
froide » au tout début des années 90, les Nations Unies, principalement le
Conseil de sécurité, sont le plus souvent confrontés à des conflits d’ordre interne
ainsi qu’à la problématique des États dits « faillis ». De même, le Conseil de
sécurité ne pouvait rester indifférent aux nouvelles menaces à la paix et la
sécurité internationales que constituent en particulier le terrorisme et la
prolifération d’armes de destruction massive.
C’est dans ce contexte évolutif de la nature et de la variété de la menace que
le Conseil de sécurité a été contraint d’adapter au fur et à mesure son action dans
le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales pour pouvoir
jouer le rôle attendu de lui. Ces adaptations nécessaires sont intervenues dans le
cadre, inchangé, de la Charte des Nations Unies, quitte à donner à ses
dispositions une interprétation parfois extensive.
Il a donc été amené à prendre de plus en plus en compte, dans le cadre de ses
activités, notamment au titre du Chapitre VII de la Charte, les agissements
d’entités non étatiques dont il considère qu’ils posent un risque ou constituent
une menace contre la paix et la sécurité internationales (I). Ce faisant, son action
au regard de ces acteurs non étatiques n’entend pas cependant reconnaître et, a
fortiori, conférer à ces dernières le statut de « sujets du droit international » dès
lors que les mesures qu’il adopte les concernant s’adressent avant tout aux États
qui demeurent chargés de leur mise en œuvre au plan national (II).
I. UNE PLUS GRANDE PRISE EN COMPTE DES ENTITES NON ETATIQUES
PAR LE CONSEIL DE SECURITE
Au cours de ces dernières années, nombre des résolutions adoptées par le
Conseil de sécurité comportent des dispositions visant une grande variété
d’acteurs non étatiques, qu’il s’agisse d’individus, d’entités ou de groupes, dans
des domaines eux mêmes divers. Je mets à part la situation spécifique du conflit
israélo-palestinien qui implique une entité non étatique, à savoir la Palestine.
Cette dernière n’est pas, en effet, reconnue comme une entité étatique par
l’ensemble de la Communauté internationale et, comme vous le savez, ne se voit
reconnaître qu’un statut d’observateur, certes renforcé, auprès de l’Assemblée
générale des Nations Unies.
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A/ De longue date, lorsqu’il est saisi de conflits internes, le Conseil de sécurité
est fréquemment amené à réclamer ou, le cas échéant, à exiger des belligérants,
qu’il s’agisse des autorités en charge de l’État mais surtout des groupes rebelles
qui les combattent, le respect des mesures qu’il édicte afin de mettre un terme
aux hostilités (demande de cessez-le-feu le plus souvent), d’appliquer les normes
du droit international humanitaire, ou d’engager des négociations en vue de
régler pacifiquement le conflit en cause. Je ne citerai pas les résolutions qui
comportent de telles demandes adressées à des groupes rebelles, tant elles sont
nombreuses et s’appliquent à la plupart des situations de conflits armés internes
auxquelles le Conseil de sécurité a été confronté, qu’elles surviennent en
Afrique, en Asie, en Amérique latine ou en Europe.
Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un phénomène nouveau mais d’une simple
prise en compte incontournable du caractère interne d’un conflit armé, qui
impose la prise en compte des divers acteurs prenant part au conflit, sans pour
autant, conformément d’ailleurs au droit international humanitaire, avoir d’effet
sur le statut juridique des parties au conflit.
Ce qui me paraît en revanche plus novateur, c’est la volonté récente du
Conseil de sécurité de faire en sorte, une fois que les hostilités ont cessé, de
prévoir des mesures dites « post conflit » destinées à consolider la paix. De telles
mesures s’adressent directement aux groupes rebelles par le biais notamment du
processus dit « DDRR », à savoir : la démobilisation, le désarmement, le
rapatriement et la réinsertion des combattants n’appartenant pas aux forces
armées officielles de l’État victime du conflit. De la prise en compte d’entités
non étatiques, durant la seule phase armée du conflit, l’on passe, en effet, à une
dimension à la fois plus durable et plus diversifiée dans sa nature visant
spécifiquement des entités non étatiques. C’est ce qu’a décidé le Conseil de
sécurité s’agissant notamment de la République Démocratique du Congo, de la
Sierra Leone, du Libéria, de la Côte d’Ivoire, d’Haïti et dernièrement du Burundi
(résolution 1545 du 21 mai 2004).
B/ Des entités non étatiques sont, par ailleurs, de plus en plus visées par le
Conseil de sécurité dans le domaine des sanctions qu’il peut décider en
application du Chapitre VII de la Charte.
Par le passé, les sanctions du Conseil de sécurité avaient un caractère global
(embargo commercial et sur les armes) et étaient dirigées contre un État.
L’exemple type en est le régime de sanctions instauré par diverses résolutions du
Conseil de sécurité à l’encontre de l’Irak à la suite de son invasion du Koweït.
Compte tenu des effets pervers et indésirés de ce type de sanctions globales, tant
vis-à-vis des populations de l’État concerné que vis-à-vis d’États tiers, le Conseil
de sécurité s’est résolument engagé, depuis une dizaine d’années, dans une
politique de sanctions dites « intelligentes » ou « ciblées » qui s’appliquent
spécifiquement à des individus ou des entités précisément désignés. De telles
sanctions sont, en effet, considérées comme davantage efficaces au regard des
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objectifs recherchés, en fonction des situations traitées, c’est-à-dire obtenir la
cessation des activités déstabilisatrices de leurs destinataires respectifs ainsi
qu’un changement attendu de leur comportement.
De telles sanctions ciblées ont été prises à l’encontre de gouvernements ou
de responsables gouvernementaux, comme par exemple contre la Libye en 1992
(résolution 748) à la suite des attentats contre les vols de la Pan Am et d’UTA,
contre l’ex-Yougoslavie (résolutions 713 de 1991, 757 de 1992 et 942 de 1994),
contre le Libéria (résolutions 788 de 1992 et 1343 de 2001) ou contre la Sierra
Leone (résolution 1132 de 1997).
Mais elles s’adressent aussi souvent à des individus ou entités non étatiques,
dans des secteurs aussi variés que l’embargo sur les armes, le gel des avoirs
financiers ou l’interdiction de voyager.
On peut citer à cet égard les mesures prises contre l’UNITA pour sa nonapplication des Accords de paix de 1991 et du Protocole de Lusaka de 1994
destinés à mettre un terme au conflit armé déchirant l’Angola quasiment depuis
le début de son indépendance : embargo sur les armes et le pétrole
(résolution 864 du 15 septembre 1993) ; interdiction de voyage et de transit des
dirigeants de l’UNITA dans les États tiers et interdiction des vols des aéronefs
appartenant à l’UNITA ou exploités pour son compte (résolution 1127 du
28 août 1997) ; gel des fonds et autres ressources financières appartenant à
l’UNITA en tant qu’organisation ou à ses dirigeants et les membres de leur
famille proche (résolution 1173 du 12 juin 1998).
Mais c’est plus récemment, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme,
à la suite des attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001, que le
Conseil de sécurité a adopté des mesures de gel des avoirs et autres ressources
financières ou économiques, d’embargo sur les armes et d’interdiction de voyage
au regard d’individus ou d’entités liés au réseau Al-Qaïda ou aux anciens
Talibans. Ce régime de sanctions, établi par la résolution 1390 du
16 janvier 2002 puis complété par les résolutions 1452 (2002), 1455 (2003) et
1526 (2004), est d’autant plus remarquable qu’il est entièrement déterritorialisé.
Il ne s’applique plus, en effet, au seul territoire de l’Afghanistan comme ce fut le
cas à l’époque des Talibans avec les sanctions décidées par les résolutions 1267
(1999) et 1333 (2000). À ce jour, plus de 350 individus ou entités sont inscrits
sur les listes établies par le Comité des sanctions 1267, sur la base de listes
fournies par les États.
J’ajouterai également que le Conseil de sécurité, au lendemain même des
attentats du 11 septembre 2001 d’une ampleur sans précédent, a décidé, dans sa
résolution 1368, adoptée à l’unanimité, que le droit de légitime défense
individuel et collectif prévu par l’article 51 de la Charte, pouvait être invoqué par
les États-Unis contre les auteurs, responsables ou commanditaires de ces
attentats terroristes. C’est la première fois que le Conseil de sécurité
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reconnaissait expressément la possibilité d’invoquer l’article 51 de la Charte au
regard d’actes d’agression imputables à des entités non étatiques.
C/ Plus récemment, le Conseil de sécurité a explicitement visé des entités non
étatiques au regard de la lutte contre la prolifération d’armes de destruction
massive.
Par sa résolution 1540, adoptée sous Chapitre VII et à l’unanimité le 28 avril
dernier, le Conseil de sécurité décide, en effet, que tous les États « doivent
s’abstenir d’apporter une forme d’aide quelconque à des acteurs non étatiques
qui tentent de mettre au point, de se procurer, de fabriquer, de posséder, de
transporter, de transférer ou d’utiliser des armes nucléaires, chimiques ou
biologiques et leurs vecteurs ». De même, il décide que tous les États « doivent
adopter et appliquer, conformément à leurs procédures nationales, des
législations appropriées et efficaces interdisant à tout acteur non étatique » de
se livrer ou de tenter de se livrer aux activités visées supra ou d’y participer en
tant que complice.
Cette résolution s’inspire du précédent de la résolution 1373 (2001) du
Conseil de sécurité s’agissant de la lutte contre le terrorisme Elle entend
notamment éviter que des armes de destruction massive ou des équipements qui
y sont liés ne puissent tomber entre les mains de terroristes. Elle a été adoptée,
pour mémoire, après les révélations concernant la livraison à des tiers de
documents ou autres matériels relatifs à de telles armes par un ressortissant
pakistanais.
D/ Plus généralement, je rappelle que le Conseil de sécurité a aussi été amené à
adopter, ces dernières années, plusieurs résolutions ou déclarations
présidentielles destinées à assurer un meilleur respect du droit international, en
particulier du droit international humanitaire, au profit de groupes de personnes
affectées par des conflits armés.
Je citerai en particulier ses résolutions 1261 (1999), 1314 (2000), 1460
(2003) et 1539 (2004) sur les enfants dans les conflits armés ; 1502 (2003) sur la
protection du personnel des Nations unies, du personnel associé et du personnel
humanitaire dans les zones de conflit ; 1265 (1999) et 1296 (2000) sur la
protection des civils en période de conflit armé ; 1325 (2000) sur les femmes, la
paix et la sécurité.
E/ Enfin, il convient de mentionner la création, par le Conseil de sécurité, en tant
qu’organes subsidiaires de celui-ci, des tribunaux pénaux internationaux pour
l’ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) et pour le Rwanda (T.P.I.R.), respectivement établis
par les résolutions 827 du 25 mai 1993 et 955 du 8 novembre 1994, toutes deux
adoptées dans le cadre du Chapitre VII.
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Destinées à lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves, en
l’absence à l’époque de la Cour pénale internationale dont le Statut a été adopté
en 1998, ces deux juridictions internationales sont effectivement compétentes
pour juger, pour le T.P.I.Y., les personnes présumées responsables de violations
graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’exYougoslavie à partir du 1er janvier 1991, pour le T.P.I.R., les personnes
présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du
droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens
rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le
territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.
Il s’agit de traduire en justice des individus qui auraient dû l’être,
normalement, devant les juridictions nationales compétentes, mais dont on sait
qu’elles n’avaient ni l’intention, ni la crédibilité suffisante pour engager et mener
à bien de tels procès. Faute d’alternative, et à la demande pressante de la
Communauté internationale, le Conseil de sécurité a donc été amené à établir ces
deux tribunaux par résolutions dans le cadre du Chapitre VII, ce qui lui a
d’ailleurs été reproché par certains États, dont le Mexique, au motif qu’il aurait,
ce faisant, outrepassé les pouvoirs qui lui sont dévolus par la Charte.
Il importe de souligner que ces deux tribunaux exercent leurs activités en
toute indépendance, conformément à leur statut respectif fixé par le Conseil de
sécurité. Leur fonctionnement dépend cependant en grande partie de la
coopération, obligatoire, de tous les États, en particulier pour l’arrestation et le
transfert des accusés, pour la fourniture de documents et pour l’accès des
témoins.
II. VOLONTE DU CONSEIL DE SECURITE
D’EVITER CEPENDANT DE CONFERER A DES ENTITES NON ETATIQUES
VISEES PAR LUI LE STATUT DE « SUJETS DU DROIT INTERNATIONAL »
Comme on vient de le voir, si le Conseil de sécurité mentionne ou vise de
plus en plus souvent des entités non étatiques dans ses résolutions ou
déclarations présidentielles récentes, il n’entend pas pour autant, par sa seule
action, leur donner une légitimité qu’elles n’auraient pas déjà par ailleurs, ni a
fortiori leur conférer le statut de « sujets du droit international ».
A/ En premier lieu, lorsqu’il traite de groupes de personnes dans un contexte
donné, femmes ou enfants dans les conflits armés par exemple, il est clair que le
Conseil de sécurité n’entend, en réalité, que rappeler aux États et, surtout, aux
parties à un tel conflit, quel que soit leur statut, les obligations qui leur
incombent déjà en application même du droit international humanitaire. Son
intention n’est donc nullement de leur accorder des droits ou un statut autres que
ceux qui leur sont ainsi reconnus au titre du droit international humanitaire, qu’il
soit coutumier ou conventionnel.
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B/ Par ailleurs, quand il s’adresse directement aux parties à un conflit armé
autres qu’étatiques, en particulier pour exiger d’elles un cessez-le-feu ou leur
désarmement, le Conseil de sécurité ne le fait le plus souvent que sur la base
d’un accord de paix préalablement conclu entre les belligérants eux-mêmes, le
cas échéant après facilitation ou intervention de tiers.
Ainsi, s’agissant de l’UNITA les diverses résolutions du Conseil de sécurité
visent régulièrement les Accords de paix signés en 1991 et le Protocole de
Lusaka de 1994. En ce qui concerne la République Démocratique du Congo, les
différents accords conclus notamment à Lusaka, à Luanda ou à Pretoria. De
même pour la Côte d’Ivoire avec l’Accord signé par les forces politiques
ivoiriennes à Linas-Marcoussis en janvier 2003.
C/ Surtout, dans nombre de ses résolutions concernant ou visant des entités non
étatiques, le Conseil de sécurité s’adresse aux États eux-mêmes et non
directement à ces entités. Ces dernières ne sauraient donc se prévaloir de ces
résolutions en vue d’essayer d’en obtenir, au plan juridique, une reconnaissance
ou un statut qui leur ferait défaut par ailleurs. Cela est d’autant plus vrai lorsque
les dites entités non étatiques sont visées en raison d’activités illicites.
Tel est le cas pour la résolution 1540 sur la non-prolifération. Le Conseil
demande, en effet, aux États de s’abstenir d’aider des acteurs non étatiques à
acquérir ou posséder des armes de destruction massive et d’adopter des mesures
nationales, législatives ou autres, afin de pouvoir interdire et réprimer l’accès à
de telles armes par des acteurs non étatiques, à des fins terroristes notamment.
Il en est de même avec la résolution 1373 sur la lutte contre les actes
terroristes. Cette résolution, qui fixe désormais le cadre de l’action du Conseil de
sécurité en la matière, demande notamment aux États de se doter de moyens
législatifs ou autres et de structures administratives pour être en mesure de mieux
combattre le fléau du terrorisme dont aucun État n’est à l’abri.
En application de cette résolution, le Comité du contre-terrorisme du Conseil
de sécurité, qui est chargé du suivi de sa bonne mise en œuvre par les États, n’a
pas élaboré de listes de groupes terroristes ou d’individus impliqués ou se livrant
à des activités terroristes. Il n’est d’ailleurs pas dans son intention de le faire.
Cette résolution 1373, complétée par les résolutions 1377 (2001) et 1456 (2003),
toutes deux adoptées au niveau ministériel, n’est pas, en effet, un texte cherchant,
en tant que tel, à établir un régime de sanctions. Il s’agit davantage d’obliger tous
les États à se doter de moyens efficaces de lutte contre le terrorisme (obligation
de résultat), étant entendu que chaque État demeure libre, au plan national, du
choix des moyens à mettre en place pour atteindre l’objectif global recherché. En
contrepartie, chaque État a l’obligation de rendre compte régulièrement au
Comité du contre-terrorisme, sous la forme de rapports, des mesures prises au
niveau national. Il appartient alors au Comité du contre-terrorisme d’évaluer ces
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mesures et de proposer, le cas échéant, l’adoption de mesures renforcées ou
additionnelles pour accroître l’efficacité globale de la lutte contre le terrorisme.
D/ En revanche, le Conseil de sécurité a bien établi, par sa résolution 1390
(2002), complétée par la suite par les résolutions 1452, 1455 et 1526, un régime
de sanctions (gel des avoirs, embargo sur les armes, interdiction de voyage)
entièrement déterritorialisé contre les individus ou entités liés au réseau Al-Qaïda
ou aux anciens Talibans.
Plus de 350 individus ou entités sont actuellement inscrits sur les listes du
Comité du Conseil de sécurité chargé du suivi de la mise en œuvre de ces
sanctions (Comité dit 1267). Les inscriptions sur ces listes sont proposées à
l’initiative des seuls États, qui doivent notamment justifier de l’existence d’un
lien entre tel individu ou entité avec Al-Qaïda ou les anciens Talibans. Ces listes
sont adoptées à l’unanimité par les États membres du Comité 1267, lequel est
composé des représentants des quinze États siégeant au Conseil de sécurité. Une
fois qu’un individu ou qu’une entité est porté sur ces listes, tous les États ont
alors l’obligation d’appliquer, au plan national, les sanctions prévues à leur
égard, aux conditions prévues par les résolutions pertinentes du Conseil de
sécurité.
Le fonctionnement de ce régime de sanctions inédit ne va pas, il faut le
reconnaître, sans poser problème au plan pratique. En effet, il est arrivé à
plusieurs reprises que des individus contestent le bien fondé, parfois avec raison,
de leur inscription sur ces listes en niant tout lien avec le réseau Al-Qaïda ou les
anciens Talibans. Face à de telles situations, résultant parfois de simples
homonymies, le Comité a prévu ce que l’on pourrait comparer à une procédure
de « recours gracieux ». Cette procédure permet la saisine du Comité mais
seulement et exclusivement par un État ou un groupe d’États et en aucun cas par
l’individu ou l’entité directement visé ou ses représentants. Plusieurs individus
ont ainsi été retirés de ces listes par le Comité à la suite de la mise en œuvre de
cette procédure, qui ne saurait être assimilée à l’exercice de la « protection
diplomatique » telle que celle-ci est définie par le droit coutumier international.
Si le retrait de la liste permet de mettre fin, à l’avenir, à l’application des
sanctions à l’égard de l’individu ou de l’entité concerné et, le cas échéant, de
restituer leurs avoirs gelés, il pose cependant le problème de la réparation du
préjudice éventuellement causé à l’individu ou l’entité impliqué par les sanctions
décidées, en l’espèce à tort, à son encontre. Dans ce cas, l’intéressé n’a d’autre
recours que de saisir une juridiction nationale ou régionale compétente (Cour de
Justice des Communautés européennes par exemple) en fonction notamment de
son lieu de résidence ou de l’État dont il est le ressortissant, voire auprès des
juridictions nationales de l’État ayant, initialement, proposé son inscription sur
ces listes du Comité 1267.
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Cette procédure imparfaite contribue bien évidemment à relancer la question
particulièrement complexe, en termes tant politiques que juridiques, de la
responsabilité du Conseil de sécurité et de ses organes subsidiaires au regard des
mesures qu’ils décident, surtout lorsqu’elles sont dirigées contre des entités non
étatiques. Il est clair, selon moi, que le problème est désormais posé de façon
accrue, d’autant que la Cour de Justice des Communautés européennes est, à ma
connaissance, saisie de recours contentieux de la part d’individus ressortissants
d’un État membre de l’Union européenne inscrits à tort sur les listes du
Comité 1267 lesquelles, comme vous le savez, sont rendues applicables, au sein
de l’Union européenne, par le biais de règlements communautaires.
Pour conclure, le Conseil de sécurité est désormais, comme on l’a vu,
fréquemment amené à prendre en compte, selon des modalités et dans des
domaines variés, des entités non étatiques, elles mêmes de natures très diverses.
S’il faut, à mes yeux, se féliciter de cette évolution récente, qui démontre
notamment la capacité du Conseil de sécurité à adapter son action en fonction
des besoins du moment et de l’efficacité recherchée, il n’en demeure pas moins
que le Conseil de sécurité est tenu d’agir dans le cadre de la Charte des Nations
Unies qui régit avant tout des relations interétatiques au sens traditionnel du
terme.
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