Note d`intention Juego

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Note d`intention Juego
Note d’intention Un juego de niños est né d’une expérience qui m’est arrivée durant mon adolescence. A seize ans, j’ai été agressé par un jeune homme à peine plus vieux que moi. Pour éviter de me faire tuer, j’ai dû l’emmener chez mon meilleur ami. A l’image du film, notre agresseur nous a raconté sa vie et ses problèmes. Mon ami et moi avons alors vécu une matinée intense, emplie de peur et d’une troublante intimité. Des années plus tard, en réfléchissant à cette anecdote, je me suis rendu compte qu’elle était le fruit de l’inégalité et de la ségrégation sociale inhérent à mon pays : la Colombie. Concrètement, dans d’autres circonstances, j’aurais pu être l’agresseur au lieu de l’agressé. Nous n’étions en fait que des enfants confrontés à la dureté du déterminisme social. J’ai alors écrit une histoire sur la manière dont peuvent se nouer les relations entre personnes de différentes couches sociales en Colombie. Ce pays est un des plus inégaux au monde. A Bogotá, la misère la plus effroyable côtoie la richesse la plus scandaleuse. Il existe des barrières immenses entre les différentes couches sociales, elles s’ignorent mutuellement et ont peur les unes des autres. Une ligne imaginaire et presque infranchissable existe entre les quartiers bourgeois du Nord et les quartiers pauvres du Sud. En rencontrant des habitants d’un des bidonvilles supposé le plus dangereux de la ville, je me suis aperçu qu’ils avaient aussi peur d’aller dans le quartier où j’ai grandi que moi d’aller chez eux. C’est la raison principale pour laquelle, chaque fois que l’ordre social est transgressé, il engendre malheureusement soit la confrontation soit le ressentiment. Notre société se doit de sortir de cette logique d’ignorance. Un juego de niños prétend faire un pas dans ce sens. Ce film dresse le portrait de jeunes gens aux origines extrêmement différentes mais aux attitudes et aux comportements similaires : même peur, même besoin d’amitié, mêmes préjugés, mêmes aveuglements... Je veux faire un film avec des comédiens non professionnels appartenant aux différentes classes sociales dont sont issues mes personnages. J’effectuerai donc, parallèlement, un casting dans des lycées réputés de la bourgeoisie de Bogotá et dans des centres éducatifs de quartiers défavorisés. Quatre jeunes candidats par rôle seront sélectionnés et participeront ensemble à un atelier de cinéma centré principalement sur la comédie. Le but de l’atelier est non seulement de les amener à s’exprimer par le jeu, mais surtout de les confronter les uns et aux autres. Je choisirai ensuite les jeunes qui m’apparaîtront les plus en phase avec le projet. Ma première priorité pour ce film est de faire éclore la force et la justesse du jeu des comédiens. Pendant l’atelier de formation, à travers des répétitions, l’idée est d’acheminer les comédiens vers cette histoire sans jamais leur faire lire une page du scénario. Ils devront découvrir par eux-­‐mêmes la logique des personnages de façon à les jouer de la manière la plus réaliste possible. Ils devront plonger dans les circonstances déterminées par l’histoire comme s’il s’agissait de leur propre vie. De ce point de vue, il sera très important que les comédiens ne se préoccupent pas de l’aspect technique du tournage. Ainsi, nous ne tournerons qu’avec la lumière du soleil et avec une caméra super 16mm très légère. Le point de vue de cette caméra sera très proche de celui des personnages. Toujours à l’épaule, elle privilégiera les gros plans de leurs visages pour essayer d’y lire les sentiments, les émotions, les pensées. A la manière de Larry Clark dans son œuvre photographique Tulsa et dans ses films Kids ou Another Day in Paradise, il faudra trouver cette proximité et cette beauté avec laquelle il dresse les portraits de ses personnages ; trouver cet équilibre entre l’impression documentaire des images et leur subtil ancrage fictionnel. La faible profondeur de champ fera apparaître les personnages dans une ville au contour flou, une ville qu’ils ne parviennent pas à déchiffrer complètement. Pour conclure, je souhaite signaler que ce film a reçu une aide à la production de l’Etat colombien et de plusieurs mairies d’arrondissement de la ville de Bogotá. C’est pourquoi, une fois terminé, Un juego de niños sera projeté dans différents lycées, théâtres et quartiers de la ville de Bogotá de manière à être vu par le plus grand nombre de personnes possible. Ces projections seront suivies de débats avec l’équipe du film dans lesquels nous chercherons à initier une réflexion sur la direction prise par notre société inégale et injuste. Jacques Toulemonde