Pie XII et les Juifs : la BBC reconnaît son erreur

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Pie XII et les Juifs : la BBC reconnaît son erreur
Publié le 16 décembre 2016
Pie XII et les Juifs : la BBC reconnaît son erreur
Dans une tribune diffusée sur le blog de l’organe de presse catholique américain Crux, Lord
David Alton de Liverpool, membre indépendant de la Chambre des Lords et ancien membre de la
Chambre des Communes, a fait part de son action auprès de la BBC pour que soit reconnu le
parti pris partial et défavorable d’un reportage à l’encontre du Pape Pie XII.
Mensonge historique et vérité romancée
Au moment de la visite du Pape François à Auschwitz en juillet dernier, lors d’un reportage diffusé
dans le journal télévisé du soir – le plus regardé en terme d’audience –, le reporter de la BBC a émis
ce commentaire lorsque le Pape priait dans la cellule du père Maximilien Kolbe : «Le silence a été
la réponse de l’Église catholique quand l’Allemagne nazie a persécuté le peuple juif et a alors tenté
de faire disparaître tous les juifs d’Europe.» Comme le dit Lord Alton, le journaliste a affirmé cette
phrase «comme un fait établi», comme une vérité historique incontestable. Devant cette
interprétation de l’Histoire qu’il juge biaisée, Lord Alton et le moine bénédictin historien et ancien
président d’université Leo Chamberlain ont tout d’abord tenté de réclamer une rectification auprès
de la BBC. Leur réclamation étant restée sans réponse, les deux hommes ont «porté plainte auprès
du Service des plaintes éditoriales» de l’antenne, en présentant «un dossier de documents, public et
parfaitement accessible aux journalistes.» Et c’est ce recours qui a porté ses fruits.
Une amende honorable qui est une première
Après examen, le surveillant internet de la BBC a déclaré que le reportage n’avait pas donné «toute
l’importance requise aux déclarations publiques des papes successifs ou aux efforts faits sur les
instructions de Pie XII pour sauver des Juifs de la persécution nazie, et qu’il avait contribué à
perpétuer une vision qui ne correspond pas avec les données disponibles.» Lord Alton relève que le
reportage partait de la cellule même du père Maximilien Kolbe, envoyé à Auschwitz justement pour
avoir publié dans son journal, qui tirait à 1 million d’exemplaires, «une tribune qui dénonçait les
nazis». «Difficile de faire moins silencieux» ajoute ironiquement Lord Alton. Celui-ci mentionne
également «les 6 066 Polonais, pour la plupart catholiques, qui ont été officiellement reconnus en
Israël comme “Justes parmi les Nations” pour leur rôle dans la protection de Juifs polonais.»
Mais il ne manque pas de louer la BBC pour sa déclaration : «La BBC a raison de reconnaître que la
calomnie selon laquelle les catholiques n’ont rien fait ni rien dit contre le nazisme est précisément
une calomnie collective. Je leur suis reconnaissant de l’avoir fait» a-t-il confié au Catholic Herald.
Il en appelle à la direction du groupe pour qu’elle commande «un nouveau documentaire qui
analyse les preuves et corrige les distorsions caricaturales et les demi-vérités et contre-vérités
régurgitées par paresse.» Le bureau des plaintes éditoriales de la BBC a indiqué que l’équipe
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responsable du reportage avait été avisée de la plainte, «de sorte que tout prochain reportage veille à
refléter une meilleure compréhension de l’Histoire.»
Histoire d’une désinformation tenace
Lord Alton s’intéresse ensuite à la racine de cette «dernière tentative de réécrire l’Histoire». Elle est
partie tout d’abord du livre Le Vicaire, publié en 1963 par l’écrivain est-allemand Rolf Hochhuth. Il
est très frappant de considérer le succès idéologique de cet ouvrage, adapté à l’écran par CostaGravas en 2002 dans le film Amen. Mais Lord Alton cite les révélations du général roumain Pacepa,
à la tête de la police politique roumaine avant son passage à l’ouest en 1978, qui a déclaré que «le
général Ivan Agayants, chef du département de désinformation du KGB, avait créé l’ébauche du
livre faisant du Pape un sympathisant nazi.» Dans sa notice Wikipédia, on peut lire cette déclaration
faite par Pacepa en 2007 : «Dans mon autre vie, quand j'étais au centre des intrigues menées par les
services d’espionnage de Moscou, je fus moi-même mis au courant d’une tentative délibérée du
Kremlin de noircir le Vatican, en décrivant le pape Pie XII comme ayant froidement décidé de
sympathiser avec les Nazis.»
Le père Peter Gumpel, jésuite rapporteur de la cause de béatification de Pie XII, même s’il préfère
rester prudent sur la véracité des déclarations de l’ancien espion, avait confié à Zenit : «Au Vatican,
on savait depuis longtemps que la Russie bolchevique était à l’origine de cette campagne de
discrédit contre Pie XII». Pacepa a également révélé l’existence de l’opération Siège 12 : «En
février 1960, précise l’ancien espion, Nikita Khrouchtchev approuva un plan secret destiné à saper
l’autorité morale de l’Église dans les pays occidentaux. Eugenio Pacelli, qui devint le pape Pie XII,
fut sélectionné par le KGB comme cible principale de l’incarnation du mal parce qu’il décède en
1958» lit-on dans La Nef. Lord Alton ajoute : «Les morts ne peuvent pas se défendre», Pie XII était
donc le coupable idéal, et son passé de nonce apostolique en Allemagne avant la guerre pouvait
prêter à toutes les réinterprétations mystificatrices.
Ce que disent les Juifs eux-mêmes
Dans sa tribune, Lord Alton mentionne les prises de position de personnalités éminentes du monde
juif sur la question. Il parle notamment du livre du rabbin américain David Nalin, Pie XII et les
Juifs : le mythe du Pape d’Hitler, qui affirme que «la vérité doit être rétablie à propos de Pie XII.
Selon Pinchas Lapide, historien et consul israélien, Pie XII «a permis de sauver au moins 700 000
juifs, mais probablement plutôt 860 000 juifs d’une mort certaine aux mains des nazis.» A la fin de
la guerre, des survivants de l’Holocauste lui ont rendu hommage dont le premier président israélien
Chaim Weizmann et Isaac Herzog, grand rabbin d’Israël. On se souvient également que le grand
rabbin de Rome, converti au catholicisme, avait choisi le prénom de baptême du Pape, Eugenio,
comme prénom chrétien. Alton cite aussi l’hommage de Golda Meir, d’Albert Einstein et des
Chroniques Juives, qui ont tous reconnu que Pie XII avait été une des rares voix à s’élever contre le
nazisme.
On dit que nous sommes dans une ère de «post-truth», «post-vérité», reconnu mot de l’année par le
dictionnaire britannique Oxford. Que signifie cette expression devenue consacrée ? Elle «fait
référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler
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l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles» explique Libération. Et
si le mythe de Pie XII, Pape d’Hitler, en était le plus ancien exemple ?
Alix Verdet
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