la déconstruction des navires - Centre de Droit Maritime et des

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la déconstruction des navires - Centre de Droit Maritime et des
LA DÉCONSTRUCTION DES NAVIRES
Pierre-Yves BELLONE
Master II Droit Maritime et des Transports
Promotion 2006/2007
Sous la direction de Monsieur SCAPEL
1
SOMMAIRE
Introduction ................................................................................................................................ 5
Table des Abréviations............................................................................................................... 3
PARTIE 1 :
LES DIFFERENTS ASPECTS JURIDIQUES DU DÉMANTÈLEMENT
I) RÉGIME JURIDIQUE DU DÉMANTÈLEMENT DES NAVIRES............................. 11
A) Définition juridique du navire............................................................................................. 11
B) La perte de la qualité de navire ........................................................................................... 14
C) La qualification juridique de déchet.................................................................................... 16
D) Normes impératives applicables aux navires en matière de démantèlement ...................... 24
II) LES RÉGIMES PARTICULIERS.................................................................................. 29
A) Les bateaux de plaisance hors d’usage, les BPHU ............................................................. 30
B) L’Etat et le démantèlement ................................................................................................. 33
PARTIE 2 :
DÉFIS ET PROBLÈMES LIÉS À LA DÉCONSTRUCTION
I) MÉTHODES DE DÉMANTÈLEMENT ET NORMES ENVIRONNEMENTALES
ET SOCIALES ....................................................................................................................... 58
A) Les étapes du démantèlement ............................................................................................. 58
B) Un défi environnemental..................................................................................................... 61
C) La sécurité des travailleurs.................................................................................................. 69
D) Vers une plus grande sécurité maritime .............................................................................. 77
2
II) VOLET ÉCONOMIQUE................................................................................................. 79
A) Localisation et fonctionnement des cimetières marins ....................................................... 80
B) Répartition des navires démolis .......................................................................................... 82
C) Inventaire des navires vendus aux chantiers ....................................................................... 83
D) Côtes des matières premières .............................................................................................. 84
III) DÉFIS DU RECYCLAGE DES NAVIRES .................................................................. 86
A) Le devenir des parties du navire démantelé ........................................................................ 86
B) Une démolition européenne propre, une utopie ? ............................................................... 87
C) Que doit faire l’Union Européenne ..................................................................................... 91
D) Nécessité d’une reforme urgente......................................................................................... 92
Conclusion.............................................................................................................................. 100
Table des Annexes ................................................................................................................. 106
3
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AELE : Association Européenne De Libre Echange
BPHU : Bateaux de Plaisance Hors d’Usage
CED : Catalogue Européen de Déchets
CIEEMG : Commission Interministérielle pour l’Etude des Exportations de Matériel de
Guerre
CJCE : Cour De Justice des Communautés Européennes
DEFRA : Ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales
DGA : Délégation Générale de l’Armement
DNID : Direction Nationale des Interventions Domaniales
EMSA : Agence Européenne de Sécurité Maritime
FIDH : Fédération Internationales des Droits de l’Homme
FIN : Fédération des Industries Nautiques
GMB : Gujarat Board
GMB : Gujarat Maritime Board
HAP : Hydrocarbures Aromatoques Polycycliques
MIDN : Mission Interministérielle sur le Démantèlement des Navires
OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique
OIT : Organisation Internationale du Travail
OMI : Organisation Maritime Internationale
ONG : Organisation Non Gouvernementale
PCB : polychlorobiphényles
REP : Responsabilité élargie du Producteur
SCMC : Supreme Court Monitoring Comitee
SDI : Ship Decomissioning Corporation
TBT : Etain Tri Butylique
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5
Introduction
La flotte marchande française se caractérise par sa jeunesse, avec une moyenne d’âge de sept
ans au 1er janvier 2006, quand l’âge moyen de la flotte européenne est de quinze ans.
Cette relative jeunesse de nos navires s’explique par la volonté des armateurs de disposer de
navires de qualité.
L’introduction de régimes juridiques contraignants et les aides à l’investissement, avec
notamment le Groupement d’Intérêt économique Fiscal favorise le retrait des navires.
La conséquence de cette tendance est l’augmentation de la flotte annuelle à démanteler.
Or, le panorama actuel de la déconstruction navale reste inquiétant. Les pratiques, ayant cours
sur les chantiers de démolition, ne respectent pas les normes internationales du travail, de la
santé et de l’environnement.
La déconstruction des navires en fin de vie est une matière particulière car elle met en exergue
des enjeux économiques, sociaux et juridiques.
L’expression « démanteler » provient de l’ancien français « emmanteler », qui signifie
entourer d’une muraille. La première trace de ce terme remonte à 1563, dans les mémoires de
condé, et le terme « démantèlement » a été utilisé pour la première fois en 1587 par La Noue.
De nos jours, le terme « démantèlement » a pour la Marine, un sens bien particulier.
Il correspond au retrait de la tranche réacteur d’un sous-marin à propulsion nucléaire.
Pour l’industrie navale de la construction, le terme le plus usité pour les navires de pêche ou
de plaisance est « le déchirage ».
Les médias, quant à eux, ont recours à l’appellation « démantèlement ».
Dans ce mémoire, les termes de déconstruction, démantèlement, démolition navale ou
déchirage seront indifféremment employés.
Le sort réservé aux navires en fin de vie n’est que très peu glorieux.
Après vingt cinq à trente ans de bons et loyaux services, dès lors que les coûts de remise en
état, ou de mise aux normes deviennent déraisonnables pour les armateurs, les navires sont
vendus, souvent via des courtiers, par les propriétaires, les armateurs ou les Etats lorsqu’il
s’agit de navires militaires à des chantiers de démolition, de ferraillage.
6
Malheureusement, le chemin n’est pas tracé ainsi pour tous les navires.
Un grand nombre passe au travers. Ils finissent abandonnés, rouillés dans les cimetières
marins, coulés, ou dans le meilleur des cas, ils sont destinés à un nouvel usage : réaménagés
en restaurant, bibliothèque ou encore en musée.
Sinon, lorsque l’opération est rentable, ils sont envoyés sur des chantiers de démantèlement
pour y être dépecés.
Deux procédés existent pour démanteler un navire : la déconstruction horizontale, réalisée
pont par pont, et la déconstruction verticale, où le navire est déchiré tranche par tranche à
partir d’une extrémité, par exemple, la poupe.
Les déconstructions horizontales sont plutôt pratiquées par les Occidentaux, notamment par la
Marine US.
Elle nécessite des moyens importants de levage et des infrastructures conséquentes. Les
navires sont postés à quai ou dans des bassins, à flot ou non, ou en cales de radoub.
Cette méthode permet de s’adapter au lieu où le navire doit être démantelé.
Les déconstructions verticales sont la spécialité des pays asiatiques.
Le contexte géographique favorise cette pratique. Les navires sont échoués sur les plages,
perpendiculairement au trait de côte.
Les navires sont découpés en commençant par la proue et progressivement remontés au fur et
à mesure de l’avancement des travaux en profitant du balancement des marées.
Le tronçonnage est effectué en fonction des moyens locaux.
Relativement économe au niveau de l’énergie ou de l’outillage, cette méthode nécessite
néanmoins une abondante main-d’œuvre.
Ce procédé est catalogué comme étant le plus dangereux, les régions qui le pratiquent sont
souvent démunies d’outils adaptés, d’équipement de protection et les ouvriers ne sont pas
sensibilisés par des procédures de prévention.
De fait, l’accident de travail est fréquent, voire quotidien. Il en va de même pour les maladies
et les risques de pollution.
Il faut compter environ six mois, avec cette technique, pour le démantèlement d’un navire de
commerce d’envergure moyenne.
7
La rentabilité influe sur le choix des propriétaires de se débarrasser de leur navire.
La législation a aussi un impact sur les comportements des armateurs, l’immersion délibérée
des coques étant maintenant prohibée en Méditerranée depuis 2001 et dans l’Atlantique
depuis 2005, l’océanisation n’est plus une alternative.
Le tassement prévisible des taux de fret laisse supposer une très forte reprise des démolitions,
accentuée par le retrait des pétroliers simple coque.
Or, la capacité des chantiers de démolition opérationnels en Europe est très limitée.
Il semble difficile de contraindre les armateurs à faire démolir leur navire en Europe pour
soutenir la création d’une filière de démantèlement européenne et assurer la viabilité de celleci. Le risque serait que les armateurs décident d’immatriculer leur navire dans des pavillons
plus permissifs.
Contraindre les armateurs à se séparer proprement de leur navire est tout aussi délicat.
Seule une Convention internationale pourrait imposer un démantèlement respectueux des
normes environnementales et sanitaires, et assurer une égalité dans l’activité maritime
mondiale.
La quasi-totalité des chantiers de démolition est située en Asie du Sud-Est.
L’Inde avec les chantiers de la baie d’Alang, le Bangladesh avec Chittagong, le Pakistan et la
Chine sont les pays les plus actifs sur le marché de la démolition navale.
Plusieurs raisons expliquent cette localisation géographique.
Les chantiers de démantèlement nécessitent une typologie des plages spécifique, une main
d’œuvre abondante et une Administration peu regardante sur les conditions de travail des
ouvriers.
Environ trois cent navires civils arrivent en fin de vie chaque année, ce chiffre est appelé à
croître pour les années à venir, conséquence du retrait des pétroliers simple coque et plus de
sept cent bâtiments militaires sont concernés par le démantèlement pour la décennie à venir.
La grande majorité de ces navires va être démantelée en Asie dans des conditions de travail
intolérables.
Le dossier Clémenceau et ses déboires auront permis d’alerter l’opinion publique sur les
pratiques actuelles de démantèlement.
Les mésaventures de ce porte-avions conduisent notre pays à engager une réflexion générale
sur la situation des navires en fin de vie.
8
La presse s’est focalisée sur le Clémenceau, sans doute parce que c’est un navire
emblématique, mais n’a pas abordé pas les questions de fond que soulève la démolition
navale.
L’étude, qui va suivre, éludera le cas des navires de pêche. Le déchirage de cette catégorie de
navires est moins problématique en raison de leur faible tonnage et de leur petit nombre.
Le cas des plateformes de forage et autres installations pétrolières, ne sera pas non plus traité.
Les axes qui ont guidé cette réflexion s’articulent autour du régime juridique des navires en
fin de vie (partie 1) et des défis sociaux et environnementaux du démantèlement (partie 2).
La démolition navale induit de déterminer le moment où le navire cesse d’être qualifié de
navire, et le moment où il devient déchet.
Les réglementations ont une incidence considérable sur l’industrie de la démolition, que ce
soit au niveau des conséquences engendrées par les législations nouvelles, ou au niveau de
l’application des Conventions sur les déchets aux navires en fin de vie.
Mais certains navires sont soumis à des régimes spécifiques, il en est ainsi des Bateaux de
Plaisance Hors d’Usage (BPHU), qui par leur taille et leur nombre se différencient des navires
de commerce et, nécessitent des réponses adaptées à leurs particularités.
Bien que la flotte militaire soit moins importante en tonnage que la flotte civile, il nous faudra
envisager le démantèlement des navires militaires.
D’une part, l’étude du cas du Clémenceau illustre l’inéluctable interaction entre les Etats et la
démolition navale.
Car le démantèlement est une préoccupation étatique, qui s’explique par les intérêts en jeu, les
navires militaires, mais également par le poids décisionnel des gouvernements dans
l’élaboration de nouvelles normes.
Et d’autre part, l’analyse du dossier Clémenceau va démontrer que les méthodes prévues pour
le démantèlement de la coque Q 790 étaient plus à nuancer que ce que la presse laissait
entrevoir.
Au travers de ce fiasco médiatique, les problèmes soulevés par le démantèlement des navires
militaires seront envisagés. Les qualifications de navire de guerre, de déchet et de déchet
dangereux seront les interrogations sous-jacentes de cette problématique. D’où les
défaillances dans cette affaire qui ont désorienté l’Administration française.
9
Les différentes étapes du démantèlement seront ensuite décrites afin de mieux concevoir les
maux de cette industrie.
Les pratiques qui ont actuellement cours dans la démolition navale portent préjudice à
l’écosystème autour des chantiers.
Et, ces procédés nécessitent d’autant plus une réglementation qu’ils portent atteinte à la santé
des ouvriers.
La misère qui règne dans ces régions pousse les populations à travailler dans des conditions
largement inférieures aux minimum sociaux et sanitaires exigés par l’Organisation
Internationale du Travail.
C’est pourquoi une réaction européenne, et à fortiori, française est attendue.
La Communauté internationale s’intéresse à cette matière par le biais de l’Organisation
Maritime Internationale, une Convention contraignante est d’ailleurs en cours d’élaboration.
L’Union Européenne, suite aux règlements sur le retrait des pétroliers simple coque, continue
sa politique protectrice en envisageant la création d’un livret vert sur l’amélioration des
pratiques de démantèlement.
Quant à la France, malgré l’échec du Clémenceau, un débat sur la démolition navale a pu être
lancé, reste maintenant à résoudre les problèmes évoqués, tant sur le plan national, que
communautaire ou international.
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PARTIE 1
LES DIFFERENTS ASPECTS
JURIDIQUES DU DÉMANTÈLEMENT
11
De sa construction jusqu’à son démantèlement le navire est appelé à être soumis à plusieurs
statuts juridiques.
Dans un premier temps, l’embarcation va acquérir la qualification de navire (A), il sera alors
assujetti aux normes nationales, européennes et internationales qui régissent le transport
maritime.
En fin de vie, le navire va perdre sa qualité (B), cette déchéance se matérialisera par la volonté
du propriétaire. Avant son démantèlement, le navire sera subordonné cumulativement au
régime des navires et au régime des déchets (C). L’enchevêtrement de normes applicables aux
navires en fin de vie va accroître la confusion de cette phase déjà complexe (D).
I) RÉGIME JURIDIQUE DU DÉMANTÈLEMENT DES NAVIRES
Le processus de démantèlement des navires soulève quelques difficultés, notamment au
niveau de la détermination du changement de régime.
Déterminer à quel moment un navire cesse d’être un navire (B) va influer sur le moment où le
navire devient déchet (C).
Mais, au préalable, définir le statut juridique du navire s’impose (A).
A) DÉFINITION JURIDIQUE DU NAVIRE
Parvenir à définir le navire de manière ni trop large ni trop étroite n’a jamais été chose aisée 1 .
Dès 1844, la Cour de Cassation tentait non sans mal de définir les bâtiments de mer : « il faut
entendre par bâtiments de mer, quelles que soient leurs dimensions et leurs dénominations,
tous ceux qui, avec un armement et un équipage qui leur sont propres, remplissent un service
spécial et suffisent à une industrie particulière » 2 .
1
Pour aller plus loin, voir les ouvrages d’Emmanuel DU PONTAVICE, le statut des navires, 1976 ; Antoine
VIALARD, Droit Maritime, éd. Puf, 1997 et le Traité de Droit Maritime de P. BONASSIES et C. SCAPEL.
2
Cass., 20 février 1844, Sirey., 1844, 1, p.97.
12
De nos jours, la doctrine 3 définit le navire comme « un engin apte à affronter les dangers de
la mer et qui est habituellement utilisé pour effectuer une navigation maritime ».
En droit interne, aucun texte ne pose de définition précise du navire.
Seule la loi du 3 janvier 1967 4 énonce en son article 1er les éléments propres à
l’individualisation du navire, aucune définition stricto sensu n’est fournie par le législateur.
La jurisprudence s’est acquittée de cette lourde tâche, accordant au critère de l’aptitude à
affronter les risques de mer une importance considérable.
La notion de navigation maritime est un élément essentiel à la qualification de navire.
La structure de l’engin importe peu, s’il peut flotter, se déplacer à la surface de la mer et
surtout affronter les dangers de la navigation.
Ainsi, selon Antoine VIALARD « le navire est l’engin qui est exposé à (un) péril (de mer) et
qui, en principe, en triomphe ».
Mais il revient aux juges de déterminer en fonction des espèces et surtout des législations
applicables, si l’embarcation est un navire, chaque texte maritime définit sa propre conception
du navire.
Par contre, la qualification de navire par l’administration ne lie pas les juges, l’appellation
administrative n’a aucune autorité.
Entre meuble et immeuble, le régime juridique des navires oscille, certains allant même
jusqu’à personnifier les bâtiments de mer.
1.LE NAVIRE, UN BIEN MEUBLE
Le navire est un bien meuble par nature, sa fonction est d’acheminer quelqu’un ou quelque
chose d’un point à un autre.
Le navire est un engin flottant qui se déplace sur les mers, la mobilité qui le caractérise lui
confère indéniablement la qualification de meuble.
3
4
Antoine VIALARD, Droit Maritime, éd. Puf, 1997, les bâtiments de mer, Section 1.
Et son décret complémentaire du 26 octobre 1967.
13
Le Code de Civil lui consacre d’ailleurs cette qualité, à l’article 531 : « les bateaux, bacs,
navires…sont meubles, la saisie de quelques-uns de ces objets peut cependant, à cause de
leur importance, être soumises à des formes particulières ».
Mais ce meuble est un meuble spécial soumis dans de nombreux cas à des régimes
spécifiques.
Ainsi, le navire, malgré qu’il soit un bien meuble, va échapper à l’article 2279 du Code Civil
« en fait de meuble vaut titre ».
2.LE NAVIRE, UN BIEN IMMEUBLE
Le navire est, par essence, un bien meuble mais un meuble fortement individualisé, son nom,
son port d’attache et son immatriculation en attestent.
Le navire s’apparente à un bien immeuble car il doit nécessairement être immatriculé et doté
d’une nationalité.
Il n’est pas à proprement dit un bien immeuble, mais sa valeur économique l’en rapproche.
Son individualisation et son immatriculation sont soumises à des procédures spécifiques ; le
navire peut être hypothéqué ; et la procédure de saisie ressemble aux saisies immobilières.
3.LE NAVIRE, UNE PERSONNE
Le navire est souvent assimilé à un objet, une chose vivante. En matière maritime, pour
désigner une affaire, on la rapporte au nom du navire impliqué dans le contentieux.
Les parties sont occultées par le navire.
La langue anglaise accentue cette personnification. Les anglais recourent au pronom féminin
« she » pour désigner un navire et non pas au pronom indéfini« it ».
Et, juridiquement, le navire est responsable de lui-même, en cela il diffère des véhicules
terrestres.
14
L’individualisation de ce bien favorise cette personnification évoquée dans le Traité du Doyen
RIPERT, et dont Monsieur BONASSIES confesse : « il y a là de simples images, des
procédés de langage commodes dont il faut connaître les limites, mais comme lui (le Doyen
RIPERT), nous pensons que si la comparaison est pittoresque, elle n’est pas toute à fait
inexacte, si on ne la force pas » 5 .
B) LA PERTE DE LA QUALITÉ DE NAVIRE
L’acquisition du statut de navire est un processus assez simple.
Le navire devient juridiquement navire lorsqu’il rassemble divers éléments : un titre de
navigation (l’équipage), des titres de sécurité et de prévention de la pollution, un acte de
francisation, un certificat de jauge…
Par contre, déterminer le moment où le navire perd son statut reste difficile.
La perte des éléments ci-dessus invoqués devrait nécessairement faire perdre le statut de
l’engin.
Pourtant, rien n’est moins sur. Le défaut de titres et de certificats va participer à la perte du
statut, sans être déterminant.
La volonté du propriétaire semble jouer une place prépondérante dans la perte de la qualité de
navire.
1. LA VOLONTÉ DU PROPRIÉTAIRE
Le principal critère qui emporte la perte de la qualité de navire est l’intention du propriétaire.
Cette volonté devra être sans équivoque, une intention manifeste.
Le propriétaire qui déclare son intention de se séparer de son navire vieillissant provoquera la
perte de la qualité de navire à son bien.
5
Extrait tiré du Traité de Droit Maritime, P.BONASSIES et C. SCAPEL, éd. LGDG, Chapitre 1.la notion de
navire.
15
Mais rapporter la preuve de cette intention parait impossible pour un tiers.
Alors comment appliquer une législation internationale sur le traitement des déchets alors que
la perte du statut de navire appartient essentiellement au propriétaire ?
Le développement des pavillons de complaisance n’est pas pour arranger cette situation, les
navires voguent vers leur dernière escale en toute discrétion grâce à l’impunité et à l’opacité
conférée par leur pavillon de complaisance.
Rapporter la preuve que le navire est devenu déchet se compliquera si le navire arbore un
pavillon de complaisance.
La vente du navire indexée sur la valeur de la ferraille à recycler pourrait être un indice
permettant d’entrevoir une future déconstruction mais encore faudrait-il que ce contrat de
vente soit publié.
Les assureurs jouent aussi un rôle dans cette alternative entre un déchet et un navire.
L’assurance maritime est réticente quant à l’idée de couvrir le dernier voyage des navires.
Le navire ne perdra sa qualité de navire qu’une fois arrivé à destination c'est-à-dire au
chantier de démantèlement.
La réticence des assureurs à le couvrir offre deux choix aux propriétaires :
- un acheminement discret du navire, qui en réalité ne devrait plus en être un, couvert par un
contrat d’assurance ;
- l’acheminement du navire en tant que déchet avec toutes les responsabilités que cela
suppose et sans assurance.
Dans certains cas, l’application des dispositions de la Convention de Bâle semble évidente
mais quand l’intention de mise au rebut ne peut être clairement établie, les obligations qui en
découlent semblent pouvoir être aisément contournées.
L’armateur qui souhaitait que le dernier voyage de son navire ne tombe pas sous la houlette
des mouvements de déchets transfrontières, n’avait qu’à se garder de toute déclaration
manifeste quant à la volonté de se séparer de son navire.
Les représentants de l’industrie maritime faisaient valoir qu’un navire ne pouvait être
considéré à la fois comme navire et comme un déchet.
Pour remédier à cette pratique, la 7ème conférence des parties à la Convention de Bâle a
finalement affirmé en Octobre 2004, qu’un navire en fin de vie pouvait être simultanément
défini comme un déchet et comme un navire.
16
Cette conclusion a été entérinée à travers la décision VII/26 grâce au soutien massif de
l’Union Européenne.
Autre point important de cette décision, il est décidé que tout traité conclu sous l’égide de
l’Organisation Maritime Internationale (OMI) devra prévoir « un degré de contrôle
équivalent » à celui prévu par la Convention de Bâle.
Cette décision a, en outre, était avalisée par le Conseil européen.
C) LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE DÉCHET
La qualification juridique de déchet est un point essentiel dans la démolition navale et
l’application de la Convention de Bâle.
Le navire appelé à être démantelé va devoir être qualifié de déchet (1) pour entrer dans le
giron de la Convention sur les mouvements transfrontières de déchets dangereux.
Il va donc falloir déterminer à partir de quel moment, le navire devient déchet, quels sont les
critères ou indicateurs servant à fixer ce moment et par voie de conséquence quand envisager
de mettre un navire hors service.
Ces interrogations étaient déjà à l’esprit des membres du groupe de travail des parties à la
Convention de Bâle (2) sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux
et de leur élimination, réunis à Genève en Avril 2004.
1. LE STATUT DES NAVIRES ET LE STATUT DES DÉCHETS
Le régime juridique des déchets est posé par le code de l’environnement.
Les objectifs du législateur au travers de ce code de l’environnement sont clairs « prévenir ou
réduire la production et la nocivité des déchets, notamment en agissant sur la fabrication et
sur la distribution des produits ; organiser le transport des déchets et de le limiter en distance
et en volume ; de valoriser les déchets par réemploi, recyclage ou tout autre action visant à
17
obtenir à partir des déchets des matériaux réutilisables ou de l’énergie ; d’assurer
l’information du public sur les effets pour l’environnement et la santé publique des opérations
de production et d’élimination des déchets, sous réserves des règles de confidentialité prévues
par la loi, ainsi que sur les mesures destinées à en prévenir ou à en compenser les effets
préjudiciables ».
L’article L 541.1 6 du Code de l’environnement énonce : « est un déchet,…, tout résidu d’un
processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau,
produit ou plus généralement, tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à
l’abandon ».
Et l’article L 541-2 dispose que « toute personne qui produit ou détient des déchets dans des
conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les
sites ou les paysages, à polluer l’air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs, et
d’une façon générale, à porter atteinte à la santé de l’homme et de l’environnement, est tenue
d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination dans des conditions propres à éviter les dits
effets ».
Le navire en fin de vie peut-il être assimilé à un bien meuble abandonné ou à un bien que son
détenteur destine à l’abandon et se voir ainsi qualifié de déchets ?
La loi n° 61-1262 du 24 novembre 1961 modifiée qualifie d’épave le navire en état de nonnavigation abandonné par son équipage. L’épave et le déchet sont deux statuts différents sous
ce régime.
Lorsque le navire conserve son état de navigabilité, il ne sera plus une épave, mais un navire
abandonné.
Pour éviter les évidents désagréments d’une épave, le législateur impose à leur propriétaire
une remise en état ou un enlèvement 7 .
Un navire devenu épave peut-il être assimilé à un déchet ?
Selon Martine LE BIHAN GUÉNOLÉ 8 , la négative s’impose, car le navire reste soumis aux
réglementations maritimes sur les abordages, l’assistance, les saisies et les sûretés…
6
Annexe 1.
L332-1 du code des ports maritimes
8
La fin du navire par Martine LE BIHAN GUENOLE; DMF 670, Mai 2006.
7
18
En ce qui concerne les navires en fin de vie, mais toujours en état de navigabilité, les acteurs
du monde maritime ont pendant longtemps refusé de qualifier ces navires de déchet.
L’application de la Convention de Bâle aux navires en fin de vie n’était pas favorable aux
armateurs. Ainsi, ils leurs étaient préférable de soustraire le dernier voyage de leur navire de
la Convention de Bâle et de le soumettre au régime commun des navires.
Ils estimaient que la Convention de Bâle ne pouvait s’appliquer car elle régissait seulement
les déchets.
Le navire en fin de vie n’était pas un déchet, il le devenait seulement une fois arrivé a
destination pour le démantèlement.
La double qualification déchet et navire serait malvenue.
Cette théorie est défendue par Alfons GUINIER 9 , délégué général de l’European Community
Shipowners’ Association (ECSA). Celui-ci estime que l’application de la Convention de Bâle
aux navires en fin de vie n’est pas justifiée : « tant qu’il peut naviguer, le navire n’est pas un
déchet. Il ne traverse aucune frontière en tant que tel et ne le devient que sur le lieu de
démolition ».
Selon cette position, un navire qui part à la casse par ses propres moyens fait ce dernier
voyage en tant que navire et non en tant que déchet.
Conscientes de cette lacune juridique, les parties à la Convention de Bâle (COP7), lors d’une
conférence réunie en octobre 2004, ont remédié à ce problème.
Elles ont proclamé qu’un navire en fin de vie pouvait être simultanément défini comme un
déchet et comme un navire.
Cette conclusion a été entérinée à travers la décision VII/26, notamment grâce au soutien
massif de l’Union Européenne.
Ainsi, les navires en fin de vie pourront conserver leur statut de navire, tout en étant
simultanément qualifiés de déchet.
Mais, soumettre les navires en fin de vie au même régime que les déchets terrestres, semble
inadapté.
Dans son étude sur les navires en fin de vie, Martine LE BIHAN GUÉNOLÉ estime qu’ « il
n’est pas certain que le recours à la Convention de Bâle soit la solution, d’autant plus que si
les assureurs assurent des navires en état de navigabilité, ils ne semblent pas envisager
d’assurer des déchets ».
9
Article paru dans le Marin du 3 Février 2006.
19
Selon l’ECSA, la Convention de Bâle n’apporterait aucune réponse aux problèmes de la
démolition navale.
Les armateurs européens estiment que c’est un problème global qui doit recevoir une réponse
mondiale. Pour ce faire, ils sont favorables à ce que les simples recommandations de l’OMI
deviennent obligatoires.
Dès 2005, un groupe de négociation réunissant l’OMI, l’Organisation Internationale du
Travail (OIT) et le secrétariat de la Convention de Bâle a ainsi était mis en place pour
répondre à ce cas spécifique.
Le but étant de permettre un travail coordonné de ces trois organisations afin d’encadrer
convenablement le recyclage des navires et ainsi de transformer cette industrie en « activité
contribuant au développement durable ».
La directive n°75/442/CEE 10 du Conseil du 15 juillet 1975 relative aux déchets modifiée par
la Directive n°91/156/CEE du 18 Mars 1991 11 définit le déchet comme « toute substance ou
tout objet qui relève des catégories figurant à l’annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il
a l’intention ou l’obligation de se défaire ».
L’annexe I en question décrit 16 catégories de déchets, dont la catégorie Q13 qui concerne
« tout matière, substance ou produit dont l’utilisation est interdite par la loi », ce qui est
désormais le cas des produits contenant de l’amiante 12 .
Et, cela est bien entendu le cas de nombreux navires de commerce qui renferment pour la
plupart de l’amiante. Cette annexe I est du reste consolidée par un Catalogue Européen des
Déchets 13 dit CED, mais qui reste sans valeur contraignante.
La Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a cependant considéré que le
classement dans une catégorie de déchets n’est pas déterminant pour que l’objet soit qualifié
de déchets, seule la question de savoir si le détenteur s’en défait l’est 14 .
L’intention du propriétaire de se séparer de son bien est donc un paramètre important en droit
communautaire.
10
Directive 75/442/CEE, 15 Juillet 1975 : JOCE L 194, 25 Juillet 1975
Directive 91/156/CEE, 18 Mars 1991 :JOCE L 78, 26 Mars 1991
12
Décret interdisant les produits contenant de l’amiante, décret n°96-1133 du 24 Décembre1996 (D.n°96-1133,
24 Décembre 1996 : JO du 26 Décembre).
13
Comm.CE,déc. n°94/3/CEE, 20 déc. 1993 : JOCE L 5,7 Janv.1994 abrogé et remplacé par Comm.CE.déc.
n°2000/532/CE : JOCE L 226, 6 sept.2000.
14
CJCE, 7 Septembre 2000, aff. C-1/03, Paul VAN DE WALL ; AJDA 2004, p.2453
11
20
La CJCE a ensuite précisé que l’acte de se défaire ne pouvait être restreint au seul abandon de
substances qualifiables dans la catégorie des déchets 15 , permettant ainsi de considérer comme
déchets même les matériaux susceptibles de valorisation économique.
La solution contraire aurait eu pour effet de rendre pratiquement impossible le contrôle des
déchets, les détenteurs auraient toujours pu invoquer une utilisation économique potentielle
pour échapper aux obligations inhérentes à leur gestion. Sur ce point, la position française est
identique.
Le Conseil d’Etat, a quant à lui, précisé que doivent être regardées comme des déchets, les
matières usées, tant qu’elles n’ont pas fait l’objet d’un traitement en vue de leur régénération
ou de leur recyclage et alors même que leurs détenteurs auraient l’intention de les céder en
vue de leur vente et non de les destiner à l’abandon 16 .
Le traitement d’un déchet aurait pu avoir pour effet de le soustraire du régime des déchets, sa
valorisation lui accordant à nouveau le statut de bien ayant une valeur économique.
Car un déchet a, en tout hypothèse, une valeur économique négative pour son producteur,
puisque celui-ci cherche à s’en débarrasser à un moindre prix, alors qu’il dispose d’une valeur
à l’inverse positive pour l’acquéreur qui peut le réutiliser comme produit ou le recycler pour
ses matières premières.
Cependant, le Conseil d’Etat et la CJCE s’accordent sur le fait que la valeur du déchet,
positive ou négative, ne peut avoir aucune incidence sur la qualification de déchets.
D’où, les vives critiques qui se sont abattues sur les autorités françaises lors de l’affaire
Clémenceau qui, pour s’affranchir de la Convention de Bâle, proclamaient que la coque Q
790 ne pouvait être assimilée à un déchet puisqu’elle n’allait pas être éliminée mais valorisée.
L’annexe II du règlement n°259/93/CEE relative à la surveillance et au contrôle des transferts
de déchets à l’intérieur, à l’entrée et à la sortie de la Communauté Européenne vise dans la
rubrique GC 030 « les bateaux à démanteler vidés de toute cargaison et de tout matériau
ayant servi à leur fonctionnement qui pourraient avoir été classé comme substance ou déchets
dangereux ».
15
CJCE, 28 Mars 1990, aff. Jointes C-206 et 207/88, VESSOSO et ZANETH : Rec. CJCE 1990, p.1461. CJCE,
28 Mars 1990, aff.C-359/88, ZANETTI : Rec.CJCE 1990, p.1509
16
CE, ass.,13 Mai 1983, SA René MOLINE : Rec. CJCE 1983, p.191
21
Depuis l’adoption de ce règlement communautaire, tout ressortissant européen ou entreprise
localisée sur le territoire de la CE désireux de transférer des déchets par deçà les frontières
sera soumis au respect des dispositions des deux annexes précitées.
La Communauté Européenne a ainsi incorporé au travers de ce règlement, la Convention de
Bâle et la décision OCDE du 30 Mars 1992, afin d’éclaircir la problématique des transferts de
déchets et leur valorisation.
La problématique posée par les déchets renvoie au cadre normatif posé par la Convention
internationale de Bâle.
2. LE NON RESPECT DE LA CONVENTION DE BÂLE
La Convention de Bâle adoptée le 22 Mars 1989 vise à contrôler au niveau international les
mouvements transfrontières et l’élimination des déchets dangereux pour la santé humaine et
l’environnement. Elle interdit d’exporter ou d’importer des produits dangereux vers ou depuis
un Etat n’ayant pas ratifié la Convention.
Elle impose un accord préalable à tout mouvements de déchets entre Etats parties à la
Convention.
Elle régit également le transferts des déchets afin qu’ils ne présentent aucun risque. Cette
Convention a été ratifiée par 166 Etats, dont l’Inde et le Bangladesh (principaux Etats
d’importation de navires en fin de vie).
La Convention de Bâle et l’amendement à cette dernière ont, d’ores et déjà, été mis en œuvre
par l’Union Européenne à travers une réglementation sur l’expédition des déchets. Cette
norme prévoit d’interdire l’exportation des navires contenant des substances dangereuses vers
les pays en développement.
Mais les problèmes posés par les navires en fin de vie ne tomberaient pas, à coup sûr, sous
cette législation, rendant difficile l’application de la Convention de Bâle aux déchets, tant son
domaine d’application n’est pas clairement établi. Car les navires en fin de vie répondent à
plusieurs statuts.
L’enchevêtrement des normes participe à cet imbroglio juridique ; l’annexe II du règlement
259/93 indique que « les bateaux et autres engins flottants à démanteler, convenablement
22
vidés de toute cargaison et de tout matériau ayant servi à leur fonctionnement qui pourraient
avoir été classé comme substance ou déchet dangereux peuvent être exportés ».
Le terme « convenablement » est inapproprié et permet une grande liberté d’actions.
Le Clemenceau avait-il été convenablement désamianté ?
Se pose également la question des règles applicables aux déchets de marchandises ou résultant
de l’exploitation du navire, lorsque ceux-ci se trouvent à bord d’un navire destiné à la casse.
La Convention de Bâle exclut de son domaine 17 les déchets provenant de l’exploitation des
navires, ceux-ci sont régis par la Convention internationale pour la prévention de la pollution
par les navires, dite Convention MARPOL.
Cela prouve, là encore, que la Convention de Bâle se révèle être inadaptée pour les navires ;
elle ne répond pas aux spécificités de ce type de déchet.
La Convention de Bâle a été créée suite aux scandales du transport de déchets survenus dans
la fin des années quatre vingt. Elle a été, à la base, rédigée pour régler les problèmes
essentiellement terrestres.
Les navires en fin de vie pourraient-ils tout de même y être soumis ?
Légalement, les navires en fin de vie peuvent être soumis à la Convention de Bâle depuis la
résolution VII/26 de 2004.
Mais selon Monsieur BRIAC BEILVERT, dirigeant de la société Ship Decomissioning
Corporation (SDI) à, chargé de la démolition du Clemenceau, la négative s’impose, il estime
notamment que : « les dispositions de cette Convention semblent difficiles à appliquer aux
navires, tant elle ne prend pas en compte les spécificités des navires et de l’industrie
maritime ».
L’application de cette Convention aux navires montre certaines limites.
En effet, lorsque la Convention traite de l’Etat exportateur pour attribuer la responsabilité en
cas de mouvement transfrontière d’un navire devenu déchet.
S’agit-il de l’Etat du pavillon, celui dans lequel la société propriétaire du navire est
immatriculée ou l’Etat du dernier port touché par le navire ?
Pour les navires militaires, la réponse est aisée, le propriétaire est à la fois l’Etat, sous lequel
le navire bat pavillon, le propriétaire réel et généralement l’Etat du dernier port touché.
17
Article 1.4 de la Convention de Bâle.
23
Les navires d’Etat appareillent habituellement d’un port dont ils battent pavillon. Il n’y a pas
plusieurs Etats en jeu.
Par contre, en ce qui concerne les navires civils, la détermination du propriétaire responsable
du mouvement transfrontalier est quasiment impossible.
La nationalité du navire est fonction de son immatriculation et, sera différente de celle du
propriétaire. Ces deux nationalités pourront encore être différentes de celle du dernier port
touché par le navire.
Ce flou pousse les armateurs établis dans l’Union Européenne, dans l’Association Européenne
de Libre Echange (AELE) ou dans des principautés telles que Monaco à ne pas respecter les
dispositions posées par la Convention de Bâle.
Ce constat est le reflet des pratiques ayant cours dans la démolition navale.
Traditionnellement, aucun navire envoyé à la démolition n’est précédé d’un désamiantage ou
du moins accompagné de notifications relatives à l’exportation des déchets telles qu’elles sont
mises en œuvre dans le cadre de la Convention de Bâle.
Les dispositions de cette Convention ne sont pas mises en œuvre, tellement il est aisé de
soustraire les navires en fin de vie du régime des déchets.
D’où la nécessité, pour les institutions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), les
gouvernements et l’Union Européenne d’imposer un régime efficace et contraignant mais qui
serait fondé sur les dispositions de la Convention de Bâle et les directives de l’Organisation
Internationale du Travail (OIT) et de l’Organisation Maritime Internationale (OMI).
L’Union Européenne a, sur ce sujet, un rôle important à jouer en tant que protectrice des
droits de l’homme.
Le sixième programme d’action d’environnement communautaire de 2002 contient des
engagements qui, ici, doivent s’appliquer, l’article 2.6 met notamment l’accent sur le « rôle
positif de l’Union Européenne en tant que partenaire de premier plan » dans la protection de
l’environnement mondial, le développement durable et la prise en compte des préoccupations
et des objectifs environnementaux dans l’ensemble des domaines des relations extérieures de
la Communauté.
24
D) NORMES IMPÉRATIVES APPLICABLES AUX NAVIRES EN MATIÈRE
DE DÉMANTÈLEMENT
L’élaboration d’une nouvelle législation répond souvent à une prise de conscience générée par
une catastrophe ou un fait divers.
Le droit maritime n’échappe pas à cette règle.
A la suite du naufrage de l’Erika au large de la Bretagne en Décembre 1999, l’Union
Européenne et l’Organisation Maritime Internationale se sont mises d’accord pour interdire
les pétroliers dits simple coque.
Trois ans plus tard, la pollution engendrée par le naufrage du Prestige allait donner un coup
d’accélérateur à ce projet européen.
1. L’INCIDENCE DES LÉGISLATIONS NOUVELLES
Le démantèlement des navires a connu un essor considérable ces dernières années, essor voué
à une augmentation constante pour les années à venir.
Cette recrudescence dans l’industrie de la démolition navale s’explique, en partie, de par
l’entrée en vigueur de nouvelles normes plus sécuritaires quant à la structure des pétroliers.
Afin de renforcer la sécurité et de lutter contre la pollution dans le transport maritime, des
mesures ont été prises par la Communauté Européenne.
Suite aux catastrophes tristement célèbres de l’Erika en 1999 et du Prestige en Novembre
2002, une nouvelle réglementation a été mise en place afin de favoriser le retrait des pétroliers
monocoques battant pavillon d’un Etat membre ou souhaitant utiliser les ports soumis à leur
juridiction.
Le raisonnement est simple. En doublant les coques des pétroliers les risques de pollution
diminuent. La structure renforcée double coque ne va pas garantir qu’ils ne sombreront plus.
Mais en cas de naufrage, le renforcement de la coque empêchera les hydrocarbures de se
répandre en mer.
25
Les conséquences d’un naufrage de pétroliers seront donc moindres.
Une étude de la Commission Européenne de 2004 « Oil Tanker Phase Out and the Ship
Scrapping Industry » démontre que plus de 1200 pétroliers sur 3500 devront être retirés du
trafic avant 2010.
Sans compter les 500 navires de « catégories 1 », les pétroliers dits pré-MARPOL qui auraient
dû être mis au rebut en 2003 et 2004 conformément aux régulations CE n°417/2002 et
1726/2003 et le 5avril 2005 conformément aux règles de l’OMI (version MARPOL révisée).
2. L’ABSENCE DE RÉFLEXION SUR LES RÉPERCUSSIONS DE CES NORMES
COMMUNAUTAIRES
L’apport de cette législation est remarquable mais pousse à un constat pondéré quant aux
répercutions réelles sur le démantèlement naval.
Roger SPAUTZ de Greenpeace Luxembourg 18 a réagi vivement pour alarmer l’opinion
publique en déclarant que « l’Union européenne a introduit avec succès une interdiction
accélérée des pétroliers à simple coque, mais a oublié de fixer des mesures pour une
démolition navale sûre et propre. En principe, les décisions relatives aux conséquences de
l’interdiction des pétroliers simple coque auraient dû être prises avant l’entrée en vigueur de
ce règlement ».
Malgré le caractère forcément provocateur d’une telle déclaration, il ressort de cette analyse
un indéniable problème de mise en œuvre de ces règlements.
L’élaboration de normes plus sécuritaires par les institutions européennes est gage
d’amélioration pour l’environnement.
Mais ne pas s’attaquer aux conséquences induites par cette réforme revient à déplacer le
problème.
Le retrait des pétroliers monocoques va, d’un côté réduire la pollution marine et, d’un autre
côté porter préjudice à l’environnement.
18
Déclarations consultables sur le site de Greenpeace : www.greenpeace.org/luxembourg/press
26
Greenpeace, réputé pour ses positions extrêmes et des actions médiatiques retentissantes19 ,
soulève, tout de même, des points intéressants.
De même, l’application de la Convention de Bâle depuis la décision de soumettre les navires
en fin de vie à cette norme est assez vite apparue comme problématique.
En témoigne, la question posée au gouvernement en 2004 par Mme Christiane
DEMONTES 20 .
La sénatrice souhaitait attirer l’attention sur les difficultés futures à appliquer la Convention,
lorsque elle pourra régir les navires en fin de vie.
Depuis la résolution VII/26 de 2004, les navires en fin de vie peuvent être considérés comme
déchets dès lors qu’ils contiennent des substances toxiques.
Ils doivent dorénavant disposer de l’autorisation des pays d’accueil avant l’exportation, une
pré décontamination par les pays exportateurs sera obligatoire, et en outre, les pays
occidentaux sont sommés de construire leurs propres chantiers de démolition et à défaut de
soutenir financièrement les pays en voie de développement où sont situés les chantiers.
Au regard de ces nouvelles normes, le ministre de l’Ecologie et du Développement est appelé
à s’exprimer sur les mesures à prendre pour répondre à ces exigences.
En Mai 2005, le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable a pris connaissance de
la question relative aux suites envisagées aux conclusions de la 7ème conférence des pays
parties (COP7) de la Convention de Bâle, tenue à Genève en Octobre 2004.
Le Ministère admet dans sa réponse que le cadre réglementaire est insuffisant, en raison de la
complexité du sujet qui mêle le droit de la mer, le droit du travail et les normes réglementaires
relatives aux déchets.
Le Ministre omet, sans surprise, d’énoncer les mesures que la France et l’Europe doivent
prendre pour satisfaire aux exigences de la Convention de Bâle.
Outre, la déclaration « une clarification de la situation actuelle, avec la définition d’un
dispositif juridique spécifiquement adapté aux navires, apparaît nécessaire » qui appuie les
propos de Madame DEMONTES sur la nécessité d’une Convention spécifique au
démantèlement, le Ministre se borne à notifier la constitution d’un groupe de travail conjoint
19
Les activistes de l’Organisation ont menée une action remarquée en exprimant leurs revendications devant le
Centre de conférence du Kiem où se tenait une réunion des Ministres des transports sous la bannière « UE :
Clean Shipbreaking Now ! » (c’est-à-dire Union Européenne : un démantèlement propre maintenant !) et « Bahut
ho Gaya » (assez est assez).
20
Annexe 2.
27
chargé d’identifier « les compétences, responsabilités et rôles respectifs ainsi que les lacunes,
chevauchements et ambiguïtés éventuelles entre les différentes conventions ».
Que la France participe activement en collaboration avec l’OMI, l’OIT, la convention de Bale
et le Comité de protection du milieu marin de l’OMI aux réflexions menées sur cette
problématique s’inscrit dans la normalité.
Mais cela ne répond, ni aux interrogations soulevées par Mme DEMONTES, ni aux
déficiences de la Convention de Bâle.
La seule ébauche d’idées avancée, serait la répartition équilibrée des responsabilités entre
l’armateur, le propriétaire du navire, l’Etat du pavillon, l’Etat du port et l’Etat du
démantèlement.
La Communauté internationale s’est finalement décidée à se pencher sur la question.
L’assemblée de l’OMI a décidé, en décembre 2005, qu’elle se fixait pour mission de définir
un régime contraignant sous forme de traité autonome pour le recyclage des navires.
Mais de nombreuses ONG 21 doutent de la volonté de l’OMI d’instaurer « un degré de
contrôle équivalent » pour le démantèlement des navires.
L’élaboration d’une norme autonome répondrait en effet aux exigences et aux spécificités du
démantèlement.
Les détracteurs de ce projet estiment que le but est louable mais que l’OMI, ne se donne pas
les moyens d’y parvenir.
Ces craintes peuvent être fondées notamment en ce qui concerne :
- le poids du traitement des déchets toxiques.
Il risque d’être encore supporté par les chantiers et les populations pauvres de ces pays. Alors
que la Convention de Bâle prévoit qu’il soit supporté, en amont, par les propriétaires et les
pays exportateurs comme le prévoit la Convention de Bâle ;
- le système de contrôle envisagé est très faible.
Les Etats qui exportent et ceux qui démantèlent n’assumeront qu’une responsabilité limitée.
Donc la responsabilité reviendra aux Etats qui délivrent les pavillons de complaisance et qui
sont, par définition, peu enclins à accomplir leur devoir de protection de l’environnement, de
la santé et des droits de l’homme.
- l’absence de financement.
Le régime ne prévoit le financement d’aucuns fonds par les propriétaires (principe du
pollueur-payeur et de la responsabilité du producteur).
21
Notamment, la FIDH, la North Sea,l’European federation for transport and environment, et Greenpeace.
28
- le nouveau régime exclut les navires d’Etat, ce qui est assez contradictoire, les Etats
devraient se positionner en chef de file, être l’exemple d’une démolition navale propre ;
- la question du « degré de contrôle équivalent » qu’il n’assure pas un degré équivalent à celui
prévu dans la Convention de Bâle et la réglementation des déchets.
Cette Convention reviendrait à légitimer les pratiques de démantèlement en cours selon ces
ONG.
Cela limiterait les abus des armateurs peu scrupuleux et des propriétaires de chantiers sans
pour autant réformer totalement ce système. C’est un régime contraignant et impératif dont
l’industrie navale a besoin.
Autre scénario : d’ici cinq à dix ans, deux conventions tout à fait contradictoires pourraient
s’appliquer aux navires en fin de vie.
La future Convention de l’OMI et une convention ultérieure mieux adaptée qui, à l’inverse de
la première, répondrait véritablement aux exigences de la démolition navale. Les pays
invoqueraient selon les cas l’une ou l’autre des conventions.
La conséquence serait une situation particulièrement confuse et rendrait la résolution des cas
juridiques particulièrement difficile.
Plus grave cette confusion conforterait les conditions de travail sur les chantiers.
3. L’AUGMENTATION DES NAVIRES DÉMOLIS
L’introduction d’une législation restreignant l’accès aux ports de l’Union Européenne aux
seuls pétroliers à double coque va accroître le nombre de navires à démanteler.
Les armateurs, dont les navires ne pourront ni ravitailler ni faire escale dans un port européen,
se verront contraint de céder leur navire ou de les déconstruire.
La cession peut être une solution mais les acquéreurs ne seront pas nombreux, le marché sur
lequel ils pourront armer leur navire sera forcément restreint puisque traverser les eaux des
Etats membres leur sera prohibé.
29
Selon l’association écologiste « Robin des Bois » 22 , la démolition cumulée de la flotte
envoyée dans les chantiers de démolition permettrait de recycler plus de 1.8 million de tonnes
de métaux.
Toutefois, en raison du niveau élevé du cours du pétrole, nombre de pétroliers qui aurait du
être retiré du marché des hydrocarbures continuerait à naviguer.
Mais ces données ne pourront être confirmées que si les institutions de l’Union Européenne
établissent une liste définitive des pétroliers monocoques concernés par les lois sur le retrait.
Un afflux massif de pétroliers destinés à la casse reste donc difficile à déterminer.
Si cette affluence se confirmait cela créerait une demande considérable en installations de
recyclage de bateaux. Seuls les chantiers asiatiques seraient alors en mesure de répondre à
cette demande.
L’élimination progressive des pétroliers augmenterait la pression sur les sites actuellement
critiqués et entraînerait une augmentation du nombre de décès et une aggravation de la
pollution.
Le risque que les pays d’Asie du Sud aient recours à de nouvelles installations où prévalent
des conditions intolérables s’en trouveraient accru.
II) LES RÉGIMES PARTICULIERS
Outre les difficultés engendrées par les navires de commerce, la démolition navale est
préoccupée par d’autres types de navires qui, de par leur taille (A) ou leur appartenance (B),
ne semblent pas être source de litiges en apparence.
Le démantèlement est par nature une préoccupation étatique, néanmoins le devenir des flottes
d’Etat n’est pas digne d’être cité en exemple.
Le Clémenceau aurait pu être un pionner en introduisant de nouvelles méthodes qui auraient
pu être érigées en référence.
22
Association française de protection de l’environnement. Elle a été créée en 1985 et se fonde sur la
documentation, l’information, l’observation, la concertation, l’intervention et la non-violence. Elle a pour
mission de à protéger l’Homme et l’environnement. Elle s’intéresse aux conditions de travail et de vie sur des
lieux aussi divers que les cargos et les friches industrielles polluées ; www.robindesbois.org.
30
Mais les défaillances de ce dossier et la mobilisation médiatique ont eut raison des aspirations
françaises.
A) LES BATEAUX DE PLAISANCE HORS D’USAGE : LES BPHU
Le parc de bateaux de plaisance en France est estimé à 800 000 unités dont 530 000 seraient
réellement actives.
Compte tenu de leur durée de vie, environ 20 000 bateaux de plaisance arrivent en fin de vie
chaque année.
Le sort de ces navires n’est que très peu fameux. Ils seront déconstruits dans des chantiers
navals locaux lorsque leur propriétaire le consentent et qu’ils soient financièrement aptes, ou
voués à l’abandon quelque part sur le littoral.
Les plus sentimentaux conserveront la coque au fond d’un jardin ou sur cales dans une
quelconque enceinte portuaire.
Dans certaines régions, ces épaves seront brûlées par leur propriétaires ou pire sabordées en
mer.
Ces bateaux de plaisance, devenus hors d’usage, sont un vivier de matières dangereuses
(huiles, batteries, peintures, matériaux) rendant complexe le recyclage.
D’où la nécessité d’une intervention des pouvoirs publics afin d’assainir nos ports et nos
côtes.
En chef de file, l’Etat français veut parvenir à établir un retrait « propre » de ses navires
militaires, notamment en instaurant un port de stockage à Landevennec 23 .
Le recyclage des matériaux des bateaux de plaisance pose problème car ils ne sont que très
difficilement valorisables.
Des efforts importants ont été réalisés par les constructeurs pour y remédier. L’industrie de la
construction navale s’essaie à de nouveaux matériaux moins nocifs sur le long terme, mais
cette volonté est tempérée par des contraintes de résistance et de poids.
23
Landevennec est situé au fond de la rade de Brest, dans le finistère. Le cimetière de navires militaires de
Landevennec est même devenu une véritable attraction touristique.
31
A vrai dire, les expérimentations ont surtout, pour objectif, la découverte de matériaux plus
rentable, et si de surcroît ils sont moins nocifs pour l’environnement, le recours à ce substitut
se justifie doublement.
Toutefois les bateaux déconstruits aujourd’hui sont des bateaux construits hier, les efforts
consentis aujourd’hui par les constructeurs ne s’apprécieront que demain.
Dans une perspective de développement durable, la récupération et une destruction organisée
s’imposent.
Les acteurs de l’industrie navale ont entamé une réflexion sur le partage de responsabilité
concernant le traitement des déchets, sous le thème « la responsabilité élargie du producteur
(REP) ».
Il en ressort que le producteur et le propriétaire du bateau à recycler se partageraient les coûts
induits par le recyclage.
La Fédération des Industries Nautiques (FIN), en partenariat avec les ministères de
l’Equipement, de l’Industrie, de l’Ecologie et Développement durable, participe activement à
ce projet 24 depuis 2003.
La filière industrielle de déconstruction consisterait en plusieurs dispositifs régionaux appelés
centre de déconstruction BPHU 25 .
L’étude de faisabilité sur la création d’une filière de déconstruction de BPHU arrive à la
conclusion selon laquelle le coût moyen pour recycler un navire de plaisance s’élèverait à
1300 euros.
Ce tarif intègre l’acheminement des épaves jusqu’au centre de déconstruction, la dépollution
du navire, la découpe des coques et des ponts, le broyage des résidus et finalement le
recyclage des matériaux.
Chaque centre BPHU nécessiterait la création d’environ vingt postes.
Le premier centre devrait voir le jour en 2007 dans la région de Caen-sur-Mer.
La FIN préconise la création d’ici 2012 de six centres régionaux, soit une capacité de
démolition d’environ 9000 BPHU par an, cela correspond à la moitié de la flotte annuelle hors
d’usage.
Ces centres de déconstruction pourront démanteler jusqu’à 1500 bateaux de plaisance par an.
Le processus s’articulera en plusieurs étapes :
- l’administration retirera le certificat d’immatriculation du navire à recycler ;
24
25
Annexe 3.
Etude menée sur treize bateaux.
32
- l es éléments mobiles et facilement accessibles seront ensuite détachés : voiles, ancres, mats,
quilles et autres winchs ;
- une dépollution du navire sera effectuée : vidange des huiles moteur, des fluides, des
batteries et des résidus d’hydrocarbures ;
- pour finir avec la déconstruction par tronçonnage, broyage, affinage et tri.
Le tri des différents matériaux est la pierre angulaire du démantèlement des bateaux de
plaisance, il assurera un meilleur traitement des déchets à recycler.
Les contraintes de ce projet sont nombreuses.
Sur un plan financier : qui assumera les frais engendrés par ce recyclage ?
L’Etat doit-il accorder des aides pour encourager cette démarche ? Ou seulement contraindre
les plaisanciers à un retrait plus propre ?
Le projet BPHU prévoit de répartir les frais engagés pour le démantèlement entre les
propriétaires de navire, les industriels du secteur nautique ainsi que les professions annexes
telles que les assureurs, les organismes bancaires permettant l’achat des navires en créditbail…
Mais tous ces acteurs vont-ils accepter de financer cette industrie ?
Rien n’est moins sur, notamment concernant les distributeurs de navires neufs installés à
l’extérieur de nos frontières ou les banques qui financent les acquisitions de bateaux.
Malgré l’avancée environnementale, l’industrie navale risque d’être fortement contrariée par
ce projet.
Les organismes bancaires pourraient alors songer à se retirer du marché nautique en refusant
de financer les bateaux de plaisance, si les aides versées aux filières BPHU diminuent les
bénéfices tirés du financement.
Un autre point qui soulève des interrogations concerne la gestion des déchets des ports de
plaisance.
Si la gestion des déchets ménagers commence à progresser en France, il en va différemment
avec les déchets des ports de plaisance.
Certains ports 26 se sont munis d’installations permettant le tri des déchets en isolant ceux qui
sont toxiques (batteries, piles, eaux de vidange, morceaux de carénage…).
26
Notamment les ports de Saint Vaast la Hougue (Manche), et ceux de la région Languedoc-Roussillon au
travers de son programme « ports propres ».
33
Reste à étendre ces mesures à l’ensemble des ports français.
Seul subsiste le problème du recyclage des fusées de détresse.
Au bout de trois ans 27 , cette matière explosive devient inutilisable.
La destruction de ces fusées est au centre d’un imbroglio juridico-administratif.
Qui est responsable du retrait des fusées ? Ou en d’autres termes, qui doit financer le
recyclage de ce déchet ?
La dangerosité et le volume annuel de fusées retirées doivent pousser les autorités publiques à
se soucier de leur devenir. D’autant qu’une fois la date de péremption passée, avant de se
débarrasser de cet engin pyrotechnique, les propriétaires sont souvent contraints d’allumer la
fusée pour d’éviter tous départs de feu, une fois la fusée jetée.
La seconde issue pour les fusées est tout aussi critiquable : une grande majorité de fusées de
détresse se retrouvent dans les stades de football, une fois la date de péremption dépassée.
Les deux procédés présentent des risques considérables puisqu’une explosion peut surgir
facilement dans les deux cas, car il s’agit de matériel périmé.
B) L’ÉTAT ET LE DÉMANTÈLEMENT
Le démantèlement des navires en fin de vie est fondamentalement une préoccupation étatique.
La flotte marchande française se distingue des autres flottes européennes par la jeunesse de
ses navires marchands (7,6 ans en moyenne).
De fait, le nombre de navires marchands déconstruits et qui battait pavillon français est
relativement faible. Cela s’explique par le fait que les armateurs français revendent assez vite
leur navire, le Groupement d’Intérêt Economique Fiscal contribue à cette logique.
La France pourrait, par voie de conséquence, se désintéresser des problèmes posés par la
démolition navale, puisque sa flotte marchande n’est pas concernée par ce sujet.
27
Le volume annuel de fusées périmées est estimé à environ cinquante tonnes par an
34
Pourtant, malgré ce constat, l’Etat français reste profondément attentif aux problématiques
soulevées par cette activité. Et ce, pour une raison simple : ce n’est pas la flotte marchande
française qui est appelée à poser problème mais la flotte militaire.
L’Etat français au travers de la marine nationale va être confronté, dans les prochaines années,
au problème de la gestion des navires de guerre en fin de vie, construits avant 1995.
Depuis 2000, trois navires sont officiellement destinés à la démolition, il s’agit du Phénix
(365 tonnes), du Lucifer ou ex-Découverte (1370 tonnes) et du Sahel (760 tonnes).
Les Etats sont intimement liés avec la démolition navale.
Il appartient aux autorités d’être exemplaires dans le retrait des flottes d’Etat.
Principalement pour ne pas contrevenir aux engagements internationaux et accessoirement
afin d’inciter les nations à entreprendre un démantèlement propre. Les gouvernements ont un
rôle important à jouer en tant que garants du respect des Conventions internationales.
Mais la complexité de la démolition navale et les défaillances juridiques de ces normes
compliquent la tâche des politiques.
Il est difficile de s’attacher au respect d’une norme lorsque celle-ci est inappropriée ou
inapplicable.
La Convention de Bâle met en exergue une série de points litigieux dans la démolition navale
sans parvenir à les régler.
Notamment au niveau du choix de l’Etat responsable quant à l’obligation de veiller au respect
des dispositions lorsque :
- le navire devient un déchet dans une zone relevant de la juridiction d’une Partie et poursuit
sa route vers l’Etat qui procédera au démantèlement ;
- le navire devient déchet en haute mer et poursuit sa route vers l’Etat qui procédera au
démantèlement ;
- le navire devient un déchet en haute mer et vogue vers un Etat Partie de transit pour faire
finalement route vers l’Etat de démantèlement ;
- le navire devient déchet dans une zone relevant de la juridiction de l’Etat qui procédera au
démantèlement ;
- le navire est abandonné ou trouvé abandonné, ou est sabordé sur terre ou mer.
La convention de Bâle laisse en suspend la question de l’Etat compétent.
Toutes ces hypothèses induisent un chevauchement et donc un conflit de Conventions entre
par exemple la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion
35
des déchets et autres matières (Convention de Londres), la Convention des Nations Unies sur
le droit de la mer, la Convention de Bâle, les traités de l’OMI…
Sans oublier, les situations isolées où les législations nationales qui donnent effet à la
Convention de Bâle sont difficiles à appliquer aux vues des obligations justement énoncées
par cette Convention, notamment avec l’obligation « d’une gestion écologiquement
rationnelle ».
1. LES NAVIRES MILITAIRES
Suite à la contreverse engendrée par le Clémenceau, une Mission Interministérielle sur le
Démantèlement des Navires (la MIDN) a été créée pour examiner les problèmes posés par le
démantèlement naval.
A l’heure actuelle, il apparaît qu’aucun instrument ne peut contraindre les armateurs à opter
pour un chantier dit de qualité, seuls les navires militaires peuvent y être contraints puisqu’ils
sont traités au niveau étatique.
La solution serait de doter l’Union Européen d’infrastructures qui accueilleraient ces
mastodontes d’acier pour les démanteler.
Mais cela suppose un investissement colossal, par le biais de subventions étatiques et
européennes.
Sachant que l’Union Européenne et les Etats membres sont peu enclins à de tels
investissements, la Mission Interministérielle préconise de s’appuyer sur les chantiers
européens existants.
Il existe en effet des chantiers de démolition navale en Lituanie, en Allemagne et en Espagne.
Mais la capacité de ces chantiers n’autorise pas le démantèlement de navire de gros tonnage.
De plus, ces chantiers connaissent une certaine désaffection du fait de la délocalisation du
démantèlement des navires de commerce vers l’Asie.
La flotte militaire européenne pourrait relancer cette activité en les aménageant pour recevoir
de plus gros navires.
36
Dans le rapport 28 rendu en avril 2007, la MIDN recommande de ne pas recourir à la création
d’une filière coûteuse en subventions mais laisse entrevoir un appel aux industriels qui
souhaiteraient investir dans une filière de démantèlement.
2. LE CLEMENCEAU, UNE GRANDE HYPOCRISIE ?
Aucun chantier en Europe et a fortiori en France possède des infrastructures suffisantes pour
le démantèlement de grands bateaux de commerce, de croisière ou pour les bâtiments de
guerre.
Le 16 Février 2006, le gouvernement du Bangladesh interdit le démantèlement sur son
territoire du paquebot Norway (ex-France appartenant à la Norvège) en invoquant la présence
de matières toxiques comme l’amiante.
Mais l’affaire de ce démantèlement a été éclipsée par les avatars médiatiques et politiques
d’un autre fleuron de la Marine Française : le Clemenceau.
La tentative de démantèlement du Clemenceau va nous permettre d’étudier le cas des navires
de guerre.
Retour sur l’histoire du démantèlement le plus médiatique de ces dernières années.
2.1. Les périples du Clémenceau
Le Clémenceau est un porte-avions français admis au service actif en 1961.
Après avoir navigué pendant presque quarante ans et parcouru plus d’un million nautique sur
toutes les mers du globe, il cesse son activité opérationnelle en 1997.
Il est alors placé en position de réserve spéciale, le 2 mars 1998, où il est utilisé par la Marine
comme bâtiment de stockage de pièces de rechange 29 .
28
29
Rapport consultable sur le site www.SGmer.gouv.fr.
Il a notamment permis le stockage des pièces du Foch avant sa cession en 2000 au profit du Brésil.
37
Le Clemenceau est parqué en rade de Toulon pendant près de cinq ans.
Et, ce n’est qu’à la fin de l’année 2002 après son déclassement 30 , que le Ministre de la
Défense décide de lancer une étude sur un éventuel démantèlement.
Il est alors transféré à la Direction Nationale des Interventions Domaniales (DNID), qui a en
charge la cession de la coque du Clemenceau par voie d’appel d’offres, aux fins de
démantèlement.
Au niveau de l’appellation, le Clemenceau perd alors « son identité ».
Le navire est débaptisé, il est dorénavant dénommé en fonction de sa coque 31 soit le « Q
790 » ou ex-Clemenceau.
Dès 2003, l’Etat français conscient des matières nocives que le navire renferme, ordonne que
soit menée une étude sur plan afin d’établir la quantité d’amiante présente sur le porte-avions.
L’étude estimait que le navire renfermait une masse résiduelle de produits amiantés inférieure
à environ 1% du tonnage.
En Avril 2003, la société espagnole Gijonesa de Desguaces remporta l’appel d’offres sur le
désamiantage et le démantèlement du porte-avions.
Le 12 juin 2003, la DNID et la société espagnole paraphaient un contrat portant sur un
désamiantage et un démantèlement exclusivement opérés en Espagne.
L’Etat français avait pris le soin d’insérer une clause contractuelle interdisant le
démantèlement sur un quelconque autre chantier.
En octobre 2003, un remorqueur vient prendre la coque Q 790 afin de l’acheminer vers
l’Espagne.
Mais le 18 Octobre de la même année, une frégate de la Marine Nationale intercepte la coque
Q 790 qui est, en fait, discrètement remorquée vers un chantier de démolition turc.
La France rompt unilatéralement le contrat conclu avec la société ibérique et ordonne le
rapatriement de l’ex-Clemenceau vers Toulon.
Le représentant de l’Etat français, la DNID, agacé par cet événement signe finalement un
contrat de désamiantage et de démolition avec le consortium Ship Decomissioning
Corporation (SDI), filiale de Eckhardt Marine, appartenant au groupe allemand Thyssen.
30
31
Le déclassement fut officiellement annoncé le 16 décembre 2002.
Le qualificatif approprié n’est pas porte-avions Q 790 mais coque Q 790, son hélice ayant été ôtée.
38
L’Etat français, dans cette nouvelle convention, impose à la société germanique certaines
clauses qualifiées d’« inédites, positives et pionnières pour le démantèlement » selon M.
Francis VALLAT 32 .
Il est notamment prévu un désamiantage préalable en Grèce avant le démantèlement final en
Inde.
Mais, second rebondissement, la Grèce refuse d’effectuer le désamiantage partiel sur son
territoire.
Le contrat est alors remanié par la DNID et la société SDI : le désamiantage préalable est
maintenant prévu à Toulon avant le démantèlement indien.
2.2. L’étape toulonnaise
Suite aux péripéties rencontrées avec Gijonesa de Desguace, l’Etat français décide d’effectuer
un désamiantage partiel avant d’expédier la coque pour la démolition.
En 2004, la dépollution est ordonnée à Toulon afin d’ôter la majeure partie de l’amiante.
Soucieux d’éviter tous nouveaux rebondissements, le gouvernement français confie les
opérations de désamiantage aux entreprises spécialisées SDI et Technopure, cinquante mille
heures sont planifiées pour achever un travail, qui sera certifié par deux organismes
indépendants.
Mais alertées par cette opération, des associations écologistes et de défense des victimes de
l’amiante 33 se ruent sur l’affaire. Malgré ces obstacles, le désamiantage se poursuit.
La Commission Interministérielle pour l’Etude des Exportations de Matériel de Guerre
(CIEEMG) autorise l’exportation de la coque.
Le 31 décembre 2004, l’ex-Clemenceau appareille vers l’Inde.
Cette phase a permis le retrait de la totalité de l’amiante friable directement accessible.
32
Armateur et président de l’Institut Français de la Mer.
L’association de défense des victimes de l’amiante (ANDEVA), le comité Jussieu anti-amiante, l’association
Ban Asbestos, et Greenpeace introduisent des recours en référés. Une ordonnance du Tribunal Administratif de
Paris rejette finalement tous ces recours le 30 décembre 2004.
33
39
Selon le Ministère de la Défense 34 « tout le désamiantage techniquement réalisable en France
y a été réalisé ».
Toutefois, malgré les opérations effectuées à Toulon, la coque Q 790 n’a pas été dépourvue de
l’ensemble de l’amiante qu’elle renfermait et ce, pour des raisons purement techniques : la
structure du navire devait rester suffisamment intègre pour pouvoir supporter un remorquage
de longue durée et autoriser le franchissement du canal de Suez.
Nous pouvons, d’ores et déjà, souligner qu’à ce jour, aucun autre Etat ou armateur privé n’a
ordonné le désamiantage même partiel de l’un de ses navires avant son démantèlement.
L’amiante friable qui est souvent la plus accessible, est aussi reconnue comme étant la plus
dangereuse.
2.3. Le choix du chantier de démolition
L’Asie du Sud concentre près de 90% de la démolition navale mondiale, après l’épisode
espagnol, c’est donc tout naturellement vers cette région que la France s’est tournée pour
choisir un chantier de démolition.
La baie d’Alang 35 , située dans l’état du Gujarat, est réputée pour la multitude de chantiers de
démolition qu’elle concentre.
Les autorités françaises avaient opté pour les chantiers de démolition d’Alang-Sosiya, site
administré par le Gujarat Maritime Board, institution indienne semi-publique spécialisée dans
le démantèlement naval.
Les conditions de travail varient substantiellement suivant les chantiers, c’est pourquoi les
entreprises indiennes retenues furent la Shree Ram Vessels et la luthra Group.
Car, contrairement aux autres chantiers, elles possédaient des garanties suffisantes,
notamment les qualifications ISO 9001/2000 portées sur la qualité du management, ISO
14001 sur le respect de l’environnement, et OHSAS 18001 sur les conditions de sécurité et de
santé des ouvriers.
34
35
Dossier de la Marine Nationale sur l’ex-Clemenceau consultable sur le site : www.defense.gouv.fr
Une carte de la situation géographique est disponible en Annexe 4.
40
Ces qualifications ont été, en outre, vérifiées par l’Ambassade de France et des officiers de
l’Ecole de la Marine Marchande.
De plus, la politique française sur ce sujet, s’inscrivait dans une optique de développement
durable : cinq cadres indiens avaient été formés à Mulhouse et avaient suivi les travaux de
désamiantage à Toulon afin de diriger une équipe de soixante hommes sur le chantier indien
de démolition où la société SDI s’était engagée à expédier une quantité importante
d’équipements individuels et collectifs de protection.
L’option retenue par le Ministère de la Défense imposait contractuellement un transfert de
technologie : formation, envoi de matériel aux normes NF, contrôle du déroulement par des
experts français détachés sur place, etc.
Un expert européen, choisi par l’Etat français sur proposition de la société SDI, devait
également être mandaté pour établir un rapport périodique et certifier un désamiantage
respectueux des normes européenne en vigueur.
Malgré ces garanties, la Cour Suprême indienne est saisie le 6 janvier 2005 pour statuer sur la
venue de l’ex-Clemenceau au regard du droit interne indien 36 .
La Supreme Court Monitoring Committee (SCMC) est mandatée par la Cour Suprême, elle lui
remet un rapport partagé sur la coque Q 790. Sept membres de ce comité approuvent le
démantèlement du Clemenceau sous certaines réserves et trois le refusent.
La Cour, embarrassée, décide finalement de l’incompétence de ce comité eu égard à la nature
du dossier : l’ex-Clemenceau est un navire militaire, le comité est alors incompétent en ce
domaine.
On peut s’interroger, là encore, sur ce revirement.
La Cour Suprême n’avait-elle pas connaissance du caractère militaire de ce démantèlement,
dès le 6 janvier lorsqu’elle confia le dossier à ce comité ?
On peut présumer que la conclusion favorable des experts quant à l’exportation française a
motivé ce dessaisissement.
Des experts indiens en architecture navale sont alors mandatés par le ministère indien de la
défense.
36
Une loi indienne de 1989 aborde le traitement et la gestion des matières dangereuses ; le cadre légal du
démantèlement des navires a été quant à lui, posé par des directives en 2003.
41
Pendant cette phase indienne, les associations françaises ont persévéré dans leur démarche, et
à juste titre, puisque le 15 février 2006, le Conseil d’Etat 37 , saisi en référé, ordonne
l’annulation des décisions du Tribunal Administratif de Paris et interdit l’exportation du
Clemenceau.
Le Président de la République, Jacques CHIRAC, donne alors l’ordre de rapatrier la coque Q
790 vers Brest.
2.4. Une démarche unique
Le démantèlement du Clemenceau a été au centre de la scène médiatique pendant de longs
mois.
Deux écoles se sont très vite opposées sur ce sujet, l’une critiquant et condamnant la France
pour cette honteuse délocalisation de déchets au détriment des normes internationales sur
l’environnement, et l’autre concevant ce démantèlement comme une démarche innovante bien
qu’elle ne fût pas exempte de tout reproche.
Les communiqués antagonistes de deux associations écologistes illustrent bien cette
opposition.
L’Association Robins des Bois, déclarait en Janvier 2006 :
-
« certains se ruent sur le dossier Clemenceau et y prospèrent, sans prendre en compte la
valeur positive et exceptionnelle de son désamiantage volontaire et de l’ensemble des
dispositions prises en Inde par les industriels soucieux d’améliorer la filière de
démantèlement des navires et du recyclage des métaux ».
L’Association « Greenpeace », quant à elle, notifiait au travers de son directeur de
campagnes, Yannick JADOT, et du directeur général, Pascal HUSTING :
37
Décision du Conseil d’Etat disponible en annexe 8.
42
-
« a quelques jours de sa visite officielle en Inde, le président de la République respecte le
droit et interdit l'exportation d'un déchet toxique dans un pays en développement.
C’est une victoire pour les travailleurs indiens et pour ceux de l’ensemble des chantiers
de démolition de navires.
C'est enfin la victoire d’une coalition d’organisations travaillant sur l’amiante, la défense
des droits fondamentaux de la personne humaine et la protection de l’environnement.
Dans cette affaire, l’Etat français a tenté de passer en force, bafouant le droit
international et la Convention de Bâle et le droit européen, qui régulent le transport de
déchets dangereux.
Greenpeace demande que le cas du Clemenceau fasse jurisprudence.
La France a échoué dans sa tentative de se débarrasser impunément d’un déchet
hautement toxique.
Elle doit en tirer toutes les conséquences et élaborer une stratégie nationale de gestion
des navires en fin de vie qui organisera leur dépollution avant une possible exportation ».
Ces deux déclarations stigmatisent bien les divergences qui se sont affrontées sur ce sujet.
Quand l’un prônait de promouvoir la procédure engagée pour la coque Q 790 ; l’autre se
félicitait de l’échec de ce démantèlement.
Mais d’aucuns diront que le Clemenceau a permis d’ouvrir un débat sur les problèmes de la
démolition navale en général, et française en particulier.
Le projet de démantèlement du Clemenceau aura-t-il été une démarche unique ?
Force est de constater que la démarche entreprise par l’Etat français est innovante, pour la
première fois un gouvernement s’était engagé dans la recherche d’une solution adaptée.
Quand bien même ce dossier restait critiquable, l’exportation de déchets vers un Etat en
développement l’est par essence, la France s’est donnée les moyens de mettre en place un
système original.
Un partenariat, qui portait sur un transfert de technologie, de savoir-faire et d’équipements,
entre le pays exportateur et le pays importateur, était de bon augure face au système actuel.
43
2.5. L’épilogue Clémenceau
Suite à la décision du Conseil d’Etat de suspendre le transfert l’ex-Clémenceau vers l’Inde, le
Président de la République ordonna le rapatriement du porte-avions vers le port militaire de
Brest.
Une fois arrivé, l’ex-Clémenceau fut placé sous le contrôle des autorités militaires afin
d’assurer toutes les garanties de sécurité nécessaires jusqu’à ce qu’une solution définitive sur
son sort soit arrêtée.
L’Etat a demandé au constructeur du Clemenceau, la DCN, de dresser une cartographie de
tous les matériaux potentiellement dangereux présents à bord.
3. LE CLEMENCEAU ET LE DROIT
3.1. Les répercussions du dossier Clémenceau
Afin de résoudre la problématique de la déconstruction des navires civils et militaires, une
Mission Interministérielle a été constituée.
Chargée de trouver des solutions qui respectent pleinement l’environnement et le droit des
travailleurs, ce groupe de travail est présidé par Messieurs Xavier DE LA GORCE, secrétaire
général pour la Mer et Jean-Noel D’ACREMONT, ancien Directeur des chantiers de
l’Atlantique ; et associe les Ministères de la Défense, de l’Economie, des Finances et de
l’Industrie, du Travail, des Transports, de l’Ecologie et du Développement durable, des
Affaires Etrangères et des Affaires Européennes.
Cette Mission Interministérielle a un double mandat : elle va devoir proposer un processus
pertinent d’élaboration et de mise en œuvre effective des réglementations internationales
applicables aux acteurs du démolition navale, et définir les conditions et les délais de création
44
d’une filière viable de démantèlement total ou partiel en France ou en Europe dans le respect
des engagements internationaux en matière de sécurité et de santé des personnes et de respect
de l’environnement.
L’affaire du Clemenceau, outre la prise de conscience par les Occidentaux du problème de la
démolition navale, va sûrement permettre d’accélérer le processus d’élaboration des normes
applicable aux navires en fin de vie, entrepris par l’OMI.
L’OMI regroupe tous les Etats disposant d’une flotte ou d’un littoral.
L’édiction de règles par cet organisme est encourageant mais certainement insuffisant.
Car une fois la règle édictée, reste aux Etats à les faire appliquer. On comprend alors que cette
application devient totalement hypothétique lorsqu’il s’agira de navires immatriculés dans les
Etats qui accordent des pavillons de complaisance.
Ces Etats réputés pour leur immobilisme, négligent déjà les contrôles de navires en cours
d’exploitation, il y a donc fort à parier qu’ils ne s’aventureront pas à contrôler le
démantèlement des navires en fin de vie battant leur pavillon.
L’Organisation Internationale du Travail est chargée de veiller sur les conditions de travail et
les minima sociaux.
Sa participation au processus décisionnel est requise pour l’élaboration de normes concernant
l’activité maritime : que ce soit pour les conditions de travail à bord, ou bien dans les
chantiers navals de construction ou de déconstruction.
La Convention de Bâle, quant à elle, pose les principes de l’identification et du traitement des
déchets.
Ces trois instances, conscientes du vide juridique qui trouble l’industrie navale, travaillent
ensemble sur un texte contraignant sur le démantèlement.
3.2. Le Clémenceau dans le vide … juridique
L’essentiel problème qui a touché le transfert du Clemenceau vers l’Inde est la qualification
juridique de la coque Q 790. De cette qualification découlent le statut de l’exportation et donc,
la légalité de l’opération.
45
Certains ont estimé que le contentieux résultait d’une ambiguïté de traduction 38 .
Les textes de référence rédigés en Anglais distinguent les déchets recyclables (scrap) des
déchets définitifs (waste), à l’inverse du français qui ne différencie pas les types de déchets.
Rapporté au Clemenceau, sa coque serait un déchet recyclable (récupération de l’acier…) et
l’amiante extraite de la coque serait un déchet définitif.
Le dossier Clemenceau revêt un caractère extraordinaire car justement il évolue dans un vide
juridique.
Et ce, pour la bonne et simple raison, qu’il est difficile de clairement établir quel est le statut
de la coque Q 790.
L’article de Mme LE BIHAN GUENOLE souligne les difficultés de qualification du navire
en tant que déchet.
Ces difficultés sont d’autant plus prononcées, lorsque le navire en question est un navire
militaire.
Concernant les navires militaires, l’article L 2331-1 du code de la défense et l’article 2 du
décret 95-589 du 6 mai 1995 déterminent et classent les matériels de guerre.
La qualification de matériel de guerre repose sur la conception et la destination du matériel.
Un navire tel que le Clemenceau est de toute évidence soumis au régime des matériels de
guerre : son blindage, son pont d’envol, sa fonction…
Mais, une fois devenu inactif, la qualification de matériel de guerre est-elle toujours justifiée ?
Même retirée du service actif, la coque Q 790 conserve son caractère militaire, sa construction
et sa destination potentielle lui permettent toujours une utilisation en tant que matériel de
guerre 39 .
L’ancien porte-avions est considéré comme du matériel militaire, et ce par trois jugements
civils et administratifs.
Les normes internationales relatives à l’exportation de matériels de guerre sont, par
conséquent, applicables au Clemenceau.
Mais, la qualification de matériel de guerre n’exclut pas l’application des normes sur les
déchets. En atteste, la décision suspensive du Conseil d’Etat 40 de rapatrier la coque Q 790,
que certains ont illégitimement qualifié de décision au fond.
38
Argument soutenu par M. Francis VALLAT dans l’article « Quelle retraite pour le Clemenceau, Questions
ouvertes » ; Pour la science N°342 Avril 2006.
39
Le Clemenceau est toujours apte à recevoir des aéronefs ou à servir de base de soutien.
40
CE, 15 février 2006, Annexe 8.
46
La haute instance française refuse de se prononcer, la décision a été « prise sous bénéfice
d’inventaire » se laissant ainsi le soin de statuer postérieurement avec autorité de la chose
jugée sur le fond.
Mais, elle confirme le statut de déchet de la coque Q 790.
3.3. Les déficiences du dossier Q 790
Les principales défaillances du projet de démantèlement du Clémenceau relève de deux
domaines : l’éthique et le droit.
D’une part, ce dossier soulève des interrogations environnementales, quant aux transferts de
déchets vers les pays en développement et, quant à l’application de normes sanitaires par les
Occidentaux au détriment des populations pauvres.
D’autres part, le démantèlement du Clémenceau révèle les défaillances juridiques de ce projet
générées par la complexité de la démolition navale.
Au niveau du droit, selon Robert REZENTHEL 41 « le manque de maîtrise de la portée
juridique de certains concepts semble à l’origine de cet échec ».
Le gouvernement Français aurait fauté par excès d’honnêteté, ou par méconnaissance du droit
applicable.
La Directive 2006/12/CE qualifie de déchet « toute substance ou objet…dont le détenteur se
défait…ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».
Dans un courrier daté du 7 février 2006, la Commission européenne a justement considéré que
l’intention déclarée de la Ministre des armées de démanteler le Clemenceau avait pour
conséquence l’acquisition du statut de déchet par la coque Q 790.
Le cas du Clémenceau pose la question de la forme que doit revêtir cette intention ?
Mais cette interrogation reste en suspend.
41
Observations sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 février 2006, DMF, 670, Mai 2006.
47
L’intention de se séparer du porte-avions était sans équivoque, la France n’a cessé de
l’affirmer dans les médias. Et la signature du contrat de démolition allait également attester de
cette intention manifeste.
Le gouvernement français aurait du rester silencieux sur le cas du Clemenceau, le statut de
déchet ne lui aurait, par conséquent, pas été accordé.
Concernant la qualification de déchet par la Convention de Bâle, celle-ci est plus complexe
mais aussi plus floue. C’est la dangerosité de l’opération qui prime.
Le statut de la coque Q 790 est, de par les matériaux nocifs qu’elle renferme, inévitablement
réputée comme étant un déchet.
L’Administration française a, semble-t-il, commis plusieurs erreurs de droit dans ce dossier.
La première est d’avoir refusé de reconnaître le statut de déchet à la coque Q 790.
Le chef de l’Etat-major de la Marine OUDOT DE DAINVILLE déclarait, à tort, sur la
qualification de déchet de l’ex-Clémenceau : « il ne constitue pas, au sens de la Convention
de Bâle, un déchet dans la mesure où l’on peut considérer qu’in ne sera à aucun moment
éliminé mais valorisé » 42 cela permettait à l’Etat française de soutenir que le transfert de la
coque était légal dès lors que le Clémenceau n’était pas un déchet dangereux.
Mais nous avons vu que cet argument ne pouvait tenir.
Le désamiantage est une opération d’élimination et non de valorisation, en particulier, lorsque
l’opération est effectuée dans un autre Etat.
Puis, l’Administration soutenait que la coque Q 790 ne pouvait être assimilée à un déchet
dangereux.
L’article 2 de la directive 91/689/CEE énonce que « les déchets classés comme dangereux
sont réputés présenter une ou plusieurs des caractéristiques suivantes…ils contiennent une ou
plusieurs substances reconnues comme cancérigènes à une concentration égale ou supérieure
à 0,1% ».
Il est établi, l’appel d’offres pour la déconstruction de la coque le confirme, que le
Clémenceau renfermait par rapport à son poids total environ 1% d’amiante. Le seuil fixé était
donc largement dépassé, le Clémenceau devait être considéré comme un déchet dangereux
aussi bien en droit interne qu’en droit communautaire.
42
Déclaration en date du 8 février 2006 de l’amiral OUDOT DE DAINVILLE, chef de l’Etat-major devant la
mission amiante de l’Assemblée nationale.
48
Et ce, même après le désamiantage partiel à Toulon, le commissaire du gouvernement
affirmait dans ses conclusions 43 : « l’amiante encore présente à bord, même après le
désamiantage en France par la société Technopure ne saurait être inférieur au strict
minimum…la proportion d’amiante serait de 0,38%, chiffre supérieur au seuil de 0,1% ».
En dernier lieu, l’Etat français a tenté d’invoquer le statut de navire de guerre pour faire
échapper le Clémenceau de la réglementation relative aux déchets. Cet argument était voué à
l’échec puisque la qualification de matériel de guerre n’a pas pour effet de rendre inapplicable
les textes communautaires sur les déchets.
3.4. Un démantèlement injustement décrié ?
Pour bien des bateaux qui terminent dans les chantiers de démolition, trop peu sont
démantelés avec précaution en matière d’éliminations des substances nocives.
Le projet de démantèlement du Clémenceau, loin d’être une démolition irréprochable, tendait
à être une première qui aurait pu ouvrir la voie à un démantèlement hautement plus soignée.
En effet, l’effort entrepris par l’Etat français visait une démolition plus propre ; pour y
parvenir certaines dispositions avaient été prises, notamment au travers du contrat ratifié avec
la Ship Decomissioning Corporation (SDI).
Tout d’abord, le désamiantage effectué à Toulon était une première dans l’histoire mondiale
de la démolition navale, aucune nation ni aucun armateur n’avaient entrepris un quelconque
désamiantage, fut-il partiel, d’un navire en fin de vie.
Ensuite, le contrat prévoyait que la France resterait propriétaire de la coque et ce, jusqu’à ce
que le Clémenceau soit totalement démantelé. En imposant cette clause, la France restait
« maître » du démantèlement jusqu’à la fin des opérations.
D’un coté, elle pouvait exiger le respect des obligations contractuelles à ses cocontractants, et
d’un autre coté sa responsabilité aurait pu être recherchée en tant que propriétaire de la coque.
Le choix du chantier de démolition devait, en outre, être validé par la France afin de vérifier si
il répondait aux normes internationales de protection des travailleurs et de l’environnement,
ainsi qu’aux normes françaises sur l’amiante résiduel.
43
Annexe 8.
49
Un transfert de compétence, de technologie et de matériel devait également être opéré afin
d’ouvrir la voie à un démantèlement plus propre et, surtout plus protecteur à l’égard des
ouvriers.
Nous pouvons légitimement, nous interroger sur la différence de traitement entre le
Clémenceau et le navire britannique Sir Geraint 44 par les médias et les associations
écologistes.
En effet, pendant l’affaire médiatique du Clémenceau, ce ne sont pas moins de vingt-quatre
navires qui ont été accueillis dans les eaux territoriales bangladaises pour y être démantelés.
Neuf navires ont été achetés par des ferrailleurs indiens ; et la Chine ainsi que la Turquie se
sont respectivement adjugées quatre navires 45 .
Ainsi, trente-trois navires auraient été envoyés à la casse en moins d’un mois et demi en Inde
et au Bangladesh sans qu’aucune dépollution préalable n’ait été effectuée.
D’où les critiques, qualifiant d’absurde, le retour du Clémenceau face à la quantité de navires
démolis, qui plus est, sans dépollution préalable.
La revue « La Baille » révélait également que le Minas Gerais, porte-avions appartenant à la
Marine argentine, avait été démantelé à Alang en 2005, sans qu’aucune protestation n’ait été
formulée.
Les détracteurs de ce projet parlent d’atteinte à l’environnement et de non-protection de la
santé des ouvriers quand les instigateurs estiment que, jusqu’à cette opération, jamais autant
de précautions n’avaient été prises.
D’autant que des experts en la matière soutenaient ce projet, pour son esprit novateur : « le
travail qui a été réalisé pour nettoyer le navire avant son arrivée, la programmation des
travaux sur le site de démolition sont l’exemple de ce qui devrait toujours être fait. Les
critiques ont pris ce bateau pour cible, alors qu’il est l’exemple de ce qu’il faut faire » a
déclaré Ted HIGSON dans le Lloyd’s List.
Mais est-ce suffisant d’attester qu’aucune semblable mesure n’a jamais été entreprise pour
estimer que ce projet de démantèlement est louable ?
44
Le Sir Geraint a servi pendant la guerre des Malouines, il a été envoyé sur les chantiers indiens d’Alang la
même année que le Clemenceau sans que cela n’offusque quiconque.
45
Recensement effectué par l’association « Robin des Bois » à l’aide notamment des listings des bureaux de
certification.
50
Objectivement, le projet élaboré par les autorités françaises prévoyait une coopération entre
les deux Etats.
Ce type de méthode semble être le plus adéquat pour répondre, d’une part aux attentes des
pays du Sud où sont situés les chantiers et qui fournissent la main d’œuvre et d’autre part, aux
préoccupations financières mais aussi écologiques des pays développés.
La concertation semble, de toute évidence, être la solution.
Dans un article 46 paru dans le Monde du 21 Février 2006, Monsieur Francis VALLAT
énumère les points positifs de ce projet :
- enlèvement de l’amiante friable et atteignable sans mettre en danger la structure du navire ;
- ingénieurs indiens formés spécialement en France ;
- suivi sur place par des experts et ingénieurs français ;
- plan industriel spécialement adapté et soumis à l’avance ;
- transferts de matériels de protection ;
- suivi médical des ouvriers indiens pendant et après les travaux ;
- choix d’un chantier certifié ;
- partenariat sur place avec une société spécialisée dans la défense de l’environnement ;
- application du droit français sur la protection des personnels aux ouvriers indiens.
Ce transfert de technologie et de savoir-faire aurait pu être analysé comme une première,
d’autant, qu’il fait une stricte application des mesures prévues par la future Convention de
l’OMI, de l’OIT et du secrétariat de la Convention de Bâle.
L’Institut Français de la Mer affirme et supporte : « avec force sa conviction que la
communauté maritime française, et au premier rang la Marine nationale, a fait preuve dans
cette opération d’un esprit de responsabilité bien mal récompensé mais incontestable ».
46
Annexe 6.
51
3.5. Le démantèlement du Clémenceau condamnable d’un point de vue sanitaire
La polémique engendrée par le démantèlement de la coque Q 790 s’explique essentiellement
en raison de la présence d’amiante.
Pour prévenir la propagation des incendies, hantise des marins, les navires sont
compartimentés, ce cloisonnement était effectué à l’aide d’amiante.
Une brève rétrospective sur l’amiante s’impose.
Jusque dans les années quatre vingt, l’amiante était un matériau très usité dans les
constructions, de par ses qualités de résistance mécanique, d’isolation thermique et phonique,
d’étanchéité à l’eau, d’insensibilité à l’attaque de nombreux fluides, de résistance à la
chaleur…
En 1977, l’amiante a été classée par l’Organisation Mondiale de la Santé dans la catégorie des
agents cancérogènes.
Et depuis 1996, une loi est entrée en vigueur pour interdire l’utilisation de l’amiante friable ;
l’amiante piégée est interdite sur les bâtiments militaires français depuis 2002.
L’amiante est donc progressivement remplacée par des produits de substitutions.
Mais, cette problématique reste d’actualité car les navires appelés à être déconstruits sont des
navires anciens qui comportent cette matière47 .
Et à l’époque, l’amiante était la base de la construction navale, c’est pourquoi on en rencontre
quasiment partout sur un bateau.
L’amiante est un silicate naturel transformé en fibres par broyage, elle est présente sur les
navires sous deux formes : l’amiante friable et l’amiante dite piégée.
L’amiante friable est reconnue depuis les années soixante, comme étant la plus nocive, elle
libère des microfibres sous l’effet des chocs ou des vibrations.
Ces fibres sont comparativement deux mille fois plus petites qu’un cheveu et, une fois
inhalées elles se logent dans les alvéoles pulmonaires provoquant des inflammations
entraînant des maladies bénignes ou des cancers.
47
L’industrie navale avait recourt à l’amiante pour les calorifugeages.
52
L’amiante piégée dans les structures est, quant à elle, moins nocive, car elle ne libère pas ces
microfibres.
Elle se présente également sous forme liée, c’est-à-dire mêlée à d’autres matériaux, on en
retrouve couramment dans les dalles en vinyl-amiante ou dans l’amiante ciment.
Le désamiantage du Clémenceau devait s’effectuer en deux phases : la première fut
l’extraction de l’amiante friable à Toulon et la seconde aurait dû être le retrait de l’amiante
piégée sur les chantiers indiens.
Le pré-désamiantage du Clémenceau, opéré à Toulon, a eu pour objet d’ôter toute l’amiante
friable, l’amiante piégée ne pouvant être retirée pour des raisons techniques de résistance et de
flottaison.
La quantité d’amiante présente sur les navires varie en fonction du type de navires, un
paquebot, comme le France contient jusqu’à 1 250 tonnes, quand un navire de charge n’en
contient que cinq tonnes. Pour un porte-avions tel que le Clemenceau, s’agissant d’un navire
militaire et donc soumis à la confidentialité, il est difficile d’estimer la quantité réelle présente
à bord.
Les estimations les plus extrêmes évaluaient à cinq cents tonnes voire même mille tonnes
d’amiante (c’est-à-dire trois à quatre pourcent de la masse totale), mais selon l’étude sur le
Clémenceau de Francis VALLAT, président de l’Institut Français de la Mer « pour un porteavions moyen, dont l’essentiel consiste en des hangars géants qui abritent les aéronefs, des
sources fiables estiment la quantité d’amiante à environ 160 tonnes », soit environ un
pourcent du tonnage global.
A Toulon, la société Technopure puis la société Preslosid ont été chargées de récupérer
l’amiante friable présente à bord.
Le Ministère de la Défense a dû ordonner le changement du prestataire initial suite au constat
de certaines irrégularités 48 , cette gêne serait la cause du défaut de fiabilité sur la quantité
d’amiante retirée.
Cette amiante devait être transférée vers un site d’enfouissement dans le Gard à Bellegrade ;
mais les autorités ont constaté une différence entre les quantités enregistrées à bord à Toulon
48
Ces présomptions d’irrégularités ont conduit au dépôt d’une plainte devant le procureur de la République de
Marseille, le 13 Février 2006.
53
(115 tonnes) et celles parvenues sur le site (85 tonnes). De plus, certains métaux comme le
cuivre auraient disparu.
Pourtant des experts avaient été mandatés par l’Etat pour contrôler la régularité des
opérations.
Au final, sur les cent soixante tonnes d’amiante que la coque Q 790 contenait, quatre vingt
cinq tonnes auraient été ôtées, au lieu des cent quinze annoncées.
Les chantiers indiens aurait été chargés de l’élimination des quarante cinq tonnes restantes (ou
des soixante quinze, si les entreprises à Toulon ont fauté).
En dernier lieu, il est intéressant de souligner qu’un plan précis de localisation de l’amiante à
bord du Clémenceau avait été remis aux autorités indiennes.
3.6. L’avenir du Clémenceau
Le sort du Clémenceau va-t-il rester figé jusqu’à ce que les textes internationaux
précédemment évoqués entrent en vigueur ?
La coque va-t-elle être renvoyée, dans des conditions similaires à celles de 2003, vers les
chantiers asiatiques mais cette fois avec l’approbation de tous ?
L’incertitude plane.
Certains soutiennent deux solutions radicales mais peu plausibles : le sabordage ou l’abandon.
Un grand nombre de navire sont abandonnés et rouillent dans des ports transformés en
«cimetière marin ». Adopter cette solution au Clémenceau renferme deux inconvénients.
Aucun revenu ne pourra être retiré de cette opération par l’Etat français.
Et, surtout le poids historique du porte-avions interdit aux autorités de laisser croupir la
coque. D’autant que cette solution engendrerait des frais de maintenance élevés.
Le sabordage est la solution la plus défendue après le démantèlement.
Mais, l’immersion volontaire des coques est maintenant très réglementée.
La Convention de 1992, pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est
(Convention OSPAR) et le protocole de 1995 relatif à la prévention et à l’élimination de la
54
pollution en Méditerranée (Protocole de la Convention de Barcelone de 1976) en attestent.
Ces deux Conventions interdisent respectivement dans leur zone, l’élimination des coques par
océanisation, si celle-ci a pour seul but l’élimination du navire devenu déchet.
L’immersion des navires, dans les autres mers, est régie par le Protocole de 1996 à la
Convention de Londres de 1972 sur la prévention de la pollution des mers.
Cette Convention encadre strictement l’immersion en la soumettant à la délivrance d’une
autorisation et à une étude d’impact, une dépollution préalable …
Les seules immersions auxquelles a participé l’Etat français ont eu lieu dans les Terres
Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).
L’association Nautilus défend une immersion de la coque de l’ex porte-avions par cinquante
cinq mètres de profondeur dans la baie de Saint-Paul.
Ce vaste récif artificiel dynamiserait la pêche, la plongée et donc le tourisme.
A l’instar de la frégate Scylla de la Marine britannique, immergée en 2004, au large de la
Cornouaille, la coque du Clemenceau pourrait servir de récifs artificiels.
L’armée US a également opté pour cette solution 49 pour l’USS America, en immergeant cet
immense porte-avions 50 au large de la Virginie en 2005.
Reste alors à régler le problème du retrait des substances toxiques, les autorités US ne se sont
pas souciées de ce problème ; elles ont ainsi sabordé l’USS America sans aucune
considération environnementale.
L’armée canadienne a également décidé de couler le HMCS Huron, au large de l’île de
Vancouver, en fin 2007. Ce sabordage serait exécuté après le retrait des produits pétroliers et
des lubrifiants, présents à bord.
Concernant l’amiante, le ministère canadien de l’Environnement s’est préservé de toutes
déclarations, mais a toutefois concédé que les tirs de torpilles nécessaires pour couler le
croiseur laisseront des traces de plomb au fond de l’océan.
Pourtant, la nocivité de l’amiante friable semble évidente pour l’élément marin 51 .
49
Neuf navires US ont été immergés depuis 2005 par le gouvernement américain.
L’USS America est l’un des plus gros porte-avions au monde, il est environ deux fois plus grand que le
Clemenceau.
51
Selon le Ministère français de l’Ecologie, l’immersion d’amiante ne présenterait aucun risque, seuls les
métaux lourds et les PCB seraient problématique, cette position semble contestable.
50
55
Mais, à la vue de l’indifférence générale, cela a semble t-il été occulté par la Communauté
Internationale qui a préféré se concentrer sur le traitement du Clémenceau par l’Etat français.
Preuve que la France reste un Etat référence et qu’elle se doit d’agir de manière exemplaire
afin d’inciter les autres nations à une démolition plus propre.
Après l’arrivée de la coque à Brest, l’Etat a lancé un appel d’offres en Novembre 2006, sur la
déconstruction du porte-avions.
La notification du marché devrait intervenir, fin Novembre 2007, pour un commencement des
travaux début 2008.
Le groupe retenu aura trois ans pour démanteler la coque qui, comme dans le projet initial
restera la propriété de la France.
Le site où sera ferraillée la coque Q 790 devra être situé dans l’UE, ou dans l’AELE 52 , le
recours à la Turquie est par contre proscrit.
Il sera néanmoins possible de valoriser certains déchets 53 en dehors de l’Union Européenne.
Le coût de ce démantèlement sera prélevé sur le budget de la Marine nationale, qui est estimé
à une vingtaine de millions d’euros, nettement moins que les quarante cinq millions évoqués
lors du rapatriement de la coque Q 790.
Des conditions draconiennes sont imposées aux candidats : santé financière, compétence du
personnel, capacités techniques, mécanisation des activités pour limiter les accidents, etc...
Une « short list » des trois à cinq entreprises retenues va être dressée par le Ministère de la
Défense et permettra aux candidats l’accès à la coque Q 790 et, l’obtention de tous les
documents inhérents : état des lieux dressé par Véritas, étude sur l’amiante, les peintures…
L’étude menait par le bureau Véritas est très complète et, démontre la présence de plomb, de
nickel, de chrome, de cuivre, d’arsenic, de cadmium et de strontium.
Mais, la concentration de tous ces produits n’excède pas les normes européennes.
Cette expertise établit également des recommandations sur la manière de dépolluer le navire,
d’éliminer les déchets ou encore de les valoriser, en fonction de la présence de tel ou tel
produit dans les différentes tranches de la structure.
52
AELE : Association Européenne de Libre Echange, l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein sont en
outre susceptibles de recevoir ce chantier.
53
Déchets partiellement ou totalement dépollués qui ne présentent aucun danger pour la santé ou
l’environnement. Chaque valorisation hors UE devra être validée par la Marine et présenter un intérêt
économique.
56
On peut légitimement se demander pourquoi cette étude n’a pas été menée antérieurement au
départ du Clémenceau pour Alang.
Un plan détaillé de la localisation des différents produits aurait, en outre, permit un
démantèlement plus sécurisé pour les ouvriers indiens.
Seul un plan sur la localisation de l’amiante avait été transmis aux autorités indiennes.
Alors, pourquoi avoir attendu le retour de la coque pour commander une telle étude ?
La méthode envisagée était une avancée sans être exempte de tous reproches.
Si l’étude avait été menée antérieurement, le démantèlement du Clémenceau, aurait été sans
contestation, une première dont la France aurait pu se targuer.
Le démantèlement du Clémenceau à Alang dans les conditions spécifiées par la France auraitil permis aux ouvriers indiens et, par extension bangladais, une amélioration des conditions de
travail grâce à ce chantier de référence ?
Le doute règne.
Néanmoins, il est certain que mieux vaut un démantèlement discutable car déficient, mais,
avec une volonté d’amélioration que, de bannir un démantèlement pour son imperfection et
donc ne pas ouvrir la voie à une démolition plus saine.
57
PARTIE 2
DÉFIS ET PROBLÉMES LIÉS A LA
DÉCONSTRUCTION NAVALE
58
Touchant à la fois à la justice environnementale et aux droits de l’Homme, le démantèlement
des navires est une matière complexe.
L’affaire Clémenceau a alerté l’opinion publique sur les dérives environnementales et
sanitaires de cette activité.
Parvenir à une démolition navale propre et sûre est un défi qui concerne autant les pays en
développement que les pays occidentaux.
I)
METHODES
DE
DEMANTELEMENT
ET
NORMES
ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES
Les chantiers de démolition navale sont exclusivement situés dans les pays en développement.
Cet état s’explique tout d’abord, par le laxisme entretenu dans ces pays vis-à-vis des normes
environnementales (B) et sociales (C) ainsi que, par une main d’œuvre peu coûteuse.
Les pratiques, ayant court sur ces chantiers lors du déchirage (A) sont, très souvent, la cause
d’un nombre inacceptable de décès, de dommages physiques, de maladies liées au travail et
de pollution environnementale.
A) LES ETAPES DU DÉMANTÈLEMENT
La méthode décrite ci-dessous est la plus répandue sur les chantiers asiatiques, c’est la
déconstruction verticale.
Le contexte géographique, une dépense faible en énergie et une importante main d’œuvre
expliquent que les pays en développement sont les leaders pour ce type de déconstruction.
Le processus de recyclage d’un navire de commerce s’échelonne en plusieurs étapes, et ce
notamment en raison de l’important tonnage de ces navires.
La première étape de la démolition navale est l’achat du navire à déconstruire.
59
Cette acquisition est conditionnée par la qualité du navire et des matériaux qu’il renferme.
Les propriétaires de chantiers achètent les navires en fin de vie, soit directement aux
armateurs, soit par le biais de courtiers spécialisés dans la vente de navires à démanteler.
Ils devront, ensuite, mettre en pièces ces géants d’acier au plus vite afin de récupérer leur
investissement.
Le choix d’un navire en bon état est donc primordial, l’entretien, la présence de matériaux de
bonne qualité ou de matériaux rares sont autant d’éléments qui, vont permettre une plus
grande rentabilité du navire à démolir.
Une fois le navire acheté, il devra être acheminé du port d’achat jusqu’au chantier de
démolition. Cette phase est la source d’âpres négociations de la part des deux cocontractants.
L’armateur désireux de se séparer de son navire va tenter de le rentabiliser une dernière fois, il
va donc négocier le navire à la tonne, mais cette négociation va devoir tenir compte de
l’acheminement.
Convenir à quel moment le changement de propriété interviendra va influer sur le prix de
vente.
Car s’accorder sur un transfert de propriété dès le port d’achat génère des risques et par
conséquent une responsabilité plus importante pour l’acquéreur du navire.
Et à l’inverse, lorsque le transfert s’opère seulement à la livraison dans le chantier de
démolition, l’armateur-vendeur va devoir supporter la charge et les risques du dernier voyage.
Sachant que les assureurs sont peu enclins à couvrir les risques pour un tel voyage, le navire
n’étant que très peu fiable, puisqu’il part pour la démolition, le propriétaire-vendeur devra très
souvent engager cette dernière expédition sans couverture.
D’où la volonté des propriétaires-vendeurs de convenir d’un transfert de propriété, dès le port
d’achat.
Le contrat de vente devra également stipuler la durée nécessaire pour effectuer la traversée,
une clause de pénalités pour retard est régulièrement insérée.
Elle déterminera une pénalité de X dollars par tonne et par jour de retard.
Lorsque le contrat prévoit que le transfert de propriété s’opère à l’amiable, le propriétaire du
chantier aura à exiger l’insertion d’une clause de retard, pour ne pas différer le début des
travaux et aussi assurer la rentabilité de l’opération.
60
Une fois le navire arrivé à destination, le navire mouille au large dans les eaux internationales,
car il lui faut attendre le feu vert des autorités locales pour l’échouage, cette formalité
administrative nécessite environ une semaine.
Cette autorisation est conditionnée par le paiement de taxes d’importation et par la production
d’un certificat de dégazage délivré par les Administrations locales après avoir en théorie
inspecté le navire.
A ce stade, tous les équipements informatiques et de télécommunications sont détruis ou
saisis par les autorités locales.
Une fois l’ensemble de ces formalités accomplies, le processus de démolition stricto sensu
peut débuter.
La localisation des chantiers est fonction de la typologie des plages car l’échouage des navires
est tributaire des marées.
Par fort coefficient, le navire est envoyé à pleine vitesse vers le rivage, où il est échoué.
Les navires sont échoués par leur propre moyens ou par touage 54 .
Une fois la mer retirée, le navire se retrouve immobilisé dans le sable perpendiculairement au
trait de côte.
Cette opération est délicate, elle peut amener un surcoût pour le chantier lorsque l’échouage
est mal mené ; il faudra, alors, à l’aide d’un treuil repositionner le cargo pour l’équilibrer.
L’échouage est une étape majeure du démantèlement, de celle-ci découle la rentabilité ainsi
que la sécurité des phases ultérieures.
Lorsque le mobilier le permet, une vente du matériel amovible est organisée.
Des acheteurs potentiels sont conviés pour visiter et acquérir les derniers équipements
exploitables : chambre froide, cuisines, sanitaires, ornements et autres matériaux récupérables.
Le navire démuni de ces derniers biens mobiliers est alors entièrement vidé de ses attributs
par les ouvriers.
Suivent ensuite les opérations de nettoyage et de découpage.
Le nettoyage est, malheureusement effectué de manière rudimentaire, les résidus
d’hydrocarbures et les poches de gaz emprisonnées dans les soutes, sont sommairement
évacués.
54
Le touage est un procédé de remorquage.
61
Le procédé utilisé est peu orthodoxe, des incisions sont effectuées dans la coque pour laisser
pénétrer l’eau de mer qui, va vidanger la carlingue du navire.
Après le nettoyage, un second certificat de dégazage est délivré, le découpage peut
commencer.
Les ouvriers armés de chalumeaux découpent la carcasse en commençant par la proue et
remontent progressivement en fonction de l’avancement et des marées.
Le tronçonnage est effectué en fonction des moyens locaux, c’est-à-dire de manière très
rudimentaire.
Les morceaux d’acier découpés sont alors acheminés de la plage jusqu’au rivage à dos
d’hommes. Les outils de levage sont, là encore, primaires puisque les éléments de la structure
sont transportés à dos d’hommes.
Cette étape se déroule sur trois à six mois 55 , les ouvriers se relaient jour et nuit pour dépecer
ce mastodonte d’acier.
Les morceaux de coque sont chargés sur les camions et sont convoyés pour alimenter les
usines locales en matières premières.
B) UN DÉFI ENVIRONNEMENTAL
La situation actuelle des navires en fin de vie pose un véritable défi environnemental.
Aucune des transactions internationales, liant les armateurs européens à des chantiers de
démolition extra-européens, n’a été précédée d’un désamiantage ou accompagnée de
notifications relatives à l’exportation de déchets, telles qu’elles sont mises en œuvre dans le
cadre de la Convention de Bâle.
Cette même Convention a, d’ailleurs, toujours été ignorée dans le cadre de transactions entre
les armateurs non européens et les chantiers de démolition.
Pourtant, le démantèlement de navires reste une activité hautement polluante.
55
En comparaison, un démantèlement sur un chantier mécanisé doté d’équipements modernes s’effectue en trois
semaines.
62
Presque tous les navires condamnés à être démantelés contiennent des substances nocives
telles l’amiante, le plomb, les hydrocarbures, les métaux lourds(le cadmium et l’arsenic), les
biocides toxiques ainsi que, des PCB et même certaines substances radioactives.
1.L’IMPACT DES CHANTIERS DE DÉCONSTRUCTION SUR LA NATURE
Depuis la fin des années soixante-dix, les gouvernements européens sont, de plus en plus,
sensibles aux questions relatives à l’environnement.
Cette politique insufflée par l’Etat allemand s’est propagée dans toutes les classes sociales
européennes, allant même jusqu’à s’inviter dans les débats politiques lors des dernières
présidentielles.
Cette prise de conscience est hautement louable, mais lorsque l’on se penche sur les
problèmes environnementaux soulevés par le démantèlement, il est frappant de constater que
cette sensibilité environnementale s’arrête à l’endroit de nos frontières.
Les différents gouvernements se voient contraints, par souci de protection pour
l’environnement, d’expatrier leurs déchets flottants vers d’autres contrées où la protection de
la nature est forcément secondaire face aux problèmes de santé, de nutrition, d’hygiène, et de
logements.
La pollution, induite par les activités du démantèlement, contamine des portions étendues du
littoral.
Et même du territoire tout entier.
A Alang, le site d’entreposage des déchets se situe à quatre cents kilomètres des chantiers, on
peut légitimement supposer que l’acheminement des déchets n’est pas réalisé dans les
meilleures conditions. La pollution s’étend au fur et à mesure du transport.
Le constat, dans ces régions, est alarmant tant la pollution est visible : débris à même le sol,
résidus huileux sur les plages, air irrespirable, faune et flore polluées…
Mais, cette pollution n’est que la partie apparente, ainsi les multiples substances dangereuses
qui, ne sont pas récupérées par les chantiers, finissent inévitablement dans les nappes
phréatiques.
63
Et il parait évident de rappeler combien l’eau demeure une denrée rare dans ces pays.
Le développement des chantiers a encore plus aggravé le manque d’eau pour les populations
locales, soit en tirant lourdement sur les nappes phréatiques, soit en les contaminant avec le
déversement de produits nocifs sur le sol.
Concernant la partie visible de cette pollution, le plus préoccupant est cette constante
cohabitation entre les matières dangereuses et les cultures, les habitations et autres élevages.
Du fait de leur pauvre développement, les pays hôtes de ces chantiers de démolition n’ont pas
les moyens de mettre en place une véritable politique environnementale, ou du moins ils
éprouvent de grandes difficultés pour faire appliquer les lois en vigueur.
Le manque de moyens et de volonté de la part des autorités rend caduc les législations
environnementales, ainsi au Bangladesh malgré The Bangladesh Protection Law de 1995 ou
The Environment Protection Rule de 1997, les normes protectrices ne sont que très peu
respectées. L’absence de contrôle étatique favorise ce système.
En conséquence, il est du bon vouloir des propriétaires de chantiers de faire respecter ces
règles, on comprend alors qu’il leur est plus avantageux d’établir leur propre règle,
évidemment basées sur la rentabilité, et non sur la protection des ouvriers et du respect de
l’environnement.
L’impact de cette industrie, bien que souvent imperceptible, se retrouve pourtant sur la faune
et la flore.
En effet, la pêche, le principal moyen de subsistance de la population vivant près des côtes et
donc des chantiers, est touchée.
Cette pollution se traduit par une diminution de la taille des poissons et de leur fécondité et,
par des disparitions d’espèces, comme l’hilsha 56 .
Ce ne sont donc pas seulement les pécheurs qui sont concernés par cette industrie mais bien
toute une région, que ce soit au niveau de la santé (inhalation des produits toxiques, ingestion
de produits pollués…) ou, au niveau de l’emploi (chômage des pécheurs en raison de la
contamination de la faune aquatique).
56
L’hilsha est le poisson national de l’Inde et du Bangladesh, il est réputé pour sa chair délicieuse.
64
Il est impossible de dresser une liste exhaustive de l’ensemble des produits dangereux, pour la
santé ou l’environnement, présents dans les navires.
Trois éléments se heurtent à son élaboration :
- tout d’abord, il s’agit de l’absence totale de traçabilité, quant aux matériaux utilisés pour la
construction des navires, les constructeurs de navires ne détaillent pas les différents produits
dont ils se servent ; et ce pour des raisons évidentes de secret professionnel ;
- ensuite, le défaut de suivi, quant aux réparations ou aux entretiens durant l’exploitation du
navire, empêche d’établir un listing des produits dangereux.
Les armateurs devraient être contraints de tenir à jour un carnet de bord recensant tout nouvel
apport de matières toxiques 57 . Par exemple, lorsque les coursives sont repeintes, ce carnet
mentionnerait quel type de peinture a été utilisé, quels sont ses composants…
- la dernière barrière à l’établissement d’une telle liste est notre connaissance des
technologies. Nos progrès, en terme de recherche, ne nous permettent pas de savoir si tel ou
tel matériau utilisé aujourd’hui est dangereux, seul demain nous le dira.
L’exemple de l’amiante est parlant, cette matière a été énormément utilisée à une époque où
ces caractéristiques étaient vantées, mais avec le temps, on s’est aperçu qu’elle était, en
réalité, nocive sur bien des points.
Malgré ces difficultés, un listing 58 a été dressé pour répertorier les nombreuses substances
nocives.
Il atteste de la situation précaire engendrée par le démantèlement de navires, il relate les
différents produits toxiques présents aux abords et dans les chantiers :
• l’amiante : particulièrement présente dans la chambre des machines pour ses propriétés
d’isolation thermique et de résistance au feu. Les couches d’amiante sont placées entre les
plaques métalliques à l’intérieur des cloisons ou des portes.
Cette substance constitue une menace majeure car elle se brise en de fines fibres qui
peuvent demeurer en suspension dans l’air pendant de longues périodes.
Une fois inhalées, ces fibres peuvent entraîner des maladies du poumon comme
l’amiantose ou la mesotheelioma.
57
58
Cette proposition est prévue par le futur Passeport vert de l’OMI.
Listing dressé par l’Organisation Internationale du Travail, Service de la sécurité et de la Santé
65
Les symptômes de la contamination n’apparaissent que tardivement. C’est pourquoi le
démantèlement d’un navire requiert une formation spéciale, l’utilisation d’équipements
respiratoires de protection et de décontamination.
• les huiles et autres fluides : dépôts d’hydrocarbures dans les soutes, huiles dans les
circuits, eaux de lestage. Ils présentent des caractéristiques toxiques très nocives pour les
oiseaux, les mammifères et les organismes aquatiques. Ils dégradent les milieux marins et
aquatiques. Les principaux modes d’exposition sont l’inhalation et la consommation de
poissons et d’eau contaminée.
• les métaux lourds : le plomb, le mercure et le cadmium. Ces métaux sont présents à bord
de nombreux produits à bord dans des quantités variables. Les peintures peuvent
renfermer du zinc, du plomb et du cuivre. Le zinc et le cuivre sont très présents dans les
peintures modernes. On retrouve également des composants de métaux lourds dans les
anodes, les matériaux d’isolation, les batteries et les composants électriques. Les métaux
lourds sont nuisibles pour la santé humaine et les écosystèmes.
Le mercure est, par exemple, un métal lourd toxique et un polluant persistant qui affecte le
système nerveux. Pour le plomb, une exposition à long terme peut entraîner des difficultés
neurologiques, mentales et physiques.
• les polychlorobiphényls (PCB) : les composés organiques chlorés sont présents sous
forme liquide et solide dans les équipements des navires, dans les transformateurs, par
exemple. Oter les PCB liquides est relativement aisé avant l’exportation du navire, mais
les PCB solides contenus dans les matériaux d’isolation, les peintures, le revêtement des
ponts, les joints d’étanchéité, les autres fils et câbles, ne peuvent être supprimés que
pendant le démantèlement. Les PCB ne sont pas présents dans tous les navires, certains
navires sont équipés de transformateurs secs qui n’en contiennent pas. Le Clémenceau en
fait partie.
L’exposition prolongée aux PCB cause de multiples maladies : cancer, maladies du foie,
diminution des capacités reproductives…
La combustion des PCB produit des substances encore plus dangereuses, ce sont les
dioxines et les furannes.
Le recours au PCB est réglementé par la Convention de Stockholm sur les polluants
organiques. Ils sont interdits, en Europe, depuis 1987.
66
• les composés organostanniques : l’étain tri butylique (TBT) est un biocide agressif utilisé
dans la composition de peintures antisalissures et anti-fouling 59 depuis les années soixante
dix. Le TBT figure parmi les composés les plus toxiques pour l’écosystème aquatique, il
est notamment responsable du dérèglement de la reproduction chez les crustacés et les
mollusques.
Dans les pays industrialisés, une réglementation stricte sur les protections est en vigueur
pour protéger les travailleurs qui utilisent des peintures antisalissures.
Le recours au TBT est maintenant banni pour tous navires battant pavillon d’un Etat
membre de l’UE, à l’exception des sous-marins qui l’utilisent pour ne pas être détecté.
Les Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) : une trentaine de composés HAP et
plusieurs centaines de leurs dérivés sont classés comme produits cancérigènes. Les HAP
sont extrêmement dangereux s’ils sont directement inhalés, cela peut arriver en cas de
découpage au chalumeau ou lorsque les déchets sont brûlés. Les HAP provoquent des
tumeurs malignes qui affectent les poumons, l’estomac, les intestins et la peau.
• et les autres produits dangereux tels que le Bi-phényle polychloré, l’arsenic, le chromate,
le benzène, les batteries, les bouteilles de gaz, les liquides explosifs, etc.
D’autres listes sont consultables, notamment celle de la Délégation générale de l’armement
(DGA) ou celle élaborée par l’OMI. Cette liste est issue de la résolution A.962 et des
propositions faites dans le cadre de la 54ème session du Comité de la protection du milieu
marin pour les premiers travaux sur « le passeport vert ».
Les experts estiment, en se basant sur les deux listes précitées, qu’il y a environ deux cents
substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques sur un navire.
D’autant que les chantiers sont rarement équipés d’installations de récupération des déchets.
Et vu la quantité pléthorique de substances dangereuses, la mise en place de mesures de
rétention serait bénéfique pour l’environnement marin et pour le littoral.
Car, le rejet des matières dangereuses entraîne une grave pollution du sable et des sédiments.
Le courant et les marées propagent ces matières contaminantes, le long des côtes et entraîne la
pollution sur une grande échelle, des eaux du littoral, des fleuves et des eaux souterraines.
59
Les peintures anti-fuling sont utilisées pour prévenir l’invasion des algues et des micro-organismes marins.
67
Outre les divers produits toxiques présents aux abords et dans les chantiers de démolition, la
démolition navale recourt à des moyens de démolition hautement toxiques pour les
populations environnantes.
Ainsi, les fumées produites par le soudage et l’oxycoupage 60 qui, sont des méthodes usitées
pour le démantèlement, sont nocives en premier lieu pour les travailleurs mais aussi pour les
populations locales.
Il en va de même pour les nombreux désagréments générés par ce « business » : radiations,
bruits, vibrations, pollution atmosphérique…
2. ORGANISER LES FILIERES DE DÉMANTELEMENT DANS UNE LOGIQUE DE
DÉVELOPPEMENT DURABLE
« La promotion des droits humains et du développement durable se situe, de la même
manière, au cœur de la politique étrangère de l’Union Européenne ; les objectifs de la
politique étrangère et de sécurité commune étant…de développer et de consolider la
démocratie et l’Etat de droit ainsi que le respect des droits humains et des libertés
fondamentales » énonce l’article 11§2 du traité sur l’Union Européenne 2002
Les objectifs de la politique étrangère de l’Etat sont, ici, clairement posés.
La démolition navale est un domaine où l’application de ces principes serait particulièrement
salutaire.
Le démantèlement, outre les nombreux aspects négatifs qu’il renferme, permet la mise en
place d’un marché intérieur pour l’acier de récupération : le démantèlement des cargos fournit
de grandes quantités d’acier récupérées.
Le choix de la déconstruction obéit à une logique de marché mais également à une logique de
développement durable.
60
Découpe d’un métal par fusion localisée avec apport d’oxygène
68
Les Etats, dont le développement repose sur leur capacité à se procurer des matières premières
dont ils sont naturellement dépourvus, développent des industries de démolition pour
récupérer les matières issues de cette déconstruction.
Cette politique s’inscrit dans une logique de développement, qui est profitable pour les deux
parties : l’Etat exportateur qui désire se séparer de son navire en fin de vie et l’Etat
importateur qui a besoin de ces matières premières pour pérenniser son économie.
A cet égard, rappelons que la Cour Suprême de l’Inde a souligné l’intérêt de la déconstruction
navale pour le pays en termes de production d’acier et de création d’emplois.
Mais, les mesures de protection des personnes et de l’environnement adoptées dans une partie
du monde ont trop souvent pour conséquence un déplacement du problème vers une autre
partie du monde.
Cette situation peut être assimilée à une violation des droits humains et des principes de
justice environnementale.
3. LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT MARIN
Le démantèlement des cargos lorsqu’il s’opère dans les pays pauvres tels que le Bangladesh,
le Pakistan et certaines régions chinoises et indiennes se fait nonobstant toutes considérations
pour l’élément marin.
Le navire à déconstruire est envoyé à pleine vitesse sur le rivage où il est échoué.
Une fois stabilisé sur les plages sablonneuses des chantiers de démolition par le retrait de
l’océan ; les ouvriers s’attèlent à leur tâches.
Mais, cette pratique d’échouage ne s’accompagne d’aucun contrôle sur d’éventuels rejets de
produits polluants, liquides ou solides, dans la mesure où les bateaux sont démontés dans et
hors de l’eau en fonction des marées.
Le nettoyage du navire est effectué pour prévenir d’éventuels accidents. L’élimination des
résidus d’hydrocarbures et d’huiles est le préalable à tout démantèlement.
Toutefois cette opération est réalisée sans aucune considération pour l’élément marin.
L’eau de mer est utilisée pour purger les soutes et les ballastes pour finalement être évacuée
dans l’océan.
69
Pour les bâtiments de mer plus volumineux, des incisions sont pratiquées, permettant ainsi un
nettoyage « naturel » grâce aux courants et aux ressacs.
Vient ensuite le découpage de la structure du navire. Le navire est scié par les ouvriers du
chantier à l’aide de chalumeau, ces chalumeaux fonctionnent grâce à une réaction avec le sel
contenu dans l’eau de mer.
Pendant la découpe, la coque est abondamment arrosée d’eau de mer qui ruissellera tout le
long de la structure créant ainsi une mixture toxique.
L’eau est aussi nécessaire pour refroidir les pièces morcelées et chauffées par le chalumeau.
C) LA SÉCURITÉ DES TRAVAILLEURS
Le démantèlement des navires emploie des dizaines de milliers de travailleurs en Asie et
permet ainsi le recyclage de matières premières nécessaires à la construction locale ou à
l’exportation.
On estime qu’environ un million d’ouvriers travaillent dans le secteur de la démolition navale,
et près de vingt mille serait employés sur le seul chantier d’Alang-Sosiya.
Cette baie s’étend sur le littoral indien, sur environ quinze kilomètres et, regroupe de
nombreux chantiers de démolition navale ; de l’un à l’autre, les techniques employées, les
mesures de protection, d’hygiène et de sécurité varient notablement.
Il n’est donc pas possible de généraliser ce qui est vrai sur un chantier à toute l’industrie du
démantèlement.
Seule une vue d’ensemble sur cette activité parait plausible avec évidemment une focalisation
sur les cas les plus criants.
La démolition navale reste néanmoins polluante et dangereuse au vu de l’absence de mesures
de sécurité.
Il est, en outre, extrêmement difficile de rassembler des données sur ces travailleurs.
Dans les pays où se concentre l’industrie de la démolition navale, aucun recensement des
ouvriers n’a été réalisé.
70
La pauvreté de ces pays en développement et de leurs administrations fait obstacle à
l’élaboration d’un bilan sur la réalité des conditions de travail sur ces chantiers.
Par exemple, la Direction Maritime de Gujarat 61 , en Inde, fait état de 372 décès des suites
d’accidents entre 1983 et 2004.
Ces chiffres officiels, dénombrés depuis le début des activités de démolition, dans cette
région, semblent très inférieurs à la réalité.
Au Bangladesh, et notamment à Chittagong, aucun registre n’est tenu, que ce soit par les
propriétaires de chantiers ou par les autorités. Les journalistes locaux sont les seules sources
qui répertorient le nombre de décès au travers de leurs articles.
De plus, les chiffres officiels occultent les morts causées par suite de maladies.
Selon le communiqué de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme 62 (FIDH)
plusieurs milliers de décès, survenus lors des vingt dernières années, pourraient être liés à la
démolition navale.
Lors de l’élaboration de cette enquête, les émissaires ont assisté pendant leur visite sur les
chantiers de démolition au Bangladesh, à un accident au cours duquel trois ouvriers ont trouvé
la mort et un a été blessé. Trois semaines auparavant deux autres décédaient dans des
circonstances similaires.
Une dizaine de jours après leur départ, un nouvel accident a coûté la vie à un autre travailleur.
Ces déclarations contredisent de manière explicite les chiffres officiels, lorsque l’on constate
qu’en l’espace d’un mois, six ouvriers ont péri sur les chantiers bangladais.
Ce bilan ne tient pas compte des travailleurs handicapés ou malades, du fait de l’absence de
mesures de sécurité.
Les explosions de soutes sont très fréquentes, pour démanteler les carcasses des navires, les
ouvriers ont recours à des chalumeaux, qui agissent comme des détonateurs sur les résidus de
carburants.
Et nombreuses sont les maladies que développent les travailleurs de ces chantiers en
manipulant des matériaux toxiques ou en inhalant des vapeurs nocives.
61
Etat situé à l’ouest de l’Inde, Annexe 4.
Communiqué intitulé le coût humain de la démolition des navires consultable sur le site de l’ONG :
www.fidh.org
62
71
L’amiante est le principal matériau responsable de ces troubles respiratoires ; elle est depuis
1977 classée par l’OMI dans la catégorie des agents cancérogènes.
Les industries européennes l’ont abondamment utilisée pour ses nombreuses propriétés jusque
dans les années quatre vingt.
Les pays occidentaux l’ont maintenant bannie de leur construction mais les navires appelés à
être démantelés aujourd’hui ont été construits hier et renferment en conséquence de l’amiante.
L’Occident, après avoir réalisé les dangers de cette matière pour ses populations, interdit son
utilisation et désire maintenant retirer petit à petit tous les bâtiments, y compris les bâtiments
de mer qui en possède.
Toutefois, ce sont les populations d’Asie du Sud qui, sont mises à contribution.
On constate les effets néfastes de l’amiante donc, on la retire et, pour y parvenir, on a recours
aux travailleurs des chantiers d’Asie du Sud qui eux vont, directement, être en contact avec
une substance que nous bannissons.
Ces ouvriers sont soumis à trois risques :
•
le risque d’empoussièrement par l’amiante, les alvéoles pulmonaires s’épaississent et
conduisent à une fibrose pulmonaire, « l’asbestose », qui conduit à des insuffisances
respiratoires même après l’exposition ;
•
le risque de lésions bénignes, « les plaques pleurales », dues aux particules d’amiante
dans les poumons, elles sont le préalable au cancer ;
•
le risque de cancer respiratoires, « le mésothéliome » et « le cancer broncopulmonaire », définir si l’amiante est la cause de ces cancers est difficile car le tabac
peut aussi en être responsable.
Outre l’amiante, la démolition d’un navire expose les ouvriers à des inhalations de dérivés de
pétrole qui sont tout aussi dangereux.
Ces conditions de travail sont contraires à tous les textes ou autres traités que l’Inde a ratifié.
Une institution chargée de contrôler ces chantiers fait cruellement défaut.
Seul le Gujarat Maritime Board (GMB) serait apte à exercer une telle mission, mais la
rigueur et l’honnêteté de cette institution semble être la cause de son discrédit.
D’autant, que les autorités locales ne paraissent pas prêtes à sanctionner les dérives de cette
industrie, car elles aussi profitent de cette situation justement par le biais du GMB.
72
Le débat environnemental est forcément emprunt de controverses lorsque l’on constate que
les navires sont, en partie, retirés du commerce par les Occidentaux en raison des matériaux
dangereux qu’ils renferment (amiante, peintures anti-rouille…) pour finalement être
dépouillés à mains nues par des ouvriers asiatiques.
Le problème est seulement déplacé : en édictant des normes protectrices pour les travailleurs
des pays développés, les difficultés sanitaires sont seulement acheminées vers les pays en
développement.
Et, en poussant ce raisonnement, outre les maladies respiratoires qui se développent sur
plusieurs années, les décès dus aux maladies sont d’autant plus préjudiciables qu’ils laissent
des centaines de veuves et d’orphelins.
A présent, même si les pays occidentaux, écartent l’amiante de leur construction.
Il reste que les navires appelés à être démantelés, aujourd’hui, ont été construits hier et
renferment en conséquence de l’amiante.
Outre les problèmes d’éthiques, que pose le recours à une main d’œuvre peu coûteuse, c’est
bien de la sécurité des travailleurs dont il s’agit.
Sur ce point, la position de « Greenpeace » est exceptionnellement démunie de toute
démagogie.
La démarche de cette ONG consistant à rappeler que « les pratiques actuelles de
démantèlement naval sont synonymes de pertes en vie humaine et de pollution
environnementale dans les pays du Sud » ne peut être que louable.
Force est de constater qu’une telle approche du démantèlement soulève des interrogations.
L’explosion du pétrolier Amina 63 , en 2003, sur un chantier de démolition de la baie d’Alang,
en Inde, montre les limites de ce système.
L’exportation de déchets provenant des pays riches, en l’espèce les navires en fin de vie, vers
des pays pauvres se comprend sur un plan économique.
Il en est de même pour toutes les industries où la main d’œuvre est un élément clé.
Là où le problème devient plus épineux, c’est lorsque les conditions de travail sur ces
chantiers ne respectent pas les minimums posés par l’Organisation International du Travail.
63
Greenpeace est allé jusqu’à offrir symboliquement à la présidence du conseil de Ministres des Transports un
bateau en bouteille composé de pièces métalliques issues du pétrolier Amina qui a explosé en 2003, afin de
dénoncer les conditions de travail dans lesquelles sont démantelés les navires.
73
La grande majorité des chantiers asiatiques ne portent aucune attention particulière à la santé
des travailleurs et à l’environnement, seul le chantier turc de Izmir a entrepris une démarche
plus protectrice de la santé des ouvriers lors des démantèlements de navires.
Des protections sont, dorénavant, fournies afin de prévenir les maladies qu’engendrent ce type
de travail : les ouvriers sont à présent équipés de masques, gants et chaussures de sécurité.
Malgré l’élan insufflé par le gouvernement turc, le bilan reste tout de même pondéré, tous ces
équipements ne sont pas accessibles à tous les ouvriers (difficultés quant à la taille, la
pointure…) et surtout, l’absence d’informations sur les raisons de recourir à ce matériel
amènent la main d’œuvre des chantiers à délaisser leur protection.
Les ouvriers n’arrivent pas à concevoir le fait, qu’ils doivent désormais se munir de ces
protections alors qu’ils ont toujours travaillé sans.
L’exemple du masque illustre ce raisonnement.
Des masques en fibre sont distribués afin de protéger les voies respiratoires de toutes
inhalations toxiques.
Et, le reportage 64 , diffusé sur France 3, montre que ces masques ne sont employés que par une
part infime des travailleurs ; la chaleur et la gêne occasionnées font obstacle à son utilisation.
D’autant que le recours à ce type de masques jetables devient inutile si les ouvriers ne peuvent
disposer quotidiennement d’un nouveau masque.
L’usage de cet article est unique, car les fibres qui le composent sont très vite saturées.
1. LES CHANTIERS ASIATIQUES
L’état des lieux des chantiers asiatiques est alarmant.
L’une des caractéristiques de la main d’œuvre des chantiers de démolition est la migration.
Une partie des ouvriers qui travaillent à Alang et à Chittagong 65 ont migré depuis les régions
indiennes 66 et bangladaises les plus pauvres.
Cela s’explique par les conditions de vie de ces populations.
64
Emission Thalassa diffusée le 11 mai 2007sur France3
Chittagong se situe dans le golfe du Bengale. Voir annexe 5.
66
Le plus souvent, ces ouvriers proviennent des Etats indiens les plus pauvres, tels que le Bihar ou l’Orissa.
65
74
La situation des ouvriers était souvent bien pire dans leur campagne, 70% d’entre eux étaient
des employés agricoles qui ne gagnaient pas plus de 1000 roupies par mois (environ US$20).
Alors que, sur les chantiers d’Alang, les ouvriers peuvent toucher jusqu’à 2500 roupies par
mois, c’est-à-dire l’équivalent de US$52.
Mais, comparé aux risques encourus, le salaire reste extrêmement faible.
D’autant que la moitié des salaires perçus est envoyée pour subvenir aux besoins des familles
restées dans leur région.
L’argument selon lequel les conditions de vie de ces travailleurs seraient supérieures sur les
chantiers par rapport à celles de leur campagne d’origine, ne peut toutefois tenir.
A partir du moment où ce sont les pays riches qui favorisent ces conditions de vie sur les
chantiers et qui en tirent profit, cela n’est pas admissible, quand bien même il y aurait une
amélioration.
Quant à l’autre partie des ouvriers employés sur les chantiers, elle est issue des populations
avoisinantes.
Malgré l’absence de qualification, les salaires consentis sont légèrement supérieurs aux
revenus issus de la pêche mais ils restent forcements dérisoires pour un européen.
Les propriétaires des chantiers n’ont donc pas de mal à obtenir une main d’œuvre motivée et
bon marché.
Malheureusement, même les enfants sont sollicités, toute une famille peut tirer ses revenus de
l’industrie du démantèlement naval, les ouvriers étant répartis en fonction de leur capacité
physique.
Les ouvriers ont, en général, entre vingt et quarante ans et proviennent des basses castes, mais
il est à noter, que le recours aux ouvriers mineurs n’est pas une exception.
Les conditions de travail sont déplorables : les travailleurs transportent pieds nus les
morceaux de carlingue 67 jusqu’à la plage avec tous les risques sanitaires que cela suppose :
coupures, risques de maladies au contact de la taule rouillée, infections…
On ne leur accorde ni formation, ni équipement nécessaire pour travailler dans cet
environnement ; et ce, bien que la démolition navale soit considérée par l’Organisation
Internationale du Travail comme l’une des professions les plus dangereuses.
67
La carlingue est la pièce longitudinale de renforcement placée au fond d’un navire
75
Les conditions de travail des ouvriers sont navrantes et leurs conditions de vie aux alentours
des chantiers ne sont pas meilleures.
L’absence de sécurité, de protection, de paye décente, d’eau, de nourriture, de logements,
d’installations médicales et d’indemnisations des blessés sont autant d’éléments qui poussent
à la conclusion selon laquelle une telle misère humaine ne devrait pas pouvoir perdurait au
XXIème Siècle.
Paradoxalement, fermer ces chantiers serait une catastrophe pour l’ensemble de ces régions
qui, subsistent seulement grâce à cette industrie.
Sur un plan strictement financier, le rappel du Clémenceau fut une perte de marché non
négligeable pour l’économie indienne.
Renvoyer les chantiers de démolition vers l’hémisphère nord n’est pas une solution.
Cette activité est source de revenus, un nombre important d’ouvriers vit de cette manne
financière ; sans compter que le recyclage de matières premières est primordial pour ces pays,
car dépourvus de ces matériaux, ils ne pourraient plus exporter, ni même construire, le coût
des matières premières étant trop onéreux à l’importation.
L’association écologiste « Greenpeace » et la Fédération Internationale des Droits de
l’Homme (FIDH) ont conjointement publié un rapport « les bateaux en fin de vie, le coût
humain de la démolition des navires » qui vise à faire la lumière sur les conditions de travail
et environnementales dans les chantiers de démolition bangladais et indiens.
Ces travaux doivent être la base de toutes réflexions.
L’absence de mesures de précaution préalables au démantèlement et de mesures de sécurité
n’améliore pas les modalités de vie déjà alarmantes des populations vivant à proximité des
chantiers de démolition.
La responsabilité première de protéger les ouvriers et les populations locales appartient aux
gouvernements de ces pays. Néanmoins, les autres opérateurs de la chaîne ne peuvent être
exonérés de leur responsabilité, d’où la nécessité d’élaborer une réforme qui sensibilise mais
surtout lie les armateurs, les propriétaires de chantiers et les gouvernements qui tirent profit
du commerce maritime.
Un autre acteur important de cette industrie est évidemment le constructeur naval ; le fameux
principe du pollueur-payeur ne devrait-il pas s’appliquer, ici ?
76
2. L’ORGANISATION DU TRAVAIL SUR LES CHANTIERS
Les différents acteurs de la démolition navale sont répartis comme suit :
-
le propriétaire du chantier qui n’entretient aucuns liens avec les ouvriers ;
-
le contremaître, en charge de l’aspect purement technique du démantèlement ;
-
les muquadams, l’équivalent des chefs d’équipe avec des attributions élargies au
niveau des ressources humaines, en charge du recrutement, des licenciements et de la
gestion des ouvriers ;
-
les ouvriers, la classe la plus faible sur les chantiers ; leur salaire est indexé sur la
dangerosité du travail à accomplir, le découpeur au chalumeau sera l’ouvrier le mieux
rémunéré.
La situation précaire des travailleurs est stigmatisée par les nombreuses pressions qu’ils
subissent, notamment en raison de l’instabilité de l’emploi.
Les ouvriers ne détiennent pas de contrat de travail au sens européen du terme, n’ayant
aucune garantie quant à leur profession. Ils peuvent être congédiés sans préavis et sans
justifications.
La sécurité de l’emploi est une utopie sur ces chantiers.
D’où un rapport ambigu entre les ouvriers et les muquadams, ces derniers n’hésitent pas à
abuser de leur pouvoir afin de maintenir les travailleurs sous pressions.
Surcharger les ouvriers de tâches, prélever une partie de leur salaire fait partie des mœurs
auxquels les ouvriers doivent se soumettre.
De plus, il est fréquent que les salaires varient, soit par décision arbitraire du propriétaire, soit
en raison du retard pris pour la démolition, soit en raison de la fluctuation des matières
premières et donc du bénéfice escompté par le propriétaire du chantier.
Le retard dans le versement des payes est aussi un principe dans cette industrie.
Les ouvriers effectuent des semaines de 57 heures au lieu des 48 heures prescrites par le
Factories Act de 1948.
Une amélioration, preuve d’une hypothétique prise de conscience, est tout de même à
souligner sur les baies d’Alang, deux projets sont en cours de réalisation : la création d’un
hôpital et la mise en place d’un programme de formation à la sécurité.
77
L’OIT est également très sensible au sujet de la démolition des navires, elle a en effet adopté
un grand nombre de Conventions sur la protection des travailleurs.
En 2004, des principes directeurs sur la sécurité et la santé des ouvriers, en Asie et en Turquie
ont été adoptés. Une consultation des Etats impliqués dans le démantèlement avec évaluations
et audits est prévue.
Le programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a d’ailleurs entamé une
action sur ce thème.
D) VERS UNE PLUS GRANDE SÉCURITÉ MARITIME
Le renforcement de la législation opéré, ces dernières années, notamment après les marées
noires de l’Erika et du Prestige, a eu un impact considérable, d’où une importante présence de
pétroliers et de chimiquiers dans la flotte partie à la démolition l’an passé.
En 2006, selon l’étude 68 menée par l’association « Robin des Bois », quatre-vingt dix huit
navires sur les trois cent navires démantelés ont été, dans les années précédentes, retenus dans
les ports mondiaux ou européens, pour non-conformité aux règles de sécurité internationale
édictée par l’OMI.
Depuis l’accord post-Prestige de 2002, conclu entre les autorités espagnoles et françaises, les
pétroliers qui ne respectent pas les règles concernant la sécurité sont refoulés des eaux
territoriales.
Dans le cadre du paquet Erika 1, l’Agence Européenne de Sécurité Maritime (EMSA) recense
les navires simple coque, ayant interdiction de transporter du fuel lourd, depuis 2005.
Sur les trois cent navires envoyés à la démolition, dix huit pétroliers étaient inscrits sur la liste
des tankers bannis de nos eaux territoriales.
Le recensement effectué par l’EMSA a donc porté ses fruits.
Des mesures complémentaires ont été prises depuis, notamment avec le paquet Erika 3
introduit par la Commission Européenne.
68
L’annexe 7 est un extrait du recensement, effectué par l’association ‘Robin des Bois’, des navires partis à la
démolition, depuis le début de l’année 2007.
78
Il est de bon augure que, les contrôles dans les ports ne cessent de se renforcer, bien qu’un
examen exhaustif des coques soit techniquement impossible.
Selon un communiqué du ministère des Transports, 31% des navires qui ont fait escale dans
un port français ont été contrôlés en 2006.
Le bilan, après les catastrophes Erika et Prestige, est positif sur le court terme ; bien que le
renforcement de la législation n’ait pas réglé tous les problèmes.
La prise de conscience des autorités a amené une réaction en chaîne qui va dans le sens d’une
plus grande sécurité de la navigation.
Le renforcement de la législation a entraîné une augmentation des contrôles qui, a elle-même,
provoqué une augmentation des navires à démolir.
L’analyse de cette tendance révèle que les armateurs consciencieux préfèrent se séparer des
navires vieillissants pour ne pas contrevenir aux nouvelles normes européennes et ainsi éviter
une éventuelle sanction pécuniaire.
Les réglementations, et surtout une application stricte de celles-ci, participeraient à une plus
grande sécurité de la navigation.
Actuellement, l’industrie maritime est gangrenée par un manque de transparence.
Cette carence au niveau de la traçabilité des navires-poubelles illustre l’opacité de ce milieu.
Cela favorise la « réintroduction » de navires de commerce dans le marché de l’affrètement et,
indubitablement porte atteinte à la sûreté et à la sécurité maritime : absence de contrôle, de
certificat de navigation, de contrats d’assurances…
Dernier exemple en date de ce phénomène, le vol 69 au port de Monrovia le 11 Mai 2007 d’un
cargo en fin de vie interdit à la navigation.
Ce navire, le Tahoma Reefer, mouillait, depuis début 2007, dans les eaux intérieures
libériennes. Il a été « dérobé » par une bande armée, puis remorqué vers le large en direction
de la Côte d’Ivoire pour finalement changer de cap et rallier une destination inconnue.
Ce navire, battant pavillon de Saint-Vincent et Grenadines, met en lumière le problème de
l’abandon de navires et de leur revente illégale sur les continents africains et asiatiques et, il
témoigne des limites du recours aux pavillons de complaisance pour les navires-poubelles.
69
Source : l’Agence Française de Presse, communiqué de l’AFP du 21 Mai 2007.
79
Le Tahoma Reefer avait été vendu, en Septembre 2006, par un armateur estonien, pour une
démolition annoncée en Inde à hauteur de US$ 283 par tonne.
Il a ensuite été revendu à un armateur bulgare qui comptait le « réparer » en Italie.
Le Tahoma Reefer ne possédait plus de certificat de navigation et ce, depuis Septembre 2006.
Il était exclu du Registre International des navires, depuis le 5 Mai 2007 ; il n’avait donc plus
le statut de navire.
Pourtant, ce navire dépourvu de certificat de navigation et d’assurance était autorisé à rester ,
pendant plusieurs mois, à l’ancre au large de la capitale libérienne !
Ce cas est d’autant plus effarant que, le communiqué de l’AFP indique que, le cargo avait
auparavant été détenu à Anvers en Novembre 2004 pendant deux semaines pour de
nombreuses déficiences, notamment au niveau de la sécurité incendie, mais qu’il avait pu
repartir sans encombre pour des raisons non expliquées.
II) VOLET ECONOMIQUE
La démolition des navires emploie plusieurs milliers de personnes en Asie, notamment en
Inde 70 et au Bangladesh (A).
On compte cent quatre vingt chantiers en Inde, vingt au Bangladesh, autant au Pakistan et une
cinquantaine en Chine.
Cette activité est très cyclique (B), les tonnages envoyés à la casse sont liés au cours de l’acier
et plus encore aux taux de fret qui, lorsqu’ils sont élevés, incitent les armateurs à conserver
leur navires en service le plus longtemps possible (C).
A) LOCALISATION ET FONCTIONNEMENT DES CIMETIERES MARINS
Au fil des dernières décennies, les chantiers de démantèlement ont peu à peu migré vers les
pays asiatiques. Cette migration s’est opérée en plusieurs étapes.
70
La démolition navale emploierait jusqu’à 35 000 ouvriers.
80
Jusqu’au début des années soixante, le démantèlement des navires s’effectuait dans les pays
industrialisés, tels que le Royaume-Uni, avec notamment une grosse concentration de cette
activité en Ecosse, aux Etats-Unis et en Allemagne.
La localisation des cimetières de navires se justifie premièrement par des raisons
économiques (1) et deuxièmement par des raisons géographiques (2).
1. UNE JUSTIFICATION EVIDEMMENT ECONOMIQUE
La localisation des chantiers de démolition nous amène à l’interrogation suivante: pourquoi
les chantiers navals de démantèlement sont-ils situés dans les pays d’Asie du Sud alors que,
les chantiers de constructions sont eux, situés dans les pays occidentaux ?
Tout d’abord, parce que dans les pays industrialisés, seules peuvent subsister les activités à
forte valeur ajoutée, avec des technologies poussées et peu consommatrices de main d’œuvre
non qualifiée.
Ensuite, parce que la main d’œuvre dans les pays en développement, est nombreuse et surtout
très rentable.
La prolifération des chantiers de démantèlement dans les régions asiatiques est aussi la
conséquence d’une monnaie locale (roupie, taka…) extrêmement faible face au dollar
américain.
Le prix de référence est celui de la tonne d’acier, le principal matériau récupéré.
L’inexistence de normes en matière de santé, de sécurité au travail et de protection de
l’environnement (ou leur non application), comme la main d’œuvre à bas prix et l’absence
d’équipements, permettent aux chantiers de démolition navale d’Asie du Sud de profiter de
coûts d’exploitation extrêmement faibles.
La concurrence étrangère ne peut rivaliser avec ces coûts lorsqu’elle se conforme aux normes
en vigueur.
Ainsi, un pays comme la Turquie, où les normes internationales sont au moins en partie
respectées, fait face à des difficultés économiques et des pertes d’emplois conséquentes, dans
81
la mesure, où les commandes se dirigent vers les installations d’élimination les plus
compétitives.
2. LA TYPOLOGIE DES PLAGES
L’implantation des chantiers de démolition nécessite une géographie des plages spécifique.
En effet, lorsque le démantèlement est seulement effectué dans des pays pauvres dénués
d’installations portuaires, la taille des cargos requiert une plage avec des fonds peu profonds
afin d’échouer les navires à marée haute.
Les plages doivent être à pente favorable et à fort marnage. 71
Le cadre environnemental asiatique est donc propice à cette activité, il permet d’éviter la mise
en place de structures lourdes et onéreuses.
En dernier lieu, la situation géographique des chantiers de démolition asiatique ou turque est
située à proximité des grandes routes maritimes desservant l’Orient.
Cela permet aux armateurs de rentabiliser leur cargo une dernière fois avant « sa mort ».
Le navire pourra, par exemple, effectuer un ultime voyage pour acheminer une quelconque
marchandise et, au retour, il procédera à son escale définitive.
Le climat des régions précitées permet, également, de maintenir l’activité de démolition tout
au long de l’année.
71
Il s’agit de la différence de hauteur d’eau entre une basse mer et une pleine mer.
82
B) REPARTITION DES NAVIRES DEMOLIS
L’analyse des navires en partance pour les chantiers de démolition peut se scinder en deux
groupes : en premier, une répartition tenant au type même des navires (1) et, en second, une
répartition en fonction de la situation géographique des chantiers (2).
1. LES DIFFERENTES CATEGORIES DE NAVIRES
En 2006, la catégorie prépondérante des navires partis à la démolition 72 est celle des tankers,
chimiquiers et méthaniers avec environ 37% de la flotte mondiale démantelée ; suivie de celle
des vraquiers et des transporteurs de marchandises variées (35%), puis les navires à passagers
et rouliers (9%) et les porte-conteneurs (8%).
Il est intéressant de constater que, l’âge moyen des navires en fin de vie, est d’une trentaine
d’années (trente et un ans exactement).
2. LES ZONES GEOGRAPHIQUES D’IMPLANTATIONS DES CHANTIERS
Les chantiers de déconstruction navale sont principalement localisés dans les pays asiatiques
pour les raisons évoquées ci-dessus 73 ; seule une part résiduelle du démantèlement s’opère
dans d’autres régions.
La baie indienne d’Alang-Sosiya s’étend sur quinze kilomètres sur le littoral.
Elle regroupe pas moins de cent quatre vingt chantiers de démantèlement, chacun occupant
une parcelle d’environ mille cinq cents mètres carré.
72
Voir également, l’inventaire des navires partis à la démolition, dressé par l’Association « Robin des Bois » en
2007, en Annexe 7.
73
Voir : A. Localisation des cimetières marins.
83
Cette région indienne est devenue particulièrement active, depuis 1983, mais c’est dans les
années quatre vingt dix que l’industrie de la démolition navale a explosé.
L’activité de la déconstruction, y est régie par le Gujarat maritime Board (GMB), institution
semi-publique, dont la mission première est le développement de l’industrie.
Le GMB est l’équivalent indien de nos Affaires maritimes.
Le Bangladesh, reste le pays dans lequel la plus grosse part du démantèlement mondial est
effectuée, vient ensuite l’Inde et, une faible part revient à la Chine, la Turquie, le Pakistan, les
Etats-Unis, le Danemark et le Canada.
Sur la base des trois cent navires envoyés à la démolition en 2006, la répartition en
pourcentage se décline comme suit :
•
Bangladesh : 170 navires soit environ 60%
•
Inde : 75 navires soit 25%
•
Chine : 8 navires soit 3%
•
Turquie : 8 navires soit 3%
•
Pakistan : 7 navires soit 2,5%
•
Etats-Unis : 3 navires soit 1%
•
Danemark : 2 navires soit 0,7%
•
Canada : 1 navires soit 0, 35%
•
et 21 navires pour une destination inconnue ; il faut entendre par là, les navires dont
les armateurs n’ont pas souhaité communiquer le lieu où le cargo va être démantelé ;
ou plutôt n’ont pas souhaité publier le contrat de vente du cargo à démanteler, preuve
de l’opacité de ce système.
C) INVENTAIRE DES NAVIRES VENDUS AUX CHANTIERS
Suite à la retentissante affaire du Clémenceau, nombreuses ont été les annonces faites sur les
chantiers de démolition navale.
84
De déclarations erronées en pseudo révélation, les Organisations Non Gouvernementales
(ONG), relayées par les médias, se sont à maintes fois exprimées sans jamais réellement
dépeindre le cadre objectif du démantèlement.
Une des données constamment reprises malgré une stupéfiante absence de vérification est le
nombre de navires envoyés à la déconstruction chaque année.
Ce mécompte et non des moindres participe au flou qui règne autour de cette industrie.
L’association « Robin des Bois » s’est alors décidée à dresser un inventaire annuel des navires
destinés à la démolition afin de clarifier une situation quelque peu obscure.
Le travail entrepris par cette ONG, depuis 2006, a mis en exergue que les chiffres
régulièrement cités par les médias, voire même par les autorités françaises étaient inexacts.
Les reportages, déclarations ou autre discours font état de sept cent à neuf cent navires
envoyés annuellement dans les chantiers de démolition.
Mais, selon l’étude menée par les « Robin des Bois », ces chiffres seraient faux 74 .
Après avoir étudiée diverses sources et recoupées les données, l’ONG n’aurait comptabilisé
pas plus de deux cent quatre vingt treize navires partis à la déconstruction en 2006, c'est-àdire moins de la moitié des chiffres régulièrement cités.
Pour 2005, l’association écologiste a recensé près de deux cent navires, tout en reconnaissant
que ce bilan, moins fiable, pouvait être soumis à une marge d’erreur de 10%.
D) COTES DES MATIERES PREMIERES
Les cimetières de bateaux sont la dernière demeure des navires en fin de vie.
Ces derniers y sont démantelés, pour le recyclage des matériaux qu’ils contiennent,
principalement l’acier.
Les prix varient constamment en fonction des côtes mondiales des matières premières.
La valeur marchande d’un navire à déconstruire se négocie à la tonne ; le chantier de
démolition va établir un prix d’achat en fonction de la qualité des matières premières.
74
Voir sur ce point, l’étude très complète de l’Association « Robin des Bois », consultable sur
www.robindesbois.org.
85
En 2002, le coût du bateau par tonne était de US$150, mais une fois les charges salariales et
les frais divers soustraits, la tonne s’élevait à US$220.
Depuis 2002, le prix de l’acier est en constante augmentation, sa côte a quasiment doublé.
La tendance est donc inéluctablement à la hausse.
Les tarifs offerts tout au long de l’année 2007 75 , par les démolisseurs indiens et bangladais ont
connu une hausse régulière, jusqu’à atteindre 500 dollars la tonne à l’automne dernier, au
Bangladesh.
Cette augmentation s’explique par la raréfaction des matières premières.
Un navire qui, renferme une quantité importante de matériaux précieux, pourra se négocier
jusqu’à US$800.
Le record de l’année est attribué au chimiquier Merkur 76 qui, a été cédé à US$840, car sa
carcasse contenait 700 tonnes d’acier inoxydable.
Les tarifs de démolition pratiqués par les chantiers peuvent, en outre, osciller en fonction de
l’état des soutes et de la présence d’hydrocarbures.
Les dépenses, tout comme les bénéfices, sont très fluctuantes car elles dépendent du prix des
navires, mais aussi du prix de la re-vente des matériaux.
Les dépenses peuvent être divisée en trois catégories 77 :
•
-le coût d’achat du navire (68% des dépenses totales) ;
•
-les charges diverses (29%) tels que les frais portuaires, les droits de quai, d’échouage,
le loyer de la parcelle, le droit d’utilisation de la plage…
•
-les charges salariales qui ne représentent que 3% des dépenses.
75
Annexe 7.
Source tirée du bilan mondial 2006 des navires partis à la démolition établi par l’Association de protection de
l’Homme et de l’environnement « Robin des Bois ».
77
Ces données ont été tirées du document « répartition des dépenses des démolisseurs sur la base d’un an à
raison de trois bateaux de 5000 tonnes » établi par la FIDH.
76
86
III) DEFIS DU RECYCLAGE DES NAVIRES
Il n’existe actuellement aucune politique d’incitation à l’amélioration et au changement des
pratiques de démolition navale à bas prix.
Les propriétaires de navires choisissent, simplement, de confier la démolition de leur bateau
aux chantiers qui, leur proposent le prix le plus élevé, sans se soucier des conditions de travail
et de sécurité violant le droit international relatif aux droits de l’Homme et le droit de
l’environnement.
Les retombées négatives de ce commerce se produisent avant tout à l’extérieur de l’Europe.
Or, pour plusieurs raisons, cette situation concerne l’Union Européenne.
L’amélioration des conditions de démolition des bateaux est inscrite sur plusieurs agendas.
L’OMI a décidé de rendre obligatoire un certain nombre de règles impliquant à la fois les
armateurs, les Etats et les chantiers. L’OIT, y travaille également, de son côté.
Une réflexion commune à ces deux institutions associant le secrétariat de Bâle est menée,
sous l’égide de l’ONU.
A) LE DEVENIR DES PARTIES DEMANTELÉES
Le point positif du démantèlement des navires est sans contestation le recyclage des
matériaux.
La tendance étant à une croissante augmentation du prix des matières premières, la démolition
navale permet ainsi la récupération de matériaux devenus précieux de par leur rareté.
Ce recyclage permet, en outre, l’acquisition de ces matières par les usines avoisinant les
chantiers à un faible coût.
On estime que la quasi-totalité de l’acier utilisée au Bangladesh provient du recyclage des
navires.
87
Les besoins de ces pays en matières premières sont énormes, notamment en acier et en
amiante 78 .
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’un tel marché de l’acier alimenté par le
démantèlement se développe ; d’autant que le prix de la tonne d’acier est trois fois plus élevé
en Asie qu’en Europe
Pour un pays comme le Bangladesh, le recyclage satisfait 80% des besoins en acier tandis que
tous les équipements auxiliaires sont restaurés et revendus localement (moteurs, bouilloires,
batteries, vérins, feux…).
B) UNE DÉMOLITION EUROPÉENNE PROPRE, UNE UTOPIE ?
Au cours des vingt dernières années, l’Union Européenne a joué un rôle de premier plan, dans
les progrès qui ont été réalisés sur le terrain des droits de l’Homme comme sur celui de la
définition de responsabilités en matière de traitement des déchets dangereux dans le monde.
L’engagement de l’Union Européenne a été déterminant pour que soit adopté l’amendement à
la Convention de Bâle sur les déchets dangereux (Basel Ban Amendment) ainsi que l’adoption
de la Décision VII/26 qui préconise non seulement que les dispositions de Bâle s’appliquent
aux navires mais surtout que le futur instrument de l’OMI prévoit « un degré de contrôle
équivalent » à celui prévu dans la Convention.
Une tentative de réimplantation de la démolition navale en Europe a été imaginée, afin de
revenir vers une démolition « propre ».
Mais, les armateurs ne semblent pas prédisposés à suivre cette démarche ; cette solution ne
semble pas viable économiquement.
Les coûts engendrés dépasseraient largement les tarifs des chantiers asiatiques et surtout ces
coûts seraient bien plus élevés que les bénéfices escomptés pour la vente du bateau.
Néanmoins, un démantèlement européen et a fortiori français semble réalisable ; à l’instar de
ce qui va être réalisé pour le Lucifer à Cherbourg.
78
L’Inde importe près de 150 000 tonnes d’amiante par an.
88
Ce navire, qui a notamment participé au débarquement du 6 Juin 1944, pour finalement servir
de bâtiment d’instruction à la sécurité incendie, va être démantelé et déconstruit à
Querqueville par ACE, filiale du groupe SUEZ.
La déconstruction du Lucifer va être très encadrée et soumise à des contraintes très strictes en
matière d’environnement : prélèvements d’eau et de sédiments, mesures de réhabilitation du
site après démantèlement, construction d’une digue provisoire destinée à protéger le chantier
des effets de la mer, etc.
Il en va de même, pour le croiseur Colbert qui, après avoir été transformé en musée à
Bordeaux, va être stocké dans un premier temps à Brest, pour notamment sécuriser la coque,
puis à Landévennec, avant d’intégrer l’éventuelle future filière de démantèlement.
Des procédures de démantèlement locales ont été lancées, cela laisse entrevoir un avenir plus
radieux pour les navires en fin de vie en Europe.
Le problème que pose la démolition navale européenne est relatif aux capacités de
démantèlement.
Les pays membre de l’Union Européenne ne pourraient traiter les navires dont le tonnage
serait supérieur à 5000 tonnes.
Seuls les navires de faible tonnage pourraient être démantelés en Europe.
Notamment en Allemagne, mais seulement pour les navires militaires de toute petite taille ; et
en Italie pour les navires inférieurs à cent mètres de long.
La Lituanie semble l’Etat membre le plus adéquat, plusieurs sites sont déjà opérationnels pour
les coques inférieures à mille tonnes et une installation peut recevoir les navires pesant
jusqu’à neuf mille tonnes.
Par contre, le chantier anglo-saxon d’Hartlepool s’est vu retirer son autorisation sous la
pression des associations écologistes, et le chantier néerlandais à Amsterdam a fait faillite, en
mai 2005.
Les grandes unités seraient exclues de fait, le démantèlement européen ne pourrait alors être
une solution pour les porte-avions, les porte-hélicoptères, les pétroliers ravitailleurs, et les
cargos à forte capacité.
La France serait contrainte de poursuivre la vente de ses bâtiments, à l’instar de ce qui a été
réalisé pour le porte-avions Foch, le pétrolier Durance, ou pour l’Ouragan.
89
Un fait établi : la création d’une filière de déconstruction navale réclame du temps et surtout
de lourds investissements.
Mais une fois les problèmes financiers réglés, il faudra s’accorder sur un espace pouvant
accueillir dans l’hexagone les entreprises spécialisées dans le démantèlement.
Et ce, en fonction de la typologie des plages, des coefficients des marées, des sites classés…
D’autant qu’il est inconcevable pour les autorités, d’échouer les épaves sur les plages
bretonnes ou normandes pour les déchirer.
Le rapport d’information 79 présenté par la députée Mme LAMOUR recense les différents
sites français susceptibles d’accueillir une future filière de démantèlement, Brest, Dunkerque,
Le Havre, Bordeaux, Cherbourg et même Marseille ont été analysées.
Toutefois, la création de cette filière risque d’être longue. Les solutions offertes par les
chantiers asiatiques sont loin d’être abandonnées.
Une filière eurasienne strictement contrôlée pourrait être une alternative intéressante.
Selon le rapporteur du rapport LAMOUR : « l’offre de navires d’Etat à déconstruire…ne
justifie pas le développement d’une filière française spécifique mais peut s’envisager dans le
cadre d’une filière européenne de démantèlement au sein de laquelle la France à vocation à
participer ».
Les politiques sont explicites sur cette nécessité et en appellent à l’Europe, ainsi le 21 Mars
2006, Madame Michelle ALLIOT-MARIE déclarait sur Europe 1 : « il faut que les pays
européens déterminent le nombre de navires civils et militaires concernés…qu’ils trouvent
ensemble des règles communes ».
La promotion des droits humains et du développement durable est au cœur de la politique
étrangère de l’Union Européenne.
Les objectifs qui, ont été fixés, sont de développer et consolider la démocratie et l’Etat de
droit ainsi que les respect des droits humains et des libertés fondamentales (article 11 §2 du
Traité sur l’UE).
La politique communautaire vise à favoriser le développement économique et social durable
des pays en développement.
79
Rapport d’information sur le démantèlement des navires de guerre déposé par la Commission de la Défense
Nationale et des Forces Armées et présenté par Mme Lamour.
90
La Communauté et les Etats membres doivent respecter scrupuleusement les engagements
qu’ils ont pris dans le cadre des Nations Unies et autres organisations internationales
compétentes.
La Communauté doit prendre en compte les objectifs posés par l’article 177 du Traité UE.
Le bureau du Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies reconnaît, depuis
longtemps, comme question relevant des droits de l’Homme, le problème du rejet de déchets
toxiques, dans les pays en développement.
Selon l’étude menée par la Commission européenne 80 , l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique ne
disposent que de capacités limitées pour une démolition navale dans le respect de
l’environnement et de la sécurité.
Mais certains états membres de l’Union Européenne auraient des capacités dormantes comme
l’Espagne.
Les Etats devraient être encouragés à publier toutes les informations relatives aux installations
disponibles dans leur pays.
Le développement de la démolition navale dans le respect de l’environnement est possible.
Le développement de ces capacités est même une obligation, selon l’article 4.2 b de la
Convention de Bâle, c’est le principe d’auto suffisance.
Mais, il ne pourra avoir lieu que si des mesures légales ou financières sont prises.
Cela pourrait se traduire, outre la fin de méthodes de démantèlement scandaleuses, par la
création d’emplois dans l’Union Européenne.
Des mesures incitatives pour la création d’installations exemplaires seraient de bon augure.
Dans un premier temps, la Marine estimait que les publicités de marchés publics de
déconstruction montraient un désintéressement des industriels pour qui, le démantèlement des
grands navires ne semblaient pas intéresser.
Cependant, un revirement s’opère, les industriels semblent maintenant attentifs à cette
activité.
L’appel d’offres émis pour le démantèlement du Clémenceau nous montrera si cette tendance
se confirme.
80
Oil Phase Tanker Out and the Ship Scrapping Industry, 2004.
91
C).QUE DOIT FAIRE L’UNION EUROPÉENNE ?
Le nouvel instrument relatif au recyclage des navires fait l’objet de négociations au sein de
l’OMI.
Les Etats membres doivent s’opposer à l’instauration d’un régime qui consisterait à exempter
une puissante industrie de toute responsabilité :
•
l’Union Européenne doit contraindre l’OMI a adopter un régime instaurant un « degré
ce contrôle équivalent » comme le requiert la résolution VI/26de 2004 ;
•
S’il est question d’un niveau de contrôle équivalent et non identique ; celui-ci devra
néanmoins être conforme aux principes et obligations de Bâle ;
•
Respect du principe du « consentement préalable en connaissance de cause » ;
•
Obligation de réduire au minimum les mouvements transfrontières de déchets et de
procéder à un premier nettoyage dans le pays exportateur ;
•
Principe du partage de responsabilité entre l’Etat exportateur, l’Etat de transit et l’Etat
importateur ;
•
Garantir une gestion des déchets respectueuse de l’environnement et une transparence
sur la présence de matières dangereuse ;
L’Union Européenne doit également :
•
Oeuvrer pour que les Etats développent une capacité suffisante de recyclage de navires
dans le respect de l’environnement et de la sécurité des travailleurs ;
•
Interdire de confier des navires aux Etats n’ayant pas ratifié la Convention ;
•
Refuser les exemptions comme pour les navires d’Etat ;
•
Parvenir à une élimination progressive des substances toxiques utilisées dans la
construction navale si des substituts moins dangereux existent ;
•
Mettre en place un fonds alimenté par les propriétaires destiné à financer le prénettoyage avant le dernier voyage, indemniser les victimes d’accidents et de maladies
contractées du fait du non-respect du Traité, améliorer les conditions de travail ;
Mais, ce nouvel instrument de l’OMI entrera en vigueur tardivement pour faire face à l’afflux
des pétroliers monocoque. Sa ratification ne devrait pas intervenir avant 2008/2009.
92
L’Union Européenne doit veiller à ce que les mesures de protection de l’environnement marin
et de la sécurité comme les législations sur le retrait des pétroliers monocoques n’aient pas
pour unique effet de déplacer les problèmes vers les pays en développement.
L’UE a une obligation légale et morale de garantir l’application aux navires de la
réglementation sur l’expédition des déchets.
Le document d’orientation sur la stratégie de recyclage des navires publié récemment par le
ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA)
constitue un modèle très utile.
La consultation britannique préconise l’application dans l’immédiat et durant une période
intérimaire des contrôles, prévus par la Convention de Bâle.
La Commission européenne devra être chargée de surmonter les lacunes qui affaiblissent la
réglementation sur les déchets :
-
La manière d’établir l’existence d’une « intention de mise au rebut » ;
-
Déterminer si la responsabilité revient à l’Etat exportateur, à défaut quel est l’Etat qui
l’assume ?
A l’instar des Etats-Unis, qui s’interdisent toute délocalisation de leurs navires 81 à démanteler
en raison du programme Ship Disposal Project, l’Union Européenne se doit d’allouer des
ressources conséquentes, pour développer une filière de démantèlement et établir un système
de qualification des chantiers de démolition navale.
D) NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME URGENTE
Outre l’Union Européenne, c’est l’ensemble de la Communauté Internationale qui doit
s’engager dans cette démarche de démantèlement propre.
Afin d’y parvenir, une réforme doit être urgemment établie, d’autant plus que le vide
juridique est criant sur ce sujet.
81
A l’exception des quatre navires exportés vers le Royaume-Uni. Ces navires sont toujours au centre d’un
désaccord.
93
Le nouveau régime devra garantir une responsabilité partagée entre tous les acteurs de la
chaîne (du concepteur au démolisseur).
Les propriétaires de navires et les pays exportateurs devront être tenus de la bonne
manipulation des matériaux nocifs et explosifs.
Cette norme devra s’attacher à soumettre les propriétaires de chantiers et les administrations
locales, aux Conventions déjà en vigueur, à celles relatives au travail, à la sécurité, à la santé
et à l’environnement.
Un fonds pourrait être créé, pour soutenir l’amélioration des conditions de travail des ouvriers
et offrir une indemnité convenable aux éventuelles victimes et à leur famille.
La difficulté liée à ce fonds est évidemment son financement. Taxer les propriétaires de
bateaux et les gouvernements serait la solution la plus adaptée.
Le démantèlement propre passe aussi par un recyclage soigné des matières premières; c’est
pourquoi l’industrie navale et les pays développés sont appelés, à mettre en place un système
de certificats de dégazage, pour les bateaux en fin de vie en vue de prévenir les incendies et, à
procéder dans les pays exportateurs à un nettoyage des matériaux toxiques, amiante et autre.
L’établissement de registres quant aux maladies ou aux décès des ouvriers doit aussi être un
point impératif dans le projet de réforme. Ces registres doivent liés tout autant les
propriétaires de chantiers que les gouvernements où sont basés les chantiers de démolition.
Les Etats tels que l’Inde, le Bangladesh, la Chine, le Pakistan et même la Turquie doivent
s’engager à respecter les normes nationales et internationales relatives à la protection des
travailleurs et de l’environnement.
Les trois instances internationales (OIT, OMI et secrétariat de la Convention de Bâle)
travaillent sur un instrument juridique contraignant applicable au démantèlement.
Mais, l’entrée en vigueur d’une telle Convention est freinée par les enjeux économiques.
Espérons que l’affaire Clémenceau puisse accélérer ce processus.
Dans un élan d’optimisme, on peut imaginer qu’une fois le texte rédigé, la pression de la
Communauté Internationale poussera les Etats à respecter une norme quand bien même celleci ne serait pas encore en vigueur.
94
L’Europe et la France ont un rôle important à jouer dans ce dialogue qui oppose l’Occident à
l’Asie.
La mission est ardue : régler le problème du démantèlement dans des conditions
économiquement satisfaisantes pour les pays occidentaux et garantir la pérennité de
l’industrie pour les pays en développement (garantie de travail, promotion sociale,
amélioration des conditions de travail, de protection de l’environnement et de la santé).
Cette adéquation passe par des efforts conjoints, notamment des garanties environnementales,
un transfert de technologies comme pour le Clémenceau…
1. LA MISSION INTERMINISTERIELLE SUR LE DÉMANTELEMENT DES
NAVIRES (MIDN) ET LE PROJET DE REFORME
La Mission Interministérielle sur le Démantèlement des Navires (MIDN) a été nommée le 18
avril 2006.
Selon les conclusions de la MIDN, une solution générale à la problématique des navires en fin
de vie passera par une Convention, rédigée sous l’égide de l’Organisation Maritime
Internationale (OMI).
Un accord ne devrait, toutefois, pas voir le jour avant une dizaine d’année et, il devra
nécessiter des compromis, afin d’y rallier les grands pays « déconstructeurs » tels que le
Bangladesh ou l’Inde.
En attendant, les bâtiments militaires seront ferraillés en Europe.
Pour la France, ce sont entre trente et quarante unités de moyen ou gros tonnage qui sont
concernées.
Un certain nombre pourrait, néanmoins, faire l’objet de cessions afin de dégager des fonds
qui, permettraient d’alimenter une ligne budgétaire dédiée au démantèlement.
Financés par le ministère de la Défense, les crédits prévus s’élèveraient à une dizaine de
millions d’euros par an.
Dans le cadre de cette mission interministérielle, la Direction générale de l’armement travaille
sur un rapprochement des listes établies par l’OMI et la DGA sur les produits dangereux.
La MIDN s’est fixée les sujets de réflexion suivants :
95
2.
•
-identifier les contraintes des chantiers de démolition ;
•
-fixer les seuils autorisés de rejet ;
•
-identifier et localiser les substances dangereuses à bord des navires ;
•
-résoudre le traitement des déchets générés.
LE
LIVRE
VERT
SUR
L’AMÉLIORATION
DES
PRATIQUES
DE
DÉMANTELEMENT DES NAVIRES
Compte tenu des objectifs des programmes environnementaux européens et de la politique
commune des transports, visant à promouvoir des méthodes intègres et, à éviter un
déplacement des problèmes d’un endroit du monde à un autre, il est attendu de l’Europe
qu’elle contribue à remédier à la situation.
Face à la carence législative sur le démantèlement des vieux navires, la Commission
Européenne a mandaté un groupe de travail afin d’établir un bilan sur la démolition navale.
La rédaction du livret vert constitue une étape importante dans le processus communautaire
d’amélioration des conditions de travail des ouvriers des chantiers de démolition.
Ce passeport vert a pour objet « de répertorier, quantifier et localiser, pour chaque navire les
substances dangereuses susceptibles de s’y trouver ».
Le document de consultation, publié par la Commission, est le fruit d’une stratégie commune
engagée, depuis Avril 2006.
L’Union Européenne doit garantir un suivi adéquat pour s’assurer que les déchets issus de la
démolition ne soient pas simplement exportés vers des chantiers de démantèlement des pays
en développement.
Car ces pays ne disposent d’aucun moyen pour assurer un traitement des déchets dangereux.
Dans l’attente de la rédaction et de l’entrée en vigueur d’une Convention Internationale sur le
recyclage des navires, ce livret vert préconise une série d’actions envisageables au niveau de
l’Union Européenne.
96
« De nombreux navires originaires d’Europe et du monde entier sont démantelés en Asie du
Sud dans des conditions inadmissibles, à l’origine chaque année de centaines de morts et de
blessés et d’une pollution côtière préoccupante. L’UE a le devoir de prendre des mesures
visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs concernés et à réduire la pollution
occasionnée par ces activités. Il est urgent d’établir des règles internationales
contraignantes, mais dans l’attente d’une solution au niveau international, il convient que
l’UE s’attaque au problème posé par le démantèlement des navires de guerre et autres
navires d’Etat » énonce Stavros DIMAS, commissaire européen chargé de l’Environnement.
Cette consultation recueille les avis des institutions européennes et étatiques, des acteurs du
démantèlement et de l’opinion publique, sur les conséquences du démantèlement auprès des
travailleurs et de l’environnement.
Cette remise en question est ,d’autant plus indispensable, que le nombre de navires voués à la
déconstruction est appelé à croître dans les années à venir, notamment en raison de
l’introduction de normes plus contraignantes pour les pétroliers dans les eaux des Etats
membres.
Ce bilan constitue un problème majeur pour l’Union Européenne. Il lui est impossible de s’en
affranchir puisque près d’un navire sur trois bat pavillon d’un Etat membre.
L’exportation de déchets dangereux, à destination des pays en développement, est interdite
depuis le règlement communautaire sur les transferts de déchets, conformément à un
amendement de la Convention de Bâle, sur le contrôle des mouvements transfrontières adopté
sous l’égide des Nations Unies.
Mais, consciente des difficultés à rendre applicables les règles internationales à la démolition
navale et aux transferts de déchets, l’OMI travaille sur l’élaboration d’une Convention
contraignante spécifique au recyclage de navires selon des méthodes sûres et écologiquement
saines.
Ce livret vert n’émet aucune proposition concrète mais présente une série d’options destinées
à intensifier le dialogue entre les Etats membres.
Sur le long terme, le livre vert suggère que l’Union Européenne soutienne l’actuel projet de
réforme, mais préconise de renforcer le rôle dévolu à l’UE.
L’UE doit se positionner en tant que chef de file pour l’élaboration de cette norme.
Un point est sérieusement envisagé, il s’agit du régime de financement pour assurer un
démantèlement écologique.
97
La consultation prône l’établissement d’un « fonds de démantèlement des navires » alimenté
par des taxes prélevées sur le secteur des transports maritimes.
Sur le court terme, le livre vert exige une meilleure application du règlement sur le transfert
de déchets en intensifiant les contrôles dans les ports européens.
Une coopération, un échange systématique des informations entre les autorités, la publication
des orientations et d’une liste recensant les chantiers de démantèlement européen respectueux
des normes environnementales sont préconisés.
L’opportunité d’accorder des aides d’Etat ou des subventions communautaires aux futures
installations jugées écologiques est, toutefois, laissée ouverte et doit encore faire l’objet d’une
évaluation ; l’octroie de subventions étant un sujet délicat.
Ce livre vert est laissé à la disposition du grand public, des institutions européennes, des Etats
membres et extracommunautaires pour qu’ils fassent part de leurs commentaires, d‘ici le 30
septembre 2007.
Les responsables européens ne peuvent autoriser l’adoption par l’OMI d’un régime
minimaliste qui conviendrait à l’industrie maritime.
L’Europe risquerait de se retrouver dans la même situation que la France, avec le
Clémenceau, mais à une échelle autrement scandaleuse.
L’Europe, a en la matière tout à perdre en terme de crédibilité.
3. LE GROUPE DE NÉGOCIATION TRIPARTITE
Sous l’égide de l’OMI, de l’OIT et du secrétariat permanent de la Convention de Bâle, un
groupe de travail a été formé, pour permettre une meilleure articulation entre ces différentes
organisations internationales.
Sa mission consiste à affiner les solutions pour les points suivants : l’enregistrement des
navires destinés à la destruction, la création d’un mécanisme de contrôle, le nettoyage et la
préparation des navires, la promotion de pratiques préservant les risques d’accidents et de
maladies, un accord préalable entre les Etats, le rôle des différents Etats (du port, du pavillon
et du chantier), la gestion des risques sanitaires et environnementaux.
98
Ce groupe tripartite a, en outre, la lourde tâche d’identifier les lacunes, chevauchements et
divergences des normes applicables au démantèlement.
L’idée serait de parvenir à l’établissement d’un nouveau Traité et la création d’un Fonds
International pour le recyclage.
Mais, pour y parvenir, il faudra avant tout régler la question épineuse du financement de ce
fonds.
Les recommandations élaborées par ces trois institutions n’ont pas de caractères obligatoires,
cependant, elles n’en constituent pas moins des prescriptions intéressantes qui pourraient
servir de base au futur Traité.
L’OMI s’intéresse officiellement au recyclage des navires depuis 1998, par le biais de son
comité de la protection du milieu marin.
Les lignes directrices ont été adoptées dès 2003 par les Etats membres.
Un code établi par l’International Chamber of Shipping 82 préconise un suivi du navire de sa
construction à la fin de son exploitation, en maintenant à jour « un passeport vert » qui,
indiquerait les substances dangereuses utilisées à bord.
Une réflexion est aussi menée sur la préparation du navire avant son démantèlement :
dégazage, nettoyage des substances chimiques, localisation de matières dangereuses…
Et depuis 2005, le Comité de la protection du milieu marin a adopté une résolution pour
l’élaboration d’un nouvel instrument juridique d’ici 2008-2009 sur la construction,
l’exploitation et la préparation des navires selon des normes facilitant le recyclage.
Un encadrement du recyclage par un processus de certification des chantiers et des méthodes
protectrices de l’environnement est aussi envisagé.
La stricte application de la Convention de Bâle parait difficile d’où l’utilité des travaux menés
par le groupe tripartite.
82
L’International Chamber of Shipping est la structure mondiale des armateurs.
99
3.1. Le « passeport vert » de l’OMI
L’OMI désire introduire un « passeport vert » dans le monde maritime. Ce document établirait
une liste de tous les produits potentiellement dangereux utilisés dans la construction, pendant
l’exploitation et les réparations du navire.
Tel un véritable passeport, il suivrait le navire de sa construction jusqu’à son démantèlement,
pour justement que cette dernière opération soit effectuée sans risques.
Il serait divisé en trois parties : les matières dangereuses, les déchets produits pendant
l’exploitation du navire et les provisions de bord.
Ce « passeport vert » est tellement ambitieux qu’il risque de poser problème, notamment pour
les navires construits après la parution du passeport (la totalité de la flotte mondiale actuelle) ;
au niveau du secret dans le recours à tel ou tel matériau par les constructeurs, au niveau de la
sécurité maritime, il permettrait de localiser les zones sensibles du navire…
La solution serait alors la confidentialité de ce passeport.
Seuls, les armateurs pourraient en prendre connaissance, mais les ventes successives
rendraient cette confidentialité désuète.
100
Conclusion
Le démantèlement des navires en fin de vie est un sujet qui, ces dernières années, a pris une
place capitale dans le monde maritime.
Et ce, tout d’abord, à cause de l’insuffisance de règles dans ce domaine.
Le droit international, applicable au démantèlement des navires, reste à élaborer.
Aujourd’hui, aucun texte n’est approprié à la démolition navires.
Une réponse adaptée à ce problème mondiale serait donc souhaitable.
Quelque soit la réglementation envisagée, celle-ci doit être internationale et contraignante afin
qu’elle soit respectée par tous et ainsi, éviter toute distorsion de la concurrence.
Sans cela, l’instauration d’un nouveau cadre légal pourrait conduire les armateurs à choisir un
pavillon plus laxiste, qui leur permettraient de contourner la nouvelle norme sur le
démantèlement.
Contraindre les armateurs privés à un démantèlement propre peut se révéler très difficile, c’est
pourquoi les Etats doivent s’engager dans une démarche exemplaire pour les navires d’Etat.
L’Administration française s’était lancée dans cette démarche, avec le démantèlement du
Clemenceau.
Mais, les lobbying des associations écologistes et les médias auront mis à mal les intentions
françaises.
Loin d’être exempt de tous défauts, le projet de démolition de la coque Q 790 avait pour
mérite de mettre en œuvre de nouvelles pratiques.
Le démantèlement avorté du Clemenceau aura permis quelques avancées sur les chantiers
asiatiques.
Suite à la prise de conscience de la communauté internationale, des améliorations semblent
être envisagées à Alang, le Gujarat Pollution Control Board aurait dans les trois dernières
années ordonné la fermeture de quarante cinq chantiers pour violation des réglementations.
Un projet d’amélioration des installations est même à l’étude.
101
Le Gujarat Maritime Board s’efforce d’améliorer les conditions de vie des ouvriers : des
logements, des infrastructures dédiés à la formation et un hôpital sont en cours de
construction.
De plus, les équipements achetés dans le cadre du démantèlement du Clemenceau (unité de
traitement de l’amiante, équipements de protection …) sont maintenant utilisés sur certains
chantiers, les ouvriers sont dorénavant à même de comprendre qu’il leur est nécessaire de se
protéger des substances dangereuses qu’ils manipulent.
Autre amélioration notable : la création d’un site d’enfouissement des déchets, à Alang même,
conformément aux normes internationales.
Et hormis ces évolutions, la démolition du Clemenceau semble avoir agi comme un
révélateur.
L’opinion publique et les instances internationales ont pu, au travers de cette affaire, être
sensibilisées aux conditions de travail sur les chantiers de démolition.
Il est intéressant de constater la disparité entre les méthodes employées pour le
démantèlement des navires en fin de vie et les prouesses techniques dont l’homme est
capable.
Les outils utilisés sur les chantiers sont rudimentaires alors que, des technologies novatrices
ont fait leur preuve dans des conditions extrêmement difficiles, à savoir le découpage du sousmarin Tricolor (190 mètres de long).
Ce submersible avait coulé à la suite d’une collision, au large de Dunkerque, en décembre
2002.
Il a été découpé en plusieurs rondelles, grâce à des câbles abrasifs. Chacune de ces rondelles
avait ensuite été remontées à la surface pour finalement être recyclées dans un chantier
classique aux Pays-Bas.
Ce type d’opérations, déjà réalisé aux Etats-Unis, n’est possible que grâce à un financement
conséquent. En l’espèce, l’armateur Wallenius Wilhelmsen et ses assureurs avaient consenti à
réparer le dommage.
C’est donc bien d’un fonds de financement dont il s’agit pour parvenir à un démantèlement
plus respectueux des normes environnementales et sanitaires.
La future Convention internationale devra intégrer ce paramètre financier, sous peine d’être
inappliquée.
102
Tout l’enjeu de cette norme sera de réaliser un compromis entre les prétentions financières
des armateurs et les minima sociaux et environnementaux.
A défaut, les armateurs continueraient de céder leur navire en fin de vie aux chantiers les plus
compétitifs, qui s’affranchiraient de toute réglementation.
Et, les atteintes à l’environnement et à la santé perdureraient.
Outre les problèmes liés aux risques pour la santé se posent des difficultés propres à la gestion
des déchets issus de la démolition comme la reconnaissance d’une substance, la détermination
d’un seuil de tri à retenir ou encore la possibilité de confier la gestion des déchets à une filière
de traitement.
Les recommandations publiées par les Institutions mondiale et européenne laissent entrevoir
le futur cadre normatif de la démolition navale.
Celui-ci serait d’ailleurs conforme voire inférieur aux méthodes prévues pour le
démantèlement de la coque Q 790, notamment en ce qui concerne les opérations de pré
désamiantage. Preuve là encore, que le projet initié par les autorités françaises devait être un
préalable à une nouvelle ère.
Il aurait, en outre, était le précurseur pour des méthodes de démantèlement plus propres, et
aurait pu contraindre les autres Etats à suivre cet exemple.
Les solutions mises en œuvre dans un premier temps pour les navires d’Etat auraient ensuite
pu être adaptés à l’ensemble du secteur maritime.
Une filière de déconstruction française s’impose mais, seulement pour les Bateaux de
Plaisance Hors d’Usage, la création pour les navires de gros tonnage ne serait pas rentable.
Compte tenu du volume prévisible de navires européens à démanteler, la viabilité d’une filière
de déconstruction européenne parait, quant à elle assurée pour les navires militaires et civils
moyens.
Pour les navires de gros tonnage, la solution asiatique semble la plus adaptée, mais cela
suppose un partenariat entre les pays exportateur et importateur ; ainsi que l’édification d’une
norme internationale et des moyens importants pour imposer les standards d’une
déconstruction réglementée.
Le processus de réforme est lent, raison pour laquelle, la certification des chantiers asiatiques
pourrait être une réponse rapide avant l’entrée en vigueur d’une Convention.
103
Des dizaines de navires civils ou militaires croupissent dans les ports, conséquence du
manque d’installations de démolition de navires en Europe. Depuis longtemps, ce type
d’industries a disparu, pourtant de nombreux indicateurs attestent d’un besoin européen réel.
Les quelques installations existantes en Europe ou aux Etats-Unis ne sont pas adaptées au
démantèlement des navires de commerce à grande capacité.
Quand bien même ils le seraient, les actions judiciaires engagées par les Associations
écologistes occidentales freineraient cette activité.
En témoigne le blocage des quatre navires de la Marine US envoyés en 2003 sur le chantier
Able UK à Hartlepool au Royaume-Uni 83 .
L’affaire du Clémenceau met aussi en lumière les conditions de travail déplorables qui
prévalent sur les chantiers de démolition basés dans les pays du Sud.
Les Etats importateurs et exportateurs de navires en fin de vie, les institutions internationales
(l’OIT notamment), doivent utiliser cette opportunité pour améliorer très significativement les
conditions de travail et soutenir les syndicats de travailleurs dans ces pays.
Le Royaume-Uni s’est positionné en précurseur en publiant un rapport, dès 2004, qui définit
les principes directeurs du démantèlement. En attendant la création d’une filière anglosaxonne, le gouvernement britannique stocke ses navires en fin de vie au cimetière marin de
Fareham Creek près de Portsmouth.
Les Pays-Bas souhaite un soutient financier des armateurs et des institutions européennes à
hauteur de soixante cinq millions d’Euros, pour créer une filière néerlandaise de
déconstruction.
La Norvège collabore activement avec l’OMI et le secrétariat de la Convention de Bâle pour
la rédaction d’une norme internationale contraignante.
En Allemagne, les navires de guerre sont désarmés et parfois désamiantés, puis ils sont
ensuite exportés en tant que déchets à recycler vers les pays asiatiques.
L’Espagne envoie ses navires en fin de vie dans les pays asiatiques ou en Turquie, ces navires
ne sont pas considérés comme des déchets, et de ce fait, échappent à la législation espagnole
sur l’environnement.
83
L’agence de l’environnement britannique sous la pression médiatique est désireuse de revoir sa position quant
à l’autorisation qu’elle avait accordée pour ces quatre navires.
104
La Pologne n’a pas entrepris de réflexion sur la fin de vie des navires ; la récente déconvenue
pour le démantèlement d’un paquebot néerlandais va peut-être l’amener à se soucier de ce
problème.
L’Italie n’a pas de politique claire en la matière, le navire de guerre peut lorsqu’il renferme de
l’amiante être soit qualifié de déchet, soit d’épave.
Quant à la France, elle a franchi une première étape, en engageant une réflexion sur la
déconstruction navale et en mandatant une mission interministérielle sur la déconstruction
navale (MIND).
Par contre, pour ce qui est des intentions françaises, concernant le démantèlement du
Clemenceau, du fait de l’inhabilité de l’Administration, elles auront toutes été vaines.
105
106
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 ....................................................................................................................................II
Réglementation relative aux déchets
Article L541-1 Code de l’environnement
Loi n°2003-591 du 2 juillet 2003 art.31 III 19°JO du 3 juillet 2003
Annexe 2 .................................................................................................................................. IV
Application de la convention de Bâle sur les navires en fin de vie,
Question écrite n° 15121 de Madame Christiane DEMONTES, publiée dans le JO du 16
décembre 2004
Réponse du Ministère de l’écologie et du développement durable, publiée dans le JO du 19
mai 2005
Annexe 3 .................................................................................................................................. VI
Plaquette sur le programme BPHU (Bateaux de Plaisance Hors d'Usage)
La Fédération des industries nautiques (FIN) s'est engagée dans la création et la promotion
d'une filière organisée de déconstruction des bateaux de plaisance
Annexe 4 .................................................................................................................................. XI
Localisation d’Alang, ville côtière de l’Etat de Gujarat en Inde
Annexe 5 ............................................................................................................................... XIII
Localisation de Chittagong au Bangladesh
Annexe 6 .................................................................................................................................XV
« Le Clém, démolition exemplaire », article rédigé par Monsieur Francis VALLAT,
armateur et président de L’institut français de la Mer (IFM).
Cet article est paru dans le Monde n°18997 du 21 février 2006
Annexe 7 .............................................................................................................................XVIII
Extrait de l’inventaire des navires partis à la démolition
Source : association française de protection de l’Homme et l’environnement « les Robins des
Bois »
Annexe 8 ............................................................................................................................... XXI
Décision du Conseil d’Etat : il suspend l'exportation vers l'Inde de la coque de l'exporte-avions Clémenceau
Section du contentieux - 6ème et 1ère sous-sections réunies, Séance du 13 février 2006 Lecture du 15 février 2006 No 288801 - 288811 ASSOCIATION BAN ASBESTOS
FRANCE et autres
107
BIBLIOGRAPHIE
LES OUVRAGES
BONNASSIES Pierre et SCAPEL Christian, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006
DU PONTAVICE Emmanuel, le statut des navires, LITEC, 1976
STAMMERS Michael, End of voyages,the afterlife of a ship, Tempus Publishing, 2004
VIALARD Antoine, Droit maritime, édition PUF, 1997
LES REVUES
Revue Pour la Science, revue internationale d'information scientifique et technique
Question ouverte : « quelle retraite pour le Clémenceau », Revue n° 342, 13 mars 2006
Revue maritime de l’Institut Français de la Mer
L’Institut Français de la Mer (IFM) a pour objectif de sensibiliser les Français au rôle
fondamental de la mer dans tous les domaines et d’œuvrer par tous moyens au développement
des activités maritimes de la France. Les domaines concernés relèvent de l’économie, de la
défense, du droit, des sciences et techniques, de la culture, des loisirs et de l’histoire maritime
et de la géographie de la mer.
« Le Clém, démolition exemplaire », article rédigé par Monsieur Francis VALLAT,
armateur et président de L’institut français de la Mer (IFM).
Cet article est paru dans le Monde n°18997 du 21 février 2006
Revue le Marin, journal du 3 février 2006
Revue du Droit Maritime Français, DMF n°670, mai 2006
LES SITES INTERNET ET ARTICLES EN LIGNE
www.meretmarine.com
Site Internet consacré à toute l’actualité maritime (construction navale, marine marchande,
marine nationale, pêche, croisières, événements, nautisme, ports...)
Article : « 33 navires envoyés à la casse en moins d’un mois et demi en Inde et au
Bangladesh », 19 avril 2006
Article : « première rencontre européenne sur le démantèlement des navires », 29 mai
2006
http://www.greenpeace.org/france/
Site Internet de Greenpeace, association internationale non violente de défense de
l'environnement, qui dénonce les urgences écologiques et agit pour protéger la planète.
108
Cette organisation a but non-lucratif présente dans 40 pays, en Europe, en Amérique du Sud et
du Nord, en Asie et dans le Pacifique, s'intéresse aux problèmes écologiques les plus critiques
à l'échelle planétaire comme par exemple la protection des océans.
Article : « les ministères des transports européens doivent s’engager pour une démolition
navale propre », 21 avril 2005
www.fidh.org
La FIDH (Fédération Internationale des Droits l’Homme) est une organisation nongouvernementale fédérative dont la vocation est d’agir concrètement pour le respect de tous
les droits humains.
Elle s’appuie sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme, et sur les autres
instruments internationaux de protection de ces droits.
www.dismantling-business.homelinux.com
Ce site a été crée par des Etudiantes en première année de Master d’océanographie à
l’Université Bordeaux 1. Ce site se base sur un ensemble de rapports, articles, sites Internet
traitant du problème des « cargos poubelles »
www.sénat.fr
Site Internet du Sénat
www.marseamer.fr
Site Internet Mar, Sea et Mer se présente sous forme de magazine consacré exclusivement à la
mer.
Plusieurs rubriques y sont proposées : les brèves du jour, l’actualité de la mer, diaporama
d’œuvres marines, articles sur l’environnement et la société, dossiers sur tous les sports
nautiques et de plage, et documents sur les plaisirs liés à la mer.
Article : « la gestion de la plaisance devra s’inscrire dans une logique de développement
durable », rubrique News, Economie, 29 mars 2006
www.defense.gouv.fr
Site Internet du ministère de la défense de la république française
Dossier : « ex-Clemenceau : quel cap pour les bateaux en fin de vie », 19 mai 2006
www.clicanoo.com
Le journal de l’île de la réunion
Article : « couler le Clemenceau en baie de Saint-Paul : le dossier avance », 15 avril 2007
www.journaldelenvironnement.net
Le journal de l’environnement est un quotidien électronique gratuit destiné à informer les
professionnels (notamment entreprises et collectivités locales) de l'actualité internationale,
européenne et nationale en Environnement, Sécurité et Santé
Article : « Démantèlement des navires : la France prend position », 06 avril 2007
www.legifrance.gouv.fr
Site Légifrance : service public de diffusion du droit
Mise en ligne de l’actualité juridique.
109
www.fin.fr
Site Internet de la Fédération des industries nautiques. La FIN a pour missions principales de
défendre, représenter et promouvoir tous les métiers du secteur nautique français, sur le
territoire national et à l’étranger.
Elle apporte conseils et soutien à ses adhérents sur le plan juridique, social, économique et
technique. Elle a également un rôle d’information auprès du grand public, notamment pour ce
qui concerne l’évolution des tendances du marché, mais aussi de tous les événements qui
contribuent au développement et à la pratique des activités nautiques.
Dossier : présentation du programme BPHU
www.robindesbois.org
Site Internet de l’association française « Robin des Bois », association de protection de
l’environnement. Elle se fonde sur la documentation, l’information, l’observation, la
concertation, l’intervention et la non-violence. Elle a pour mission de à protéger l’Homme et
l’environnement. Elle s’intéresse aux conditions de travail et de vie sur des lieux aussi divers
que les cargos et les friches industrielles polluées.
Ce site met en ligne des Bulletins d'information sur la démolition des navires
www.assemblee-nationale.fr
Rapport d’information de Madame Marguerite LAMOUR déposé en application de l’article
145 du règlement par la commission de la défense nationale et des forces armées sur le
démantèlement des navires de guerre
110
TABLE DES MATIERES
Introduction ................................................................................................................................ 5
Table des abréviations................................................................................................................ 3
PARTIE 1 :
LES DIFFERENTS ASPECTS JURIDIQUES DU DÉMANTÈLEMENT
I) REGIME JURIDIQUE DU DEMANTÈLEMENT DES NAVIRES............................. 11
A) Définition juridique du navire ......................................................................................... 11
1. Le navire, un bien meuble .............................................................................................. 12
2. Le navire, un bien immeuble.......................................................................................... 13
3. Le navire, une personne ................................................................................................. 13
B) La perte de la qualité de navire........................................................................................ 14
1. La volonté du propriétaire .............................................................................................. 14
C) La qualification juridique de déchet ............................................................................... 16
1. le statut des navires et le statut des déchets.................................................................... 16
2. Le non respect de la Convention de Bâle ....................................................................... 21
D) Normes impératives applicables aux navires en matière de démantèlement .............. 24
1. L’incidence des législations nouvelles ........................................................................... 24
2. L’absence de réflexion sur les répercussions de ces normes communautaires .............. 25
3. L’augmentation des navires démolis.............................................................................. 28
II) LES REGIMES PARTICULIERS.................................................................................. 29
A) Les bateaux de plaisance hors d’usage, les BPHU ......................................................... 30
B) L’Etat et le démantèlement .............................................................................................. 33
1. Les navires militaires ..................................................................................................... 35
2. Le Clémenceau, une grande hypocrisie ?....................................................................... 36
2.1. Les périples du Clémenceau.................................................................................. 36
2.2. L’étape toulonnaise ............................................................................................... 38
2.3. Le choix du chantier de démolition ....................................................................... 39
2.4. Une démarche unique............................................................................................ 41
2.5. L’épilogue Clémenceau......................................................................................... 43
3. Le Clémenceau et le droit............................................................................................... 43
3.1. Les répercussions du dossier Clémenceau............................................................ 43
3.2. Le Clémenceau dans le vide … juridique.............................................................. 44
3.3. Les déficiences du dossier Q 790 .......................................................................... 46
3.4. Un démantèlement injustement décrié ? ................................................................ 48
3.5. Le démantèlement du Clémenceau condamnable d’un point de vue sanitaire ..... 51
3.6. L’avenir du Clémenceau ....................................................................................... 53
111
PARTIE 2 :
DÉFIS ET PROBLÈMES LIÉS À LA DÉCONSTRUCTION
I) MÉTHODES DE DÉMANTÈLEMENT ET NORMES ENVIRONNEMENTALES
ET SOCIALES ....................................................................................................................... 58
A) Les étapes du démantèlement .......................................................................................... 58
B) Un défi environnemental .................................................................................................. 61
1 L’impact des chantiers de déconstruction sur la nature .................................................. 62
2 Organiser les filières de démantèlement dans une logique de développement durable .. 67
3 La protection de l’environnement marin......................................................................... 68
C) La sécurité des travailleurs .............................................................................................. 69
1. Les chantiers asiatiques.................................................................................................. 73
2. L’organisation du travail sur les chantiers ..................................................................... 76
D) Vers une plus grande sécurité maritime ......................................................................... 77
II) VOLET ECONOMIQUE................................................................................................. 79
A) Localisation et fonctionnement des cimetières marins .................................................. 80
1. Une justification évidemment économique....................................................................... 80
2. La typologie des plages ..................................................................................................... 81
B) Répartition des navires démolis ....................................................................................... 82
1. Les différentes catégories de navires ................................................................................ 82
2. Les zones géographiques d’implantations des chantiers................................................... 82
C) Inventaire des navires vendus aux chantiers.................................................................. 83
D) Côtes des matières premières........................................................................................... 84
III) DEFIS DU RECYCLAGE DES NAVIRES .................................................................. 86
A) Le devenir des parties du navire démantelé ................................................................... 86
B) Une démolition européenne propre, une utopie ? .......................................................... 87
C) Que doit faire l’Union Européenne ? .............................................................................. 91
D) Nécessité d’une réforme urgente ..................................................................................... 92
1. La Mission Interministérielle sur le Démantèlement des Navires et le projet de réforme 94
2. Le livre vert sur l’amélioration des pratiques de démantèlement des navires .................. 95
3. Le groupe de négociation tripartite ................................................................................... 97
3.1. Le « passeport vert » de l’OMI ................................................................................... 99
Conclusion.............................................................................................................................. 100
Table des Annexes ................................................................................................................. 106
112