L`héritage d`Alfred Nobel - Le testament à l`origine des prix

Transcription

L`héritage d`Alfred Nobel - Le testament à l`origine des prix
INTRODUCTION
Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la mort d’Alfred
Nobel le 10 décembre 1896 à San Remo. Au début de l’année
1897, l’opinion a été saisie de surprise, aussi bien en Suède
qu’à l’étranger, par la publication du testament, dans lequel il
donnait la plus grande partie de sa fortune à un fonds, dont
les intérêts annuels devaient « chaque année être attribués
sous forme de prix à la personne qui, au cours de l’année
écoulée, aura accompli l’œuvre la plus utile à l’humanité ».
Le message concernant les dispositions du testament, leur
objectif peu commun, leur forme partiellement incomplète,
provoquèrent la plus grande sensation, mais rencontrèrent
bientôt scepticisme et critiques, qui se tournèrent même contre le donateur, en raison de son caractère « si peu patriotique ». Ce n’est qu’après quatre ans de travaux et de combats,
souvent assez rudes, et après que de nombreux obstacles aient
été contournés ou surmontés, que les grandes lignes du testament ont pu prendre forme et la fondation Nobel se constituer. C’est la loi du 20 juin 1900 qui a fixé les statuts de la
fondation et les dispositions particulières concernant les insti11
tutions qui attribuent les prix et les modalités d’exercice de
leurs activités.
Aujourd’hui, les critiques contre l’idée même des prix et
contre Alfred Nobel se sont tues. La distribution des prix est
plutôt considérée comme un événement annuel d’importance nationale et la mission de choisir le lauréat en physique,
chimie, médecine et littérature, c’est-à-dire tous, sauf le prix
de la paix, ainsi que tout le travail de la fondation, est considéré comme un formidable atout national destiné à rehausser
le prestige de la Suède comme terre de culture. Et rehausser
l’intérêt et l’estime pour la personnalité d’Alfred Nobel, aussi
bien en Suède qu’à l’international.
Ceux qui faisaient partie de la génération d’Alfred Nobel,
nés dans la première moitié du XIXe siècle et qui lui étaient
proches, sont maintenant morts. Parmi ceux qui sont nés
après et eu l’occasion d’approcher le grand inventeur et
l’idéaliste et pourraient contribuer à compléter l’image du
disparu, peu sont encore en vie.
Une description approfondie et compréhensive de l’homme Alfred Nobel a déjà été donnée par le professeur Henrik
Schück dans le grand livre de souvenirs publié par la fondation Nobel en 1926, auquel l’auteur de ces lignes a contribué
avec le récit de ses activités et de sa vie.
Pour des raisons qui seront développées plus loin, j’ai
estimé être habilité à tenter de compléter l’image de sa personnalité et à décrire l’origine de son testament et de ses dispositions si mal accueillies au début.
Au cours des trois dernières années de la vie d’Alfred
Nobel, j’ai été en contact quotidien avec lui en tant que son
assistant privé, en partie par une collaboration directe, en partie par une correspondance assez considérable, surtout dans
l’élaboration expérimentale de ses inventions.
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Par une disposition du testament dont je n’eus connaissance qu’après sa mort, j’ai été désigné comme l’un des deux exécutants testamentaires, chargé de réaliser sa succession et
prendre les mesures nécessaires pour respecter ses dernières
volontés. Nobel avait prévu que je serais responsable de la plus
grande partie de la tâche – une mission que je m’estimais difficilement capable de maîtriser, compte tenu de mon jeune
âge et de mon peu de connaissances des questions économiques et juridiques. Et pourtant, j’ai pu prendre une part active
dans la liquidation des intérêts économiques d’Alfred Nobel
dans les différents pays, avec toutes les complications et les
conflits liés au testament, à commencer par le différend sur sa
légitimité, contestée par certains membres de sa famille.
Finalement, j’ai participé à de longues négociations avec
des représentants des institutions attribuant les prix et à la
création des comités indispensables aux statuts de base de la
fondation.
Ce travail m’a conduit à lire l’abondante correspondance
de Nobel conservée dans ses livres et à prendre connaissance
de ses archives privées. Au cours de ces derniers temps, j’ai dû
me plonger dans une partie de sa correspondance privée, ce
dont je n’ai pas pu faire état à l’époque en raison de la présence de personnes vivantes concernées. J’ai ainsi obtenu une
image plus complète et plus claire des circonstances ayant
amené Alfred Nobel au contenu de ce testament. Je pense
aussi avoir acquis une image plus diversifiée de son psychisme
et de son monde affectif.
Un récit de ce que j’ai découvert devrait pouvoir intéresser
ceux qui aujourd’hui et demain gravitent autour de la fondation Nobel. J’ai en tous cas ressenti comme un devoir d’écrire
un résumé du combat mené pour l’application de ce testa13
ment. Ce récit est également un gage de reconnaissance envers les hommes aujourd’hui disparus, qui ont contribué de
diverses manières à la réalisation des pensées d’Alfred Nobel,
fait confiance au jeune homme sans expérience que j’étais et
m’ont permis de mener à bien cette mission si délicate.
Même si ce récit est en grande partie basé sur la correspondance et les documents rangés dans les archives de la fondation, beaucoup provient aussi de mes souvenirs personnels.
Il est donc inévitable que la présentation ait un caractère subjectif et soit écrite à la première personne.
Je m’efforcerai cependant d’être le plus objectif possible.