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DISCOURS D’OUVERTURE
REUNION NATIONALE 2014 DES IATICE LV
Caroline PASCAL, Doyen de l’Inspection générale
J’introduirai mon propos par cette phrase de Serge Tisseron : « L’introduction des
technologies numériques à l’école, ce n’est pas seulement faire les mêmes choses d’une autre
manière, mais c’est une manière de repenser tout l’enseignement. » Il s’agit d’un point de
départ capital et d’une prise de conscience dont on voit aujourd’hui la traduction concrète
dans la politique ministérielle, à travers la mise en place d’une direction du numérique au sein
du ministère, mais aussi à travers l’accent porté dans les travaux de l’inspection générale sur
le suivi du numérique (axe 2). Cet axe s’intéressant particulièrement aux éléments suivants :
- les modes d’apprentissage et des contenus pédagogiques
- la relation pédagogique
- les pratiques d’évaluation
L’introduction du numérique entraîne une modification de ces trois champs et je commencerai
par un double exemple qui n’a rien de marginal.
Le nouveau format des concours de recrutement des enseignants pour la session 2014
témoigne ainsi de l’évolution des pratiques d’évaluation, car l’épreuve orale s’appuiera d’une
part sur une compréhension de l’oral et d’autre part sur l’évaluation ou le diagnostic d’une
production d’élève écrite ou orale. Il s’agit d’une révolution, car l’introduction de cette
production orale de l’élève n’est rendue possible que grâce au numérique. Le recrutement des
enseignants, et par conséquent leur formation, vont s’en voir profondément modifiés. Un autre
exemple est celui de l’introduction de l’épreuve de compréhension de l’oral au baccalauréat,
que vous avez sûrement dû accompagner en raison de vos compétences numériques et qui a
permis aux enseignants de se familiariser avec le traitement de fichiers audio : en les
sélectionnant, les modifiant, les sauvegardant et en les diffusant. Ces modifications ont
considérablement modifié le travail des professeurs de langues vivantes.
En ce qui concerne les modes d’apprentissage et les contenus pédagogiques, je reprendrai les
paroles de Michel Pérez, inspecteur général de langues vivantes, qui évoque une modification
de ces modalités selon quatre axes :
- ce que l’on apprend : le numérique a permis l’introduction de la langue authentique
dans le cours de langues vivantes. Auparavant, celui-ci préparait la rencontre avec
l’autre dans la perspective, au pire d’une future relation à l’âge adulte ou au mieux
dans le cadre d’un échange scolaire avec l’étranger. Les documents authentiques, ainsi
que les échanges numériques (etwinning) permettent désormais un contact immédiat
avec l’autre, avec l’étranger dont on apprend la langue.
- comment on l’apprend : le numérique rend l’apprentissage plus actif, en particulier
dans le cadre de la pédagogie de projet.
- où l’on apprend et quand où apprend : l’élève ne se contente pas d’apprendre en cours.
La baladodiffusion, l’ENT et la mise à disposition de documents authentiques
favorisent son immersion dans la langue étrangère au-delà de ses quelques heures de
cours.
J’ajouterai à ces axes un aspect fondamental, à savoir celui de la valorisation des
productions écrites ou orales des élèves par leur diffusion via les sites d’établissements ou
l’ENT. Cette diffusion permet une mise en valeur du travail de l’élève ainsi qu’une mise
en avant des langues enseignées dans l’établissement.
Cependant, il convient de s’interroger sur la plus-value de ces transformations. Il ne suffit
pas d’utiliser le numérique, mais surtout de se demander pourquoi et comment le
numérique contribue à faire progresser les élèves. En effet, le numérique doit être pensé
au service de la pédagogie et non le contraire. Il faut rappeler que le numérique au service
d’un enseignement traditionnel frontal n’a en soi aucun intérêt. En effet, il s’agit
d’introduire avec le numérique, un rapport plus « interactif » à la construction des
compétences et des connaissances. Il s’agit pour l’élève de développer des savoir-faire et
d’acquérir des connaissances, et dans ce domaine le numérique ouvre des champs infinis
dans les relations au savoir et l’exploration du monde, qui vont très au-delà de la simple
utilisation d’un outil technique.
On s’éloigne alors de l’éducation par le numérique pour accéder à l’éducation au
numérique. Car enseigner le numérique c’est également enseigner à sélectionner, à trier, à
hiérarchiser la masse d’informations à laquelle les élèves sont confrontés. Autrefois, ce tri
et cette sélection étaient déjà opérés par les documentalistes et les CDI, mais aujourd’hui
l’accès à l’Internet dans l’établissement permet un accès complètement ouvert et sans
limites à l’information. A l’enseignant d’enseigner quoi et où chercher, d’enseigner la
mise à distance de certaines informations, de repérer et d’analyser les sources de cette
information.
Tout cela contribue surtout à construire l’autonomie de l’élève, -et en corollaire la relation
pédagogique qui l’unit au professeur-, à modifier son travail personnel, mais aussi à lui
permettre de pratiquer une forme d’autoévaluation (en baladodiffusion, il peut se
réécouter effacer, recommencer) et d’autocorrection. Nous pourrions ainsi nous inspirer
des professeurs de lettres qui utilisent les logiciels d’écriture favorisant l’amélioration des
compétences de l’expression écrite, point faible de nos élèves en langues vivantes.
Je citerai comme exemple de l’apport du numérique dans l’autocorrection, celui d’un
enseignant de La Réunion auquel j’ai rendu visite et qui filme les prestations orales non
préparées de ces élèves afin qu’ils puissent les analyser une semaine plus tard avec
l’assistante de langue. Cette reprise est très formatrice, car plus tardive qu’une correction
immédiate du professeur qui le plus souvent n’est guère écoutée par l’élève, celui-ci étant
encore soumis au stress de ce type d’exercices. De plus, le professeur m’a assuré qu’aucun
élève n’a jamais refusé de participer à cette pratique et qu’aucun d’entre eux ne se moque
de leurs camarades lors du visionnage en commun des prestations ; ceci étant sûrement à
mettre en relation avec l’évolution du rapport à l’image de soi induit par les habitudes
numériques des élèves (réseaux sociaux). Cette pratique du collègue induit une
modification des relations pédagogiques, en effet l’axe d’apprentissage ne se compose
plus d’une relation descendante professeur-élève, ni d’une relation focalisée sur l’élève,
mais plutôt d’une relation d’échange grâce à laquelle se construit la formation et
l’apprentissage.
Le numérique est donc au cœur des pédagogies d’aujourd’hui: pédagogie de projet, école
inversée, et permet une réflexion approfondie sur ces pratiques que les professeurs de
langues vivantes ont déjà en partie mises en œuvre et dont ils peuvent par conséquent tirer
les premiers bilans. En effet, nous sommes conscients en langues vivantes qu’une mise en
activité de l’élève est efficace, mais qu’elle ne peut pas faire l’économie des
apprentissages des savoirs et des connaissances : on ne construit pas que des compétences.
Sinon, on aboutit à une dérive qui exclut toute progression : en effet, le passage au niveau
A2 reste plutôt aisé, mais un blocage s’opère par la suite et entrave l’acquisition des
niveaux B1 et B2. Si la pédagogie est uniquement orientée vers une tâche, objectif ultime
de la séquence mais sans construction d’apprentissages, elle tend à multiplier les
documents survolés en cours qui ne sont que des prétextes et ce défaut d’exploitation
n’enrichit ni le lexique ni la syntaxe.
Le dernier aspect du changement qu’il convient de noter n’est plus centré autour de
l’élève mais du professeur, c’est celui de la mutualisation. Le numérique est souvent
critiqué en raison de l’isolement face à l’écran qu’il induit. Or, on remarque qu’au
contraire il stimule la coopération, la mutualisation, les échanges et l’interrogation
immédiate, il encourage la formation et l’information continue. Cette lutte contre
l’isolement est devenue primordiale pour les professeurs de langues rares souvent seuls
dans leur établissement, voire dans leur bassin, ainsi que pour les professeurs enseignant
dans des zones géographiques difficiles d’accès. Les épreuves de compréhension de l’oral
au baccalauréat ont révélé ce besoin de rapprochement et ont créé une dynamique dans ce
sens.
Pour conclure, je rappellerai deux chiffres : en 2002, 48% des professeurs étaient réservés
sur les apports du numérique, en 2012 ils n’étaient plus que 7%. Dans l’opinion publique,
on remarque également un plébiscite pour le numérique à l’école (91% des personnes
interrogées). On peut donc remarquer une unanimité chez tous pour le numérique et un
rapport de moins en moins ambigu avec ces outils. C’est une chance pour nous et une
raison de se montrer optimiste.