Des bijoux mérovingiens analysés au cyclotron
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Des bijoux mérovingiens analysés au cyclotron
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Des bijoux mérovingiens analysés au cyclotron 27/03/09 La nécropole mérovingienne de Grez-Doiceau contenait de nombreux bijoux, dont beaucoup étaient ornés de grenats. Leur provenance a pu être déterminée grâce à des analyses par faisceaux d'ions pratiquées au cyclotron de l'ULg. Avant l'ouverture du chantier qui visait à prolonger la route RN25 à Grez-Doiceau dans le Brabant wallon, le Service d'Archéologie du Ministère de la Région Wallonne et l'asbl «Recherches et prospections archéologiques en Wallonie» ont été dépêchés sur place pour entreprendre une fouille archéologique préventive du site. C'est ainsi qu'en 2002 a été mise au jour l'une des plus grandes nécropoles mérovingiennes répertoriées en Belgique. Le site de Grez-Doiceau compte plus de 400 tombes, parmi lesquelles plusieurs appartiennent à la plus haute aristocratie locale . Très fourni, le site a livré de nombreux bijoux, armes, outils et récipients en céramique, verre ou métal. Il témoigne e e aussi d'une longue période d'occupation qui s'étend de la fin du 5 siècle jusqu'au début du 7 siècle, couvrant ainsi la majeure partie de l'époque mérovingienne. Dans un premier temps, l'archéologue responsable de la fouille du site, Olivier Vrielynck, confie au physicien François Mathis, du Centre Européen d'Archéométrie de l'ULg, l'étude de la composition de pièces d'or trouvées sur le site. Ces analyses, réalisées avec le cyclotron de l'ULg, ont permis d'affiner ou de confirmer © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège leur datation parallèle par la numismatique. En effet, la détermination de la composition d'une pièce et, en particulier, la proportion d'or qu'elle contient contribuent à son identification et à sa datation. Au fil des discussions entre le physicien et l'archéologue naît l'idée d'étudier la composition chimique des nombreux grenats contenus dans les bijoux du site de Grez-Doiceau. Ces pierres rouges semi-précieuses étaient très utilisées à l'époque mérovingienne pour faire des bijoux cloisonnés, typiques de l'époque : les pierres finement taillées étaient insérées dans de petites cavités en métal. Ce style oriental a été diffusé dans nos contrées à l'époque des invasions barbares. «Ce style de bijou nécessite un apport constant en pierres, explique François Mathis. On ne pouvait pas réutiliser les pierres puisque les bijoux étaient enterrés avec leur propriétaire. Ce réapprovisionnement en grenat constituait à l'époque un gros marché. Le grenat n'est pas une pierre rare : on en trouve un peu partout, mais la qualité des pierres diffère avec l'endroit. » © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Les plus importantes études de composition chimique de grenats utilisés dans des bijoux mérovingiens ont été effectuées par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), à Paris. Elles ont tout d'abord prouvé l'existence d'une corrélation entre la composition du grenat et sa provenance, ce dont beaucoup de géologues doutaient auparavant tant la géologie du grenat est complexe. En particulier, la majorité des grenats des bijoux mérovingiens retrouvés en France proviennent d'Inde ou du Sri Lanka. Des textes anciens confirment ces provenances. La qualité des grenats indien était très bonne et leur exploitation ancienne. Des routes commerciales très développées entre l'Inde et l'Europe permettaient un acheminement de ces pierres. e Les analyses françaises montrent un changement de provenance des grenats à partir du 7 siècle : ils sont alors européens, issus essentiellement de Bohème. Une hypothèse historique attribue cette évolution à la fermeture des routes commerciales d'Inde lors de la conquête de la péninsule arabique par les e sassanides (dynastie iranienne) au 7 siècle. Les grenats européens sont venus pallier ces problèmes d'approvisionnement. Étant plus petits et de moins bonne qualité, ils ont entraîné la disparition des bijoux e cloisonnés dès la fin du 7 siècle. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Ces études pionnières sur l'approvisionnement en grenats à l'époque mérovingienne avaient été réalisées sur des grenats trouvés sur différents sites français relativement dispersés. Qu'en est-il des pierres de la nécropole de Grez-Doiceau ? Ce site belge couvre plus d'un siècle d'histoire. Ses grenats ont-ils la même origine que les pierres trouvées en France ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre François Mathis et son équipe liégeoise, après avoir adapté et amélioré le dispositif expérimental des laboratoires de l'Institut de physique nucléaire et atomique à l'ULg. Les analyses des grenats ont recours à la méthode PIXE (Particule Induced X-ray Emission) en faisceau extrait. Elle est non invasive : elle ne modifie pas l'objet étudié et ne nécessite pas le prélèvement d'échantillon. «Nous envoyons un faisceau de particules accélérés, ici des protons, sur l'objet à analyser, explique François Mathis. Celles-ci vont ioniser les atomes de la matière qui ensuite vont se désexciter en émettant des rayons X d'une énergie caractéristique de l'atome qui les a émis. Traditionnellement, ces études PIXE sont réalisées sous vide afin d'éviter une perturbation du faisceau de particules par les atomes de l'atmosphère. Mais il est impossible de travailler sous vide avec des objets du patrimoine : d'une part, ils sont souvent beaucoup trop grands et d'autre part, leur mise sous vide risque de les endommager (par exemple en faisant exploser les bulles d'air qu'ils contiendraient). Ainsi, les analyses d'objets du patrimoine et, en particulier, de bijoux © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -4- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège mérovingiens nécessitent d'extraire à l'atmosphère le faisceau de particules produit sous vide par le cyclotron. Cette technique d'extraction a été développée par les chercheurs de Paris, depuis une quinzaine d'années. Nous l'avons importée et adaptée à l'Université de Liège. Elle consiste à placer au bout d'un guide d'extraction une petite fenêtre suffisamment fine pour être traversée par le faisceau de particules sans le dégrader, mais aussi suffisamment robuste pour résister à la pression atmosphérique. Parmi les matériaux qui conviennent, la communauté scientifique s'est fixée sur des fenêtres en nitrure de silicium.» Deux détecteurs, placés de part et d'autre du guide d'extraction, captent les rayons X émis par la désionisation des atomes excités de la pierre analysée et permettent ainsi de dresser sa carte d'identité. Par exemple, les almandins contiennent beaucoup d'aluminium et les pyropes abondent en magnésium. Le premier de ces détecteurs, au spectre très large, détecte les éléments présents en grande quantité dans le grenat étudié, comme le magnésium, le calcium ou l'aluminium. Le second est doté d'un filtre qui arrête les rayons X émis par les éléments majoritaires. Il est donc sensible uniquement aux éléments traces présents en très petites quantités mais indispensables à l' identification de la pierre, comme l'yttrium. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -5- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Les études des grenats découverts à Grez-Doiceau sont cohérentes avec celles des grenats étudiés à Paris, dans le sens où elles ne révèlent pas l'existence de nouveaux lieux de provenance. Néanmoins des différences notables apparaissent : «Sur l'ensemble du site de Grez-Doiceau, plus de 90% des grenats proviennent d'une seule des deux sources indiennes, précise François Mathis, alors que les grenats étudiés par nos collègues français sont plus dispersés puisqu'ils sont issus des deux sources indiennes et de l'unique source du Sri Lanka. De plus, les rares objets du 7e siècle que nous avons trouvés sont aussi indiens, alors que les grenats «français» du 7e siècle viennent de Bohème et d'une autre source non encore localisée, pas d'Inde.» Pour tenter de mieux comprendre ces différences, le Centre Européen d'Archéométrie de l'ULg se lance dans l'analyse de grenats mérovingiens trouvés sur d'autres sites archéologiques belges, afin de déterminer si le site de Grez-Doiceau est le seul à se distinguer ainsi des français. Quelle qu'elle soit, la réponse posera question : «Si le site de Grez-Doiceau est unique, il faudra comprendre pourquoi, reprend François Mathis. Si d'autres sites belges lui sont semblables, il faudra comprendre l'origine de la différence entre les sites français et belges. Dans tous les cas, il faudra mettre les historiens sur le coup pour éclaircir l'énigme.» © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -6- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Le Centre Européen d'Archéométrie est régulièrement sollicité pour étudier la composition chimique d'une grande gamme d'objets, comme des peintures murales en Égypte, un manuscrit des collections de l'ULg, des sarcophages lors de l'exposition de la Caravane du Caire à Liège, des céramiques en provenance d'Italie, etc. Les analyses de ces matériaux du patrimoine posent de nombreuses questions aux chimistes car ils présentent des phénomènes physico-chimiques qui ne se manifestent que sur des périodes de temps extrêmement longues et qui sont donc absents des échantillons étudiés habituellement en laboratoire. Ces phénomènes physico-chimiques, en plus d'apporter des informations sur l'œuvre et sa préservation, ouvrent de nouvelles portes à la recherche fondamentale en chimie des matériaux. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 23 February 2017 -7-