Renaissance and Reformation, 1994

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Renaissance and Reformation, 1994
Book Reviews / Comptes rendus / 79
Donald Perret. Old Comedy in the French Renaissance (1576-1620). Genève,
Droz, 1992. Pp. 164.
Les sept comédies prises en considération dans ce volume représentent, selon
rhypothèse critique de l'auteur, "un discours marginal et fermé" dans la production
théâtrale de la deuxième partie du seizième siècle, entre V Eugène de Jodelle (1552) et
la
Mélite de Corneile (1629), leur caractéristique
commune
étant de ne pas se
conformer à la hiérarchie des genres fixés par les théoriciens. Dans leur ensemble, ces
pièces assureraient plutôt la survivance de traditions telles que la farce du théâtre
médiéval et la comédie aristophanesque,
et peuvent être définies
conmie une tentative
de soutenir un théâtre non classique.
Avant d'entrer dans l'analyse détaillée de chacune des comédies, l'auteur
propose son schéma interprétatif dans une introduction sur les problèmes du théâtre
comique de la Renaissance, où il distingue, dans le vaste répertoire théâtral produit en
France à cette époque, deux types de comédies qui rivalisent entre elles: la comédie
"régulière," préférée par la Pléiade, qui a ses ascendants théoriques dans les modèles
proposés par le grammairien Donatus (quatrième siècle) et avant lui par Aristote; et
celle qu'il appelle "old comedy" (ancienne comédie), c'est-à-dire un genre de théâtre
plus libre, plus "vulgaire" et plein de fantaisie, qui
fait l'objet
de cette étude. En effet,
r auteur nous explique que ce terme d' "ancienne comédie" n' a ici aucune signification
chronologique, mais plutôt qualitative: il désigne la résurrection d'un genre comique
plus "primitif par rapport au raffinement de la comédie sortie de la Pléiade. Ce
nouveau genre dominera le théâtre écrit après 1576 (la période qui couvre les règnes
de Henri in et Henri IV), comme l'autre avait dominé la génération précédente.
Un caractère commun aux sept comédies présentées: elles sont toutes composées
par des autres provinciaux. Du fait que la vie en province procéda à un rythme plus lent
que dans
temps
Cour, les dramaturges "périphériques" auraient eu plus de
la capitale et à la
et auraient été plus libres
de concilier formes
et tradition, tandis
qu'à Paris
la
centralisation politique et culturelle imposait des règles plus strictes. Ainsi la province
devint, dans la littérature qui plaisait à la capitale, objet de
moquerie et perdit son état
de source
la
vitale
pour des textes comiques. Et pourtant,
témoin Molière lui-même pour une partie de sa production
de deuxième rang, car
elle
comédie provinciale
— ne peut pas
—
être jugée
a beaucoup de mérites: elle n'ignore pas les fondements
théoriques, mais ajoute à ces règles variété, érudition et plaisir, et, tout compte fait, elle
représente non un modèle, mais l'antidote aux modèles.
Les Arts poétiques de
la Pléiade
(Du Bellay
et Pelletier) avaient frayé le
chemin
à le composition de comédies "littéraires," reflet d'une société qui n'était pas celle des
spectateurs (ou des lecteurs) et qui ne contenaient que de faibles traces de l'esprit et
de r humour populaires. La réaction de forces opposées provoqua l'entrée enjeu d' une
comédie
alternative, celle, justement,
que l'auteur
définit
comme "old comedy." On
soulignera par ailleurs avec intérêt que la meilleure description de ce nouveau type ou
genre de comédie se trouve dans deux traités:
On comedy ( 1 548) de l'italien Francesco
80 / Renaissance and Reformation
Robortello
(titre
original
/
Renaissance et Réforme
que l'auteur a oublié d'indiquer: Explicatio eorum omnium
quae ad comoediae artificium pertinent) et Propositions on comedy (1574) de
l'allemand Nathan Chytraeus (propositions publiées en 1576 dans l'édition que
Chytraeus fit des Adelphi de Terence). Ici encore Perret donne comme référence une
traduction anglaise, en l'occurrence celle de Marvin T. Herrick, dans son Comic
Theory in the XVIth century (1964). À ce dernier propos, on remarquera la consonance
avec le jugement très élogieux sur les deux traités dont il est question, que l'on peut
lire dans le livre de Herrick: "I do not know where one may find a clearer, more concise
summary of comic theory in the Renaissance" (p. 80).
La "nouvelle Comédie," acceptée et favorisée par la Pléiade, selon les principles
de Donatus et d'Aristote, avait des règles très strictes: l'intrigue appropriée à une
oeuvre comique, personnages, caractères près de
la réalité, reflections et
pensées
"basses," locution simple, claire, familière; le spectacle devait consister en différents
types de scènes et de costumes, la musique produite surtout par des flûtes.
comedy," au
contraire, est pleine d'invectives,
de dignité
implique la présence d'éléments fabuleux, drôles, curieux. Le
et
Robortello
fait
La
"old
ne se soucie pas de vraisemblance,
pencher la Poétique d'Aristote du côté de
la
traité
ni
de
"nouvelle Comédie," aux
dépens de
la "old," car
ci n'avait
pas fixées. Mais après 1560 les théoriciens des Arts poétiques (Scaliger,
Pierre
il
attribue au maître grec des précisions théoriques
Laudun d'Aigalier
et plus tard
que
celui-
Vauquelin de La Fresnaye) reconnaissent
la
nécessité d'élargir les règles du genre comique. Vers la fin du siècle, sans qu'il y ait
un rapport avec la diminution des théories, la production de pièces dramatiques
augmente (règne de Henri IV).
Les auteurs de la "old comedy" ne furent pas en contact l'un avec l'autre,
n' appartiennent pas à une école avec un manifeste commun.
Leurs oeuvres contiennent
relativement peu de théorie, et constituent plutôt des exemples frappants d'exceptions
aux règles de
En
la
"nouvelle Comédie."
passant à l'examen particulier de chacune des pièces présentées, Donald
Perret met en relief les traits originaux de ce genre de théâtre:
Le muet insensé de Pierre
Le Loyer (1576) n'est pas, comme elle peut le sembler de premier abord, une intrigue
amoureuse, mais une comédie sur le langage, ou plutôt sur l'absence du langage. Bien
qu'elle ait été conçue comme une pièce régulière en cinq actes et scènes, elle n'est
absolument pas conventionnelle par la matière qu'elle traite. La deuxième comédie de
Le Loyer, Le Néphélococugie (ou La Nuée des cocus), 1578, est le chef-d'oeuvre de
l'auteur et constitue la seule imitation explicite d'Aristophane que l'on puisse
enregistrer au cours de ce siècle. Très longue (plus de 4 500 vers), elle nie l'intrigue
téléologique (qui vise à un seul but) et nous offre l'exemple d'une forme alternative
de la corne d'abondance avec son extraordinaire richesse de fantaisie verbale.
La Fidélité nuptiale
(1589), intéressante aussi par sa localisation géographique
(Gérard de Vivre opère dans
mélange habile de trois
médiéval français,
les
Flandres belges et dans la zone rhénane), est un
évidemment marquée par le théâtre
de l'influence de la comédie néo-classique et
traditions théâtrales: plus
elle se ressent aussi
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des troupes italiennes qui jouaient en France après 1570. Conçue de toute évidence
pour être représentée, l'oeuvre contient un système de notes du plus vif intérêt pour les
costumes et des signes conventionnels pour la récitation et la diction. La Tasse,
écrite
en 1595 par Claude Bonnet, semble être la plus inaccessible des pièces théâtrales tant
pour un public du seizième que du vingtième siècle; c'est la tour de Babel sémiologique,
car elle utilise trois langues différentes: le français, le provençal et l'italien; et le
comique de
la pièce réside
incompréhensibles
justement dans cette accumulation de langages souvent
.
La Nouvelle tragicomique de Marc Papillon, capitaine de Lasphrise (1597), pose
d'abord un problème de classification, car elle contient des éléments qui l' apparentent
plutôt au genre narratif qu'au genre théâtral. Autre sujet d'intérêt de cette pièce, elle
représente peut-être le premier exemple de mise en
France. Enfin, les deux comédies du
Normand
abyme (théâtre dans le théâtre) en
Pierre de Troterel, sieur d'Aves, Les
Corrivaux ( 1 6 1 2) et Gillette ( 1 620), constituent deux exemples frappants d' "antidotes"
contre la décence, au sens qu'elles bouleversent complètement les conventions
établies
de
de
la "nouvelle
Comédie"
et
de
la pastorale tant
du point de vue du
style
que
la morale.
Les analyses
doute
critiques des sept pièces prises
la partie la plus intéressante
en considération représentent sans
du livre de Donald Perret,
même si elles n'épuisent
pas les suggestions et les interrogatifs que propose son investigation.
difficulté à admettre
S'il
n'y a pas de
que toutes ces expérimentations de comédie forte après 1576
témoignent du désir de
la part
des auteurs comiques de trouver de nouvelles voies en
dehors des limites de la formule régulière, de même que le fait qu'une conception plus
libérale
de
la
les guerres
comédie va de pair avec
de religion
exemple, quant à
1'
et
nouveaux goûts d'une société déchirée par
sensible aux appels libertaires, un obstacle subsiste, par
les
individuation exacte des caractéristiques d'un "genre" qui, en fin
de compte, n'en est pas un. D'où une marge d'arbitraire, dans l'analyse de Perret, dont
la validité serait sans
doute compromise par qui voudrait en faire l'énoncé d'une
nouvelle théorie ou une proposition de révision des classements acquis.
le
cas pour ce qui concerne Perret lui-même qui nous semble
satisfait
—
Ce n'est pas
et à juste titre
—
d'avoir su attirer un peu plus d'attention sur une page de l'histoire littéraire
du seizième
siècle
dans laquelle on ne relève, d'habitude, que des indices annonçant
l'avènement prochain du baroque.
NERINA CLERICI BALMAS,
Université di
Genoa

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