Le chercheur médical à l`écoute du travailleur en tant que patient

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Le chercheur médical à l`écoute du travailleur en tant que patient
Essai de la récipiendaire 2002 :
JOAN SAARY
Etobicoke, Ontario
Le chercheur médical à l’écoute du travailleur en tant que patient
L’une des façons de promouvoir un environnement de travail sain et sécuritaire est de fournir de
l’information et des conseils au sujet de la santé et de la sécurité au travail. Il s’agit précisément
du rôle que joue le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail (CCHST). Le présent
essai porte principalement sur « l’étape précédente », c’est-à-dire la recherche effectuée sur les
questions de santé et de sécurité, car c’est cette recherche qui permet essentiellement de
déterminer et de formuler quels sont les meilleurs conseils à donner aux travailleurs.
Bien que la recherche effectuée à l’échelle mondiale, et plus particulièrement au Canada, sur la
façon de mesurer la qualité des soins de santé prodigués et les résultats obtenus dans le
domaine des maladies professionnelles, n’en soit qu’à ses débuts, on reconnaît depuis
longtemps l’importance de tenir compte des préférences du patient pour l’obtention de certains
résultats (Brook et coll. 1977). Dorénavant, les résultats englobent non seulement les
paramètres cliniques, telle la mortalité, mais également d’autres éléments, tels les capacités
fonctionnelles, le bien-être général et le degré de satisfaction face aux soins reçus (et coll.
1989). Les principales préoccupations des patients, de leur famille et des cliniciens sont le
bien−être (l’évaluation subjective de la qualité de vie et de la santé) et les capacités
fonctionnelles (la capacité d’effectuer des tâches et des activités) (Wells et coll. 1989). Étant
donné que les capacités fonctionnelles et le bien-être sont d’une importance primordiale pour
les patients, ils représentent à la fois des indicateurs de paramètres cliniques et des résultats
essentiels.
L’un des défis fondamentaux que représentent l’évaluation et l’amélioration de la qualité des
soins de santé au travail est que chaque participant a un point de vue différent (Deitchman et
coll. 2001). Le modèle médical fonctionne généralement selon un système qui tient compte de
deux intervenants : le patient et le médecin. Dans le cas d’une maladie ou d’une blessure liée
au travail, la réalité est tout autre. Dans un tel cas, on ne tient pas seulement compte de deux
participants, mais bien de plusieurs intervenants, soit le patient, le médecin, la commission des
accidents du travail ou l’assureur, et l’employeur.
De nombreuses recherches ont été effectuées pour étudier plus à fond la relation qui existe
entre le patient et son médecin et le fait que le point de vue et l’opinion de ces deux
intervenants soient souvent à l’opposé (Laine et coll. 1996, Brown et coll. 2000; Johnston et
coll. 1995). Certains travaux portaient sur les conséquences qu’une incompatibilité de
perceptions et d’attitudes entre ces deux intervenants pouvaient avoir sur les résultats (Starfield
et coll. 1981; Stewart, 1995). Il arrive même que l’équipe médicale ne puisse parvenir à un
consensus.
Par contre, très peu de recherches ont été entreprises pour éclaircir la relation entre le patient
et le médecin dans une population de blessés ou de malades (Plomp, 1993), et encore moins
de recherches ont été effectuées sur la relation entre l’employeur et le patient et l’assureur et le
patient. De plus, il existe une véritable pénurie de recherches dans le but de comprendre les
rapports complexes qui existent entre les différents intervenants.
Néanmoins, ce sont habituellement les cliniciens et les chercheurs qui élaborent, d’après une
théorie ou selon le consensus du groupe, les différents modèles servant à définir la qualité des
soins prodigués et les résultats obtenus. Cependant, rien ne garantit que leur jugement reflète
de façon valable l’opinion d’autres intervenants (Brook et coll. 1977).
Récipiendaire de la Bourse d’études Dick Martin du CCHST
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Essai de la récipiendaire 2002 :
JOAN SAARY
Etobicoke, Ontario
Lors de ce processus, on tient parfois compte du point de vue du patient, en organisant par
exemple des groupes de consultation. Il est presque impossible de savoir si les autres
intervenants, tels les assureurs ou les employeurs, utilisent un modèle semblable pour définir ce
que représentent pour eux de « bons résultats ». Pour ces derniers, des soins de qualité
peuvent peut-être se traduire par des économies. Cependant, pour le travailleur, l’accès aux
soins et le rétablissement des fonctions physiques sont probablement d’une importance
primordiale. Dans le document de M. Feuerstein et coll. (1993), on suggère que les employeurs
visent principalement comme résultat un retour au travail productif.
Dans l’ouvrage de M. Gartland (1988), on souligne que les assureurs, les employeurs et les
décideurs publics croient que les traitements qui sont souvent utilisés par le personnel médical
pour atténuer les symptômes de façon temporaire sont inadéquats parce qu’ils n’ont aucun effet
sur certains résultats, tel la situation de l’emploi ou le maintien de l’emploi.
Par conséquent, bien qu’on présume que tous les intervenants ont à coeur le « bien-être » du
travailleur, l’opinion de ces derniers peut différer grandement lorsqu’il s’agit de définir ce que
représente le rendement idéal du système. Il est donc impossible d’évaluer les résultats et le
rendement du système, sans tout d’abord confirmer qu’il existe des points de vue très
disparates et essayer de les réconcilier. Certains penseurs qui se soucient des questions
qualitatives pourraient avancer que cette réconciliation est impossible. L’objectif devrait donc
être de reconnaître les différences qui existent.
Alors, qui s’intéresse à quel indicateur des résultats? Quelles sont les conséquences sur les
soins de santé, lorsque les intervenants en santé au travail ne s’entendent pas sur ce que
constituent des soins de qualité ou un résultat satisfaisant? On ignore toujours la réponse à ces
questions. Il reste à savoir ce que constituent des soins médicaux de haute qualité et
d’excellents résultats en ce qui concerne une maladie ou une blessure liée au travail.
Dans l’ensemble, le point clé que cette discussion tente de souligner est qu’il est nécessaire de
tenir compte de l’opinion des travailleurs dans le domaine de la recherche médicale. La
participation de ces derniers dans le processus de recherche, non seulement à titre de sujets
d’étude, mais également à titre de décideurs, témoigne de l’importance de leurs opinions et
traduit très bien, selon moi, les valeurs de M. Dick Martin.
Je suis une résidente en médecine du travail. J’aime effectuer des recherches et j’ai l’intention
de consacrer une bonne partie de ma carrière à l’étude de la prestation des soins de santé au
travail. M. Martin affichait plusieurs des qualités que bon nombre de médecins seraient fiers de
posséder. Dans un hommage rendu par les MUA, le président de la Manitoba Federation of
Labour et ancien membre de la section locale 6166 des Métallurgistes, Rob Hilliard (site Web
des MUA) a dit ce qui suit à propos de M. Martin : « Il accordait toujours la priorité aux gens […]
il était sincère et compatissant […] S’il croyait que ses efforts pouvaient contribuer au bien-être
d’un travailleur, il faisait tout en son pouvoir pour l’aider. » M. Martin a joué un rôle décisif dans
la mise sur pied du centre d’ergothérapie de la MFL.
Étant donné que nous ne possédons pas les réponses aux questions posées précédemment, il
est impossible d’énoncer le cadre théorique nécessaire pour promouvoir la compréhension de
la qualité des soins et des résultats en médecine du travail. Les réponses à ces questions
pourraient expliquer théoriquement le manque d’amélioration des résultats cliniques obtenus
pour plusieurs maladies professionnelles. Elles pourraient se traduire par la prestation de soins
améliorés pour les patients. Elles pourraient également servir de point de départ pour des
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discussions visant l’établissement d’un consensus parmi les intervenants, qui pourraient
éventuellement permettre à ces derniers de travailler vers l’atteinte d’un même but.
M. Martin avait travaillé fort pour l’établissement de consensus. M. Burrows, membre du
syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés (UFAWU), des Travailleurs et travailleuses
canadien(ne)s de l'automobile (TCA) et du comité sur l’environnement du CTC, a affirmé qu’il
était un politicien et un penseur stratégique qui possédait un talent extraordinaire lui permettant
de créer facilement un consensus. Pendant qu’il était le représentant du CTC responsable de la
santé et de la sécurité, M. Martin a contribué à faire adopter des normes nationales relatives au
droit à l'information pour le SIMDUT. M. Martin était convaincu qu’il s’agissait là d’une
réalisation majeure. Selon lui, réussir à convaincre les gouvernements fédéral et provinciaux,
ainsi que les syndicats et les employeurs à s’entendre était toute une réussite (site Web du
CSSTT).
La participation des travailleurs aux recherches, même les plus fondamentales, peut favoriser
l’obtention d’un consensus parmi les intervenants et l’élaboration de buts et d’objectifs
communs, dont M. Martin aurait été très fier.
Bibliographie
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Récipiendaire de la Bourse d’études Dick Martin du CCHST
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Essai de la récipiendaire 2002 :
JOAN SAARY
Etobicoke, Ontario
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