STEPHEN MURPHY, Wake Forest University
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STEPHEN MURPHY, Wake Forest University
Book Reviews / Comptes rendus / 75 l'interprétation homérique. Profitant de l'ouvrage précieux de Félix Buffière sur Les Mythes d'Homère, le commentateur établit des liens avec les grands interprètes de l'Antiquité : Eustathe, Héraclite, Plutarque, Porphyre, Proclus, et bien des autres. Les choix de Dorat rencontrent aussi ceux des mythographes du XVIe siècle : Cartari, Comes, Celius Rhodiginus. Ce qui ne signifie pas une orthodoxie de la part de Dorat, si on peut même parler d'orthodoxie dans un champ si varié. Il lui arrive d'aller consciemment à l'encontre des interprétations reçues. Les Sirènes, par exemple : Dorat ne les prend pas, « ut plurimi existimant », comme des prostitués ou les plaisirs de la chair. Pour lui, elles représentent plutôt les séductions de la connaissance. De même, Circé n'est pas à interpréter comme « volupta[s] et libid[o] », mais comme « rerum inferiorum cognitio ». Une telle lecture de la figure de Circé est redevable au commentaire d'Eustathe, mais chez Dorat nous semblons avoir affaire à une compréhension allégorique plus cohérente et suivie. Dorat ne cite guère les autorités médiévales ; du monde de l'exégèse chrétienne l'on ne trouve que les noms d'Augustin et de Macrobe. Par contre, il fait plusieurs fois des rapprochements bibliques. Ainsi, par rapport aux âmes des enfers homériques, Dorat rappelle la structure bipartite de l'âme selon Saint Paul. Ailleurs, il constate une mention des Sirènes dans Job 30.29, ce qui prouve qu'il lisait la Bible dans la version des Septante, où on lit seirênôn plutôt que le draconum de la Vulgate. En plus du vaste savoir de Dorat, ce qui s'aperçoit ici et là est le caractère de l'homme. Sa condamnation de la cruauté de l'Orbilius horatien suggère une préférence pour la douceur pédagogique. Encore davantage, l'allégorie homérique qu'il présente à ses élèves est l'image d'une odyssée intellectuelle. Les jeunes, férus de poésie et de fables antiques, se voient transformés en héros épiques. L'on comprend mieux, grâce au livre de Ph. Ford, l'ardeur de leur travail, et la façon dont ils chérissaient leur maître. STEPHEN MURPHY, Wake Forest University Marijke Spies. Rhetoric, Rhetoricians and Poets: Studies in Renaissance Poetry and Poetics. Amsterdam: Amsterdam University Press, 1999. P. 169. Les rapports complexes de la littérature et de la rhétorique aux XVIe et XVIIe siècles, aux Pays-Bas en particulier, mais aussi en France et en Europe plus généralement, fournissent la matière de base du livre de Marijke Spies. Quoique composé d'articles et de conférénces publiés entre 1982 et 1999, Rhetoric, Rhetoricians and Poets est loin d'une simple compilation de textes aux sujets disparates, trouvant sa cohérence organisationnelle et thématique dans les relations parfois conflictuelles entre structure rhétorique et liberté littéraire. L'harmonie des sujets, à première vue peu homogènes sous cette rubrique générale, et une contextualisation européenne plus large, permettant même aux chapitres entièrement voués à la 76 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme littérature néerlandaise de se comprendre par rapport à d'autres aires linguistiques, font en sorte que le livre de Marijke Spies soit d'une très grande valeur pour tout lecteur spécialiste ou non de la littérature des Pays-Bas du XVIe et du XVIIe siècles. Les trois premiers chapitres s'occupent surtout du rapport entre la littérature et la rhétorique en France et en Europe. Le premier considère l'« Hymne de l'or » de Ronsard comme un ouvrage surtout pédagogique et critique. Mettant en question l'idée chère à certains érudits que le poème était surtout de nature paradoxale, M. Spies explique que Ronsard aurait utilisé le paradoxe surtout pour ridiculiser des arguments traditionnels contre la pauvreté. L'apparence paradoxale du poème faisait partie d'un objectif pédagogique plus large qui visait à faire l'éloge de la richesse comme une force qui aurait contribué à la prospérité économique. Le deuxième chapitre s'occupe de l'évolution des moralités françaises au XVIe siècle. Selon Spies, les moralités du Moyen Âge auraient été construites autour de la notion des « étapes consécutives » dont l'exemple type aurait été celui du « pélerin de la vie ». Après 1500, cette structure aurait évolué vers une forme plus dialectique sous l'influence de la révolution dialectique d'Agricola et de Melancthon. Le troisième chapitre, sur le conflit entre épique et lyrique dans les Poetices libri septem de Jules-César Scaliger, voit la poétique de Scaliger en opposition à celle d'Aristote. Pour Scaliger, en plus d'imiter, la poésie devait embrasser tous les moyens de persuasion de la rhétorique ; ainsi, la poésie aurait été aussi démonstrative qu'argumentative et délibérative. En fait, pour Scaliger, tous les genres rhétoriques, y compris le laudatif, étaient délibératifs. La poétique de Scaliger doit en fin de compte, explique Spies, se considérer comme une alternative plutôt que comme une élaboration de la poétique d'Aristote. Ces trois premiers chapitres soulignent comment la littérature du XVIe siècle ne peut se séparer de l'emprise de la rhétorique, et que sous une apparence de contingence littéraire une structure rhétorique déterminait souvent et le sens et la forme du texte. Le reste du livre se consacre plus étroitement à la littérature et à la rhétorique des Pays-Bas (dans le sens plus large du XVIe siècle) sans toutefois perdre de vue le contexte européen plus large. Le chapitre 4, continuant la discussion de Scaliger entamé au chapitre précédent mais en se concentrant sur son influence aux PaysBas, crée un pont entre les trois premiers sur la France et l'Europe, plus généralement, et les chapitres consacrés, plus étroitement, au contexte néerlandais. Dans les chapitres suivants, l'auteur parle de l'évolution de la rhétorique en langue néerlandaise, d'une forme proche de celle de la « seconde rhétorique » française vers une forme plus humaniste. Ce développement est traité aussi bien dans les ouvrages des écrivains comme Jan Van Mussem, Mathijs de Castelein, Eduard de Dene, Lucas d'Heere, et Dirck Volckertsz Coornhert, que dans des chambres de rhétorique dans le nord et le sud du pays. Le rôle de la chambre de rhétorique d'Amsterdam, « De Eglentier », dans l'adaptation de la nouvelle rhétorique d'Agricola et de Melancthon, est traité en détail. Spies contextualise cette chambre de rhétorique dans l'histoire civile et religieuse de la fin du XVIe siècle quand Book Reviews / Comptes rendus / 77 Amsterdam restait sous l'emprise d'une magistrature catholique et pro-espagnole à une époque où le reste du nord des Pays-Bas s'était rallié à la cause du prince d'Orange. De Eglentier, jusqu'en 1578, quand Amsterdam a finalement fait cause commune avec les rebelles, servait comme un bastion protestant malgré l'inquisition catholique. À la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, cette chambre de rhétorique a propagé une rhétorique critique basée sur la raison, à la portée de tout le monde. Comme le constate Spies, cette leçon était d'une valeur inéstimable pendant les premières années turbulentes de la jeune République des Pays-Bas. Ce contexte religieux et politique compliqué sert à expliquer, au moins en partie, le traitement de la mythologie dans la littérature néerlandaise. Des écrivains du nord comme Coornhert croyaient la foi chrétienne incompatible avec l'emploi des dieux païens dans la poésie. D'autres écrivains du sud du pays comme Lucas d'Heere et Jan Van der Noot avaient une conception allégorique de la mythologie et n'y voyaient pas de mal. Même dans le nord du pays les idées de D'Heere se sont fait connaître dans l'anthologie collective Den Nederduytschen Helicon, composée en très grande partie de poètes presque tous refugiés du Sud, et largement inspirée par l'ancien élève de D'Heere, Karel van Mander. Cet intérêt pour la mythologie ne durera pas longtemps cependant. Une tragédie par Daniel Heinsius, Herodes infanticida, sera critiquée par Jean Louis Guez de Balzac dans un Discours sur une tragédie de Monsieur Heinsius intitulée Herodes Infanticida. La critique de Balzac, qui s'articulait autour des questions de la foi et des convenances, tout comme celle de Joachim Oudaan, un admirateur de Coornhert, feront le procès de la mythologie dans la littérature néerlandaise. A la fin du XVIIe siècle, une conscience historique aura pris forme et les dieux païens ne pourront plux se considérer que comme des idoles. La question de la mythologie est traitée aussi dans une discussion de la littérature d'influence mennonite. Des auteurs mennonites du début du XVIIe siècle, comme Karel van Mander et Joost Van den Vondel, ont repris le style et même certains passages des Sepmaines, et d'autres ouvrages, comme Les Pères, de Guillaume Du Bartas, mais ils ont complètement retravaillé la structure des poèmes, les rendant moins épiques et plus didactiques. Ces auteurs mennonites du début du siècle ont tout de même gardé quelques aspects de l'allégorie médiévale dans leurs ouvrages. Des auteurs ultérieurs, comme Dirck Raphaelsz Camphuysen, Jan Philipsz Schabaelje, et Reyer Anslo ont continué d'adapter Du Bartas, en le reformulant même davantage en termes d'une spiritualité mennonite didactique et en éliminant toute apparence allégorique. Ce processus aboutit à la fin du XVIIe siècle, dans l'œuvre de Joachim Oudaan, qui, continuant la tradition de ses prédécesseurs comme Coornhert, ne voyait dans la mythologie qu'une question d'ornement. Marijke Spies montre comment cette évolution vers une spiritualité didactique et vers un refus de la mythologie allégorique, sous l'influence mennonite, marque un aspect important de l'évolution de la poésie néerlandaise au XVIIe siècle. Rhetoric, Rhetoricians and Poets passe ensuite à une explication de la poésie féminine au XVIIe siècle. L'auteur montre comment cette littérature féminine, surtout au début du siècle, se définissait par rapport à la poésie des hommes. Ainsi, 78 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme les poèmes d'Anna Roemers et d'Anna Maria Van Schurman fonctionnaient dans un contexte poétique déterminé par le pétrarquisme, la querelle des femmes, et la tradition humaniste de chasteté conjugale. Curieusement, tout en notant que pour la première fois dans l'histoire moderne, des femmes comme Roemers et Van Schurman étaient acceptées dans le même domaine intellectuel et culturel que les hommes, Spies exclut de sa discussion la seule femme écrivain vraiment indépendante, Catharina Lescaille, parce que, selon l'auteur, elle doit être considérée simplement comme n'importe quel autre écrivain de son temps, et ne peut donc pas être comprise dans cette discussion d'une poésie féminine qui devait se définir par rapport à un contexte masculin. Le dernier chapitre, sur les aspects argumentatifs de la rhétorique et leur impact sur la poésie de Joost van den Vondel, ramène la discussion au point de départ des premiers chapitres. Un poème de Vondel faisant l'éloge du nouvel Hôtel de Ville d'Amsterdam est étudié dans le contexte d'un débat au XVIIe siècle, à propos de l'opposition ou de la complémentarité de la rhétorique et de la dialectique. Vandel semble accentuer la nature argumentative de la rhétorique dans sa poésie, à la différence d'autres auteurs de l'époque qui voulaient libérer la poésie des contraintes de l'argumentation rhétorique. La discussion de ce chapitre, comme celle dans presque tous les autres, est soigneusement replacée dans l'histoire littéraire, politique et religieuse de l'époque, et par une mise en contexte rigoureuse. Le soin apporté à la contextualisation historique ne peut en revanche faire oublier des défauts éditoriaux nombreux et souvent flagrants. Des maladresses idiomatiques (« the odd twenty poems » plutôt que « the twenty odd » [p. 123]) aux fautes d'orthographe parfois graves, dont une sur la couverture (Rhetoric, Rethoricians [sic] and Poets), ces erreurs nuisent gravement à la qualité de la lecture du texte. Il est dommage qu'un livre dont le contenu est de si bonne qualité n'ait pas pu se doter d'une forme plus soignée. Malgré une présentation parfois inadéquate, la « substantifique moelle » du livre de Marijke Spies constitue une addition importante à l'étude de la littérature et de la rhétorique aux XVIe et XVIIe siècles en Europe. MICHAEL RANDALL, Brandeis University Claudine Jomphe. Les théories de la dispositio et le Grand Œuvre de Ronsard. Paris, H. Champion, 2000. P. 416. Comment interpréter en termes de choix poétiques et philosophiques l'inachèvement et l'échouage, sinon l'échec, de la grande entreprise de La Franciade, si souvent imputés à une série de défauts structurels ? Telle est la question qui constitue, dans l'ouvrage de Claudine Jomphe, le point de départ d'une vaste enquête rhétorique et poétique à travers l'histoire des théories de la dispositio et proposant, à terme, une nouvelle lecture de La Franciade, envisagée non plus malgré les détours et les retards de la narration, mais à travers eux.