La Ceinture de Bollezeele Par le Docteur Lemaire Union

Transcription

La Ceinture de Bollezeele Par le Docteur Lemaire Union
La Ceinture de Bollezeele
Par le Docteur Lemaire
Union Faulconnier Tome XXIII
Transcrit, illustré et mis en page par Jean-Marie Muyls
Avec une croix processionnelle de toute beauté, classée depuis longtemps, le trésor de l'Eglise de
Bollezeele possède un reliquaire contenant des cheveux de la Vierge Marie, et une ceinture, qui d'après la
tradition auraient été donnés tous deux par l'Archiduchesse Isabelle, Infante d'Espagne, Gouvernante,
des Pays-Bas en 1621.
Portrait de Rubens
Source internet
Albert, Archiduc d’Autriche
Gouverneur Général des Pays-Bas
Portrait de Rubens
Source internet
Isabelle Claire Eugénie, infante d’Espagne
Archiduchesse d’Autriche
Gouvernante Générale des Pays-Bas
Notre Flandre Maritime n’est pas tellement riche en monuments historiques, qu'on puisse négliger
de prendre des mesures conservatoires vis-à-vis de tous les objets mobiliers qui présentent un intérêt si
petit soit-il. Aussi avons-nous demandé le classement de cette curieuse ceinture. La Commission
historique, se rangeant à notre avis, a voté à l'unanimité le 6 février 1922 une demande de classement..
Par arrêté ministériel du 22 octobre 1922, la ceinture a été classée.
La Ceinture en question, tissée de soie et d'or mesure 0,90 sur 0,025. Elle est ornée de broderies
d'or en forme de rosettes et garnie de cabochons, sertis dans des garnitures d'argent.
Ses deux extrémités se terminent par un fermoir du même métal. A l'un d'eux est attaché un
médaillon d'un curieux travail qui porte une chaînette d'argent en haut de laquelle se présente une image
naïve de la vierge tenant en ses bras l'Enfant Jésus.
Docteur Louis Lemaire / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / G.H.Dk.
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Enfin, détail important., un médaillon formant reliquaire, cousu sur la ceinture porte l'inscription :
Ex Capillis B. Marie Virg.
Conservée dans la sacristie, dans un cadre doré de forme allongée avec quelques ex-voto modernes
sans valeur artistique, la ceinture est exposée chaque année dans l'Eglise lors de la neuvaine de Notre
Dame de la Visitation.
Collection privée
Notre-Dame de la Visitation de Bollezeele couronnée le 16 mai 1910
Sur quoi repose la tradition qui veut que cet objet
ait été donné par l’Archiduchesse Isabelle ?
Hélas, les textes produits jusqu'ici ne sont pas en faveur de cette hypothèse. Dans sa consciencieuse
monographie de Notre-Dame de la Visitation publiée en 1891, l'Abbé Flahault nous donne la copie d'une
chronique écrite entre 1693 et 1697 par le curé de cette paroisse J.-B. de Coster. Cette chronique a été
insérée par lui à la fin d'un registre de Baptême commencé en 1645 — et qui repose aujourd'hui dans les
Archives de la Commune.
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Voici la traduction du seul passage qui nous intéresse
La Renommée de la divine Vierge Marie de Bollezeele s'était tellement, étendue dans toute la
Flandre et le Brabant, que la Sérénissime Princesse Isabelle-Eugénie, Infante d'Autriche, mariée à
Albert dont elle n'avait pas eu de descendant ni de successeur, vint en personne de Bruxelles à Bollezeele
en 1621 et s'étant confessée, et ayant communié implora la Vierge pour obtenir de la progéniture par son
intercession divine. Cette princesse fit trois dons à la Vierge :
D'abord des cheveux de la Vierge Marie, qu'elle avait eu de la Maison de Lorette, qui sont encore
exposée à 1a vénération publique sur l'autel de la Vierge, et ont été authentiqués en 1693 par le
Révérendissime Delières, Doyen de l'Église Cathédrale de Saint-Omer, et vicaire général de ce diocèse.
En second lieu, une chaîne d'or qui fut enlevée au cours de la guerre.
En troisième lieu une chasuble tissée de ses propres mains, que l'on peut encore voir dans l'Eglise de
Bollezeele .
Dans la première partie de ce texte nous ne pouvons relever que des erreurs. J e passe sur le titre
d'infante d'Autriche donné par le Curé à Isabelle ; mais serait-elle-même venue spécialement de Bruxelles à
Bollezeele en 1621 ce ne serait vraisemblablement pas dans le but d'implorer la vierge de lui donner de la
progéniture. Car Isabelle en 1621 avait cinquante quatre ans. « Se serait-elle souvenue de l'histoire
d'Àbraham et de la tardive naissance d'Ismaël » se demande l'Abbé Flahaut qui accepte la version du curé
de Coster ? Pour notre part, noms ne saurions y souscrire.
D'abord nous savons qu'en 1621 — le13 juillet son mari l’Archiduc Albert était décédé à l'âge de 62 ans. Il
était bien tard, même dans le premier semestre de cette année, pour eux de recourir à l'intercession de la
Vierge pour obtenir un fruit de leur union.
Enfin nous savons d'une manière positive qu’Isabelle n’est pas venue dans notre région le premier
semestre de1621 -- et que ce ne fut, nous le dirons plus loin, qu'en 1625 qu'elle visita Bollezeele.
D'après le curé de Coster, la princesse aurait fait trois dons à son église :
1 ° Une chaîne d'or qui en 1693 avait déjà disparu.
20 Une chasuble qui existait encore en cette année, mais qui d'après l'Abbé Flahaut aurait été vendue
il y a quelque temps.
3° Un reliquaire contenant des cheveux de La Vierge.
Or, ce reliquaire, d'après l'authentique délivré en 1693 par le Vicaire Général de Lièges — était un
reliquaire d'argent « théca argentea ». C'est vraisemblablement celui que possède encore l'Eglise, et qui a
la forme d'un petit ostensoir portant sur le pied : De Capillis B. Mariae Virginis.
De ceinture il n'est pas question.
La Tradition du don fait par l'Infante en 1621 était tellement ancrée que deux chronogrammes relatés
par ce curé, consacraient cette date de 1621 comme celle de la visite de l'Infante.
L'étude des documents locaux nous montre simplement, qu'ils représentent une somme d'erreur et ne
résolvent nullement la question.
Il faut donc chercher ailleurs.
Isabelle, veuve depuis 1621 avait repris la lutte contre la Hollande. Menacée de plus d'une guerre avec
l'Angleterre, après le Siège de Breda, elle avait décidé avec Spinola d'équiper à Dunkerque une flotte de
vaisseaux rapides, propres à détruire la pêcherie des Hollandais et à donner la chasse aux navires du
commerce britannique. Comme les travaux d'équipement de cette flotte n'avançaient pas à son gré, elle résolut
de se rendre sur place pour les surveiller, et surtout pour lutter contre la gabegie qui sévissait du haut en bas
de l'échelle parmi l’administration espagnole. Ayant quitté Bruxelles, le 7 Août, elle arriva le 13 à
Dunkerque et y resta jusqu'au 6 novembre.
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Document Jacques Tillie
L’Infante Isabelle à Dunkerque en 1625 avec le Marquis Spinola, près de Fort-Mardyck
inspectant la flotte que guettent les navires hollandais
Au cours de ce long séjour, la princesse visita les environs : Gravelines, Bourbourg, les Moëres
récemment desséchées, etc., et se rendit en pèlerinage à toutes les églises dédiées à l a Vierge.
Tous les détails relatifs à ces déplacements nous sont donnés par un journal écrit par un
chapelain Philippe Chifflet dont nous avons eu communication du manuscrit original conservé à la
Bibliothèque de Besançon :
« Le Jeudi 9 Octobre 1625, Son Altesse, écrit-il a esté en dévotion à un petit village à quatre lieues de
Duynkercke, où il y a une image miraculeuse de Notre-Dame » . Ce petit village dont Chifflet ne se
rappelle plus le nom est évidemment Bollezeele.
En voici la preuve :
Après la mort de la Princesse survenue en 1633, Chifflet résolut d'écrire l'histoire de sa vie. Pour
se documenter, il écrivit aux supérieures de tous les couvents qu'elle avait visités ou fréquentés. Ce fut
ainsi qu'il s'adressa à l'Abbesse des Clarisses de Saint-Omer qui, dans sa réponse lui disait : « J'ay
aussy fait escrire au pasteur du village proche de Dunkerke, appelé Bollezeele pour scavoir ce qu'en
est de cette dévotion establie à la Vierge, je n'ay encore receu la response ».
Il faut croire que le curé ne répondit pas, car dans le Manuscrit qui contient toutes ces lettres ; sa
réponse de s'y trouve pas.
Désirant quand même être renseigné, Chifflet écrivit à une personne non dénommée le billet, suivant :
« On désire des enseignements sur une image de Notre-Dame en un village à quatre lieues de
Duynkerke où S.A. fut en dévotion le 9°jour d'Octobre 1625 » .
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Collection privée
Eglise saint Wandrille de Bollezeele
En marge, il est répondu : « Monseigneur d'Arras pense que c'est Bolliselle sans toutefois en
estre asseuré, parce qu'il a oui dire qu'elle y avoit esté, où est conservée d'ancienneté une ceinture de
Notre-Dame ». Certes l'auteur de cette note est loin d'être affirmatif sur la visite de l'Infante à
Bollezeele. Mais nous savons d'une façon précise par Chifflet qu'elle y vint le 9 Octobre 1625. Par
contre la dernière phrase est troublante « Bollezeele où est conservée d'ancienneté une ceinture de
Notre-Dame ». Ceci renverserait tout ce que nous pensions jusqu'ici . Si l'auteur dit en 1633 « qu'une
ceinture de Notre-Dam e est conservée d'ancienneté » , cela veut évidemment dire que la ceinture
s'y trouvait bien avant 1625. Cela nous prouve que la ceinture existait déjà à cette époque et nous
explique pourquoi le Curé De Coster ne la mentionne pas comme un don d'Isabelle.
Nous avons cherché la solution dans un autre des manuscrits de Chifflet. Pour montrer la générosité
de la princesse, il avait tenté d'établir une liste complète des dons faits par elle aux Eglises, Couvents,
princes ou particuliers. Ce travail est fait année par année : Nous y avons trouvé des dons faits aux
Jésuites de Dunkerque, aux Jésuites de Watten, à la Chapelle de Fort-Mardyck etc… Mais aucune
mention de don fait à Bollezeele.
Ceci n'est pas une, preuve absolue. En effet Chifflet inscrivait sans ordre, sur la page de l'année, les
renseignements à mesure qu'il les recueillait : On voit une interversion dans les mois, et les diverses mentions,
portées sur une même page sont écrites avec des encres différentes. La liste est forcément incomplète. Nous en
avons eu la preuve en confrontant d'autres textes du même auteur qui mentionnent des dons non portés sur
ces listes. Comme nous l'avons vu, il ignorait même le nom de Bollezeele, et cherchait à se renseigner sur le
culte particulier de la Vierge qui y était pratiqué : Ces renseignements lui ayant fait défaut il n'est pas
étonnant qu'il n'ait porté aucune mention de don fait à cette église.
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Peinture de Van Dyck
L’Infante Isabelle Claire Eugénie, veuve, en religieuse clarisse
Voilà donc où nous en sommes :
1°Nous savons d'une façon certaine, qu'Isabelle, au cours d'un séjour à Dunkerque se rendit en
pèlerinage à Bollezeele le 9 Octobre 1625.
Ce déplacement n'a donc pas le caractère qu'on lui attribuait jusqu'ici.
2°D'après la tradition recueillie par un curé de la paroisse en 1693, elle fit trois dons à cette église : un
reliquaire, une chaîne d'or et une chasuble.
3°II n'est pas question dans cette énumération de la ceinture qui existait cependant en 1693, et dont
l'existence est relatée comme ancienne dans la note de 1633.
La ceinture aurait donc été conservée à Bollezeele bien avant la visite de 1'Archiduchesse Isabelle.
Et ceci nous amène à la réflexion suivante.
Pourquoi l’Infante aurait-elle fait don d'un reliquaire contenant des cheveux de la vierge, à une Eglise qui
possédait déjà une relique considérée comme si précieuse ?
Ou si l'on veut prendre la question autrement :
Comment se fait-il qu'il existe à Bollezeele deux reliquaires distincts contenant des cheveux de la Vierge :
l'un cousu sur la ceinture, l'autre sous forme d'ostensoir d'argent ?
Plusieurs hypothèses sont possibles.
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Faut-il dire comme l'Abbé Flahaut que « l'Infante aurait apporté ces cheveux dans sa ceinture » et qu'on
les a placés ensuite dans le reliquaire ? Cette hypothèse n'est pas probable si nous admettons que la ceinture
« était conservée d'ancienneté à Bollezeele » .
Faut-il croire qu'elle aurait donné le reliquaire d'argent vide pour y placer les cheveux prélevés dans la
médaille de la ceinture, afin de les mieux exposer à la vénération des fidèles ?-Possible.
Que l'on fasse encore d'autres suppositions, nous ne pourrons nous déclarer satisfait que lorsqu'un texte
nouveau sera venu apporter la lumière que nous souhaitons .
Quoi qu'il en soit, la Ceinture de Bollezeele est une pièce au moins trois fois séculaire des plus curieuses,
présentant au point de vue artistique et archéologique une réelle valeur, au point de vue historique un
véritable intérêt. Aussi méritait-elle d'être classée parmi les monuments historiques de notre
arrondissement.
Docteur Louis Lemaire
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