Diversification alimentaire : nouvelles recommandations

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Diversification alimentaire : nouvelles recommandations
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Diversification alimentaire :
nouvelles recommandations
D’après la communication de F. Gottrand
Hôpital Jeanne de Flandre, Pôle enfant, CHRU de Lille, 59037 Lille cedex, France
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
L
e sujet de la diversification alimentaire reste d’une
grande actualité, du fait de l’apparition de nouvelles
connaissances, de nouveaux concepts, et de la nécessité
de lutter contre certaines idées reçues. Les recommandations
nationales et européennes, certainement encore évolutives,
sont le meilleur guide actuel pour une diversification alimentaire optimale au plan nutritionnel, et neuro-psycho-social.
Cet article ne traitera ni des enfants à risque d’allergie, ni du
gluten, qui font l’objet des communications suivantes.
Il existe deux définitions de la diversification : celle de l’OMS,
la plus rigoureuse, et la définition de l’ESPGHAN (Société
Européenne de Gastro-entérologie, Hépatologie et Nutrition
Pédiatriques). Pour l’OMS, un enfant est diversifié quand
sont introduits dans son alimentation, tous les solides et
liquides autres que le lait maternel, sauf les suppléments en
vitamines et minéraux, l’eau de boisson et les solutions de
réhydratation orale (SRO). Les formules pour nourrisson, les
jus de fruit, les farines, sont des aliments de diversification.
Les recommandations européennes, qui ont fait l’objet d’un
consensus du Comité de Nutrition de la Société de Gastroentérologie et nutrition pédiatriques, ont été publiées
dans le Journal of Gastroenterology and Nutrition, en 2008.
L’ESPGHAN, à la différence de l’OMS, ne considère pas comme
diversification l’utilisation d’une formule pour nourrisson. Les
principales questions qui se posent concernant la diversifica-
tion alimentaire chez le nourrisson sont : quand, pourquoi et
comment ? Y-a-t-il des facteurs limitants à la diversification ?
Comment faire en pratique en raison de la rareté des données
scientifiques ?
Historique de la diversification :
de 1923 à 2009
L’histoire de la diversification a beaucoup fluctué au gré des
années et des modes, sans réels arguments scientifiques.
C’est en 1923 qu’ont été présentées les premières « recommandations ». À cette date, Jundell proposait de débuter la
diversification vers 6 mois. Des propositions plus originales
ont vu le jour ensuite : en 1943, Steward suggérait d’introduire la sardine, le thon, les crevettes vers 4 - 6 mois, puis en
1953, Sackett introduisait les céréales au 2e jour, les légumes
au 10e jour, la viande en purée au 14e jour, les fruits au 17e
jour. En 1966, Laurence Pernoud suggérait la diversification
vers 3 mois. Aujourd’hui, il est recommandé par le comité
de nutrition de l’ESPGHAN de commencer la diversification
après 4 mois (17 semaines) et avant 6 mois (26 semaines), soit
dans la fenêtre de 4 à 6 mois. Chez les enfants exclusivement
allaités et selon l’OMS, la diversification est recommandée à
partir de 6 mois.
Facteurs limitants
* Correspondance
e-mail : [email protected].
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Archives de Pédiatrie 2009;16:2-4
Certains facteurs, témoins de l’évolution de la maturité
physiologique, doivent être considérés pour déterminer si un
Diversification alimentaire : nouvelles recommandations
nourrisson de 4 à 6 mois peut accepter d’autres aliments que
le lait. L’augmentation de la salivation, l’amélioration de la
digestion et de l’absorption intestinale (quasiment matures
à cet âge), la diminution de l’absorption des molécules non
dénaturées (qui détermine le seuil de tolérance ou la sensibilisation précoce chez un enfant), la capacité de supporter
une charge rénale osmotique et sodée plus grande, en font
partie. D’autres éléments d’ordre psychomoteur ont aussi
leur importance : disparition progressive du réflexe d’extrusion, capacité d’avaler des aliments non liquides, apparition
du mouvement latéral de mastication (qui permet de passer
à une texture plus solide), mimétisme (porter à la bouche,
tenir sa cuiller…). Sur le plan moteur, la capacité à s’asseoir
avec appui, le contrôle postural du cou et de la tête, la plus
grande capacité d’exprimer la faim et la satiété, la meilleure
fermeture de la bouche, favorisent la diversification. L’apparition des premières dents est également importante.
Intérêt et modalités de la diversification
La diversification n’a pas seulement un intérêt nutritionnel,
même s’il est primordial. En effet, à partir de 6 mois, le lait
est insuffisant pour couvrir les besoins en énergie, protéines, fer, zinc, vitamines liposolubles A et D. La diversification
alimentaire favorise la maturation neuropsychologique
et la socialisation. Elle apprend à élargir les liens au-delà
de bébé/maman/papa, à vivre ensemble, à découvrir les
autres.
Il est intéressant de noter que les aliments que l’enfant aura
consommés au moment de la diversification vont influencer
ses choix futurs, au moins à court terme, peut-être pour
longtemps. Une étude parue en 2008 dans Physiology &
Behaviour, a comparé le comportement de 20 nourrissons
âgés de 4 à 9 mois, à terme, diversifiés depuis moins de 2
semaines, à qui on proposait soit des poires ou un mélange
de fruits, soit des petit-pois, pendant une semaine [1]. Dans
le groupe stimulé par des poires, seules ou associées à
d’autres fruits, il a été noté une augmentation sélective de
la consommation de poires et une meilleure acceptation.
Critères de diversification : science,
environnement et bon sens
Les recommandations de diversification alimentaire ne sont
pas basées exclusivement sur la science mais aussi sur le bon
sens. Dans ce domaine, le soignant propose, la mère et son
enfant disposent.
Les modalités de mise en place de la diversification chez
le nourrisson doivent tenir compte de certains facteurs :
le pays, la période, les conditions socioculturelles et
économiques, les habitudes alimentaires familiales, la
place de l’enfant dans la fratrie, le couple mère-enfant,
le poids des générations précédentes dans la famille, la
mode…
En pratique et selon les recommandations
actuelles [2]
Il n’y a pas d’argument d’ordre nutritionnel pour
diversifier le nourrisson allaité avant 6 mois, d’autant
qu’une diversification trop précoce peut conduire à
l’arrêt prématuré de l’allaitement et donc à l’installation de certaines carences (en calcium, fer, acides gras
essentiels). Chez un nourrisson « standard », non allaité,
l’alimentation lactée sera exclusive pendant les 4 à 6
premiers mois. Les aliments seront ensuite introduits un
par un :
les fruits et légumes dès le premier mois de diversification ;
la viande (source de fer héminique), le poisson (notamment
les poissons gras, source d’acides gras poly-insaturés à longue chaîne : développement neuropsychologique, effets
immunostimulants et anti-inflammatoires) et les œufs,
seulement après 5 à 6 mois révolus ;
le lait de vache, même entier, jamais avant 1 an.
Sel et sucre font aussi l’objet de recommandations spécifiques. Il est recommandé de ne pas ajouter de sel en excès
dans l’alimentation des nourrissons pour éviter l’accoutumance au goût salé et en raison de forts arguments liant
sel et HTA, établis par des études épidémiologiques et
d’intervention. Une méta-analyse parue dans Hypertension en 2006, montre que la réduction des apports en sel
diminue la pression artérielle chez l’enfant. Ainsi, même en
l’absence de preuve directe que la réduction/limitation des
apports en sel réduise la pression artérielle chez l’adulte,
la réglementation (française et européenne), impose de
limiter les apports en sel chez le nourrisson. Il semble en
effet que les apports en sel chez le nourrisson pourraient
« programmer » les valeurs de la pression artérielle chez
l’adulte.
La prudence est également de mise en ce qui concerne les
apports en sucre. Trop de saccharose entraîne des caries au
niveau des incisives supérieures. Le phénomène du babybottle tooth caries a été largement décrit chez les bébés qui
s’endorment avec un biberon sucré.
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F. Gottrand
Il n’existe par contre aucun argument en faveur de la restriction de l’apport en graisses avant 3 ans. Les lipides doivent
représenter plus de 25 % des apports énergétiques.
Par ailleurs, il est prouvé qu’une diversification alimentaire
avant 4 mois majore le risque de manifestation allergique
dans la population générale des nourrissons.
Archives de Pédiatrie 2009;16:2-4
Références
1. Mennella JA, Nicklaus S, Jagolino AL, et al. Variety is the spice of
life: strategies for promotion fruit and vegetable acceptance during infancy. Physiol Behav 2008;94:29-38.
2. Agostoni C. Complementary feeding: a commentary by the
ESPGHAN Committee on Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr
2008;46:99-110.