Renaud Camus, la lumière et le désespoir

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Renaud Camus, la lumière et le désespoir
Renaud Camus, la lumière et le désespoir
Écrit par Loïc Lorent
Samedi, 12 Mars 2011 20:42
Romancier, essayiste, pamphlétaire, diariste : depuis trente-cinq ans, Renaud Camus forge une œuvre
protéiforme et audacieuse. Longtemps boudée par les critiques, celle-ci rencontre, aujourd’hui, un écho
grandissant, alors que l’auteur s’élève contre la décadence de la civilisation européenne et le
réensauvagement du monde.
En ces marches de Gascogne où les coteaux timides n’osent tutoyer le ciel, se dresse le
château de Plieux. Sis sur un promontoire, on l’aperçoit de loin lorsqu’on erre sur les routes de
la Lomagne, coin reculé du Gers. En fait, on ne voit que lui, gros monolithe d’une sobriété
janséniste. C’est qu’il ne fut pas construit pour plaire, mais pour résister. C’était au XIVe siècle.
Aujourd’hui, tandis que de nouveaux envahisseurs venus d’Albion, conquièrent le lieu – non
par l’épée mais par l’argent –, Renaud Camus, écrivain au parcours atypique, a choisi d’y
résider.
Bien sûr, la tentation est grande d’assimiler l’artiste à l’endroit où il vit. Surtout pour un auteur
qui a fait de cette relation entre pierre et chair, entre lieu et âme la matière de certains de ses
plus beaux textes, et notamment de ses Demeures de l’esprit, série dans laquelle il rend visite
aux fantômes de romanciers, compositeurs, peintres, philosophes de France et d’ailleurs.
Abandonné, puis rongé par les hivers et les termites, Plieux maintient. Son propriétaire aussi.
Pourtant, des coups, lui aussi en a pris. Et il a plus encore subi le silence des prescripteurs. «
Ce que c’est que la notoriété, tout de même… », s’amuse-t-il quand on lui demande, à lui,
auteur d’une soixantaine de livres, s’il est de la famille d’Albert…
Mais à l’austérité de la bâtisse gasconne répond la chaleur de l’écrivain. Renaud Camus, c’est
un regard gris-bleu, profond, qui déborde de malice ; des gestes lents, contrits, qui trahissent
une certaine timidité ; une voix chaude, amicale, qui appelle le bon mot. Chez lui, le corps et la
parole expriment un mélange d’assurance et d’inquiétude, sentiments qui se mêlent dans son
œuvre, dans une sorte de désordre organisé.
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D’aucuns voudront voir en Plieux un exil. Ils auront tort. Camus n’a pas fui l’agitation
parisienne. Son château est un point vers lequel convergent et s’accumulent les époques. Il
résiste à la marche du temps, se réinvente sans cesse. Sans faire grand bruit, son hôte aussi.
Car Renaud Camus vit à voix basse. Rien ne le désole autant qu’une époque qui ordonne au
coeur de hurler, qui sanctifie l’émotion pour mieux réduire le spectre des sentiments ; qui
célèbre des bateleurs qu’elle qualifie de rebelles alors qu’ils sont les mille visages du
conformisme. Quand le politique, pouvoir soumis volontairement à l’air du temps, court après
le spectacle, et déborde de démagogie pour célébrer « l’idéologie du sympa », Renaud
Camus voit poindre les prolégomènes d’un recul de la civilisation, d’un réensauvagement du
monde.
Fils de la bourgeoisie de province, en l’occurrence celle de Chamalières, Renaud Camus voit
le jour le 10 août 1946. Dans une famille catholique où l’on inculque, non sans amour, des
valeurs à l’ancienne. Il donne du « vous » à sa mère, et trouve cela très bien. Bien sûr, il y a
des histoires (son père est-il vraiment son père ?). Bien sûr, pour maintenir son rang, on vit à
crédit. Car comme le lui dira un jour sa mère : « Si en plus de n’avoir pas un sou, on devait se
priver… » Logique implacable.
Dès l’enfance, Camus se trouve donc en décalage. Il écrira en 1997, dans Derniers jours : «
On m’a transmis dans l’enfance une grille de lecture du monde qui est tellement archaïque
aujourd’hui, tellement abandonnée de toute part, si mal accordée à la pensée et au sentiment
dominants, que d’y rester en grande partie fidèle ne me vaut et ne me vaudra que des ennuis,
et d’abord une grande solitude intellectuelle et idéologique. »
Un diplôme de droit en poche, il monte à Paris en 1963. S’il y poursuit des études de sciences
politiques, de lettres et de philosophie, la finalité de celles-ci lui semble très mystérieuse. Un
plan ? Il n’en a pas. Il a vaguement songé à embrasser une carrière de diplomate. En
Auvergne, il a surtout beaucoup lu, et d’abord les classiques, un peu écrit, et désormais il
s’ennuie. Que faire ? Sa vocation d’auteur va germer lentement. Sa rencontre avec Roland
Barthes, dont il suit le fameux séminaire au Collège de France, sera déterminante, de même
que le sera celle avec Jean Puyaubert. Ce dernier, mécène et figure du Tout- Paris des
années 1960-1970, l’introduit auprès de personnalités du monde artistique et intellectuel. Il
fréquente également Duras, Aragon, Warhol… Le portraiturer en jeune mondain adulé des
princes d’alors serait toutefois exagéré. Il y a aussi les voyages, cette échappatoire salvatrice ;
la Grande-Bretagne et les Etats-Unis – ainsi que la France jusque dans ses profondeurs.
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Son premier livre sort en 1975. Publié par Paul Otchakovsky-Laurens, Passage est un roman
imprégné de l’esthétique du « nouveau roman », que Camus ne reniera jamais. Suivent
ensuite, dans la même veine, Echange et Travers. L’écho médiatique de ces publications est
confidentiel. En 1979, sa plume remue enfin les critiques. L’étincelle ? Tricks. Préfacée par
Barthes, cette chronique, qui conte par le menu les aventures de l’auteur avec des garçons,
accouche d’un petit scandale. Apôtre d’une homosexualité décomplexée, Camus assure
n’avoir pas voulu choquer, encore moins commettre un acte militant. Mais la crudité des
scènes amoureuses est là, et fait encore aujourd’hui de Tricks un texte sulfureux. Ainsi que –
scandale oblige – le plus gros succès de librairie de l’auteur. « Mon petit best-seller »,
plaisante-t-il parfois.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir écrit et publié, et même de manière exponentielle. A partir
des années 1980, il compose au moins un livre par an et jusqu’à cinq en 2009. Elargissant le
champ de ses investigations, Camus se fait topographe lyrique avec son Journal d’un voyage
en France (1981), signe un roman à la forme plus conventionnelle, Roman roi, et verse dans
l’essai en 1985 avec Notes sur les manières du temps. Collaborateur de plusieurs magazines,
auteur installé, il intègre cette même année la Villa Médicis. C’est à Rome qu’il lance la grande
entreprise du Journal, future clé de voûte – avec la série des Eglogues – d’une œuvre déjà
conséquente. Au fil de ses pages, s’entremêlent récit d’escapades, servitudes et grandeurs de
la vie amoureuse, anecdotes – drolatiques, tragiques, ou insignifiantes – de la vie quotidienne.
L’auteur y brasse encore idées et réflexions sur les sujets les plus divers et, ce faisant, trouve
chaque jour de nouvelles raisons de moquer son époque. Fidèle à sa promesse de tout dire –
ce qui ne signifie pas qu’il dise toute la vérité –, Camus s’y dévoile en sa crue nudité. Et ce
qu’il voit dans le miroir n’est pas toujours plaisant… Si on lui dit, « impudeur », il tranche que,
hors ce regard sans concession sur lui-même et ses amis, le Journal ne présenterait aucun
intérêt.
Vivre de sa plume est une coûteuse chimère. Décidé à la poursuivre, Camus se condamne à
une surproduction génératrice de contrariétés permanentes, à commencer par de byzantines
négociations avec ses éditeurs. Le Journal offre un éclairage édifiant sur cette course aux
contrats. Des missions ponctuelles pour le ministère de la Culture autorisent néanmoins
l’auteur à multiplier les dépenses, à défaut de vivre comme un gentleman, et même à troquer,
en 1992, son appartement parisien contre Plieux. Fanatique des paysages, il a été émerveillé
par « l’horizontalité pure » du Gers. La contempler du haut d’une tour pluriséculaire, c’est
encore mieux. Y organiser des expositions d’art contemporain, une folie.
C’est pourtant ce qu’il fait de 1993 à 1998, ornant les vastes salles du château d’oeuvres de
Jean-Paul Marcheschi, Miró, Eugène Leroy ou Christian Boltanski. Il compose plusieurs textes
sur l’art, tels le Discours de Flaran et Nightsound. Dans Esthétique de la solitude (1990), sans
nier que l’art contemporain sécrète « force méchants canulars », il affirme y dénicher des
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beautés comparables à celles des siècles passés. Mais les voir exige de nous un «
consentement » préalable. « Dans l’aimable morosité de nos jours, l’art est une pierre noire,
un dépôt de nuit, un vademecum de l’ailleurs, un garant de l’inidentité », écrit-il.
Son retrait coïncide avec une nette radicalisation de sa pensée, au point de voguer vers une
critique systémique de la modernité. Obsédé par l’idée de la perte, Camus s’affiche comme un
défenseur résolu d’une civilisation qu’il voit disparaître sous ses yeux. Son Eloge moral du
paraître (1995), puis le Répertoire des délicatesses du français contemporain (2000)
témoignent de cette évolution. Supplicié par les euphémismes creux et les néologismes
grotesques, le réel n’en reste pas moins l’unique vérité. La dérive orwellienne de la démocratie
d’opinion est patente – intuition que partage en même temps Philippe Muray dans ses essais.
Mais il manque encore à cette prise de conscience un cadre théorique. Peu à peu, Camus va
le bâtir.
En 2000 cette nouvelle réalité intellectuelle et médiatique le rattrape. Dans la Campagne de
France, Camus consacre un très court passage à une émission de radio, où il évoque une «
surreprésentation » d’intervenants juifs. Cela suffit à déchaîner certaines plumes faisant
profession d’« antifascisme ». Malgré une œuvre qui a toujours exalté l’apport de la culture
juive à la culture française, malgré l’ardent soutien de nombreux intellectuels, dont Alain
Finkielkraut et Emmanuel Carrère, Camus est excommunié et ses livres mis à l’index. Surtout,
il est blessé et tente désespérément de saisir les motivations de ses ennemis.
Victime expiatoire de ceux qu’il nommera les « amis du désastre », Camus refuse de passer
sous les fourches caudines de la doxa. Bientôt, il riposte. Par la plume. Avec Du sens, en
2002, il tance une Europe sans essence, sans identité, sans ambition, livrée à une
immigration de masse. Avec la Dictature de la petite bourgeoisie, en 2005, il dénonce
l’égalitarisme et la médiocrité ambiante. L’école, jouet préféré des démagogues, devient le
bras armé de l’effondrement. Et tant pis si une génération entière, élevée dans le culte du
diplôme pour tous, ne sait plus parler sa langue. En 2007, il s’en prend à l’antiracisme
dogmatique, avec le Communisme du XXIe siècle. Enfin, en 2008, dans la Grande
Déculturation, il va à rebours des discours sur la démocratisation de la culture, pour rappeler
qu’il ne saurait y avoir de savoir sans héritage, sans filiation, sans intercesseurs. Que tout le
monde n’est pas – et ne sera jamais – capable de voir la subtilité les toiles de Constable, des
films de Visconti ou des symphonies de Sibelius.
De la théorie à la pratique, il n’y a qu’un pas. Que Camus – pourtant individualiste forcené –
franchit en 2002, lorsqu’il fonde le Parti de l’In-nocence (qu’on pourrait traduire par Parti de la
non-nuisance). La ligne générale ? Un conservatisme proche de celui de feu le MPF, doublé
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d’un intérêt marqué pour l’écologie. Pas de quoi soulever les foules, mais la certitude de
s’exposer aux coups des élites progressistes.
Alors, pourquoi cet engagement ? « Parce que personne d’autre n’ose le faire », répond-il.
Conscient que, depuis l’affaire qui porte son nom, un certain milieu refuse de voir en lui autre
chose qu’un écrivain d’extrême droite, Camus a de toute façon brûlé ses vaisseaux. En
novembre dernier, tandis qu’était publié l’Abécédaire de l’In-nocence, recueil de nombreux
textes produits par ce parti depuis sa naissance, il annonçait son intention d’être candidat à
l’élection présidentielle de 2012… Lamartine appréciera.
Qu’ils fassent l’impasse sur cet engagement, le jugent secondaire par rapport à son oeuvre,
ou le soutiennent, les lecteurs de Camus sont toujours présents. On chuchote même qu’ils
sont de plus en plus nombreux. Les volumes des Demeures de l’esprit rencontrent
actuellement un joli succès. Loin, publié en 2009, a échappé de peu au grand prix du roman
de l’Académie française. Et l’aurait mérité, tant Camus s’y révèle une fois encore grand styliste
et parvient à capter magistralement l’air du temps. Ce temps qui ne l’aime peut-être pas, et
qu’il n’aime pas beaucoup plus. Mais ce temps d’où est née une œuvre tour à tour furieuse et
mélancolique, lumineuse et désespérée, en un mot complexe. A l’image de son auteur.
A lire Abécédaire de l’In-nocence Editions David Reinharc, 573 pages, 29 €; Kråkmo, Journal 2009 Fayard, 611 pages, 32 € ; De
meures de l’esprit - France III Nord-Est
Fayard, 527 pages, 32 €.
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