« Mon nom est personne » dit l`enfant – ou l`affaire Boccara

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« Mon nom est personne » dit l`enfant – ou l`affaire Boccara
...
Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité scientifique
N°30 : juin
2002
« Mon nom est personne » dit l’enfant – ou l’affaire Boccara
Les faits
En 1997, un gynécologue est
condamné par la Cour d’appel de Lyon
pour avoir confondu deux patientes,
provoquant
chez
l’une
d’elles
l’expulsion d’un fœtus de six mois. La
chambre criminelle de la cour de
cassation censurait cet arrêt, le 30 juin
1999, refusant que ce médecin fût
condamné pour homicide involontaire
(affaire Golfier).
Le 29 juillet 1995, victime d’un
chauffard conduisant en état d’ivresse,
Sylvie G., enceinte de six mois, était
blessée. Le lien de cause à effet entre
la violence du choc et la naissance
prématurée d’un enfant mort-né est
établi par le corps médical : ce fœtus
était viable mais il est mort du fait de
lésions cérébrales importantes causées
par l’accident. La Cour de Reims,
condamne le chauffard, non seulement
pour les blessures causées à la mère,
mais aussi pour homicide involontaire.
La cour d’appel de Metz, ne retient pas
cette dernière incrimination estimant
qu’il ne pouvait y avoir d’homicide qu’à
l’égard d’un enfant dont le cœur battait
à la naissance et qui à respiré. Le 29
juin 2001, la Cour de cassation, en
assemblée plénière, confirme la
décision de Metz, confirmant par là
l’arrêt précédent de la chambre
criminelle (affaire Grosmangin).
En novembre 1991, Sophie P. perd son
bébé venu à terme, à la suite de
négligences et imprudences d’une
sage-femme, et de défaut de
surveillance de la grossesse commis
par le médecin. La Cour d’appel de
Versailles, le 19 janvier 2000, rendant
un « arrêt de rébellion », retient
l’incrimination d’homicide involontaire.
Le médecin ayant attaqué cet arrêt,
l’affaire est présentée, le 6 juin 2002, à
la chambre criminelle de la Cour de
cassation. L’arrêt sera rendu le 25 juin
2002 (affaire Boccara). Que dira-t-il ?
Les arguments
Certains ont considéré l’arrêt du 29 juin
2001 (affaire Grosmangin) comme « un
arrêt historique, apparaissant un peu
pour des pénalistes comme l’équivalent
de l’arrêt Perruche pour les civilistes ».1
L’attendu de principe de cet arrêt est le
suivant : « le principe de la légalité des
délits et des peines, qui impose une
interprétation stricte de la loi pénale,
s’oppose à ce que l’incrimination
prévue par l’article 2260.1 du code
pénal réprimant l’homicide involontaire,
soit étendue au cas de l’enfant à naître
dont le régime juridique relève de
textes particuliers sur l’embryon et le
fœtus. »
Cette motivation a paru très elliptique
aux commentateurs qui, à la quasi
unanimité, se sont élevés contre l’arrêt
de la Cour, pris à l’encontre des
conclusions de l’avocat général, M.
Sainte Rose.
Cet attendu évoque donc deux
arguments : la stricte interprétation de
la loi pénale et l’existence de normes
particulières entraînant des dérogations
par rapport à la règle générale. Sur ce
second point, il suffit de relever
qu’aucun des textes particuliers sur
l’embryon ou le fœtus ne concerne des
situations pouvant avoir un rapport
avec l’homicide involontaire. « On
découvre maintenant que la règle
spéciale applicable à une question
donnée peut évincer l’application de la
règle générale à toute autre question,
non résolue par la règle spéciale. »2
L’interprétation de l’« autrui »
Qu’en est-il de l’interprétation de la loi
pénale ? L’homicide involontaire est
défini comme le fait de causer la mort
d’autrui par maladresse, imprudence,
inattention…3 La question porte sur la
définition de « autrui ». L’enfant à naître
est-il autrui ? Le fœtus est bien autre
dans la mesure où s’il n’a pas
d’autonomie il n’en a pas moins une vie
biologique propre. Rien ne laisse
penser que le législateur ait voulu
exclure l’enfant à naître de la protection
pénale, dès lors qu’il fit inscrire dans le
code civil (en tête de l’article 16) « la loi
garantit le respect de l’être humain dès
le commencement de sa vie. »
L’avortement est la seule exception à
ce principe.
Certains estiment que le mot autrui
correspond à la personne. Ils font
référence à la personnalité juridique de
l’être humain (elle n’est pas définie par
la loi mais la doctrine dominante la fait
reposer sur une naissance en vie).
Mais cette personnalité juridique n’est
qu’une construction abstraite alors que
le droit pénal ne s’intéresse qu’à l’être
de chair et de sang. Le fondement
véritable
d’une
poursuite
pour
homicide involontaire est donc
la vie de l’enfant à naître et
rien d’autre. « L’objet de la
protection
moins
la
pénale
personne
doit
être
dans
sa
dimension juridique que saisie
dans son humaine nature.»
4
Certains enfin veulent lier la
notion d’homicide à celle de
Gène Ethique - n°30– juin 2002
viabilité
mais
dans
l’affaire
de
bioéthique
donne
au
Boccara le fœtus était réputé
« projet parental » le rôle de
viable
clef
(le
terme
de
la
de
voûte
de
législation. La logique voudrait
plus la notion de viabilité est
qu’elle soit appliquée à toutes
inconnue en droit pénal qui
les situations de l’enfant à
protège
naître,
vie
et
non
or
paradoxalement
l’aptitude à la vie.
avec un tel arrêt la liberté de
Retombées morales et médicales
la femme de procréer n’est
L’importance de ces arrêts de
pas protégée.
la Cour de cassation, tient
Domaine
aussi à leurs retombées dans
une
les
condamnant le médecin pour
domaines
sous-jacents :
moraux et médicaux.
Domaine
moral :
l’enfant
à
naître se voit privé de toute
protection pénale. Jamais la
justice
n’aura
été
si
loin
médical :
il
jurisprudence
existe
répressive
blessures involontaires sur un
fœtus
ayant
handicap.
provoqué
Alors
médical
qui
en
recueillera les effets pervers.
notre
grossesse étant dépassé). De
la
corps
un
comment
expliquer que dans le même
temps le fœtus puisse être
Conclusion
Après les arrêts Perruche et
Grosmangin
trouvons
nous
dans
la
nous
situation
paradoxale où comme le dit le
Professeur
Hauser :
« est
puni civilement celui par la
faute
duquel
le
foetus
est
arrivé à la vie, et n’est pas
puni pénalement celui par la
faute duquel il est arrivé à la
mort. »
Ref :
Consulter
l’affaire
le
dossier
Boccara
de
sur
dans la désacralisation de la
victime du délit de blessures
www.genethique.org
vie
involontaires mais ne
1- J. Pradel, professeur à la
humaine.
Pradel
Le
assimile
professeur
cette
reconnaissance
à
non
une
« seconde mort de l’enfant
conçu ».
Comment
des
parents peuvent-ils admettre
que
l’enfant
attendaient et ont
par
la
faute
n’existait
pas
et
qu’ils
donc
d’un
victime
du
délit
d’homicide
involontaire ?
médecin
peu
pourrait
aurait
en
scrupuleux
tirer
avantage
Un
en
parti
et
cas
de
qu’ils
blessure accidentelle du fœtus
perdu
à le voir mourir. Un climat de
tiers
juridiquement
n’ont
être
puisse
rien
perdu ? La révision des lois
suspicion
ne
manquera
pas
dans ces cas là de s’installer
entre
les
familles
et
faculté
de
droit
de
Poitiers,
Dalloz 2001 N°36.
2-
Pr
Vigneau,
dictionnaire
permanent de bioéthique et de
biotechnologies (P.7462).
3- Article 221 6 du nouveau
code
pénal.
Cet
article
figure
dans la section intitulée « des
atteintes involontaires à la vie ».
4- Professeur Vigneau
le
médecin. C’est l’ensemble du
« Première thérapeutique » avec les cellules adultes
Une étude récente publiée par L. Yang et
coll.1 montre pour la première fois, à
notre connaissance, que des cellules
souches adultes peuvent être utilisées
en thérapie cellulaire.
Pancréas-foie-pancréas
Alors que des travaux suggèrent déjà
que les cellules souches de pancréas
peuvent se trans-différencier (s’engager
dans une voie différente de celle pour
laquelle elles étaient prévues) en cellules
de foie 2, les auteurs de cette nouvelle
étude ont montré que des cellules
souches de foie de rat pouvaient se
différencier en cellules de pancréas
capables de corriger l’hyperglycémie de
souris diabétiques dans lesquelles elles
ont été ensuite implantées. Les cellules
ovales de foie, considérées comme étant
les cellules souches hépatiques, ont un
double potentiel de différenciation : elles
sont à l’origine des hépatocytes (les
cellules du foie) et des cellules des
canaux biliaires. Les résultats de cette
étude montrent qu’elles peuvent aussi se
différencier en cellules pancréatiques
endocrines, c’est à dire capable de
sécréter des hormones.
Le foie est le seul organe qui se régénère
totalement après avoir subi une lésion.
Les auteurs ont détruit chimiquement une
partie des foies des rats pour stimuler les
cellules ovales de foie. Ils ont ensuite
prélevé celles-ci de manière très
pure et les ont maintenues en
culture in vitro sans leur faire perdre
leurs caractéristiques de cellules
indifférenciées pendant six mois.
Après deux mois supplémentaires
de culture dans un milieu approprié
riche en glucose, ces cellules
s’agrègent en îlots pancréatiques.
La nature endocrine de ces cellules
a été vérifiée tant au niveau des
gènes qu’elles expriment qu’à celui
des hormones qu’elles sécrètent.
1ère expérience in vivo
Des études préalables avaient
montré que la maturation de cellules
Gène Ethique - n°30– juin 2002
pour qu’elles expriment toutes leurs
fonctions nécessite leur implantation
dans un environnement cellulaire.
L’étude fonctionnelle de ces cellules
différenciées mais encore immatures a
donc ensuite été réalisée in vivo en
implantant les îlots obtenus chez des
souris diabétiques (le choix d’un
organisme receveur d’espèce différente
des cellules implantées permet de tracer
celles-ci). Deux souris ont reçu 30
agrégats de cellules sous la capsule
rénale et une souris en a reçu 200. La
glycémie n’a été régularisée que chez
cette dernière. Ces résultats montrent
que la maturation in vivo des cellules de
pancréas obtenues à partir de cellules
souches de foie est possible et permet
voix con
de corriger le diabète, à condition qu’un
nombre important de cellules soit
implanté.
Si de plus en plus de travaux récents
tendent à montrer que les cellules
souches adultes ont une capacité à se
trans-différencier lorsqu’elles sont dans
un environnement adapté, les résultats
étaient jusqu’à présent obtenus sur des
cellules cultivées in vitro et jamais
aucune application in vivo n’avait été
réalisée. Cette étude remarquable est
donc un des premiers exemples de
faisabilité de l’utilisation des cellules
souches adultes en thérapie.
Ce travail confirme l’intérêt d’approfondir
les recherches sur les cellules souches
adultes et leur capacité à se transdifférencier. Il présente une
approche de thérapie cellulaire d’un
type de diabète (insulino-dépendant)
en utilisant des cellules sécrétrices
d’insuline dérivées de tissus non
pancréatiques. Enfin les cellules
hépatiques et pancréatiques ont la
même origine embryonnaire que les
cellules sanguines qui sont faciles
d’accès. Cette étude ouvre donc des
perspectives très prometteuses.
1-
L. Yang et coll., Proceedings of the
National Academy of Sciences of the
U.S.A. 2002 Jun 11; 99(12):8078-8083.
2- (Dabeva et coll, PNAS 1997, 94 :
7356-7361)
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune.
Directeur de la publication et rédacteur en chef : Jean-Marie Le Méné
Contact : Aude Dugast - 31 rue Galande 75005 Paris - Tél/Fax : 01.55.42.55.14
[email protected]
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