Vers un marché unique du crédit immobilier en Europe

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Vers un marché unique du crédit immobilier en Europe
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PAR
CRÉDIT
AGRICOLE
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Vers un marché unique
du crédit immobilier
en Europe ?
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Le crédit logement en Europe :
disparités marquées suivant les pays
Les crédits logement accordés
aux ménages français
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Les marchés du logement : exemples européens
Les techniques de garanties : l’exemple français
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DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES
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ÉDITÉE
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REVUE
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La distribution du crédit immobilier aux particuliers
L’intégration financière
des marchés hypothécaires européens
Vers un marché hypothécaire européen intégré ?
Travaux d’experts à Bruxelles
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Edito
HORIZONS
Vers un marché
du crédit immo
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JEAN-LUC PERRON
RESPONSABLE DES QUESTIONS EUROPÉENNES,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Le crédit logement en Europe :
disparités marquées suivant les pays
..................................................
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OLIVIER ELUÈRE, ÉCONOMISTE, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Les caractéristiques des marchés du crédit logement restent très différentes
au sein des pays de l’Union européenne : nature des taux, gamme
de produits, niveau de l’endettement et du rapport crédit immobilier/
valeur de l’actif immobilier.
Les marchés du logement :
exemples européens
...................................................................................................................
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OLIVIER ELUÈRE, ÉCONOMISTE, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Panorama du marché du logement en Italie, Royaume-Uni,
Pays-Bas, Pologne.
Repères : les crédits logement accordés
aux ménages français en 2003
...................................................................
15
La forte demande de logements, une offre locative toujours insuffisante,
des taux d’intérêt attractifs ont à nouveau soutenu, en 2003,
les transactions et l’octroi de crédits malgré la poursuite de la hausse des prix.
Les techniques de garanties :
Hypothèque et caution
....................................................................................................
Les banques qui financent un projet immobilier requièrent généralement
une garantie pour se protéger contre le risque de défaut de paiement
de la part de l’emprunteur. Cette garantie est le plus souvent une
hypothèque. C’est notamment le cas dans les pays anglo-saxons où le même
terme de « mortgage » désigne à la fois le prêt immobilier et l’hypothèque.
La France utilise également la caution qui se définit comme l’engagement
pris par un tiers de payer pour l’emprunteur défaillant.
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BANCAIRES
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NUMÉRO
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OCTOBRE
2004
unique
bilier en Europe ?
La distribution du crédit immobilier aux particuliers :
vers une intégration européenne ?
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PATRICK STOCKER, DIRECTION MARCHÉ DES PARTICULIERS, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
La prédominance de l’agence bancaire encore peu contestée dans la distribution du crédit
immobilier en Europe. La prescription immobilière se développe et le rôle d’Internet s’accroît.
Cependant, aux dires de la Commission européenne, seul le développement
du crédit transfrontalier permettra l’émergence d’un véritable marché intérieur.
L’intégration financière
des marchés hypothécaires européens
...................................................................................
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CÉSAR PAIVA ET JÉRÔME BARRUÉ, RESPECTIVEMENT MANAGING DIRECTOR ET SENIOR
MANAGER, CABINET MERCER OLIVER WYMAN.
L’étude menée par Mercer Oliver Wyman pour la Fédération hypothécaire européenne
met en évidence l’absence de distorsion dans les conditions d’accès au crédit immobilier dans
les pays de l’Union. Cette étude qualifie également les bénéfices attendus d’une harmonisation
des marchés hypothécaires européens ainsi que les obstacles à leur réalisation.
Vers un marché hypothécaire européen intégré ?
...................................
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HENRY RAYMOND, DIRECTEUR GÉNÉRAL, CAISSE DE REFINANCEMENT DE L’HABITAT (CRH).
Les marchés hypothécaires apportent aux établissements de crédit des ressources
complémentaires pour refinancer les prêts hypothécaires au logement. Il paraît donc opportun
de veiller à les renforcer et à les rendre plus homogènes dans un environnement où semblent
se dessiner une diminution tendancielle des encours globaux des dépôts bancaires et,
corrélativement, une augmentation probable des besoins de financement.
Travaux d’experts à Bruxelles
............................................................................................................
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Le rapport final du Forum Group initié par Bruxelles reviendra prochainement sur
l’harmonisation du crédit immobilier au sein de l’Union européenne. Ses recommandations
devraient contribuer à l’amélioration des pratiques et à l’atténuation des divergences
subsistant entre pays de l’Union, entre établissements de crédit et consommateurs.
Service aux lecteurs
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DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Gilles Guitton
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Pascal Blanqué
RÉDACTEUR EN CHEF
Danielle Monsimier
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
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Élisabeth Nicolas
CONTACTS
Crédit Agricole S.A.
75710 Paris Cedex 15
Tél. : 01 43 23 69 02 - Fax : 01 43 23 58 60
Internet : http://www.credit-agricole.fr/ca/kiosque-eco/index.html
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Bleu comme une Orange
RÉALISATION
CAG
IMPRESSION
Crédit Agricole S.A.
COMMISSION PARITAIRE
N° en cours
« Cette publication reflète l’opinion du Crédit Agricole. Toutefois, les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de
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RESPONSABLE DES QUESTIONS EUROPÉENNES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Priorité économique et sociale pour les gouvernements européens, le financement
du logement fait partie du cœur de métier de la banque de détail. Les encours de
crédit hypothécaire en Europe s’élèvent à quelque 4 200 milliards d’euros, dont
350 milliards pour la France. Une conjoncture de taux favorable fait du crédit à
l’habitat un des moteurs du retour à la croissance en Europe. C’est toutefois l’un
des marchés les plus fragmentés au niveau européen : les enquêtes montrent que les
consommateurs s’adressent d’abord à leurs enseignes nationales, et tout particulièrement aux réseaux bancaires de proximité, pour leur fournir les financements nécessaires à l’acquisition ou à la modernisation de leur logement.
En fonction des traditions de chaque pays, ces financements se caractérisent par des
approches commerciales, des conditions financières de taux et de durée, une évaluation du risque et des régimes juridiques très différents ; en France, le taux fixe
domine, tandis que la Grande Bretagne et l’Espagne ne connaissent pratiquement
que le taux variable ; en Grande Bretagne, les crédits sont attribués essentiellement
sur la base de la valeur intrinsèque du bien, en France, sur la capacité de remboursement du ménage. Au plan juridique, les règles de protection des consommateurs et le
régime des garanties sont très différents d’un pays à l’autre. En particulier, les conditions d’inscription et de mise en œuvre des hypothèques dépendent beaucoup des
traditions juridiques et administratives de chaque pays. S’agissant des conditions de
refinancement des crédits immobiliers, elles ne sont pas identiques, même au sein de
l’Eurozone, selon qu’elles reposent principalement sur un modèle de transformation
de l’épargne par le système bancaire ou qu’elles font appel à la titrisation de créances
hypothécaires sur les marchés financiers. Enfin, il faut rappeler que les États interviennent par la fiscalité ou la bonification d’intérêt pour favoriser l’accès des ménages
à revenu modeste au logement ou orienter l’épargne immobilière.
Dans ce contexte, plusieurs facteurs sont en œuvre pour aboutir à plus d’intégration
au niveau européen. Il y a bien sûr l’augmentation rapide des investissements
immobiliers trans-frontières : ainsi les Britanniques sont de plus en plus nombreux
à investir dans le Sud-Ouest de la France ou en Toscane. Internet offre par ailleurs
aux consommateurs les plus avertis la possibilité de comparer des offres émanant de
différents pays membres, et le cas échéant, mais c’est aujourd’hui encore exceptionnel, de conclure un crédit immobilier on-line. Un autre facteur d’intégration est le
développement des instruments financiers de titrisation de créances hypothécaires
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(MBS) qui s’accommode mal d’une hétérogénéité des
régimes juridiques des créances sous-jacentes. Enfin, la Commission européenne a la volonté politique de favoriser, dans
ce domaine comme dans d’autres, l’émergence d’un véritable
marché européen intégré. Le « Forum-Group crédit hypothécaire » qu’elle a réuni depuis dix-huit mois pour identifier les
obstacles à l’intégration, et auquel un expert du Crédit Agricole a participé, doit rendre prochainement son rapport.
Face à ces tendances, il serait aussi naïf d’attendre une harmonisation totale et rapide du financement du logement en
Europe, qui restera pour longtemps un service de proximité,
qu’irréaliste d’adopter une position purement défensive. Une
certaine convergence des pratiques apparaît d’ores et déjà : le
chancelier de l’Échiquier a demandé un rapport pour favoriser le développement du crédit immobilier à taux fixe en
Grande Bretagne. En France, le gouvernement a fait part de
son intention de moderniser le droit et la pratique de l’hypothèque pour faciliter le développement de nouveaux produits. À Bruxelles, les associations bancaires ont fait des propositions communes, dans le cadre de l’EBIC (European
Banking Industry Committee) pour une harmonisation ciblée
en matière de protection des consommateurs.
Ce numéro d’Horizons bancaires se propose d’analyser la
situation actuelle, les facteurs d’évolution et les principales
orientations qui pourraient être adoptées au plan européen.
Il doit permettre à tous les acteurs du financement du logement de se déterminer pour être plus efficace face à une
concurrence de plus en plus ouverte.
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Vers un marché hypothécaire
européen intégré ?
HENRY RAYMOND
DIRECTEUR GÉNÉRAL, CAISSE DE REFINANCEMENT DE L’HABITAT (CRH)
Les marchés hypothécaires apportent aux établissements de
crédit des ressources complémentaires pour refinancer les
prêts hypothécaires au logement. Il paraît donc opportun de
veiller à les renforcer et à les rendre plus homogènes dans
un environnement où semblent se dessiner une diminution
tendancielle des encours globaux des dépôts bancaires et,
corrélativement, une augmentation probable des besoins de
financement.
L es mécanismes de fonctionnement des marchés hypothécaires européens sont souvent peu connus. Cela vient sans
doute du fait que ces marchés ont fréquemment été dans le
passé purement interbancaires ou animés par un nombre
limité d’acteurs.
Certains commentateurs, même universitaires, par méconnaissance du rôle réel de ces marchés dans le financement de
l’économie, ont quelquefois affirmé l’inefficience de certains
d’entre eux en évoquant leurs volumes, selon eux, modestes.
Pourtant, ces marchés hypothécaires jouent parfaitement leur
rôle en apportant aux banques des ressources complémentaires
pour satisfaire leurs besoins de financement du logement. La
contribution globale de ces marchés n’est pas négligeable, elle
représente 20 % des encours de prêts en moyenne.
Le propre des marchés de dettes est de satisfaire les besoins
résiduels de financement, or, à certaines exceptions nationales
près, ces besoins ne sont pas très élevés en Europe dans le secteur des prêts au logement. Les dépôts bancaires les financent
en effet largement, à hauteur de 60 % des encours en moyenne.
Nous nous proposons ici de définir ce qu’est un marché hypothécaire, de décrire les différents titres susceptibles d’y être
négociés, d’évoquer le marché hypothécaire français et de
fournir quelques commentaires sur le marché hypothécaire
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européen en devenir.
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/... DÉFINITIONS
U n marché hypothécaire est un marché permettant aux établissements de crédit de refinancer leurs prêts assortis d’une
hypothèque en émettant des titres spécifiques, titres qui sont
acquis par les apporteurs de capitaux.
Pour refinancer des prêts au logement, les établissements de
crédit peuvent émettre :
• des parts de fonds communs de créances (FCC), s’il s’agit
d’une opération de titrisation de droit français, ou des residential mortgage backed securities (RMBS), s’il s’agit d’une
opération de titrisation de droit étranger ;
• des obligations foncières (pfandbriefe) dont le but est d’offrir
une grande sécurité aux investisseurs en raison du mécanisme
juridique attaché à ces émissions ;
• des obligations couvertes émises par des centrales d’émission
comme la Caisse de Refinancement de l’Habitat (CRH) ou
encore par des organismes du type de HBOS (Halifax-Bank
of Scotland) dont les opérations reposent principalement sur
la titrisation des actifs refinancés.
L’ÉMISSION DE PARTS DE FCC
(OU DE RMBS) DANS LE CADRE
D’UNE OPÉRATION DE TITRISATION
L a titrisation est une technique transformant des actifs en
titres en vue de leur cession à des investisseurs.
Concrètement, un établissement de crédit souhaitant vendre
certains actifs les cède à un fonds commun de créances
(FCC), copropriété dépourvue de personnalité morale. En
contrepartie, le FCC émet des parts représentatives de ces
actifs et les remet à l’établissement cédant. Ces parts sont des
instruments financiers de montant unitaire réduit. Elles peuvent être vendues plus facilement que les actifs.
La mise en place de cette technique suppose ainsi théoriquement que les titres émis sont vendus et sortent du bilan de la
banque concernée, mais ce n’est pas toujours le cas. En Europe,
la titrisation y est même surtout utilisée par les banques pour
rechercher une amélioration de leur ratio de solvabilité sans
céder totalement, voire sans céder du tout, les actifs ou les
parts concernés en exploitant ainsi des failles de la réglementation bancaire.
L’arrivée prochaine du nouveau régime prudentiel des
banques « Bâle II » et de nouvelles normes comptables devrait
cependant limiter ce type d’utilisation. Les autorités régulatrices demandent que les actifs titrisés soient dorénavant clairement cédés ou conservés, ce qui réduit les gains prudentiels
recherchés. Les nouvelles normes comptables vont elles48
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mêmes imposer que ces opérations soient évaluées en valeur
de marché.
Lorsqu’il s’agit d’un moyen de vendre réellement des actifs, la
titrisation constitue une source de financement coûteuse.
Pour acheter les titres émis représentant la propriété de ces
actifs et donc supportant le risque qui leur est associé, les
investisseurs demandent en effet un rendement élevé. De
plus, la réalisation de l’opération suppose le paiement de
commissions non négligeables à nombre d’intermédiaires.
Cette dernière considération engendre d’ailleurs une certaine
sympathie pour les opérations de ce type chez les sociétés de
conseil, les établissements qui montent les opérations ou qui
placent les titres émis, et certains cabinets d’avocats.
Des reproches ont été formulés sur la complexité et l’opacité
qui caractérisent quelquefois les opérations de titrisation,
Standard and Poors notamment vient de communiquer sur ces
questions.
Il reste que la titrisation peut être utile pour les banques qui
souhaitent améliorer leur ratio de solvabilité, si elles vendent
ainsi les actifs titrisés à un prix raisonnable. Elle peut naturellement par ailleurs être très utile aux établissements de crédit
qui auraient des fonds propres insuffisants du fait de difficultés financières ou dans le cas où des cessions d’actifs se révèlent difficiles. En tout état de cause, son rôle est aujourd’hui
limité dans le financement du logement en Europe. Les opérations de titrisation représentent seulement une part marginale
des encours.
L’ÉMISSION D’OBLIGATIONS FONCIÈRES
(PFANDBRIEFE)
L es principaux pays utilisateurs de l’émission de ces titres
sont l’Allemagne, le Danemark et la Suède. Leurs obligations
représentent 80 % de l’encours total des obligations de ce
type en Europe. Certaines de leurs émissions qualifiées de
« Jumbos », représentent des encours très importants. Cette
technique permet de refinancer des prêts au logement mais
permet aussi de financer des prêts de nature différente, en
particulier des prêts au secteur public.
En France, le Crédit Foncier de France utilise ce mécanisme
depuis 150 ans. En raison des difficultés qu’il a rencontrées à la
fin des années 1990, les pouvoirs publics ont modifié les dispositions législatives régissant ses opérations et banalisé son statut. Ce
statut est dorénavant utilisé aussi par le Crédit Immobilier de
France (CIF Euromortgage), le Crédit Foncier et Communal
d’Alsace et de Lorraine et par Dexia (Dexia Municipal Agency)
/...
qui refinance ainsi ses prêts aux collectivités locales.
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/... Le cadre juridique de ces obligations est défini en Europe par
les dispositions de l’article 22.4 de la directive OPVCM/CEE
de 1988 prévoyant pour celles-ci un régime dérogatoire vis-à-vis
de la réglementation des OPCVM. Les obligations concernées
bénéficient de plus d’une pondération préférentielle dans le
calcul du ratio de solvabilité des établissements de crédit qui
les détiennent. Ces dispositions visent un droit de priorité
légal, pour le porteur d’obligations, sur tout ou partie de l’actif de l’établissement émetteur, qui doit être un établissement
de crédit.
Cet actif, objet du droit de priorité, est baptisé portefeuille de
couverture. Il doit être composé de prêts respectant certains
critères de qualité. Les établissements de crédit habilités à
émettre ce type d’obligations, spécialisés ou non selon les
États, bénéficient ainsi d’un coût de financement réduit généralement très inférieur au coût du financement par voie de
titrisation des actifs à refinancer. À la différence du porteur
de parts de FCC, le porteur d’une obligation foncière possède
un titre de créance sur un établissement de crédit. Le cas
échéant, il peut poursuivre celui-ci si le portefeuille de couverture se révélait d’un montant insuffisant.
La FSA, organisme britannique de régulation, tout en saluant
l’intérêt du développement des émissions d’obligations fonc i è r e s a u Roy a um e -U n i a t o u t e f o is r é c e mme n t é mis d e s
réserves sur cette technique.
Elle souligne le fait que l’attribution de droits préférentiels
aux porteurs de ces obligations amoindrit les droits des autres
créanciers et est susceptible d’engendrer un risque systémique.
Elle envisage de fixer des montants maximaux d’émission de
telles obligations par établissement, en pourcentage du montant total de bilan de l’établissement concerné.
Les obligations foncières bénéficient, pour un grand nombre
d’entre-elles, du meilleur rating des agences de notation, Aaa.
C’est le cas des obligations de la Compagnie de Financement
Foncier (COFF), de CIF Euromortgage, de Dexia Municipal
Agency ou encore de la plupart des pfandbriefe danoises ou
allemandes.
L’ÉMISSION D’OBLIGATIONS COUVERTES PAR UNE
CENTRALE DE REFINANCEMENT
E n Europe, plusieurs institutions représentent ce mécanisme,
TotalKredit au Danemark, Ahorro y Titulizacion AyT en
Espagne, la CRH en France et enfin deux banques en Suisse
la Pfandbriefbank Schweizerischer Hypothekarinstitute et la
Pfandbriefzentrale der schweizerischen Kantonalbanken.
Toutes ces institutions s’inspirent du système des Federal
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Home Loans Banks ayant vu le jour en 1932 aux États-Unis,
lorsque le système bancaire des États-Unis eut à faire face aux
besoins de refinancement importants qu’engendrait la baisse
des encours de dépôts de la clientèle.
La centrale de refinancement a pour objet d’émettre des
emprunts groupés pour le compte des banques, leur faisant
ainsi bénéficier d’un effet de taille et de conditions
attrayantes sur les marchés financiers.
REFINANCEMENT DES CRÉDITS À L’HABITAT
AUX MÉNAGES ET
MARCHÉ HYPOTHÉCAIRE FRANÇAIS
L e refinancement des crédits à l’habitat aux ménages consentis par les établissements de crédit français (hors La Poste et la
CDC) peut être représenté de manière schématique par le
tableau ci-après :
Chiffres au 31.12.2003, en milliards d’euros
Crédits à l’habitat aux ménages
Autres emplois
Total emplois
Ressources réglementées
527,82
Obligations foncières de la COFF
33,20
Obligations foncières de CIF Euromortgage
7,10
Obligations de la CRH
13,90
Autres ressources
3 368,82
Total ressources
3 950,84
385,40
3 565,44
3 950,84
Source : Banque de France et rapports annuels des émetteurs cités.
Bien qu’il soit naturellement difficile de faire correspondre
des ressources déterminées à tel ou tel type d’emplois, il
peut être observé que le montant des ressources réglementées des banques (dont l’épargne logement et le Livret A)
dépasse largement celui des crédits à l’habitat. De ce fait,
le besoin résiduel de financement du logement en France
est modeste.
Par ailleurs, il faut observer que les ressources provenant
des obligations foncières ne sont pas intégralement affectées au refinancement de crédits à l’habitat en France.
En effet, les obligations foncières de la Compagnie de Financement Foncier et de CIF Euromortgage refinancent des crédits au logement accordés en France, mais aussi des crédits
accordés à l’étranger ainsi que des actifs de substitution (à
hauteur de 20 % maximum). Celles de la Compagnie de
Financement Foncier financent, de plus, des crédits hypothécaires à des entreprises industrielles et commerciales, des crédits au secteur public et aux collectivités territoriales.
Les obligations de la CRH ne refinancent quant à elles que
des crédits acquéreurs au logement accordés en France, leur
/...
contribution à ce financement n’est pas négligeable.
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/... Les opérations de titrisation non reprises explicitement dans
ce tableau et d’un montant global modeste en France sont
représentées principalement dans les chiffres de CIF Euromortgage, de la COFF et par ailleurs dans les opérations d’un
autre émetteur : Vauban Mobilisations Garanties.
La CRH, de fait seule agence de sa catégorie, a accordé depuis
sa création un montant total de refinancements de 29 milliards d’euros et s’est aujourd’hui substituée au marché hypothécaire français. Son encours d’obligations est de 16 milliards d’euros au 30 septembre 2004.
En raison de la sécurité de ses opérations, sa dette long terme
a reçu la meilleure note Aaa des agences de notation Fitch
ratings et Moody’s.
La CRH n’exerce pas son activité en qualité de banque hypothécaire en prêtant à des particuliers, mais exclusivement en
qualité de centrale de refinancement en prêtant aux banques
qui s’engagent à devenir ses actionnaires. Son objet unique est
de refinancer les prêts acquéreurs au logement consentis par les
banques en émettant des obligations sur le marché financier.
Les banques émettent des billets à ordre qui sont acquis par la
CRH et qui possèdent des caractéristiques identiques à celles
des obligations émises par cette dernière. Les sommes nécessaires au service de la dette de la CRH sont ainsi en totalité
apportées par les banques lors des échéances.
Les prêts refinancés restent au bilan des banques et sont nantis au profit de la CRH conformément aux articles L. 313-42
à L. 313-49 du code monétaire et financier reprenant les dispositions de l’article 16 de la loi de 1969 établissant les fondements du marché hypothécaire français.
En cas de défaut d’une banque, la CRH devient, sans formalité, propriétaire du portefeuille de couverture nanti et ceci
« nonobstant toutes dispositions contraires ». Elle peut alors
vendre ce portefeuille et, avec le produit de la vente, racheter
les obligations correspondant au prêt accordé à la banque
défaillante afin de les annuler.
D’autre part, en cas de besoin dans une telle circonstance, la
CRH peut, dans la limite de 5 % de l’encours, demander des
liquidités aux autres banques.
Pour les investisseurs, les emprunts de la CRH présentent
notamment l’avantage d’être émis par un établissement de
crédit indépendant et transparent qui n’emprunte pas pour
son propre compte mais pour le compte des banques. Ces
emprunts sont garantis par la signature de la CRH, celle des
banques et par le nantissement d’un portefeuille comportant
exclusivement des prêts acquéreurs au Logement correspondant au financement de biens sis en France.
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Pour les banques souhaitant se refinancer, le mécanisme de la
CRH a l’avantage de ne pas nécessiter de cession des actifs,
d’être simple à mettre en œuvre et d’apporter des refinancements à moindre coût à hauteur de montants pouvant être
importants ou très modestes.
Les fonds propres de la CRH lui sont apportés par les
banques au prorata de leurs encours d’emprunts. Au 31 mars
2004, ces fonds propres étaient d’un montant de 138 millions
d’euros détenus pour l’essentiel par les groupes suivants :
Crédit Agricole S.A. - Crédit Lyonnais
Crédit Mutuel - CIC
BNP Paribas
Société Générale
45,9 %
35,2 %
6,9 %
3,9 %
Ces chiffres montrent que les grands groupes bancaires français ont recours au mécanisme de la CRH, bien adapté à leurs
besoins. Ce recours deviendra sans doute plus important au
cours des prochaines années si le montant des ressources bancaires provenant des dépôts diminue.
QUID DU FUTUR MARCHÉ HYPOTHÉCAIRE
EUROPÉEN ?
Q u’en est-il de l’avenir ? Un marché hypothécaire européen
intégré est-il en voie d’exister ? Une technique va t-elle dominer les autres ?
Force est de constater que, dans l’Union européenne, les marchés hypothécaires nationaux sont aujourd’hui efficients. Ils
font ainsi appel aux trois techniques qui viennent d’être évoquées, plus ou mois développées selon les États. Ils apportent
des financements complémentaires à ceux provenant des
dépôts ou des ressources propres des établissements de crédit.
Il n’y a donc pas actuellement de réel besoin non satisfait de
financement du logement en Europe.
Ces marchés ont de plus en plus recours aux marchés financiers. En raison de la mise en place de la monnaie unique, les
coûts des financements obtenus ont aujourd’hui tendance à se
rapprocher.
L’idée de la nécessité de la création rapide d’un marché hypothécaire européen homogène et parfait doit sans doute être
édulcorée pour tenir compte de cette situation.
Il paraît cependant opportun de veiller à renforcer l’ensemble
des marchés hypothécaires européens et à les rendre plus
homogènes dans un environnement où semblent se dessiner
une diminution tendancielle des encours globaux des dépôts,
et corrélativement une augmentation probable des besoins de
/...
financement.
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/... De nombreux obstacles freinent leur intégration dans un mar-
ché unique. Ils devront être préalablement levés, sans doute
de manière réglementaire. Ces obstacles sont liés à des considérations fiscales, réglementaires et législatives mais surtout
culturelles. Les acteurs dominant le secteur des prêts au logement sont des banques de dépôts et leur activité comporte
effectivement de fortes spécificités locales.
Il faut noter par ailleurs que la recherche de modèle Outreatlantique a peu de chance a priori d’être couronnée de succès
dans la mesure où tous les mécanismes de refinancement existants aux États-Unis, existent déjà peu ou prou dans les différents États de l’Union.
À cet égard, les velléités récentes de créer une grande agence
de refinancement à vocation européenne du type de Fannie
Mae semblent peu crédibles, reposant sur la nécessaire garantie de l’Union européenne et se heurtant à des conflits des
droits nationaux.
Enfin, il peut être observé qu’une taille très importante n’est
pas toujours un avantage. Freddie Mac emprunte en euros à
des conditions moins favorables que la CRH par exemple.
Une trop grande taille favorise sans doute des dérives. Des
doutes sont apparus sur la parfaite transparence des opérations et des comptes de ce grand emprunteur américain. Fannie Mae est aujourd’hui dans une situation comparable.
En définitive, il est difficile de dire si une technique va dominer les autres. Probablement toutes continueront d’être utilisées mais le marché hypothécaire européen devra plus que
jamais être orienté vers la simplicité et la transparence des
organismes émetteurs de titres.
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