La santé des téléopérateurs en centre d`appels téléphoniques

Transcription

La santé des téléopérateurs en centre d`appels téléphoniques
Les Études d’AHI 33 • • • Comprendre pour mieux agir
La santé des téléopérateurs
en centre d’appels téléphoniques
Introduction
Conseils généraux de prévention
Ce document propose des
conseils généraux de prévention
directement issus de l’enquête
réalisée par le Service de Santé
au Travail – AHI 33 sur la Santé
des Téléopérateurs En Centre
d’Appels (Etude STECA).
Cette large étude épidémiologique finalisée en 2006 a porté
sur plus de 20 centres d’appels
téléphoniques, un panel de près
de 500 téléopérateurs qui occupaient 31 postes de travail
différents.
Les résultats de cette étude
riche en enseignements sont
synthétisés sur deux supports
qui peuvent être téléchargés
sur le site internet de l’AHI 33.
Ainsi, après cette phase d’analyse sur un nouveau métier
avec des risques émergents
potentiels, l’AHI 33 propose
des conseils pratiques afin de
préserver la santé des téléopérateurs.
Recrutement
Au niveau du recrutement, il est recommandé de favoriser l’embauche de personnes ayant
des compétences et qualifications en adéquation avec
le poste à occuper. Si tel n’est pas le cas, il est important de
mettre en place une formation adaptée au poste.
En effet, dans l’enquête STECA, le taux d’arrêts maladie et les
signes de souffrance mentale sont significativement moindres
pour les salariés ayant l’impression que leurs compétences sont
bien utilisées.
Un lien significatif est également mis en évidence entre une
formation au poste satisfaisante et une réduction de la « Forte Tension »(1) ressentie par les salariés
à leur poste.
Note :
(1) Rappel : la « Forte Tension » à laquelle il est fait largement référence dans ce document correspond au modèle
de KARASEK reconnu internationalement pour avoir une validité prédictive. Ce modèle permet d’identifier des
situations à risques qui reposent sur les conjugaisons suivantes :
• forte demande + faible autonomie = situation dite de « Forte Tension » (FT)
• Forte Tension + isolement = situation dite d’« Iso-Strain » (IS)
Poste de travail
Pour améliorer le poste de travail, il est nécessaire de prêter attention à :
• l’ambiance sonore
• l’ambiance lumineuse
• l’ambiance thermique
• l’ergonomie du siège
• l’ergonomie des écrans et des logiciels
• l’ergonomie des appareils téléphoniques
Ceci peut se faire, dans un premier temps, en interrogeant les salariés sur l’aspect satisfaisant ou non
de ces différents éléments.
En effet, lorsque ces différents éléments sont jugés satisfaisants par les salariés, on observe de façon
significative, une moindre importance d’au moins un des éléments suivants : signes de souffrance
mentale, Forte Tension, nombre de pathologies actuelles, arrêts maladie, prises médicamenteuses.
Les compétences médicales au plus près des besoins des salariés
et des entreprises
Prévention des risques professionnels
Agir à vos côtés
Cette enquête épidémiologique en milieu de travail a été entièrement conçue et réalisée par
AHI 33 en lien direct avec les entreprises adhérentes et les salariés. 14 médecins d’AHI 33 ont
participé à cette étude. Elle a été effectuée dans le cadre du tiers temps médical. Ce dispositif
renforcé par la réforme de 2004 permet aux médecins de se rendre dans les entreprises
afin de prendre en compte la dimension globale des problématiques de santé au travail et
conseiller ainsi au mieux les employeurs dans l’intérêt de la santé des salariés.
Les Études d’AHI 33 • • • Comprendre pour mieux agir
Organisation
L’organisation du travail dans le temps mérite également
une attention particulière :
• les horaires de travail sont-ils compatibles avec les contraintes
de la vie personnelle (transports, enfants, conjoint…) ?
• les horaires respectent-ils la physiologie humaine, notamment
en ce qui concerne les horaires de repas et l’alternance jours
travaillés / jours de repos ?
• les pauses sont-elles jugées comme suffisantes en nombre, en
durée, au niveau de leur répartition sur la journée de travail ?
On observe, notamment et de façon significative, une moindre
déclaration de pathologies et de prises médicamenteuses chez les
salariés qui estiment leur cadence de travail soutenable.
À l’inverse, il est retrouvé un accroissement significatif de la Forte
Tension chez les salariés soumis à des horaires de travail perturbants
lors d’annualisation du temps de travail. En particulier, chez les
salariés se trouvant dans l’obligation de travailler 8 jours d’affilée,
on observe de manière significative plus de signes de souffrance
mentale, d’Iso-Strain(1), d’arrêts maladie, de pathologies actuelles
déclarées et de pathologies à caractère professionnel.
Contenu du travail
Le contenu du travail mérite d’être analysé, particulièrement
dans le domaine de l’assistance technique* et dans les domaines
où la tâche habituelle est de type enquête**.
L’analyse portera une attention particulière :
• à l’aspect répétitif /varié du travail, en favorisant l’aspect varié
mais en se méfiant, toutefois, d’une trop grande polyvalence
qui pourrait être à l’origine d’une surcharge mentale.
• aux situations où émerge une agressivité de la part des
usagers : cette agressivité prend-elle sa source dans une
insatisfaction justifiée vis-à-vis de la qualité des produits ou
des services rendus ? Dans quelles limites les téléopérateurs
peuvent-ils répondre et à partir de quelles limites doivent-ils
« passer la main » et à qui ?
• aux appels en terme de mixité et de durée.
* Il est retrouvé de façon significative une plus forte tension chez les
salariés occupant des postes de travail d’assistance technique.
** Les salariés dont la tâche habituelle est de type enquête présentent
significativement une plus forte consommation régulière de
médicaments ainsi qu’une plus Forte Tension.
En ce qui concerne la polyvalence des tâches, lorsque celle-ci est
considérée comme non satisfaisante, on retrouve un lien significatif
avec une plus grande souffrance mentale. Faut-il considérer cette
apparente contradiction comme en relation avec un problème
d’inadéquation entre la charge de travail et le temps imparti pour le
réaliser ou le besoin d’un cadre plus marqué pour contrer un conflit de
rôles (situations où les demandes ont un caractère contradictoire) ou
pour convenance individuelle ? La polyvalence n’a peut-être pas été
assez clairement définie dans l’étude.
Les appels mixtes et la variabilité de durée des cycles d’appels
sortants, qui correspondent à des situations difficiles à gérer, sont
significativement associés à un plus fort taux d’arrêts maladie.
Impression que les
compétences sont
bien utilisées
Impression
d’occuper
un emploi qualifié
Possibilité
d’intervenir sur le
contenu du travail
Répétitivité des
tâches considérée
comme gênante
Agressivité des interlocuteurs
téléphoniques lorsqu’elle est
mal vécue
≥ arrêts maladie,
≥ signes de
≥ signes de
souffrance mentale,
≥ forte tension
≥ signes de
souffrance mentale,
≥ forte tension
≥ signes de
≥ pathologies actuelles,
≥ signes de souffrance mentale,
≥ forte tension
souffrance mentale
Légende :
diminution,
souffrance mentale,
≥ forte tension, et
d’autant plus que
soutien social faible
augmentation.
La façon dont est prescrit le travail mérite également
d’être étudiée :
• quelles sont les possibilités, pour le salarié, d’intervenir sur le
contenu du travail ?
• à quel niveau peut-il prendre des initiatives ?
Quelles pourraient-être les marges de manœuvre au niveau du
discours à tenir aux usagers ?
Exemple : Dans les cas où l’agressivité du client est en lien avec
une insatisfaction quant au service attendu, la possibilité pour le
téléopérateur de disposer d’une certaine latitude pour apporter des
réponses à la demande du client représente un moyen de réduire
le stress par le biais de l’augmentation du contrôle perçu sur la
situation.
La possibilité d’intervenir sur le contenu du travail
est
significativement associée à moins de souffrance mentale et de
Forte Tension. À l’inverse, l’absence de prise d’initiative et le discours
formaté, lorsqu’ils sont considérés comme gênants sont associés,
notamment, à une plus Forte Tension.
Les Études d’AHI 33 • • • Comprendre pour mieux agir
Contrôle du travail
Relations interpersonnelles
Il est important de se pencher sur la manière dont est
réalisé le contrôle du travail des téléopérateurs :
Favoriser des relations interpersonnelles de qualité,
notamment au niveau de l’entraide, apporterait un bénéfice.
• le rôle de l’encadrement apparaît très positif quand il est
perçu comme une aide
Dans STECA, la prévalence de la Forte Tension est majorée de 25 % si
les salariés ne bénéficient pas de soutien social quel que soit le sexe,
mais est d’autant plus marquée que les salariés sont jeunes.
• l’affichage des résultats
• l’affichage du nombre d’appels
en attente
peuvent avoir
un effet néfaste
• le contrôle quantitatif des appels
Évolution professionnelle
• l’attribution de primes individuelles de résultats n’apparaît
pas non plus comme un facteur obligatoirement favorable.
En effet, les salariés qui estiment leur cadence de travail soutenable
déclarent significativement moins de pathologies et de prises
régulières médicamenteuses et présentent moins de signes de
souffrance mentale et de Forte Tension.
Aborder la question des capacités de l’individu à faire face à une
charge de travail donnée, c’est se poser la question de la performance.
Or, on sait aujourd’hui (Théorie du U inversé correspondant à la loi de
YERKES et DODSON) qu’à partir d’un certain niveau d’activation des
centres nerveux, les activations supplémentaires vont entraîner une
dégradation de la performance. [1]
Il convient aussi de s’intéresser au rapport entre la charge
de travail et la capacité des individus à l’assumer pour veiller
à ne pas repousser les limites jusqu’au point de rupture.
Élevée
Point d’inflexion au-delà duquel les
activations supplémentaires vont entraîner
une dégradation de la performance.
Performance
Faible
Niveau d’activation
Élevé
Il existerait un niveau optimum d’activation, qui va permettre
une performance optimale. Ce niveau optimum d’activation
va avoir tendance à se déplacer un peu selon la complexité
de la tâche à effectuer et le mode de fonctionnement des
individus.
D’une manière générale, concernant l’analyse du travail,
l’expression collective d’une insatisfaction sur certains éléments
du travail doit rendre prioritaires l’analyse et l’intervention sur
ces éléments problématiques.
Enfin, il semble bien que la prévention passe également
par la prise en considération des demandes des salariés
exprimant un besoin de changer de poste ou d’évoluer sur
le plan professionnel, surtout s’ils exercent en centre interne
dans des entreprises pouvant offrir d’autres perspectives. Au
mieux, il paraît recommandé de réévaluer l’adéquation entre
le salarié et son poste de travail au fil de sa carrière.
L’absence de possibilité de mutation est significativement associée
à une augmentation des signes de souffrance mentale et de la Forte
Tension.
On note que la prévalence de la Forte Tension est plus élevée dans le
groupe des salariés travaillant en centre interne et à plus forte raison
lorsqu’il existe un CHSCT.
Les Études d’AHI 33 • • • Comprendre pour mieux agir
Conclusion
Pour conclure, il semble intéressant de revenir sur la question
de la performance et de la mettre en relation avec les niveaux
de vigilance et les niveaux d’activité des centres nerveux. [1]
Dans STECA, on retrouve :
La dimension cognitive au niveau de :
• L’acquisition de l’information : formation initiale, formation
continue et rôle d’aide de l’encadrement.
Niveau de
vigilance
Niveau de
performance
(dans une tâche
donnée)
Hyper
excitation
Éveil de
l’émotion
Émotion
Éveil de
l’attention
Veille
attentive
Veille diffuse
Performance
Réveil
Sommeil
Activation
Niveau d’activité
des centres nerveux
• La pensée ou le raisonnement concernant l’organisation et la
réorganisation mentale de la pensée :
possibilité
d’intervenir sur le contenu du travail, possibilité de prendre
soi-même des décisions, possibilité d’influer sur le déroulement du
travail, utilisation des compétences, impression d’occuper un emploi
qualifié, vécu de la répétitivité des tâches, du discours formaté.
• Les fonctions expressives permettant la communication ou
l’action : « mon supérieur réussit facilement à faire collaborer ses
subordonnés », « les collègues avec qui je travaille m’aident à mener
mes tâches à bien ».
La dimension émotionnelle est abordée en interrogeant sur :
• Le vécu du contrôle qualitatif et du contrôle quantitatif,
• Les possibilités (ou non) de se concentrer sur le travail,
• La dimension du plaisir (ou non) dans l’activité professionnelle
quotidienne,
• Le sentiment d’être sous pression, de ne rien valoir,
de se sentir malheureux, déprimé, d’avoir perdu confiance en soi ou
non.
Notes :
(2) Fonctions cognitives : Fonctions intellectuelles qui se divisent en 4 classes :
– les fonctions réceptives permettant l’acquisition, le traitement, la classification, et l’intégration de l’information
– la mémoire et l’apprentissage permettant le stockage et le rappel de l’information
– la pensée ou le raisonnement concernant l’organisation et la réorganisation mentales de l’information
– les fonctions expressives permettant la communication ou l’action
(3) Emotions : Processus mental complexe se traduisant par une expérience affective subjective, une expression faciale et corporelle, des modifications physiologiques
et des cognitions. L’interprétation de la situation se fait par rapport aux expériences antérieures, à la personnalité, aux capacités. Elles peuvent être considérées
comme un signal et comme les interactions entre réactions physiologiques et cognitions que met en place l’individu par rapport à une situation donnée. (6 catégories
d’émotions fondamentales universelles : Amour, gaieté, joie / Surprise / Peur, souffrance / Colère, détermination / Dégoût , mépris qui peuvent être regroupées sur 2
axes : Plaisant / Déplaisant ou Attention / Rejet.)
BIBLIOGRAPHIE
Notes des auteurs
[1] ROULIN J-L., BONNET C., CAMUS J-F., CRADDOCK P.
(Dr Charmois V., Dr Domecq M., Dr Eresué C.,
Dr Caillet M., Dr Gelas J.M., Dr Rindel D., Dr Lacroix M.C.,
Dr Trezeguet M.H.)
Psychologie cognitive. Collection Grand amphi psychologie. BREAL,
2e édition, 2006.
[2] RIBERT-VAN DE WEERDT C.
Prise en compte des émotions au travail : cas pratique en entreprise.
INRS. Hygiène et sécurité du travail. Cahiers de notes documentaires,
2e trimestre 2008. 211/5 – 211/12
Ce document, établi en se basant sur les résultats
de l’enquête STECA, a pour but d’élargir
la réflexion sur ce métier.
AHI 33
Service de Santé au Travail
50, cours Balguerie Stuttenberg
33000 Bordeaux
Tél. 05 57 87 75 75
Imprimé sur papier recyclé - Crédit photos : AHI 33 - Novembre 2009
L’importance de considérer la question des émotions apparaît
dans la mesure où celles-ci influent sur la performance.
L’orientation de la réflexion semble donc se faire vers une
analyse conjointe des dimensions cognitives(2) et affectives(3)
du travail comme elle a pu être réalisée dans cette étude de
l’INRS : « Prendre en compte les émotions (3) pour remettre le
travail en question. » [2]