Entretien: Vanessa Desclaux et Gail Pickering, Août 2007 Dissident

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Entretien: Vanessa Desclaux et Gail Pickering, Août 2007 Dissident
Entretien: Vanessa Desclaux et Gail Pickering, Août 2007
Dissident Sunset (2007), installation consistant en une projection unique de grand
format, dépeint un claustrophobique et contemporain “tableau vivant” dans lequel les
reliques d’un passé politique sont prises au sein du décor d’une performance sans
fin parmi les débris exagérés d’un appartement tombant en ruine. Mettant en jeu la
confrontation entre rituals sociaux et actions politiques radicales, des images
d’archive sont remises en scène pour la camera dans un assemblage
chorégraphique original. Gail Pickering est une artiste basée à Londres.
VD : Dans le processus de recherche pour cette nouvelle pièce, tu as exploré
différents récits, plus particulièrement l’histoire de deux mouvements activistes des
années 60 et 70, the Weather Underground et Baader-Meinhof, mais aussi l’oeuvre
Merzbau de Kurt Schwitters. Tu sembles avoir étudié ces différents moments
historiques d’un point de vue idéologique mais également esthétique, identifiant des
images qui deviendront des points de repère dans ton film. Qu’est ce que ces récits
ont en commun ? Qu’espères-tu qu’il reste d’eux dans ton film ?
GP : La pièce tisse des liens assez lâches entre une série d’événements liés au
Weather Underground et au Merzbau. Il y eut la structure répétée du Merzbau,
détruit lors d’un bombardement à Hanovre, puis plus tard dans un incendie en
Finlande. En 1972 le Weather Underground provoque accidentellement la détonation
d’une bombe qu’ils fabriquaient dans le sous-sol d’une maison de Manhattan, tuant
deux des membres. Schwitters, quant à lui, créa de nombreuses grottes dans le
Merzbau, dédiées à ses amis comme à des meurtriers et dissidents politiques.
J’étais intéressée par la construction et le rapprochement de ces événements, par
l’imagination des espaces, la croyance persistante des habitants et par l’exploration
de la claustrophobie de ces positions à la fois physique et idéologique.
VD : Ton film, Dissident Sunset, est filmé à l’intérieur d’un décor unique qui est
similaire dans sa nature aux décors de tes précédentes performances tableaux.
Cependant ton intention dans ce nouveau film est de ne jamais révéler le site dans
son ensemble, mais plutôt de le construire à travers les mouvements de la camera.
Voulais-tu maintenir dans le film quelque chose d’unique au contexte de la
performance ?
GP : Pour le décor du film j’ai pris comme référence mes précédentes performances
tableaux afin de donner au spectateur une expérience de la scène dans son
ensemble. Cette pièce a été développée pour la camera, toujours avec l’idée que ce
serait filmé en plan rapproché pour représenter une sensation de claustrophobie. Le
film a été tourné au sein d’un ensemble de larges sculptures accessoires sur roues,
passant de scène en scène comme une série de performances. J’ai aimé le chaos
de la mise en scène de la performance autant que celui de la performance réalisée
par le biais du film.
VD : Au fil du film, tu as chorégraphié différentes postures et actions empruntées à
une série d’images. Tu as sorti ces images de leur contexte original et les as vidées
de leur contenu dramatique pour te concentrer sur les mouvements formels des
corps. Ces gestes font-ils partie d’un langage chorégraphique que tu définis à travers
ton œuvre ? Penses-tu que ces gestes puissent sembler familiers au spectateur ?
GP : Je m’intéresse aux rituels sociaux ; je collecte des représentations
photographiques de ces rituels provenant de différentes sources telles que des
livres, des archives, journaux ; je m’inspire également d’une observation plus directe
des personnes et des lieux. J’utilise des images comme points de départ pour
formellement composer des scènes ou des gestes, comme par exemple la
compétition de body-building dans ‘PraDAL’ (2004), une femme alcoolique
surexcitée dans ‘No Cancan’ (2006) et une collaboration avec un groupe d’acteurs
porno dans ‘Push-Ups’ (2007), anéantissant le mélodrame des films
pornographiques contemporains à travers une série de gestes abstraits et
d’interactions avec des objets. Pour ‘Dissident Sunset’ j’ai utilisé des images
historiques provenant des archives des activistes et des documents représentants
des rituels sociaux, demandant aux acteurs de remettre en scène ces images. Je
m’intéresse à ce qu’il se passe quand on traite ces différentes images de la même
manière. Il n’y a pas vraiment de narration dans le film, ces images deviennent liées
pour former une série d’événements que le groupe performe dans une sorte de rituel
carnavalesque et dans un esprit de détérioration de toute norme sociale.
VD : Pour ce projet, tu as sélectionné cinq jeunes acteurs ? Cherchais tu en eux
certaines qualités particulières ?
GP : J’ai mentionné à une amie que je cherchais un groupe d’anarchistes pour ce
projet et elle m’a demandé à quoi ressemblait un anarchiste. Il y a quelques années
j’ai travaillé pour une agence de casting, cherchant un jour 250 femmes et enfants
d’origine philippine, et des ex-militaires pour un film de science fiction le jour suivant.
Cette expérience a été importante pour définir comment j’envisage le casting : les
figurants peuvent être n’importe qui, être trouvés n’importe où, anonymes, communs,
leurs qualités de comédiens souvent secondaires par rapport à leur apparence et
leur expérience. Pour ce film, le processus a été instinctif. Je cherchais quelque
chose d’étrange et une capacité naturelle à danser ; un des acteurs a passé des
mois dans une communauté de gitans, une autre a été activement impliquée dans
les manifestations contre Slobodan Milosevic à la fin des années 90, une autre est
une championne de hulu-hoop. Mauvaises raisons, bonnes raisons.
VD : Nous avons beaucoup parlé des références historiques sur lesquelles le film se
base et comment certaines images et idées ont constitué un socle pour construire le
projet. Néanmoins peux-tu dire quelque chose sur la relation entre le film et le temps
présent ?
GP : Je travaille beaucoup avec l’improvisation, donnant l’opportunité aux qualités
propres au décor et à l’expérience des acteurs de s’infiltrer et d’influencer certains
éléments de la mise en scène. En travaillant avec les acteurs je leur ai montré de
nombreux films dont La Chinoise (1967) de Jean-Luc Godard et des documentaires
sur les différents groupes anarchistes des années 1970. Nous avons parlé de la
raison d’être de ces actions, du processus de radicalisation et du contexte social, de
l’étrange prédiction de Godard de la révolte des groupes radicaux étudiants de 1968
et de l’utilisation du théâtre social pour examiner leurs motivations. Qu’est-ce que
cela veut dire de se confronter à cette histoire à travers ses résidus, et que se passe
t-il quand ces histoires et références divergentes sont mêlées dans un assemblage
chorégraphique ? Dans ‘Dissident Sunset’ le dialogue entre les acteurs reflète
inévitablement à la fois une condition contemporaine et leur position isolée au sein
de la mise en scène. L’affirmation ‘we need a sign’ (nous avons besoin d’un signe)
est mal comprise et circule sous différentes formes sans jamais directement référée
à ce qu’ils font, les menant à la conclusion qu’il n’y a pas d’action sans
représentation.