Les baleiniers quakers du Nantucket à Dunkerque en 1786
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Les baleiniers quakers du Nantucket à Dunkerque en 1786
Library of the Geneva Monthly Meeting of the Society of Friends (Quakers) Bibliothèque du groupe de Genève de la Société des Amis (quakers) Documents from Geneva Quaker Library Van Hille, Jean-Marc Les baleiniers quakers du Nantucket à Dunkerque en 1786, un pionnier : William Rotch / par Jean-Marc Van Hille. - 2014. - 3 p. - Synthèse d’une conférence faite à Bruxelles le 24 mai 2014. - Texte publié dans la revue annuelle “Acta Macionica”, Vol. 24 (éd. Grande Loge Régulière de Belgique) LINK : http://www.swiss-quakers.ch/ge/library/e-documents/8378BaleiniersQuakersDunkerque.pdf Rotch, William > 1734-1828 / Quakers > Biography / Dunkerque (France) History / Whaling / Quakers > Massachusetts > Nantucket / Society of Friends > France > Dunkerque The original copy of this document belongs to the Geneva Quaker library. La version originale de ce document appartient à la bibliothèque du groupe quaker de Genève. Geneva Quaker Library / Bibliothèque du groupe quaker de Genève 13 avenue du Mervelet, CH-1209 Genève www.swiss-quakers.ch/ge/library/ The rights of the publishers and authors are reserved. Les droits des éditeurs et auteurs sont réservés. 8378 28.2.2015 Creative Commons Attribution-Noncommercial-Share Alike 3.0 License http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/3.0/ LES BALEINIERS QUAKERS DU NANTUCKET A DUNKERQUE EN 1786, UN PIONNIER : WILLIAM ROTCH par Jean-Marc Van Hille (Nantes) (synthèse d’une conférence faite à Bruxelles le 24 mai 2014) A la suite du traité de Versailles qui mit fin à la guerre d’Indépendance américaine, les baleiniers quakers du Nantucket qui, par respect de leur engagement de non violence, n’avaient pris parti ni pour les Insurgents ni pour l’occupant britannique, payèrent leur neutralité et se retrouvèrent pratiquement ruinés. Ils durent chercher d’autres lieux de pêche que ceux qu’ils pratiquaient depuis plus de 150 ans. A l’invitation du roi Louis XVI qui s’intéressait beaucoup aux choses de la mer, ils s’implantèrent à Dunkerque en 1786 pour un séjour de huit ans qui ne céda que devant les exactions révolutionnaires. L’île de Nantucket est située dans l’État du Massachusetts. Avec New Bedford, Nantucket était le fief absolu des baleiniers depuis la fin du XVIIe siècle. La ville se distinguait, sur le plan religieux, par le grand nombre de quakers Leurs prénoms étaient fréquemment empruntés à des personnages de l’Ancien Testament : Benjamin, Enoch, Isaac, Nathanael, Elisha, Samuel, Nathan, Noah etc. La guerre avait coûté très cher à l’économie locale. La paix revenue, les Anglais s’en prirent à la flottille et à ses équipages, allant jusqu’au pillage illégal. Les armateurs s’en plaignirent et obtinrent heureusement satisfaction au terme d’un procès. En peu de temps le chiffre d’affaires s’effondra. Les baleiniers du Nantucket étaient exsangues. Il était dès lors indispensable d’envisager une reconversion. La France, vainqueur des Anglais en 1783 mais dont la balance commerciale était au plus bas du fait de la guerre, vit dans cette situation un moyen de développer ses activités baleinières. Louis XVI, beaucoup plus intéressé par les questions maritimes que ne le laisse croire l’imagerie populaire, se préoccupait ainsi de l’avenir de la pêche française et de celle de la baleine en particulier. Le 26 septembre 1786 fut signé un traité de réciprocité commerciale avec l’Angleterre. Les édiles de Dunkerque réalisèrent rapidement que pour ce qui concerne la pêche à la baleine, ils avaient un sérieux handicap face à Milford Haven où les Anglais entretenaient une flottille de 30 navires baleiniers. Pour cette raison, à l’instigation du contrôleur général des finances Calonne, ils lancèrent un appel aux Nantuckois et de 1786 à la veille de la Révolution, une colonie de cinq cents d’entre eux s’établit dans le grand port flamand, femmes et enfants compris. Le trésor royal était même allé jusqu’à subventionner les frais de voyage des baleiniers, à hauteur de six mille livres tournois ! 1 Encore fallait-il établir les contacts nécessaires. Le hasard voulut qu’à Dunkerque un entrepreneur portuaire nommé François Coffyn1, d’origine nantuckoise et gérant de la société Aget-Kueny-Coffyn, après avoir entretenu une volumineuse correspondance avec Calonne et l’Intendant des pêches, mit en route son réseau relationnel et contacta quelques amis, dont l’armateur William Rotch qui avait pris la tête de la croisade pour la neutralité dans le conflit anglo-américain. Rotch, après avoir hésité entre une implantation en Angleterre avec ses 25 navires parmi les 150 que comptait la flotte baleinière nantuckoise, où il aurait pu concurrencer l’ancien ennemi plus directement, après s’être rendu avec son fils Benjamin en Angleterre pour tenter de se faire entendre, mais sans succès, décida finalement quelques partenaires, capitaines armateurs comme lui à transférer leurs activités à Dunkerque. En trois ans l’industrie baleinière dunkerquoise avait repris force et vigueur. Depuis l’arrivée des premiers émigrants du Nantucket – les équipages devant parfois commencer comme harponneur ou matelot chez des armements français - les baleiniers américains mirent en ligne jusqu’à trente-six navires en 17922, ce qui entraîna l’embauche de plusieurs centaines de matelots. Rotch avait fait école : deux de ses concurrents nantuckois le suivent à Dunkerque dès 1786 ; d’autres l’imitèrent jusqu’en 1792. L’expérience professionnelle des Nantuckois dépassait de loin celle des Français. Bientôt en effet ils prirent le pas sur les Français, tant quant aux résultats des campagnes sur les côtes du Brésil que dans la commercialisation des huiles, allant jusqu’à mettre en danger les armateurs baleiniers locaux. Leurs méthodes de pêche connurent un véritable succès. Diverses mesures protectionnistes les avantagèrent plus encore… aussi longtemps qu’il y avait de l’argent dans les caisses du Royaume. Les relations entre les Américains et le secrétaire d’État à la Marine, le duc de Castries, commencèrent à se dégrader en 1789, et les profits à fondre au point que Rotch dut mettre en vente quatre de ses navires, sans y parvenir. Les mauvais coups et les mesures malveillantes se multiplièrent et les Nantuckois sentirent le vent de l’opinion dunkerquoise se retourner contre eux. Les Anglais n’étaient pas étrangers à ce revirement et jouèrent le jeu de la concurrence parfois à la limite de l’honnêteté. William Rotch qui fit plusieurs allers et retours entre l’Amérique et la France, revint à Paris en 1790 pour une entrevue avec La Fayette, le secrétaire d’État à la Marine, le comte de La Luzerne, et Thomas Jefferson, entrevue qui ne se passa pas bien, Jefferson étant persuadé que Rotch cherchait à saper les intérêts américains au profit des Nantuckois et de leur situation de quasi monopole à Dunkerque3. En 1791 il y eut encore treize départs en campagne, l’année suivante trois et en 1793 seuls deux baleiniers nantuckois partirent. William Rotch, son fils Benjamin et Marcillac, grâce aux relations qu’avait ce dernier chez les Girondins, décidèrent de lancer un appel à la paix devant l’Assemblée Constituante, ce qui fut fait le 10 février 1791 devant un Parlement où la foule se pressait, intriguée par l’étrangeté de l’intervention. Les visiteurs renouvelèrent leurs 1 Ou Coffin, selon les sources. Selon Augustine Jones, Paul Coffyn, né près de New Bedford en 1759, était le fils d’un esclave né en Afrique et d’une mère indienne. 2 DU PASQUIER Thierry, Les baleiniers français au XIXe siècle, Terre et Mer Grenoble, 1982. 3 ALLEN Richard C., Nantucket Quakers, Wales and the Revolutionary Wars. 2 exigences… « qu’il leur fût permis de continuer à suivre leurs usages religieux, et surtout d’être dispensés du serment et de la profession des armes » et « plaidèrent en faveur d’une révolution non violente qui s’inspirerait de l’expérience sacrée de la Pennsylvanie et de la neutralité de Nantucket pendant la guerre d’Indépendance des Etats-Unis 4». Survint la Révolution dont les excès choquèrent leur conscience. En 1790 ils demandèrent à repasser sous pavillon américain. Ils avaient jusqu’alors armé 52 navires qui avaient rapporté cinquante mille barils d’huile de baleine et cinq cent mille livres de fanons au cours de campagnes qui les avaient amenés en Islande, au Groenland, dans l’océan Indien et au large du Chili. Mais la poule aux œufs d’or avait été tuée… Rotch, estimant sa mission terminée et craignant une nouvelle guerre contre l’Angleterre et la saisie de ses navires, repartit pour les Etats-Unis le 19 janvier 1793. D’autres restèrent à Dunkerque et y firent souche. Les baleiniers quakers s’étaient parfaitement intégrés à la population dunkerquoise où leur religion était cependant totalement inconnue5. Le protestantisme calviniste s’était implanté dans la région dunkerquoise dès 1534 mais personne n’avait jamais vu ces hommes entièrement vêtus de noir et portant un large chapeau de même couleur, la Bible sous le bras, et qui ne se réclamaient d’ailleurs pas du calvinisme mais revendiquaient une indépendance et la liberté de penser6. William Rotch fut un homme d’affaires avisé et profondément honnête – sa foi quaker l’y obligeait -, dévoué au bien de sa ville et de son métier, diplomate quand il le fallait et armateur consciencieux qui légua à ses fils William et Benjamin une affaire saine et bien gérée. résident d’une ville comme Nantucket dont les deux tiers des habitants étaient quakers, il a entraîné son île sur la voie de la neutralité ; il est aujourd’hui pratiquement ignoré sous nos latitudes. Comme l’écrit son biographe Augustine Jones avec sans doute un peu trop d’emphase... La carrière d’un homme à la personnalité forte mais tempérée par des convictions religieuses sincères et profondes, une conscience faite de sensibilité, qui, par des coups de maître, établit et développa une grande industrie et influença le commerce mondial, ne devra jamais être oubliée. Son digne exemple est l’héritage de l’humanité qui devra être chéri à tout jamais dans les annales de l’histoire des hommes7. 4 LOUIS Jeanne-Henriette, Relations entre les quakers de France et la coordination française pour une culture de non-violence et de paix, assemblée générale de Congénies, 2013. 5 Le droit d’exister ne fut reconnu aux protestants qu’avec l’Édit de Tolérance de 1788. Un registre d’état-civil réservé aux « non-catholiques » fut aussitôt ouvert à Dunkerque. 6 Pour les quakers de tendance libérale. Il existe une autre tendance, dite « évangélique », beaucoup plus traditionaliste et dogmatique. 7 JONES Augustine, William Rotch of Nantucket. 3