Bonjour tristesse - Schweizerische Hirnliga
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SCHWEIZERISCHE HIRNLIGA LIGUE SUISSE POUR LE CERVEAU LEGA SVIZZERA PER IL CERVELLO Contenu du No 1/2014 Editorial2 N’ayez pas peur de vos émotions! 3 «La dépression reste très stigmatisante» 4-5 La valse pour les débutants 6-7 Le prochain numéro 8 Bonjour tristesse Ne sois pas si négatif! Arrête de ruminer! Tu devrais voir l’aspect positif des choses! Qui est parfois saisi par la mélancolie se voit souvent mal compris dans notre société qui ne jure que par le bonheur. Le psychanalyste Sigmund Freud voyait pourtant dans la mélancolie une force créative: «On peut dire que l’homme heureux n’a pas de fantasmes, seul en crée l’homme insatisfait», déclare-t-il dans «Le poète et la fantaisie» (1907). Et le fait est que le vague à l’âme apparaît comme une compagne fidèle de l’écrivain et de l’écrivaine. Des grands noms de la littérature tels Shakespeare, Rousseau ou Goethe ont imprégné leur œuvre de leur mélancolie. Ligue suisse pour le cerveau Postgasse 19, case postale CH-3000 Berne 8 Compte pour les dons PC 30-229469-9 Le philosophe Emmanuel Kant prêtait au mélancolique des traits et des inclinations qui le distinguaient du commun: «L’homme dont le sentiment tourne au mélancolique a surtout le sentiment du sublime. Il ne supporte aucune basse servitude, et son noble cœur ne respire que pour la liberté. Toutes les chaînes lui sont odieuses, 1 le Cerveau 1/2014 Photo: iStockphoto.com depuis les chaînes dorées qu’on porte à la cour jusqu’aux fers pesants des galériens.» («Observations sur le sentiment du beau et du sublime», 1764). La dysphorie, terme savant qualifiant les troubles de l’humeur, fait tout autant partie de la vie que l’euphorie. Que celui qui, de temps à autre, incline aux pensées noires n’en éprouve pas au surplus mauvaise conscience. Un sentiment passager de tristesse, de mélancolie ou de langueur est un phénomène normal. L’homme est une espèce lunatique. Son humeur se dérègle pour un oui pour un non, et peut chavirer sans qu’on s’y attende. La dysphorie a stimulé ces dernières années l’intérêt de chercheurs et chercheuses issus des domaines scientifiques les plus divers, allant de la psychologie à la neurologie en passant par la sociologie – avec des résultats étonnants. L’étude du chercheur australien Joseph Forgas montre par exemple qu’une humeur sombre fait parfois de nous des penseurs plus lu- Editorial La semaine du cerveau – des conférences publiques sur le cerveau Chère lectrice, cher lecteur, Durant la semaine du 10 au 15 mars auront lieu dans plusieurs villes de Suisse des manifestations publiques centrées sur le cerveau et répondant à des questions aussi diverses que: Comment entraîne-t-on son cerveau? Que se passe-t-il dans le cerveau quand on a peur? Comment se développe le cerveau de l’enfant? Existe-t-il une alimentation type pour le cerveau? Quels sont les acquis les plus récents de la recherche sur le sommeil? Vous trouverez, en annexe à ce numéro, un extrait du programme de cette année et, sur notre site www.hirnliga.ch sous «Semaine du cerveau» ainsi que dans la presse, le programme détaillé de la semaine. La Semaine du cerveau a lieu chaque année en mars. Elle est l’occasion pour des chercheuses et des chercheurs internationaux de présenter à un large public le fruit de leurs travaux. Complétée par des films et des expositions, la Semaine du cerveau a pour but de sensibiliser l’opinion à la neurorecherche ainsi qu’à la thématique générale du cerveau. Nous nous réjouissons de votre participation! Dr Béatrice Roth Membre du comité de la Ligue suisse pour le cerveau SCHWEIZERISCHE HIRNLIGA LIGUE SUISSE POUR LE CERVEAU LEGA SVIZZERA PER IL CERVELLO cides et même des êtres plus sociables que les optimistes à tout crin. Pour étudier les effets qu’ont sur notre pensée des dispositions différentes, Joseph Forgas a projeté à une partie des personnes qui ont participé à son étude des films tristes ou leur a fait entendre des mélodies mélancoliques, alors que les autres eurent droit à des films comiques et à de la musique gaie et entraînante. Après quoi, les uns et les autres se virent proposer toute une série de tâches. Les optimistes sont souvent peu critiques La conclusion de l’étude est que les mélancoliques ont démontré une plus grande agilité d’esprit. Ils semblaient mieux s’adapter à la nouveauté et être moins figés dans leurs schémas de pensée. Aussi se sont-ils moins facilement laissé prendre au piège des stéréotypes. Les optimistes ont estimé les gens d’apparence attirante plus intelligents que les personnes moins attrayantes et les aliments bio meilleurs pour la santé que les aliments non-bio, alors que le jugement des personnes d’humeur triste se révélait plus nuancé. On estime que les gens de mauvaise humeur sont plus attentifs à ce qui les entoure. Les personnes pleines d’entrain sont davantage tournées sur elles-mêmes, ce qui les rend plus égoïstes. La conséquence – surprenante – que l’on peut en tirer est qu’une tonalité d’humeur sombre rend les gens plus faciles à vivre et plus attentionnés. Selon Joseph Forgas, «les affects négatifs portent à être plus attentif aux autres.» Ce dont les moins bien lunés tirent les dividendes, car lorsqu’ils demandent un service à quelqu’un, ils le font avec une gentillesse à laquelle on résiste difficilement. Trouver l’équilibre Les optimistes inébranlables manquent souvent de sens critique et tendent à croire tout ce qu’on leur raconte. Les psychologues parlent à ce propos de «légèreté cognitive». Quand on est dans une phase d’allégresse, tout paraît facile, y compris prendre pour argent comptant ce que l’on vous dit. Les pessimistes, par contre, portent sur eux-mêmes et leur entourage un regard plus sceptique et plus sévère. 2 le Cerveau 1/2014 Il ne faut donc pas faire trop hâtivement le procès d’une mauvaise humeur passagère. Etre de temps en temps de «mauvais poil» est tout à fait normal. Mais attention: les effets bénéfiques décrits ci-dessus par les psychologues n’ont été observés que chez des personnes dont les périodes de morosité sont de courte durée. La conclusion que Joseph Forgas tire de son étude est qu’un dosage équilibré de bonne et de mauvaise humeur vaut mieux qu’un optimisme exagéré. N’ayez pas peur de vos émotions! Même les coléreux, les anxieux et les mélancoliques peuvent encore apprendre à faire un usage constructif de leurs émotions à un âge avancé. Photo: iStockphoto.com «Les résultats de votre prise de sang sont préoccupants, j’aimerais que nous en discutions ensemble.» Depuis qu’elle a trouvé ce message sur son répondeur, Nicole D. est affreusement inquiète. Elle se demande si son médecin va lui annoncer une grave maladie, et à quoi elle doit se préparer. Elle a peur. Des pensées noires lui passent par la tête. Il suffirait pourtant qu’elle appelle son médecin pour être fixée. Mais elle est comme paralysée. Les émotions peuvent déclencher de fortes réactions physiques: tremblements, palpitations, stress. Ce n’est pas pour rien que le philosophe anglais Thomas Hobbes disait de la passion et des émotions qu’elles sont des «troubles de l’esprit». Le fait est cependant qu’elles ont eu du point de vue du développement du genre humain l’avantage de prédisposer l’homme à l’action nécessaire à sa survie. A la vue d’un serpent, les battements de cœur s’accélèrent, la tension artérielle augmente, ce qui a pour effet de bien irriguer les muscles de sang. Les hormones leur assurent de leur côté un apport d’énergie optimal et fixent l’attention sur le danger qui menace. Voilà donc réunies toutes les conditions de la réaction de combat ou de la réaction de fuite. leur emprise. La façon dont nous les gérons est, il est vrai, pour une bonne part affaire de gènes. L’individu de tempérament coléreux, anxieux ou mélancolique ne va pas se départir d’un jour à l’autre de ces attributs. Mais il est tout de même possible – et même à un âge avancé – d’apprendre à gérer ses émotions. Grâce à la plasticité des tissus cérébraux, un entraînement ciblé permet en effet de modifier les circuits émotionnels du cerveau et d’acquérir de nouveaux comportements. Faire un usage constructif de ses émotions La bonne solution ne consiste pas à refouler ou à minimiser ses émotions. Cela ne ferait qu’accroître l’état d’excitation de l’organisme, car il faut beaucoup d’énergie pour maintenir une apparence de bien-être. «Il ne faut pas se faire des émotions un ennemi mais un allié», dit le psychologue Matthias Berking, pour qui l’art consiste à accepter ses émotions et à en faire un usage constructif. La méditation de pleine conscience offre à cet égard des possibilités intéressantes. «La méditation ramène l’agitation émotionnelle à de justes proportions et évite de tomber, comme un mécanisme de stimulus et réaction, dans des automatismes de comportement», explique le psychologue Ulrich Ott. Un individu qui trouve des ressources en lui-même a de quoi aborder plus sereinement une discussion désagréable. Il sera plus attentif et se laissera moins facilement déstabiliser. Les gens qui méditent apprennent à observer leurs pensées et à les contrôler avant qu’elles ne dégénèrent en mauvais sentiments. Nous ne sommes pas sans défense devant nos émotions «Les émotions dominent davantage la raison que la raison les émotions», dit Gerhard Roth, chercheur en neurosciences à Brême. Nous ne sommes toutefois pas pieds et poings liés sous 3 le Cerveau 1/2014 Conseil de lecture: Ulrich Ott: Meditation für Skeptiker. Verlag Droemer/Knaur. Matthias Berking: Training emotionaler Kompetenzen. Springer Verlag. «La dépression reste très stigmatisante» Le suicide, l’an dernier, de deux top managers a soulevé une vive émotion. «le Cerveau» s’est entretenu avec le psychologue René Hess (Dr phil.) de la prévention de la dépression et des possibilités d’aide offertes aux personnes qui en souffrent. «le Cerveau»: Existe-t-il une prédisposition à la dépression où est-ce une maladie dont tout le monde peut être atteint? René Hess: En principe, nul n’est à l’abri. La dépression est une maladie plurifactorielle. Elle est faite d’aspects biologiques – par exemple les gènes – et d’aspects psychiques, c’est-à-dire les expériences que nous faisons dans la vie et la façon dont nous gérons ces expériences. Cette interaction se traduit notamment par le développement de réseaux neuronaux dont dépend en partie la façon dont seront traitées les autres expériences que nous réserve la vie. Existe-t-il des moyens de se protéger? Il en va comme de la santé en général. Il existe des règles de bon sens, mais pas de parade absolue. Il est utile d’avoir un bon réseau social, fait de gens sur lesquels on sait pouvoir compter. Il est également indiqué de réfléchir à la façon dont on gère le stress, à ce qu’on fait pour se détendre et à ce qui nous fait du bien en dehors du travail. Il peut aussi être utile de se dire que la vie vous réserve toujours des mauvais coups, et de s’y préparer mentalement, tout en étant convaincu que l’on trouvera toujours un moyen de s’en sortir. 4 le Cerveau 1/2014 Que peuvent faire les proches si la personne n’a pas conscience de son problème? C’est une situation très délicate. Même si une personne se sent déprimée, elle a parfaitement le droit de refuser un traitement. C’est un droit fondamental, qui existe tant qu’il n’y a pas mise en danger de soi ou d’autrui. Les gens de l’entourage se trouvent ainsi renvoyés à eux-mêmes. Pour eux, la question est de savoir s’ils se sentent la force de continuer d’avoir des relations avec cette personne. Il se peut que l’on arrive un jour ou l’autre à un point au-delà duquel on ne peut aller. Si tel est le cas, mieux vaut en parler avant d’en arriver là. Le burnout est-il un terme à la mode ou une maladie? Si vous consultez l’ICD-10, autrement dit l’International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems, vous constaterez qu’il n’y figure pas comme maladie, mais seulement comme diagnostic d’appoint. J’estime personnellement que le burnout et la dépression sont des états très voisins l’un de l’autre et qui se rejoignent en de nombreux points. Dans le burnout, l’aspect central est le travail. Le terme a une consonance plus légère et, renvoyant à cette notion d’engagement et d’épuisement profes- sionnels, il est perçu différemment par la société. Le mot «dépression», en revanche, a encore une résonance très stigmatisante. En faire toujours plus en moins de temps, telle est l’axiome du monde moderne du travail. Beaucoup de gens se dépensent jusqu’à épuisement. Existe-t-il contre cela des stratégies efficaces? Psychologue et docteur ès lettres, René Hess estime qu’un réseau social stable et le fait de s’accorder des pauses suffisantes à côté du travail peuvent prévenir des dépressions. Photo: René Hess Il faut se poser de temps en temps la question de ce que l’on est prêt à exiger de soi-même et des moyens que l’on a. Et si cela ne suffit pas à provoquer un changement, il faut demander un accompagnement professionnel. On peut aussi partir du contexte, se poser la question de la marge dont on dispose au travail. Faut-il prendre au mot les exigences énoncées par l’employeur, la pression est-elle réelle? Et il faut un jour ou l’autre se demander si c’est vraiment là qu’on a envie de travailler. Les mesures d’accompagnement sont importantes. Ne pas faire que travailler. Prendre le temps de voir des gens, d’avoir des hobbies, de faire du sport. Une vie uniquement faite de performances et de travail est navrante. Beaucoup de salariés ont chaque année un entretien avec leur supérieur. S’ils décidaient d’en avoir un avec eux-mêmes, ce serait déjà une bonne chose. A qui les personnes en situation de crise peuvent-elles s’adresser? A leur médecin de famille ou directement à un psychologue ou un psychiatre, soit encore à Urgence médecins. Dans ce cas, le médecin de garde se rendrait à domicile, évaluerait la situation et prendrait les mesures nécessaires. La Main tendue est également une possibilité pour se confier. La collaboratrice ou le collaborateur du 143 peut ensuite indiquer à l’appelant d’autres services. En cas de crise aiguë, on appellera une ambulance ou préviendra la police. Lisez l’intégralité de l’entretien sous www.hirnliga.ch Deux top managers ont mis fin à leurs jours à peu de temps d’intervalle. D’abord Carsten Schloter, le CEO de Swisscom, à la fin juillet, et, quelques semaines plus tard, Pierre Wauthier, le directeur financier de Zurich Insurance. Dans les deux cas, personne n’avait rien remarqué. Existe-t-il des signes avant-coureurs du suicide? Qu’est-on censé en faire? Lorsqu’une personne proche laisse transparaître des idées de suicide, il ne faut pas hésiter à aborder franchement le sujet avec elle. Quelquefois le suicide est précédé d’allusions telles que «peut-être que la semaine prochaine je ne serai plus là». Ce sont des choses auxquelles il faut réagir. Parfois, craignant provoquer un passage à l’acte, les gens hésitent. Mais c’est une mauvaise raison. Il faut agir et, en guise d’entrée en matière, dire par exemple à la personne qu’on se fait du souci pour elle. Et il est grand temps, dans un tel cas, de demander une aide professionnelle. Photo: iStockphoto.com Les «Alliances contre la dépression» fournissent des informations supplémentaires sur ce thème et organisent des rencontres ainsi que des conférences. Vous trouverez la liste des alliances cantonales sous: http://npg-rsp.ch/index.php?id=55&L=1 5 le Cerveau 1/2014 La valse pour les débutants Par Norbert Herschkowitz, pédiatre et neuroscientifique, né en 1929 Ayant entendu cet été une jolie valse à la radio, je me suis dit que cela pourrait faire un cadeau d’anniversaire pour ma femme – des leçons de valse privées dans une école de danse! L’inscription faite, me sont venus des doutes. Je n’ai jamais pris de cours de danse digne de ce nom. Est-ce que j’allais réussir à mémoriser les pas? Est-ce que je n’allais pas glisser sur le parquet trop lisse? Est-ce que je tiendrais le coup physiquement? Moi qui passe ma journée assis à mon bureau et fais au mieux 800 des 10 000 pas par jour recommandés par les médecins. Des études scientifiques encouragent les personnes âgées à relever de nouveaux défis, à se lancer dans des apprentissages. La plasticité et, partant, la capacité d’apprentissage du cerveau résistent au vieillissement. Et, bien que la force musculaire diminue, une activité physique régulière (p. ex. 1 heure de danse par semaine) peut améliorer la marche et réduire le risque de chute. Je vais donc tenter le coup. Première leçon: la nouveauté est stimulante – mais fatigante Nous nous rendons en ville bien à l’avance, car ce serait trop bête d’arriver au studio «Garbujo» en retard. 6 le Cerveau 1/2014 Tout en ayant mauvaise conscience, c’est en ascenseur, histoire de ménager nos forces, que nous montons au quatrième étage. La salle entourée de miroirs me paraît immense. Les vases de fleurs artificielles lui donnent un air d’élégance. On se croirait au bal de l’opéra à Vienne. Rita Pauli, la charmante propriétaire de l’école, me montre le pas de base pour les messieurs. A «un», j’avance d’un pas avec le pied droit; à «deux», je déplace mon pied gauche vers la gauche, à «trois», le pied droit vient se mettre à côté du gauche. Je sens que je dois donner à mon pied droit un signal clair et que, une fois en appui sur le gauche, je dois tout de suite porter mon poids vers la gauche. Excellent exercice pour la sûreté de la marche. On passe alors à la deuxième partie du pas de base. Un pas en arrière avec le pied gauche, un pas de côté avec le droit, ramener le pied gauche à côté du pied droit. Ainsi se referme le «rectangle virtuel» dessiné sur le sol. Nous exerçons de la sorte la coordination des muscles, lesquels sont pilotés par le côté opposé du cerveau. Maintenant, à moi de jouer tout seul. Le pied droit d’abord? J’hésite. Sans s’énerver, Rita refait la figure devant Cofondateur et membre du comité de la Ligue suisse pour le cerveau, Norbert Herschkowitz n’a pas hésité à entraîner sa femme Elinore à se maintenir en forme et de bonne humeur en dansant la valse. Photo: Martin Bichsel Après une courte pause, j’essaie de danser avec ma femme, et en musique. Tant que nous chantons «un, deux, trois», en faisant très attention à ce que nous faisons, tout va bien, mais que nous sommes loin, pour l’instant, de la légèreté que l’on voit aux danseurs chevronnés. Deuxième leçon: patience et endurance Nous nous sommes exercés vaillamment, 10 minutes par jour, sauf le dimanche. Pour le pied droit en avant sur le premier temps, tout va bien, mais pour le gauche en arrière, c’est une autre histoire. Rita m’explique le mouvement du corps et la pression sur la paume de la main de ma femme par lesquels je dois lui donner l’impulsion de partir du bon pied dans la bonne direction. En somme, c’est un dialogue: «donner une impulsion», «répondre à celle-ci». Une idée géniale. Sauf que je dois décider, en un rien de temps, quelle direction prendre. moi. Nous répétons la séquence plusieurs fois de suite. Arrivé à un certain âge, apprendre à enchaîner de nouveaux mouvements prend du temps. La couche de myéline qui entoure les nerfs s’étant amincie, la conduction des stimuli électriques qui commandent, enregistrent et corrigent les mouvements n’est plus aussi rapide. D’où la nécessité de répéter plusieurs fois les mouvements et de laisser au cerveau le temps d’établir les connexions nécessaires. Sans compter qu’on a fixé avec l’âge des mouvements incorrects qu’il s’agit soudain de reprogrammer. Rita me montre maintenant comment on se tient pour danser. Et ce que j’entends m’enchante : l’homme conduit, la femme suit. Ah, s’il pouvait toujours en être ainsi (encore que je n’aie pas tellement à me plaindre de ce côtélà). C’est donc avec un certain balancement que le pied droit doit avancer d’un pas. Et le gauche partir à gauche. Nous recommençons plusieurs fois, et je dois avouer que je ne refuserais pas de m’assoir un instant. Je me console en me disant que c’est bon pour le cœur et la circulation, et que ce qui est bon pour le cœur est bon pour le cerveau. Je constate tout de même que je manque d’entraînement. A peine le pas de base assimilé tant bien que mal, qu’il faut apprendre à tourner. Encore heureux que ce soit seulement vers la droite. Le système vestibulaire coordonne les informations qui lui parviennent des yeux, des oreilles et de nos récepteurs tactiles, et dont on a besoin pour sentir la position de son corps, garder son équilibre et s’orienter dans l’espace. Je comprends qu’après le pas de côté, je dois ramener l’autre pied – si seulement je savais où il est – d’un geste décidé vers le premier afin de ne pas être déséquilibré par la rotation. J’ai l’impression que toute la salle tourne autour de moi. Au lieu de m’aider à guider mes pas, le rythme m’embrouille parce que je ne réagis pas assez vite. Mais il n’est pas question d’abandonner – je suis comme un petit enfant qui fait ses premiers pas. Et que fait-il quand enfin il y arrive? Il rit, tout content d’avoir réussi. Après plusieurs tentatives, les choses rentrent dans l’ordre. Valser n’est pas que tourner, il faudrait, en plus, planer à quelques centimètres du sol, comme porté par des ailes invisibles. Mais pour que tombent les chaînes des schémas de pensée quotidiens, de sorte que la musique déploie pleinement ses effets, il faut tout de même se sentir d’aplomb sur ses jambes. Plus nous nous exerçons, plus nous maîtrisons notre sujet, plus le plaisir est grand. Le sens et le plaisir réunis – une situation rêvée pour apprendre ! Il y a même, dans la partie antérieure du cortex cérébral, une zone spéciale, dont la fonction est d’intégrer le mouvement, la pensée, les sensations, une zone appelée cortex cingulaire. Nous voilà pris, ma femme et moi, par ce que nous vivons ensemble, par la musique, le mouvement. A quoi s’ajoute le plaisir de faire la connaissance de gens qui adorent la danse et nous montrent ce dont on est capable à notre âge. Après nous, la salle accueille en effet un groupe d’élèves avancés, tous âgés de 82 à 87 ans. Et qui dansent sur des rythmes sud-américains ! Je n’en reviens pas, surtout en entendant dire de quelques messieurs qu’ils viennent de commencer. Je suis content d’avoir un instant de répit et de trouver enfin le temps de lire l’article qui se trouve depuis longtemps sur mon bureau – un article sur le chant choral et l’effet positif qu’il a sur le bien-être de la personne âgée. Troisième leçon: le sens et le plaisir Devant la glace, je me tiens plus droit que la dernière fois et j’ai même l’impression d’être plus grand. UNDEUX-TROIS, c’est parti. Mais pas aussi bien que je l’avais imaginé. Je me souviens des pas, mais rien à faire pour que mon cerveau donne les ordres qu’il faut à mes pieds. 7 le Cerveau 1/2014 Conseil de lecture: Kattenstroth, J.C. et al. (2013) «Six months of dance intervention enhances postural, sensorimotor, and cognitive performance in elderly without affecting cardio-respiratory functions». Frontiers in Aging Neuroscience, Feb. 26, 2013. Johnson, J.K. et al. (2013) «Quality of life (QOL) of older adult community choral singers in Finland». Int Psychogeriatry, 25(7):1055-1064. Le prochain numéro Vous avez dit «vieillir»? Jamais, de toute l’histoire de l’humanité, autant de gens ont atteint un âge aussi élevé qu’aujourd’hui. En même temps, les progrès de la médecine se traduisent par une meilleure qualité de vie pour la personne âgée. Les seniors restent toujours plus longtemps en bonne santé et autonomes. Malgré cela, des images négatives de la vieillesse sont souvent source de restrictions imposées par soi-même et de résignation. L’idée que l’on se fait de la vieillesse a une grande influence sur ce que les plus jeunes en attendent et sur ce que les seniors s’estiment capables d’en faire. On ne le dira jamais assez: un cerveau en bonne santé est capable d’apprendre jusqu’à un âge très avancé. Bien vieillir Photo: iStockphoto.com Vieillir n’est pas seulement une affaire de biologie – nous avons tous la possibilité d’agir sur notre vieillissement. Quelles sont les stratégies qui permettent de se développer tout au long de la vie? Quels sont les facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer? Pourquoi il est sage de réfléchir à 40 ans ce que l’on fera à 80 ans. Prix de la recherche – And the winner is... La Ligue suisse pour le cerveau décerne tous les deux ans un prix de la recherche doté de 20 000 francs pour un travail de recherche particulièrement remarquable. Nous vous présenterons dans le prochain numéro de notre magazine le gagnant du prix de la recherche 2014. Le prochain numéro du magazine «le Cerveau» paraîtra le 20 mai 2014. Impressum et rédaction Newsletter électronique Souhaitez-vous recevoir, plusieurs fois par an, la newsletter électronique de la Ligue pour le cerveau? Vous y trouverez, outre les dernières nouveautés sur notre organisation, des articles passionnants sur la recherche sur le cerveau, des conseils pour la santé de votre cerveau ainsi que des jeux et des devinettes. Si vous ne la recevez pas encore, vous avez la possibilité de vous inscrire sous www.hirnliga.ch, à la rubrique «Lettre d’information»! 8 le Cerveau 1/2014 Comité de la Ligue suisse pour le cerveau Prof. Ch. Hess, président, Berne; Prof. P. Magistretti, Lausanne; Prof. J.-M. Fritschy, Zurich; Prof. N. Herschkowitz, Berne; Dr Beatrice Roth, Lausanne; Prof. J. Kesselring, Valens; Marco Tackenberg, Berne Concept: forum | pr, Berne Mise en page: Claudia Bernet, Berne Impression: Druckerei Hofer Bümpliz AG, Buchdruckerweg 20, 3018 Berne