Bonjour tristesse - Schweizerische Hirnliga

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Bonjour tristesse - Schweizerische Hirnliga
SCHWEIZERISCHE HIRNLIGA
LIGUE SUISSE POUR LE CERVEAU
LEGA SVIZZERA PER IL CERVELLO
Contenu du No 1/2014
Editorial2
N’ayez pas peur de vos émotions! 3
«La dépression reste très
stigmatisante» 4-5
La valse pour les débutants
6-7
Le prochain numéro
8
Bonjour tristesse
Ne sois pas si négatif! Arrête de ruminer! Tu devrais voir l’aspect positif des
choses! Qui est parfois saisi par la mélancolie se voit souvent mal compris
dans notre société qui ne jure que par
le bonheur. Le psychanalyste Sigmund
Freud voyait pourtant dans la mélancolie une force créative: «On peut
dire que l’homme heureux n’a pas de
fantasmes, seul en crée l’homme insatisfait», déclare-t-il dans «Le poète
et la fantaisie» (1907). Et le fait est
que le vague à l’âme apparaît comme
une compagne fidèle de l’écrivain et
de l’écrivaine. Des grands noms de la
littérature tels Shakespeare, Rousseau
ou Goethe ont imprégné leur œuvre
de leur mélancolie.
Ligue suisse pour le cerveau
Postgasse 19, case postale
CH-3000 Berne 8
Compte pour les dons PC 30-229469-9
Le philosophe Emmanuel Kant prêtait
au mélancolique des traits et des inclinations qui le distinguaient du commun: «L’homme dont le sentiment
tourne au mélancolique a surtout le
sentiment du sublime. Il ne supporte
aucune basse servitude, et son noble
cœur ne respire que pour la liberté.
Toutes les chaînes lui sont odieuses,
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le Cerveau 1/2014
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depuis les chaînes dorées qu’on porte
à la cour jusqu’aux fers pesants des
galériens.» («Observations sur le sentiment du beau et du sublime», 1764).
La dysphorie, terme savant qualifiant
les troubles de l’humeur, fait tout autant partie de la vie que l’euphorie.
Que celui qui, de temps à autre, incline aux pensées noires n’en éprouve
pas au surplus mauvaise conscience.
Un sentiment passager de tristesse,
de mélancolie ou de langueur est un
phénomène normal. L’homme est
une espèce lunatique. Son humeur se
dérègle pour un oui pour un non, et
peut chavirer sans qu’on s’y attende.
La dysphorie a stimulé ces dernières
années l’intérêt de chercheurs et chercheuses issus des domaines scientifiques les plus divers, allant de la
psychologie à la neurologie en passant
par la sociologie – avec des résultats
étonnants. L’étude du chercheur australien Joseph Forgas montre par
exemple qu’une humeur sombre fait
parfois de nous des penseurs plus lu-
Editorial
La semaine du cerveau – des conférences publiques sur le cerveau
Chère lectrice, cher lecteur,
Durant la semaine du 10 au 15 mars
auront lieu dans plusieurs villes de
Suisse des manifestations publiques
centrées sur le cerveau et répondant
à des questions aussi diverses que:
Comment entraîne-t-on son cerveau?
Que se passe-t-il dans le cerveau quand
on a peur? Comment se développe le
cerveau de l’enfant? Existe-t-il une alimentation type pour le cerveau? Quels
sont les acquis les plus récents de la
recherche sur le sommeil?
Vous trouverez, en annexe à ce numéro,
un extrait du programme de cette année et, sur notre site www.hirnliga.ch
sous «Semaine du cerveau» ainsi que
dans la presse, le programme détaillé
de la semaine.
La Semaine du cerveau a lieu chaque
année en mars. Elle est l’occasion pour
des chercheuses et des chercheurs internationaux de présenter à un large public
le fruit de leurs travaux. Complétée par
des films et des expositions, la Semaine
du cerveau a pour but de sensibiliser
l’opinion à la neurorecherche ainsi qu’à
la thématique générale du cerveau.
Nous nous réjouissons de votre participation!
Dr Béatrice Roth
Membre du comité de la Ligue
suisse pour le cerveau
SCHWEIZERISCHE HIRNLIGA
LIGUE SUISSE POUR LE CERVEAU
LEGA SVIZZERA PER IL CERVELLO
cides et même des êtres plus sociables
que les optimistes à tout crin.
Pour étudier les effets qu’ont sur notre
pensée des dispositions différentes,
Joseph Forgas a projeté à une partie
des personnes qui ont participé à son
étude des films tristes ou leur a fait
entendre des mélodies mélancoliques,
alors que les autres eurent droit à des
films comiques et à de la musique gaie
et entraînante. Après quoi, les uns et
les autres se virent proposer toute une
série de tâches.
Les optimistes sont souvent
peu critiques
La conclusion de l’étude est que les
mélancoliques ont démontré une plus
grande agilité d’esprit. Ils semblaient
mieux s’adapter à la nouveauté et
être moins figés dans leurs schémas
de pensée. Aussi se sont-ils moins facilement laissé prendre au piège des
stéréotypes. Les optimistes ont estimé
les gens d’apparence attirante plus
intelligents que les personnes moins
attrayantes et les aliments bio meilleurs pour la santé que les aliments
non-bio, alors que le jugement des
personnes d’humeur triste se révélait
plus nuancé.
On estime que les gens de mauvaise
humeur sont plus attentifs à ce qui
les entoure. Les personnes pleines
d’entrain sont davantage tournées sur
elles-mêmes, ce qui les rend plus égoïstes. La conséquence – surprenante –
que l’on peut en tirer est qu’une tonalité d’humeur sombre rend les gens plus
faciles à vivre et plus attentionnés.
Selon Joseph Forgas, «les affects négatifs portent à être plus attentif aux
autres.» Ce dont les moins bien lunés
tirent les dividendes, car lorsqu’ils demandent un service à quelqu’un, ils le
font avec une gentillesse à laquelle on
résiste difficilement.
Trouver l’équilibre
Les optimistes inébranlables manquent
souvent de sens critique et tendent à
croire tout ce qu’on leur raconte. Les
psychologues parlent à ce propos de
«légèreté cognitive». Quand on est
dans une phase d’allégresse, tout
paraît facile, y compris prendre pour
argent comptant ce que l’on vous dit.
Les pessimistes, par contre, portent
sur eux-mêmes et leur entourage un
regard plus sceptique et plus sévère.
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le Cerveau 1/2014
Il ne faut donc pas faire trop hâtivement le procès d’une mauvaise humeur
passagère. Etre de temps en temps de
«mauvais poil» est tout à fait normal.
Mais attention: les effets bénéfiques
décrits ci-dessus par les psychologues
n’ont été observés que chez des personnes dont les périodes de morosité
sont de courte durée. La conclusion
que Joseph Forgas tire de son étude est
qu’un dosage équilibré de bonne et de
mauvaise humeur vaut mieux qu’un
optimisme exagéré.
N’ayez pas
peur de
vos émotions!
Même les coléreux, les anxieux
et les mélancoliques peuvent
encore apprendre à faire un usage
constructif de leurs émotions
à un âge avancé.
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«Les résultats de votre prise de sang
sont préoccupants, j’aimerais que
nous en discutions ensemble.» Depuis
qu’elle a trouvé ce message sur son
répondeur, Nicole D. est affreusement
inquiète. Elle se demande si son médecin va lui annoncer une grave maladie,
et à quoi elle doit se préparer. Elle a
peur. Des pensées noires lui passent
par la tête. Il suffirait pourtant qu’elle
appelle son médecin pour être fixée.
Mais elle est comme paralysée.
Les émotions peuvent déclencher de
fortes réactions physiques: tremblements, palpitations, stress. Ce n’est
pas pour rien que le philosophe anglais Thomas Hobbes disait de la
passion et des émotions qu’elles sont
des «troubles de l’esprit». Le fait est
cependant qu’elles ont eu du point
de vue du développement du genre
humain l’avantage de prédisposer
l’homme à l’action nécessaire à sa
survie. A la vue d’un serpent, les battements de cœur s’accélèrent, la tension artérielle augmente, ce qui a pour
effet de bien irriguer les muscles de
sang. Les hormones leur assurent de
leur côté un apport d’énergie optimal
et fixent l’attention sur le danger qui
menace. Voilà donc réunies toutes les
conditions de la réaction de combat
ou de la réaction de fuite.
leur emprise. La façon dont nous les
gérons est, il est vrai, pour une bonne
part affaire de gènes. L’individu de
tempérament coléreux, anxieux ou
mélancolique ne va pas se départir
d’un jour à l’autre de ces attributs.
Mais il est tout de même possible – et
même à un âge avancé – d’apprendre
à gérer ses émotions. Grâce à la plasticité des tissus cérébraux, un entraînement ciblé permet en effet de modifier
les circuits émotionnels du cerveau
et d’acquérir de nouveaux comportements.
Faire un usage constructif de
ses émotions
La bonne solution ne consiste pas à
refouler ou à minimiser ses émotions.
Cela ne ferait qu’accroître l’état d’excitation de l’organisme, car il faut beaucoup d’énergie pour maintenir une
apparence de bien-être. «Il ne faut pas
se faire des émotions un ennemi mais
un allié», dit le psychologue Matthias
Berking, pour qui l’art consiste à accepter ses émotions et à en faire un
usage constructif.
La méditation de pleine conscience
offre à cet égard des possibilités intéressantes. «La méditation ramène
l’agitation émotionnelle à de justes
proportions et évite de tomber, comme
un mécanisme de stimulus et réaction,
dans des automatismes de comportement», explique le psychologue Ulrich
Ott. Un individu qui trouve des ressources en lui-même a de quoi aborder plus sereinement une discussion
désagréable. Il sera plus attentif et se
laissera moins facilement déstabiliser.
Les gens qui méditent apprennent à
observer leurs pensées et à les contrôler avant qu’elles ne dégénèrent en
mauvais sentiments.
Nous ne sommes pas sans défense
devant nos émotions
«Les émotions dominent davantage
la raison que la raison les émotions»,
dit Gerhard Roth, chercheur en neurosciences à Brême. Nous ne sommes
toutefois pas pieds et poings liés sous
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le Cerveau 1/2014
Conseil de lecture:
Ulrich Ott: Meditation für Skeptiker. Verlag Droemer/Knaur.
Matthias Berking: Training emotionaler Kompetenzen.
Springer Verlag.
«La dépression reste
très stigmatisante»
Le suicide, l’an dernier, de deux top
managers a soulevé une vive
émotion. «le Cerveau» s’est entretenu avec le psychologue René Hess
(Dr phil.) de la prévention de la
dépression et des possibilités d’aide
offertes aux personnes qui en
souffrent.
«le Cerveau»: Existe-t-il une
prédisposition à la dépression
où est-ce une maladie dont
tout le monde peut être atteint?
René Hess: En principe, nul n’est à
l’abri. La dépression est une maladie
plurifactorielle. Elle est faite d’aspects
biologiques – par exemple les gènes –
et d’aspects psychiques, c’est-à-dire les
expériences que nous faisons dans la
vie et la façon dont nous gérons ces
expériences. Cette interaction se traduit notamment par le développement
de réseaux neuronaux dont dépend
en partie la façon dont seront traitées les autres expériences que nous
réserve la vie.
Existe-t-il des moyens de se
protéger?
Il en va comme de la santé en général. Il existe des règles de bon sens,
mais pas de parade absolue. Il est
utile d’avoir un bon réseau social, fait
de gens sur lesquels on sait pouvoir
compter. Il est également indiqué de
réfléchir à la façon dont on gère le
stress, à ce qu’on fait pour se détendre
et à ce qui nous fait du bien en dehors
du travail.
Il peut aussi être utile de se dire que la
vie vous réserve toujours des mauvais
coups, et de s’y préparer mentalement,
tout en étant convaincu que l’on trouvera toujours un moyen de s’en sortir.
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le Cerveau 1/2014
Que peuvent faire les proches
si la personne n’a pas conscience
de son problème?
C’est une situation très délicate.
Même si une personne se sent déprimée, elle a parfaitement le droit de
refuser un traitement. C’est un droit
fondamental, qui existe tant qu’il
n’y a pas mise en danger de soi ou
d’autrui. Les gens de l’entourage se
trouvent ainsi renvoyés à eux-mêmes.
Pour eux, la question est de savoir s’ils
se sentent la force de continuer d’avoir
des relations avec cette personne. Il se
peut que l’on arrive un jour ou l’autre
à un point au-delà duquel on ne peut
aller. Si tel est le cas, mieux vaut en
parler avant d’en arriver là.
Le burnout est-il un terme à la
mode ou une maladie?
Si vous consultez l’ICD-10, autrement
dit l’International Statistical Classification of Diseases and Related Health
Problems, vous constaterez qu’il n’y
figure pas comme maladie, mais seulement comme diagnostic d’appoint.
J’estime personnellement que le burnout et la dépression sont des états
très voisins l’un de l’autre et qui se
rejoignent en de nombreux points.
Dans le burnout, l’aspect central est
le travail. Le terme a une consonance
plus légère et, renvoyant à cette notion
d’engagement et d’épuisement profes-
sionnels, il est perçu différemment
par la société. Le mot «dépression»,
en revanche, a encore une résonance
très stigmatisante.
En faire toujours plus en moins
de temps, telle est l’axiome
du monde moderne du travail.
Beaucoup de gens se dépensent
jusqu’à épuisement. Existe-t-il
contre cela des stratégies
efficaces?
Psychologue et docteur ès lettres,
René Hess estime qu’un réseau social
stable et le fait de s’accorder
des pauses suffisantes à côté du travail
peuvent prévenir des dépressions.
Photo: René Hess
Il faut se poser de temps en temps la
question de ce que l’on est prêt à exiger
de soi-même et des moyens que l’on
a. Et si cela ne suffit pas à provoquer
un changement, il faut demander un
accompagnement professionnel.
On peut aussi partir du contexte, se
poser la question de la marge dont on
dispose au travail. Faut-il prendre au
mot les exigences énoncées par l’employeur, la pression est-elle réelle? Et
il faut un jour ou l’autre se demander
si c’est vraiment là qu’on a envie de
travailler.
Les mesures d’accompagnement sont
importantes. Ne pas faire que travailler. Prendre le temps de voir des
gens, d’avoir des hobbies, de faire
du sport. Une vie uniquement faite
de performances et de travail est
navrante. Beaucoup de salariés ont
chaque année un entretien avec leur
supérieur. S’ils décidaient d’en avoir
un avec eux-mêmes, ce serait déjà une
bonne chose.
A qui les personnes en situation
de crise peuvent-elles s’adresser?
A leur médecin de famille ou directement à un psychologue ou un psychiatre, soit encore à Urgence médecins. Dans ce cas, le médecin de garde
se rendrait à domicile, évaluerait la
situation et prendrait les mesures
nécessaires. La Main tendue est également une possibilité pour se confier.
La collaboratrice ou le collaborateur
du 143 peut ensuite indiquer à l’appelant d’autres services. En cas de crise
aiguë, on appellera une ambulance ou
préviendra la police.
Lisez l’intégralité de l’entretien sous
www.hirnliga.ch
Deux top managers ont mis fin à
leurs jours à peu de temps d’intervalle. D’abord Carsten Schloter,
le CEO de Swisscom, à la fin juillet,
et, quelques semaines plus tard,
Pierre Wauthier, le directeur financier de Zurich Insurance. Dans
les deux cas, personne n’avait rien
remarqué. Existe-t-il des signes
avant-coureurs du suicide?
Qu’est-on censé en faire?
Lorsqu’une personne proche laisse
transparaître des idées de suicide,
il ne faut pas hésiter à aborder
franchement le sujet avec elle.
Quelquefois le suicide est précédé
d’allusions telles que «peut-être que la
semaine prochaine je ne serai plus là».
Ce sont des choses auxquelles il faut
réagir. Parfois, craignant provoquer
un passage à l’acte, les gens hésitent.
Mais c’est une mauvaise raison. Il
faut agir et, en guise d’entrée en matière, dire par exemple à la personne
qu’on se fait du souci pour elle. Et il
est grand temps, dans un tel cas, de
demander une aide professionnelle.
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Les «Alliances contre la dépression» fournissent des
informations supplémentaires sur ce thème et organisent
des rencontres ainsi que des conférences.
Vous trouverez la liste des alliances cantonales sous:
http://npg-rsp.ch/index.php?id=55&L=1
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le Cerveau 1/2014
La valse
pour
les débutants
Par Norbert Herschkowitz,
pédiatre et neuroscientifique,
né en 1929
Ayant entendu cet été une jolie valse
à la radio, je me suis dit que cela
pourrait faire un cadeau d’anniversaire pour ma femme – des leçons de
valse privées dans une école de danse!
L’inscription faite, me sont venus des
doutes. Je n’ai jamais pris de cours
de danse digne de ce nom. Est-ce que
j’allais réussir à mémoriser les pas?
Est-ce que je n’allais pas glisser sur le
parquet trop lisse? Est-ce que je tiendrais le coup physiquement? Moi qui
passe ma journée assis à mon bureau et
fais au mieux 800 des 10 000 pas par
jour recommandés par les médecins.
Des études scientifiques encouragent
les personnes âgées à relever de nouveaux défis, à se lancer dans des apprentissages. La plasticité et, partant,
la capacité d’apprentissage du cerveau
résistent au vieillissement. Et, bien que
la force musculaire diminue, une activité physique régulière (p. ex. 1 heure
de danse par semaine) peut améliorer
la marche et réduire le risque de chute.
Je vais donc tenter le coup.
Première leçon: la nouveauté est
stimulante – mais fatigante
Nous nous rendons en ville bien à
l’avance, car ce serait trop bête d’arriver au studio «Garbujo» en retard.
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le Cerveau 1/2014
Tout en ayant mauvaise conscience,
c’est en ascenseur, histoire de ménager nos forces, que nous montons au
quatrième étage. La salle entourée de
miroirs me paraît immense. Les vases
de fleurs artificielles lui donnent un
air d’élégance. On se croirait au bal
de l’opéra à Vienne. Rita Pauli, la
charmante propriétaire de l’école, me
montre le pas de base pour les messieurs. A «un», j’avance d’un pas avec
le pied droit; à «deux», je déplace mon
pied gauche vers la gauche, à «trois»,
le pied droit vient se mettre à côté du
gauche. Je sens que je dois donner à
mon pied droit un signal clair et que,
une fois en appui sur le gauche, je dois
tout de suite porter mon poids vers
la gauche. Excellent exercice pour la
sûreté de la marche. On passe alors
à la deuxième partie du pas de base.
Un pas en arrière avec le pied gauche,
un pas de côté avec le droit, ramener
le pied gauche à côté du pied droit.
Ainsi se referme le «rectangle virtuel»
dessiné sur le sol. Nous exerçons de
la sorte la coordination des muscles,
lesquels sont pilotés par le côté opposé
du cerveau.
Maintenant, à moi de jouer tout seul.
Le pied droit d’abord? J’hésite. Sans
s’énerver, Rita refait la figure devant
Cofondateur et membre du comité
de la Ligue suisse pour le
cerveau, Norbert Herschkowitz
n’a pas hésité à entraîner
sa femme Elinore à se maintenir
en forme et de bonne humeur
en dansant la valse.
Photo: Martin Bichsel
Après une courte pause, j’essaie de
danser avec ma femme, et en musique.
Tant que nous chantons «un, deux,
trois», en faisant très attention à ce
que nous faisons, tout va bien, mais
que nous sommes loin, pour l’instant,
de la légèreté que l’on voit aux danseurs chevronnés.
Deuxième leçon: patience et
endurance
Nous nous sommes exercés vaillamment, 10 minutes par jour, sauf le
dimanche. Pour le pied droit en avant
sur le premier temps, tout va bien,
mais pour le gauche en arrière, c’est
une autre histoire. Rita m’explique le
mouvement du corps et la pression sur
la paume de la main de ma femme par
lesquels je dois lui donner l’impulsion
de partir du bon pied dans la bonne
direction. En somme, c’est un dialogue: «donner une impulsion», «répondre à celle-ci». Une idée géniale.
Sauf que je dois décider, en un rien de
temps, quelle direction prendre.
moi. Nous répétons la séquence plusieurs fois de suite. Arrivé à un certain
âge, apprendre à enchaîner de nouveaux mouvements prend du temps.
La couche de myéline qui entoure les
nerfs s’étant amincie, la conduction
des stimuli électriques qui commandent, enregistrent et corrigent les mouvements n’est plus aussi rapide. D’où
la nécessité de répéter plusieurs fois
les mouvements et de laisser au cerveau le temps d’établir les connexions
nécessaires. Sans compter qu’on a fixé
avec l’âge des mouvements incorrects
qu’il s’agit soudain de reprogrammer.
Rita me montre maintenant comment
on se tient pour danser. Et ce que j’entends m’enchante : l’homme conduit,
la femme suit. Ah, s’il pouvait toujours en être ainsi (encore que je n’aie
pas tellement à me plaindre de ce côtélà). C’est donc avec un certain balancement que le pied droit doit avancer
d’un pas. Et le gauche partir à gauche.
Nous recommençons plusieurs fois, et
je dois avouer que je ne refuserais pas
de m’assoir un instant. Je me console
en me disant que c’est bon pour le
cœur et la circulation, et que ce qui
est bon pour le cœur est bon pour le
cerveau. Je constate tout de même que
je manque d’entraînement.
A peine le pas de base assimilé tant
bien que mal, qu’il faut apprendre à
tourner. Encore heureux que ce soit
seulement vers la droite. Le système
vestibulaire coordonne les informations qui lui parviennent des yeux,
des oreilles et de nos récepteurs tactiles, et dont on a besoin pour sentir
la position de son corps, garder son
équilibre et s’orienter dans l’espace.
Je comprends qu’après le pas de côté,
je dois ramener l’autre pied – si seulement je savais où il est – d’un geste
décidé vers le premier afin de ne pas
être déséquilibré par la rotation. J’ai
l’impression que toute la salle tourne
autour de moi. Au lieu de m’aider
à guider mes pas, le rythme m’embrouille parce que je ne réagis pas
assez vite. Mais il n’est pas question
d’abandonner – je suis comme un petit
enfant qui fait ses premiers pas. Et que
fait-il quand enfin il y arrive? Il rit,
tout content d’avoir réussi.
Après plusieurs tentatives, les choses
rentrent dans l’ordre.
Valser n’est pas que tourner, il faudrait, en plus, planer à quelques centimètres du sol, comme porté par
des ailes invisibles. Mais pour que
tombent les chaînes des schémas de
pensée quotidiens, de sorte que la musique déploie pleinement ses effets, il
faut tout de même se sentir d’aplomb
sur ses jambes. Plus nous nous exerçons, plus nous maîtrisons notre sujet,
plus le plaisir est grand. Le sens et
le plaisir réunis – une situation rêvée
pour apprendre ! Il y a même, dans la
partie antérieure du cortex cérébral,
une zone spéciale, dont la fonction
est d’intégrer le mouvement, la pensée, les sensations, une zone appelée
cortex cingulaire. Nous voilà pris,
ma femme et moi, par ce que nous
vivons ensemble, par la musique, le
mouvement. A quoi s’ajoute le plaisir
de faire la connaissance de gens qui
adorent la danse et nous montrent
ce dont on est capable à notre âge.
Après nous, la salle accueille en effet
un groupe d’élèves avancés, tous âgés
de 82 à 87 ans. Et qui dansent sur
des rythmes sud-américains ! Je n’en
reviens pas, surtout en entendant dire
de quelques messieurs qu’ils viennent
de commencer.
Je suis content d’avoir un instant de
répit et de trouver enfin le temps de
lire l’article qui se trouve depuis longtemps sur mon bureau – un article sur
le chant choral et l’effet positif qu’il a
sur le bien-être de la personne âgée.
Troisième leçon: le sens et
le plaisir
Devant la glace, je me tiens plus
droit que la dernière fois et j’ai même
l’impression d’être plus grand. UNDEUX-TROIS, c’est parti. Mais pas
aussi bien que je l’avais imaginé. Je
me souviens des pas, mais rien à
faire pour que mon cerveau donne
les ordres qu’il faut à mes pieds.
7
le Cerveau 1/2014
Conseil de lecture:
Kattenstroth, J.C. et al. (2013) «Six months of dance
intervention enhances postural, sensorimotor, and cognitive
performance in elderly without affecting cardio-respiratory
functions». Frontiers in Aging Neuroscience, Feb. 26, 2013.
Johnson, J.K. et al. (2013) «Quality of life (QOL) of older
adult community choral singers in Finland». Int Psychogeriatry,
25(7):1055-1064.
Le prochain
numéro
Vous avez dit «vieillir»?
Jamais, de toute l’histoire de l’humanité, autant de gens ont atteint un âge
aussi élevé qu’aujourd’hui. En même
temps, les progrès de la médecine se
traduisent par une meilleure qualité
de vie pour la personne âgée. Les seniors restent toujours plus longtemps
en bonne santé et autonomes. Malgré
cela, des images négatives de la vieillesse sont souvent source de restrictions imposées par soi-même et de
résignation. L’idée que l’on se fait de
la vieillesse a une grande influence sur
ce que les plus jeunes en attendent et
sur ce que les seniors s’estiment capables d’en faire. On ne le dira jamais
assez: un cerveau en bonne santé est
capable d’apprendre jusqu’à un âge
très avancé.
Bien vieillir
Photo: iStockphoto.com
Vieillir n’est pas seulement une affaire de biologie – nous avons tous la
possibilité d’agir sur notre vieillissement. Quelles sont les stratégies qui
permettent de se développer tout au
long de la vie? Quels sont les facteurs
de risque de la maladie d’Alzheimer?
Pourquoi il est sage de réfléchir à 40
ans ce que l’on fera à 80 ans.
Prix de la recherche – And the
winner is...
La Ligue suisse pour le cerveau décerne tous les deux ans un prix de
la recherche doté de 20 000 francs
pour un travail de recherche particulièrement remarquable. Nous vous
présenterons dans le prochain numéro
de notre magazine le gagnant du prix
de la recherche 2014.
Le prochain numéro du magazine «le
Cerveau» paraîtra le 20 mai 2014.
Impressum et rédaction
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de votre cerveau ainsi que des jeux et
des devinettes. Si vous ne la recevez
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8
le Cerveau 1/2014
Comité de la Ligue suisse
pour le cerveau
Prof. Ch. Hess, président, Berne;
Prof. P. Magistretti, Lausanne;
Prof. J.-M. Fritschy, Zurich;
Prof. N. Herschkowitz, Berne;
Dr Beatrice Roth, Lausanne;
Prof. J. Kesselring, Valens;
Marco Tackenberg, Berne
Concept: forum | pr, Berne
Mise en page: Claudia Bernet, Berne
Impression: Druckerei Hofer
Bümpliz AG, Buchdruckerweg 20,
3018 Berne