Valérie Moukaga, une exécution ordinaire
Transcription
Valérie Moukaga, une exécution ordinaire
Prologue Stains, Seine-Saint-Denis Mardi 13 mars 2007 Il est 14 heures. Valérie se repose dans le salon tout en surveillant son fils plongé dans ses devoirs. Tout est calme. Les bruits de la rue ne parviennent pas jusqu’à leur appartement du onzième étage. Mais soudain : – Yohan tu entends ? J’ai l’impression qu’il y a du monde dans l’escalier. – Oui maman, tu as raison, que se passet-il ? Quelqu’un parle dans un talkie-walkie. – Ils sont sur le palier, chut… écoute… on dirait la police... qu’est-ce qu’ils cherchent ? – Tu crois qu’ils viennent pour nous ? – Non bien sûr, mais ne t’inquiète pas, ils recherchent peut-être quelqu’un qui se cache dans un appartement ou encore… 9 Valérie Moukaga, une exécution ordinaire Valérie n’a pas le temps de terminer sa phrase. Un bruit sourd et terrifiant de coups sur la porte d’entrée glace le sang de la mère et de son fils. Il se précipite dans ses bras pour y chercher une protection illusoire. Tous les deux sont terrorisés. – Police ! Ouvrez cette porte ! hurle une voix agressive et menaçante. Les coups redoublent. Valérie commence à paniquer. Elle comprend qu’ils viennent enlever son fils. Comme tout le monde elle avait entendu parler d’enfants retirés à leurs parents sur simple dénonciation mais elle ne pensait pas en être victime. Elle se lève et se dirige vers la fenêtre. Son fils ne la quitte pas. – Maman regarde ! Ils ont bouclé tout le quartier… il y a des flics partout… des fourgons et des voitures. Regarde, il y a même les pompiers… et là, deux ambulances… maman, j’ai peur ! – C’est pour nous. Je suis là, ils n’oseront pas approcher. Regarde ! les gens de la cité arrivent de partout, ils vont nous protéger. 10 Prologue Valérie cache mal son angoisse. Elle est fragile du cœur et ces émotions la paralysent. Elle se dit : « Du calme, je dois rester calme mais il ne faut surtout pas qu’ils me prennent mon fils. Il est fragile, et hyper émotif. S’ils le mettent dans un foyer, il ne supportera pas la promiscuité. » Alors, telle une bête traquée par les chasseurs, elle le prend dans ses bras, rempart dérisoire devant cette force injuste et aveugle. Un nouveau bruit venant de l’extérieur la fait sursauter. Un homme en uniforme surgit comme un diable dans l’encadrement de la fenêtre. Elle se précipite avant qu’il n’explose la vitre et l’ouvre. L’homme descendait en rappel depuis le toit. Elle l’interpelle : – Qu’est-ce qui se passe, pourquoi vous cognez comme ça, que voulez-vous, on n’a rien à se reprocher. – Ouvrez ! Je vous ordonne d’ouvrir ! – Mais qui vous envoie ? – Ordre du juge, nous venons pour l’enfant, ouvrez, c’est un ordre ! 11 Valérie Moukaga, une exécution ordinaire Les policiers s’acharnent sur la porte avec les crosses. Les coups sont terribles. Valérie se précipite pour l’ouvrir avant qu’ils ne la défoncent. À ce moment, profitant de l’ouverture de la fenêtre, le pompier saute dans le salon. – Je suis dans la place ! hurle-t-il aux policiers. Dans le même temps, Valérie ouvre. C’est une horde sauvage qui s’engouffre. Policiers, pompiers, six ou sept, peut-être plus. Elle se précipite pour protéger son fils et le serre désespérément dans ses bras. L’enfant est terrorisé. Un homme saisit Valérie avec une extrême brutalité tandis qu’un autre lui arrache son fils de ses bras. Elle étouffe, elle crie en répétant vainement qu’elle est cardiaque. La bousculade est indescriptible. Soudain, un jeune noir du quartier fait irruption dans l’appartement. Il est révolté par la scène qui se déroule sous ses yeux et se jette sur les policiers sans réfléchir aux conséquences de son acte. Il n’hésite pas à les pousser pour dégager Valérie, visible- 12 Prologue ment exténuée et en larmes. Ce jeune de vingt ans, issu de l’ex-empire français en Afrique, hurle : « Vous n’avez pas honte de brutaliser une femme seule ? Vous n’êtes que des lâches ! » Ce jeune homme a véritablement oublié le danger dans lequel il se mettait, osant s’opposer sans armes, avec vaillance, à des policiers blancs au risque de sa propre vie. Sait-il qu’il sera fiché, ses empreintes et son ADN classés et répertoriés ? Il sera désormais ciblé et présumé coupable de tout. Alertés par les bruits, les voisins arrivent à la rescousse. Un policier tord les bras de Valérie dans son dos pour lui mettre les menottes. Elle crie de douleur. Une solidarité sans précédent s’instaure dans l’immeuble. Francine, une voisine antillaise, intervient : « Vous n’allez pas lui mettre des menottes à cette pauvre dame. Elle n’a rien fait de mal. » 13