les painkillers ou tueurs de douleurs, anatomie d`une addiction

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les painkillers ou tueurs de douleurs, anatomie d`une addiction
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LES PAINKILLERS OU TUEURS DE
DOULEURS, ANATOMIE D'UNE ADDICTION
Publication: 17/05/2016 07h02 CEST Mis à jour: 17/05/2016 07h03 CEST
"Painkiller", le tueur de douleur, est le nom d'un héros métallique chanté par le
groupe de heavy metal anglais Judas Priest, il y a 26 ans. "Faster than a bullet /
Terrifying scream / Enraged and full of anger / He's half man and half machine
/ Rides the metal monster / Breathing smoke and fire / Closing in with vengeance
soaring high". Ces paroles, chantées par Rob Halford, pourraient décrire
poétiquement les désordres induits par une consommation excessive de ce type de
médicament opioïde sur des neurones humains. C'est imagé, fantasmé mais
possiblement vrai.
Parlons science et pharmacologie, maintenant!
Les painkillers, ce sont des antalgiques opioïdes, qui en se fixant sur des récepteurs
dans le cerveau et la moelle épinière, soulagent des douleurs qui ne répondent pas aux
antalgiques classiques comme le paracétamol. Lorsqu'ils sont bien prescrits, dans le
cadre d'un suivi médical rigoureux, ils jouent leur rôle thérapeutique.
Il existe d'ailleurs différents types de médicaments:
•
les antalgiques opioïdes faibles comme la codéine et ses dérivés, le tramadol
couplé ou non au paracétamol;
•
les antalgiques opioïdes mixtes comme la buprénorphine et la nalbuphine;
•
les antalgiques opioïdes morphiniques comme le fentanyl, la morphine et
l'oxycodone.
On parle beaucoup de ces médicaments en ce moment. L'ancien patron (de 1990 à
1997) de la Food and Drug Administration, l'autorité américaine de régulation des
denrées alimentaires et des médicaments, le Dr Kessler, a récemment lancé un appel
sur le niveau épidémique de prescription de ces antalgiques opioïdes aux Etats-Unis et
sur ses conséquences. Le problème a dépassé le milieu rural initialement touché et
aucune classe sociale n'est épargnée. Certains médecins et scientifiques s'inquiètent de
l'usage addictif de ces médicaments.
Une addiction répandue chez les stars
La presse grand public relaie également les histoires de consommation excessive, et/ou
de décès induits de personnes célèbres, vulnérables aux addictions. L'actriceJamie Lee
Curtis a été dépendante aux "painkillers" pour calmer des douleurs émotionnelles et
physiques. Elle est abstinente depuis 17 ans maintenant. Nicole Richie, la fille du
célèbre chanteur de "Hello", "Say You, Say Me" et plein d'autres hits, a été addict à
l'alcool, à l'héroïne et a ajouté le Vicodin (un dérivé de la codéine) à sa liste en 2006.
Dr House se shootait avec cette molécule dans la fameuse série. Matthew Perry,
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l'acteur de la série à succès "Friends" a aussi été désintoxiqué de différentes substances
dont des antalgiques opioïdes, et il est actuellement abstinent. Il en est de même pour
les enfants du "Prince des Ténèbres" et célèbre chanteur de hard rock, Ozzy Osbourne.
Ce dernier ayant déclaré "c'est un problème de famille, ces drogues... C'est dans nos
gènes". Marshall Mathers, plus connu sous le nom d'Eminem, l'un des plus gros
vendeurs de musique rap, a chanté ses expériences de défonce dans les chansons
"These Drugs", "Under The Influence", "Drug Ballad". Il mixait le rhum aux ecstasy et
aux painkillers. Courtney Love, la veuve du chanteur de Nirvana, ou l'acteur Charlie
Sheen en ont aussi fait les frais, comme des professionnels du basket-ball ou du
football américain...
Il y a aussi les histoires de décès en lien avec ces produits. Michael Jackson luttait
contre cette dépendance depuis longtemps. Il avait été obligé d'annuler brutalement
une partie de son "Dangerous" Tour dans les années 1990. Le King Elvis Presley
prenait plus de 20 comprimés par jour dont des antalgiques opioïdes. Récemment, le
décès de Prince serait possiblement dû à une overdose d'opioïdes, l'artiste était
dépendant à ces agents pharmacologiques depuis au moins l'époque où il chantait
"Purple Rain".
Addiction, overdoses, hépatites
L'addiction est une pathologie cérébrale multifactorielle, chronique, récurrente,
caractérisée par la poursuite répétée d'une consommation ou d'un comportement pour
lutter contre une souffrance, malgré des conséquences sur la santé. La capacité à
ressentir du plaisir et à trouver la motivation à poursuivre des activités quotidiennes est
touchée. Des envies irrésistibles de consommer sont présentes et obsédantes. Les
émotions négatives, lorsque ces envies ne sont pas assouvies, sont présentes. Une
mauvaise prise de décision, une perte de contrôle, un manque de régulation
personnelle, sont également des éléments présents dans cette maladie et à l'origine de
rechutes.
Les antalgiques opioïdes ont un potentiel addictif non négligeable de par leur action
pharmacologique et neurobiologique. Dans une étude réalisée par Conrardy et ses
collaborateurs, en 2015, aux urgences d'un hôpital américain, les patients interrogés
avaient des représentations diverses concernant le risque d'addiction à ces
médicaments. Certains ne savaient pas que c'était potentiellement addictif, d'autres
sous-estimaient leur risque personnel d'addiction et d'autres, qui avaient peur de
devenir addict, préféraient ne pas prendre ces médicaments malgré le risque d'une
mauvaise prise en charge de leurs douleurs.
Aux Etats-Unis, selon l'enquête nationale menée par la Substance Abuse and Mental
Health Services Administration en 2014, 1,9 millions de personnes avaient un trouble
lié à l'usage de substances impliquant les antalgiques opioïdes. En 2014, 467.000
adolescents américains utilisaient régulièrement ces médicaments et 168.000 d'entre
eux souffraient d'une addiction aux tueurs de douleur. La population féminine serait
plus exposée à la dépendance à ces médicaments que les hommes. Un début de
consommation à un jeune âge, entre 16 et 45 ans, des consommations excessives, des
antécédents familiaux d'addiction, des antécédents personnels d'abus de substances,
des pathologies psychiatriques associées (trouble bipolaire, dépression, TOC,
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hyperactivité avec déficit de l'attention...), des antécédents d'abus sexuel avant
l'adolescence, des facteurs génétiques, des facteurs développementaux,
l'environnement sont des facteurs de risque de développement d'une addiction. Mais
tout le monde ne devient pas addict!
Les antalgiques opioïdes, pris de façon chronique, peuvent entraîner un état
pharmacologique appelé dépendance physiologique, qu'il faut distinguer de l'addiction.
Il s'agit d'un syndrome de manque (sevrage) associé ou non à un phénomène de
tolérance (augmenter les doses pour retrouver les effets de la première fois).
Les antalgiques opioïdes peuvent entraîner des overdoses (OD), cause mortelle
accidentelle avec environ 19.000 personnes touchées aux Etats-Unis. En France, selon
l'Observatoire Français des Drogues et de la Toxicomanie, les niveaux d'usages sont
plus faibles avec environ 200 à 300 overdoses par an dont 12% dus aux antalgiques
opioïdes. Ces risques d'OD sont majorés par la prise de tranquillisants, d'alcool ou
d'autres drogues. La naloxone, antidote des OD, en spray nasal ou par voie injectable,
devrait être accessible plus facilement et prescrite chez les personnes prenant des
antalgiques opioïdes. Actuellement, son utilisation n'est supervisée que médicalement.
Certains antalgiques opioïdes sont combinés à du paracétamol qui est un élément très
toxique pour le foie. Le risque d'hépatite est donc non négligeable chez les personnes
surconsommant les painkillers.
En 10 ans, les overdoses et les prises en charge pour addiction ont augmenté
parallèlement (entre 1999 et 2009) aux Etats-Unis.
Prudence lors de la prescription
La prescription de painkillers n'est donc pas anodine. Même si tout le monde ne
devient pas addict à une substance, il faut prendre en compte cette notion, en
recherchant tous les facteurs de risque, au début et au cours du traitement. Prendre en
charge la maladie addictive si elle est présente, notamment avec des traitements de
substitution, informer sur les risques d'overdoses, notamment lors de mélanges avec
d'autres substances ou avec l'alcool, informer sur les risques pour le foie, sont des
messages importants à faire passer dans la communauté médicale et au grand public.
Laurent Karila est l'auteur du livre "Votre plaisir vous appartient", parution le 1er juin
2016.
http://www.huffingtonpost.fr/laurent-karila/painkillers-tueurs-de-douleur-anatomieaddiction_b_9994100.html