Paul Souleyre – Vous savez écrire - Memoblog

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Paul Souleyre – Vous savez écrire - Memoblog
Paul Souleyre
10 articles de
Memoblog - Oran
à aimer ou à détester
mais à
PARTAGER.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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1 - Avril 1949, le Bouyouyou :
tout le monde descend !
29 avril 2012
Le Bouyouyou
Toute ma famille paternelle travaillait dans les gares. Ils étaient cheminots. Le père
de mon père travaillait à la gare de la ville et le grand-père maternel était chef de gare
au Bouyouyou. Pour tous ceux qui ont l’âge d’avoir la mémoire d’avril 1949,
le Bouyouyou reste inoubliable.
Surtout qu’à l’époque, ceux d’aujourd’hui étaient enfants. Et quand on est enfant, ce
genre de train s’imprime dans la mémoire pour l’éternité.
Alors que je retranscrivais le premier entretien réalisé avec mon père en août 2010, je
suis tombé sur un passage qui manquait de clarté et je me suis décidé à envoyer un
mail pour demander des précisions.
La réponse fut tellement riche de souvenirs et de poésie que je dus la relire au moins
dix fois. Je vais en reproduire ici une partie, celle qui donnera aux anciens l’occasion
de retourner en pays de cocagne le temps d’une lecture.
« …Son père aussi à Mamie était chef de gare. Tout le monde était chef de gare dans
la famille. Mais lui, c’était le petit train Oran-Hammam-Bou-Hadjar. Un petit
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tramway que la société belge avait installé entre Oran et Hammam-Bou-Hadjar
distant de 80 kms.
Cette ligne de tramway, c’était un bon petit train des années 1910 installé par une
Société belge avec une locomotive comme on en voit dans les films du Far West,
avec un tender et deux à trois wagons. Cette ligne de 100 kms reliait Oran à
Hammam-Bou-Hadjar, petite ville quelque peu thermale (d’où le nom de Hammam)
où est née Mamie en 1920.
Cette ligne partait du centre d’Oran, au carrefour du Bd Joffre et Bd Mascara au
niveau de la caserne ; c’est d’ailleurs là que Papi a connu Mamie qui y travaillait
depuis 1 an (son père était Chef de gare) quand il a été embauché en 1941. Elle
continuait sur Boulanger-Médioni, La Sénia, Valmy, Arbal…
Je peux te dire que papi était vite devenu un pilier de ce Bouyouyou dont la ligne
fut fermée en avril 1949. Avec son collègue Besson qui était mécanicien, ils
s’arrangeaient pour utiliser le train pour chasser le gibier.
Dans ma mémoire d’enfant de 5-6 ans, je le revois dans la plaine de Valmy sortir du
train que Besson avait fait rouler au pas pour aller tirer avec son fusil un geai
(oiseau multicolore qui m’avait frappé par sa beauté) qui se trouvait perché dans les
parages, et il revenait en courant dans le train.
La Société du Bouyouyou avait un dépôt de matériel à Boulanger-Médioni et
également deux véhicules de service : deux belles Citroën Rosalie, l’une pour le
Directeur et l’autre pour les 2 ou 3 sous-chefs ; évidemment papi qui était chef
comptable l’avait quelquefois et je me souviens être dans cette voiture (car papi
m’amenait toujours avec lui) à circuler dans les rangs de vigne à Valmy pour
chasser la perdrix, la chasse était une passion pour lui.
Je me souviens voir de la fumée sortir de dessous le capot car le radiateur fuyait et
le moteur chauffait, je me souviens du pot d’échappement arraché qu’on réparait
avec des fils de fer…
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Tout ça devait se passer 1 ou 2 ans avant la fermeture de la ligne. Cette époque est
restée marquée dans ma tête parce que tous les employés allaient être licenciés et ça
alimentait beaucoup les conversations à la maison.
Papi était avec trois ou quatre autres le représentant des salariés qui allaient
discuter à Alger de leur devenir. Je me revois gamin allant avec ma mère
l’accompagner le soir en bas de l’immeuble prendre le bus pour rejoindre la gare
d’Oran CFA (=SNCF), avec une petite valise, direction Alger.
Là encore, il s’en est bien tiré car il s’est fait muter à la gare CFA d’Oran alors que
son frère Roger a été recasé aux CFA d’Alger et a du faire la navette Oran-Alger
chaque week-end pendant 10 ans. Papi est resté à la gare d’Oran jusqu’en 1962.
Mon père rajoute cette très belle phrase pour finir.
Enfin, petit gamin sur le quai de la « gare » de Valmy, je revois ce train arriver
éructant de partout, cette locomotive qui m’impressionnait beaucoup avec sa haute
cheminée envoyant en l’air un gros nuage de fumée.
Mon père ne le sait pas mais c’est un grand écrivain.
Paul Souleyre
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2 - L’année prochaine : le salon
d’Alboran
28 avril 2012
L'île d'Alboran
J’ai reçu deux invitations cette semaine : l’une pour Oran et l’autre pour Antibes.
Oran fait beaucoup écrire, à moins que ce ne soit l’époque qui veut ça ou le goût des
salons de printemps. Là, de toute façon, c’était trop tôt pour moi. L’année prochaine
peut-être.
Mais j’espère bien que les écrivains rapatriés me raconteront le rassemblement
d’Antibes.
Et
j’espère
bien
que
les
lecteurs
algériens
me
raconteront
le rassemblement d’Oran. De toute façon, tout ça n’est pas pour moi. Je ne suis pas
un rapatrié, et à Oran, j’aurais l’air d’un ovni.
C’est quand même un problème
Evidemment, les uns vont me dire « mais non !! qu’est-ce que tu racontes ! arrête tes
salamalecs ! » et les autres… « mais non !! qu’est-ce que tu racontes ! arrête tes
salamalecs ! » Et quand on en est là, c’est qu’on en est nulle part.
Alors je suis parti à la recherche du pays de nulle part, et finalement, j’ai mis
beaucoup moins de temps que prévu à le trouver. Il m’a fallu à peu près 12 secondes
pour que remonte à ma mémoire le nom d’une mer et d’une toute petite île mal
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connue : Alboran. Un nom pareil, c’est quand même prédestiné. Je vais m’amuser à
une étymologie toute personnelle : si Oran est habituellement rattachée à deux lions
et le préfixe « alb » à quelque chose comme du blanc, je finirai par traduire : les deux
lions
blancs.
Mieux,
les deux
lions
fantômes.
Voilà
!
me
suis-je
dit
instantanément.Oran fantôme, c’est parfait pour moi.
Au Royaume d’Alboran
Alors j’ai tracé une croix rouge à l’emplacement de l’île d’Alboran au milieu de la mer
d’Alboran, c’est-à-dire nulle part au milieu de nulle part. Et pour la première fois de
ma vie, je me suis senti chez moi. L’année prochaine, j’annonce la couleur, il y aura
lesalon d’Alboran. Je vois une piste d’atterrissage et un bâtiment qui devrait bien
pouvoir accueillir des rapatriés de nulle part. On ne prendra pas trop de place. On
fera tout sur alboran.com
Mince, le nom est déjà pris.
On en trouvera un autre.
Paul Souleyre
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3 - De la transmission par
les croque-monsieur
09 mai 2012
Sculpture d'Ousmane Sow - Mère donnant le sein à son petit bébé
Il y a quelques années, j’avais demandé à ma mère de m’écrire quelques pages
sur Oran. C’était bien avant de commencer le travail de transmission entrepris
avec mon père en 2010. Ma mère est morte en février 2009, je pense que l’écrit dont
je vais parler date de 2002.
Il commence de cette façon : « A Oran, il faisait toujours beau. Quand on sortait le
matin, habillé de frais, tiré à quatre épingles, l’air était déjà tiède, le ciel grand et
bleu, d’un bleu turquoise inimitable, brillant de pureté. Surtout au printemps et en
été. Il pleuvait rarement. Quand on est arrivé en France en 1962, je n’avais pas de
parapluie, c’est tout juste si je savais ce que c’était. On était imprégné de soleil et de
beauté, c’était merveilleux. »
Alors ce que je vais écrire maintenant va détonner dans le paysage. Ma mère n’a pas
du tout aimé l’Algérie. Ou plus exactement la société française sous ces basses
latitudes. Quelques lignes plus loin, elle écrit ceci qui est très dur et bien sûr excessif.
Pathologique, en vérité.
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Ma mère était malade de l’Algérie et accessoirement d’une sclérose en plaques :
« Quand le soir tombait, il était tard et chacun rentrait chez soi, en un clin d’œil il
n’y avait plus personne dehors. Les méditerranéens ont toujours été très
moutonniers. Ca n’a pas changé.
La mode était tyrannique : toutes les filles la même coiffure, la même forme de robe
à la mode, et tout le monde le même genre de plaisanterie grossière, dont la femme
faisait les frais en général, et tout le monde le même rire. Le décor était beau, mais
les gens étaient bêtes en Algérie. »
Il y a quelques jours, je discutais avec un ami pour lui dire que dans ma famille, la
transmission de l’Algérie Française avait été fort compliquée parce que ma mère
avait tout rejeté en bloc d’une manière maladive, à commencer par la cuisine qui, làbas, est une religion.
Elle détestait viscéralement la place que sa mère avait tenu dans la famille, c’est-àdire aux fourneaux. Et pourtant, ce n’est pas tout à fait vrai puisque ma grand-mère
travaillait, ce qui n’était pas forcément le cas général. Elle était institutrice. Mais
voilà, selon ma mère, il ne faisait pas bon être une femme à Oran.
Je ne sais pas du tout quoi en penser. J’imagine que des lectrices dévouées ne
manqueront pas d’éclairer ma lanterne.
Ce que je sais, en revanche, parce qu’il est difficile de le nier, c’est que je suis nul en
cuisine. Gamin, c’était pâtes le midi, croque-monsieur le soir. On en rigole beaucoup
avec ma soeur aujourd’hui.
Et j’ai mis du temps à comprendre que ce que j’avais transmis de l’Algérie Française à
mes filles, en fin de compte, c’était les croque-monsieur.
Ce n’est pas très glorieux.
Paul Souleyre.
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4 - Alicante de l’autre côté de la mer
23 août 2012
Alicante aussi
Ces derniers jours, Alicante est revenue à moi de manière assez inattendue.
Par la Vierge de Santa-Cruz, par ma mère, par la soeur de mon père et par Juan
Ramon Roca.
Commençons par la Vierge, ce sera le plus simple.
C’était lundi dernier, j’évoquai le voyage de La « Petite Murillo » à Alicante en 1968.
Je me suis alors vaguement rappelé que la ville avait fait son apparition dans mes
souvenirs les jours précédents mais je n’arrivais plus à savoir sous quelle forme.
Et puis je me suis souvenu de Juan Ramon Roca… et de ma déception.
Histoire de ne pas parler pendant trois heures, je fais directement le
lien sur l’article de JC Pillon qui donne l’essentiel de ce qu’il faut savoir.
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J’étais tout content d’avoir trouvé un livre inconnu, venu d’ailleurs, mais racontant la
même histoire que celle des mes ancêtres. J’étais encore plus content de voir qu’il en
existait une version française, parce que si je baragouine un peu l’espagnol, je le lis
très mal.
J’arrive même à trouver la librairie espagnole par laquelle je peux le commander sur
Internet. J’envoie un mail en espagnol (pas peu fier !) et j’attends le retour.
Je n’ai pas attendu très longtemps. A peu près 18 secondes.
« Google tried to deliver your message, but it was rejected by the recipient domain.
We recommend contacting the other email provider for further information about
the cause of this error. The error that the other server returned was: 550 550 5.1.1
[email protected] recipient rejected (state 13) »
Je déteste cette prose profondément humiliante : [email protected] n’existe plus,
allez voir ailleurs si vous pouvez trouver votre livre. Signé Google.
C’était déjà un miracle que je le trouve dans cette librairie espagnole. J’ai laissé
tomber. Tant pis.
Mais c’est dommage parce que je sentais qu’il y avait une communauté de destins et
j’avais envie de découvrir comment les espagnols avaient vécu la chose. Ce sera pour
une autre fois.
Je me pose avec un café, et je finis par me demander pourquoi j’ai tant fantasmé sur
Alicante pendant une demi-heure, à la recherche du livre de Juan Ramon Roca.
Ce n’est pas normal. Il y a là aussi quelque chose qui se joue. Que signifie pour moi
Alicante ?
Je revois alors la lettre de ma mère. Celle que j’ai publiée il y a une quinzaine de jours
et où elle raconte son départ pour Oran, en avion. Elle passe les Pyrénées, puis
survole l’Espagne.
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Et elle remarque à quel point Alicante est particulièrement bien visible.
Ce que je ne comprends pas alors (et que je comprends seulement maintenant, en
l’écrivant, d’où l’importance de l’écriture) c’est qu’en survolant Alicante, elle vient de
rentrer dans la région d’Oran. Si elle éprouve le besoin de dire « on voit
particulièrement bien Alicante » c’est qu’Alicante fait partie d’Oran. Elle ne dit pas
on voit particulièrement bien Saragosse. Ça n’aurait aucun sens. Elle dit à ses parents,
« j’arrive bientôt, je suis à Alicante » .
Alicante : l’Oran espagnole
Je ne crois pas exagérer en intercalant ce titre. Alicante était oranaise. Oran était
d’Alicante. C’est écrit sur cette page :
« L´ « Ipanéma » a ainsi déversé de nombreux touristes de descendance espagnole,
de seconde ou même de troisième génération d’émigrés, issus des provinces de
Valence, Alicante, Murcie et Alméria.
Au départ d´Oran, ces nouveaux français manifestaient leur désir de connaître
enfin leur terre d’origine, et ce voyage fournit l’occasion d’aller faire un semblant de
pèlerinage du côté du village de leurs aïeux.
Ainsi les agglomérations les plus proches comme Denia, Callosa de Ensarriá, La
Nucía, Aspe, Monforte del Cid, Santa Pola, Orihuela, etc, pourront faire l’objet de
visites aussi brèves qu’émouvantes, indépendemment du résultat obtenu dans les
recherches d’un nom de famille, d’un quartier, d’une rue ou d’une maison qui n’a
peut-être pas survécu. »
Ces traditions de « jumelages » ont l’air d’avoir cessé en 1936. Elles ont repris en
2007 :
« Tradition et beaucoup d’attentes. Le feu place de la Galice a pris hier un aspect de
distinction lors des célébrations des Hogueras avec la reprise du défilé de la
délégation d’Oran.
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La présence du comité Algérien à l’offrande de fleurs a marqué le retour d’un acte
signalé dans le calendrier des fêtes qui pour la première fois depuis 46 années est
revenu faire partie des festivités de la ville.
Des centaines d’habitants d’Alicante ont assisté hier à ce défilé qui est parti depuis
l’avenue Alfonso El Sabio jusqu’à la Cathédrale de San Nicolas pour y apporter son
offrande particulière.
Avec cet acte Alicante a repris hier les relations étroites qui l’ont liée pendant des
années avec la ville nord-africaine d’Oran dans la célébration de ses festivités
traditionnelles. »
La soeur de mon père habite en Bretagne depuis les années 70. Je me rappelle très
bien qu’au mois d’août, pendant bien 30 ans, elle n’avait qu’une idée en tête,
descendre à Alicante pour y passer un mois. Elle disait toujours, là-bas, je suis sûre
qu’il fera beau. C’est les vacances, je veux un endroit où il fait beau. Je pensais que
c’était à cause de la Bretagne réputée pour ses précipitations.
30 ans plus tard. Je me pose quelques questions…
Pourquoi ce besoin absolu de passer tous les ans un mois à Alicante ?
Pour le beau temps ?
Tout à coup, j’ai comme un doute.
Paul Souleyre.
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5 - Hubert Ripoll retrouve la mémoire
06 mai 2012
Hubert Ripoll
Lorsque Luc m’a écrit, « bientôt, je te parlerai d’Hubert Ripoll », je suis allé voir
sur Internet qui était cet homme et j’ai découvert qu’il s’agissait d’un psychologue
spécialisé dans le mental des champions.
Je me suis vraiment demandé quel pouvait être le rapport entre ce psychologue et
moi qui ne suis pas champion même si je me débrouillais pas mal au 1000m quand
j’étais jeune.
Et j’ai découvert un livre formidable. Les livres formidables ne le sont que parce que
leurs auteurs le sont ; un livre est avant tout un regard porté sur le monde. Hubert
Ripoll n’esquive rien de tout ce qui fait le monde pieds-noirs.
Il le fait avec une telle douceur qu’on a envie de l’embrasser. De lui dire merci, merci,
merci Hubert de ne pas partir en guerre, on en a assez des guerres. Et puisqu’il
n’esquive rien, j’ai fini par me retrouver au milieu de toutes les possibilités offertes
par la nature.
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Jame contacte Hubert Ripoll
Jame vit à Buenos Aires et a pris contact avec Hubert Ripoll par l’intermédiaire de
sa webcam. Il est le plus jeune des témoins interviewés. Il a 26 ans. Ce qu’il dit dans le
passage que je vais retranscrire est presque anecdotique mais ces quelques paroles
ont réussi l’exploit de me tendre un miroir non déformant.
Donc merci à toi, Jame de Buenos Aires. Moi aussi j’aurais aimé vivre à Buenos Aires.
Quoique, à bien y réfléchir, j’ai quand même un penchant pour l’île d’Alboran, le pays
des rapatriés de nulle part.
« Il y a trois ans, je me suis rendu compte que rien dans mon patronyme ne
rappelait mes origines espagnoles, ou pieds-noirs, et j’ai éprouvé le besoin de
rajouter celui de ma branche maternelle. J’ai eu envie de garder une trace de cette
culture et d’avoir un nom qui ne soit pas complètement français.
J’aime ce nom qui montre que je ne suis pas complètement français et qui montre
que je viens d’ailleurs, parce que pour moi, ce sont les racines que je veux garder,
celles dont je suis fier. Ça parait un peu soudain comme décision mais elle a été
mûrie pendant plusieurs années. C’est l’aboutissement d’un cheminement mental…
Je n’ai pas pu abandonner mon nom français, car, en France, c’est très compliqué de
changer son état civil. Je me suis plongé dans le droit pour savoir comment je
pouvais faire avec ces deux noms. Mon nom est maintenant composé : F.-G., du
patronyme de mon père et de ma mère.
C’était quelque chose que je voulais faire à tout prix. Je savais que mes grandsparents en seraient très heureux. Ma grand-mère en a été fière. Elle a trouvé cela
génial. Mon grand-père ne me l’a pas dit car il exprime peu ses sentiments mais je
sais par ma grand-mère qu’il en était très heureux.
Si je devais choisir entre mes deux noms, je choisirais sans aucun doute le
patronyme maternel. Oui, Jame G. »
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Paul Souleyre, mon frère
Merci Hubert Ripoll, merci Jame de Buenos Aires, je comprends mieux pourquoi
j’ai eu besoin, moi aussi, de prendre un autre nom.
Mais ce n’est pas un autre nom, quand on y regarde bien, c’est un second nom. Un
« nom frère ». J’espère que je n’aurai jamais à choisir entre mon nom d’état civil et
mon nom de plume.
Mon nom d’état civil est pour mes filles. Mon nom de plume pour mes ancêtres. Ce
sont mes feuilles et mes racines.
Les deux me sont nécessaires pour survivre.
Paul Souleyre.
PS1 : Merci Hubert pour votre commentaire chaleureux. J’ai hésité à commenter
votre commentaire, et puis je me suis malgré tout décidé. Je devais aussi raconter
mon petit monde pieds-noirs.
PS2 : Un mois après la publication de l’article, Jame est intervenu pour faire un
commentaire qui se trouve ci-dessous. Mais je l’ai trouvé tellement brillant que j’ai
décidé de le publier le jour même en « Une » de ce blog.
Les commentaires :
1.
Hubert Ripoll says:
7 mai 2012 at 21 h 50 min (Edit)
Ecrire un livre comme Mémoire de là-bas est une épreuve technique, morale,
affective. Le doute terrasse, j’ai failli y succomber. Y arriverai-je ? Comment réagiront
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mes témoins ? Vais-je leur être fidèle ? Et les autres qui découvriront ces traces de vie
? Oui, le doute terrasse. Je me rappelle ces fin de nuit à la recherche du fil
conducteur, du mot qui cogne ou qui apaise… Et puis il y a ces mots si doux à lire que
tu viens de m’offrir, toi Paul que je ne connais pas. Tu parles de Jame qui t’offre ses
clefs qui ouvrent tes portes. Curieusement, Jame – que je ne connais pas non plus –
m’a adressé hier un mail qu’il concluait ainsi :
« Je suis sincèrement heureux que tu aies pu publier cet ouvrage qui mérite d’exister
et transmis. Je suis sincèrement heureux d’avoir pu contribuer à cette démarche que
tu as entrepris pour nous tous. Et je suis sincèrement heureux que la boucle se soit
bouclée ce soir, de manière si impromptue… et si opportune pourtant.
Pour toutes ces raisons, merci. Merci d’avoir laissé une trace supplémentaire de notre
mémoire. »
Merci Paul et Jame pour ces regards croisés et ces mots sortis de vos coeurs,
inconnus l’un pour l’autre, mais battant au rythme d’une même histoire.
Hubert Ripoll
2.
Paul Souleyre says:
8 mai 2012 at 0 h 01 min (Edit)
Cher Hubert, je suis très honoré de voir apparaître ici votre commentaire.
Vous m’avez fait passer un prodigieux samedi. Je ne pouvais plus lâcher votre livre et,
plusieurs fois, j’étais limite de verser ma larme. Je devais laisser l’ouvrage sur la
petite table du salon et partir souffler dans le jardin. Impossible de continuer. Il y
avait trop de choses. Trop de choses incroyables à lire qui arrivaient de partout. Des
témoignages tellement forts, tellement vrais. Et tellement de diversité aussi. Je ne me
reconnaissais pas dans tout mais je me disais, si ça continue, je vais finir par tomber
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sur mon clone. Jame n’est pas mon clone mais son geste est un geste de
reconnaissance dans lequel je me suis reconnu.
Et la reconnaissance est la clé de voûte actuelle du monde pied-noir. Ce monde crie sa
douleur depuis 1962 mais la crie tellement mal qu’il se tire une balle dans le pied à
chaque fois qu’il ouvre la bouche et ne fait qu’accentuer ainsi l’impossibilité pour les
enfants de rejoindre leurs parents. C’est dramatique. J’ai fait ce site pour que les
jeunes aient un support qui leur permette d’aller vers les anciens. Et j’ai créé de mes
petites mains Memoplume pour qu’ils n’aient même pas besoin de moi pour le faire.
Les anciens n’iront plus vers les jeunes, maintenant. Ils sont trop dignes pour cela. Ils
ont tout sauvé à travers leurs sites Internet des années 2000 et pourtant… l’essentiel
n’y est pas : la transmission.
Ces sites ont l’apparence de la transmission mais n’en sont pas. Les anciens parlent
entre eux, se rappellent comment c’était là-bas, s’échangent les recettes de cuisines,
se recherchent les uns les autres, montrent des photos, font de la poésie,
reconstruisent tout, recréent une algérie-française.com en somme, pays virtuel
aussi peu accessible pour nous que peut l’être l’Algérie d’avant 1962. Il n’y a aucune
place pour les pieds-noirs de la 3ème génération. C’est un spectacle auquel nous
assistons mais au sein duquel nous ne pouvons exister. Alors que notre désir le plus
cher est d’y prendre place.
Ce qui est en train de se passer, cher Hubert, c’est que ce sont les jeunes d’Oran
(algériens mais aussi bien espagnols par exemple) avec qui je discute tous les jours
qui me transmettent Oran. Une Oran bien vivante, pleine de joie de vivre, d’avidité de
connaissance et d’amour. Certainement pas une Oran mortifère. Et je dois sans cesse
lutter pour me dire ne trahis pas toi non plus. Pense à ton père. A sa souffrance et à
tout ce qu’il t’a transmis. Ne t’en vas pas l’oublier. Et ne t’en vas pas oublier tes
ancêtres qui ont aimé cette ville et ce pays. Mais je sais que si les anciens continuent à
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être aussi mortifères, alors je finirai par leur préférer les vivants. C’est terrible, mais
c’est comme ça. Je préfère la vie que la mort.
Merci encore, Hubert, de nous avoir offert un livre aussi vivant.
Très respectueusement.
Paul Souleyre.
3.
Jame says:
1 juin 2012 at 23 h 45 min (Edit)
J’imagine qu’on appelle cela la synchronicité…
Le hasard qui, un soir, m’a fait croiser le livre d’Hubert pour lequel j’avais témoigné,
et qui m’a fait lui écrire ce même soir, semble participer d’un phénomène plus grand
encore puisqu’il t’implique Paul – contre toute attente.
J’ai traîné à venir lire cet article, gardant en tête le mail d’Hubert qui me suggérait de
le lire. Et je ne regrette pas d’avoir ma mémoire.
J’aime penser que je sais garder le contrôler et réagir avec mon cerveau… mais tout
cela, cette histoire qui me rattrape, laisse mon cœur en premier plan, avec des
réactions peut-être un peu naïves (?), bêtes (?). Je ne sais pas vraiment quoi dire,
encore sous le « choc » d’avoir croisé ta réaction.
Ces sentiments partagés semblent sans cesse confirmer l’existence de cette identité
pied-noire… une identité qui serait partagée, tel une puce électronique qui nous
relierait malgré nous, tant nos sentiments sont similaires, partagés, communs.
J’avoue être touché par ta mention de mes mots sur ton blog – sans vraiment savoir
qu’en penser, comment l’intégrer à moi.
Il est surprenant de constater que quelques mots échangés, livrés à une oreille
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attentive peuvent nous marquer.
Ce geste anodin de me livrer à Hubert semble maintenant me poursuivre, m’habiter,
et m’influencer chaque jour en réalité.
J’aime lire ton témoignage, et savoir que visiblement Hubert à su toucher les âmes
qui portent encore la trace de Notre Histoire.
Et merci d’avoir poster ces quelques mots, merci de ce témoignage de connexion,
merci d’exprimer cette résonance qui semble nous « relier » – il est toujours agréable
de savoir que d’autres partagent nos sentiments même s’il est tellement confortable
de penser que nous sommes seuls parfois.
Et si je suis sûr que nous ne sommes pas des clones, et si je déteste penser ne pas être
unique (hehe), je suis ravi de savoir que je ne suis pas isolé.
Jame
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6 - Oran : en noir et blanc
12 mai 2012
Scaléra
Hier après-midi, je discutais d’Oran avec Tewfik et je lui demandais entre autres
choses d’écrire un article pour Memoblog. Il m’a promis de le faire un jour puis il m’a
dirigé sur une page Facebook. J’en suis tombé par terre. 55 photos magnifiques. J’ai
bien dû passer une heure à les admirer une par une. Vraiment, je ne connais aucun
site qui m’offre des photos d’une telle qualité. On a droit à tout sur Oran, mais
rarement à ça.
Là, il est minuit et demi, je demande à Tewfik s’il accepte que j’écrive l’article de
samedi sur son talent de photographe ; ça le fait rire, il me dit pas de problème, mais
je ne veux pas savoir quelle photo tu vas mettre à côté de l’article, tu me laisses la
surprise.
Voilà. Je crois que tout est là. Ça ne sert à rien de discuter de l’écriture, de la
photographie, du cinéma, de la mode, que sais-je, tout tient dans le regard qui est
porté sur le monde. Descartes a fondé l’Occident sur la célèbre formule « nous rendre
comme maître et possesseur de la nature », Tewfik sait qu’on n’est maître de rien du
tout et il attend la surprise.
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Gare
Il attend la surprise ici parce qu’il attend la surprise de façon générale. C’est une
manière d’être au monde. Et comme il habite Oran, il se promène un peu partout et il
attend de la ville qu’elle offre des surprises. Un sourire ? hop, il le saisit à la volée en
haut des marches de la Calère. Et voilà la Calère qui se met à sourire.
Il habite près de la gare donc il va faire un tour dans son quartier. Soudain, voilà la
gare qui déborde de vie au milieu des enfants. La vieille gare d’Oran. Je suis content
de la voir comme ça, c’est là que travaillait mon grand-père paternel et ma mère
n’habitait pas très loin. Ça rajeunit toute ma famille, d’un coup.
Front de mer
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Ambiance sepia sur le Front de mer. Le vieux lit le journal sur un banc pendant que
les jeunes admirent le port, accoudés à la rambarde. Le sol de la promenade est
incurvé pour permettre l’évacuation de l’eau qui tombe lors des orages ; les troncs de
palmiers sont barbouillés de chaux insecticide ; les plaques d’immatriculation
titubent.
C’est une Oran bien vivante que tu nous offres, Tewfik.
Merci.
Paul Souleyre.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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7 - Transmission de mémoire
20 juin 2012
Magritte – Transmission de mémoire
J’écris sur ce blog depuis maintenant deux mois.
Je suis bloqué dans un train qui part vers Paris et je n’ai accès à aucune source
d’informations, que ce soit ma bibliothèque ou Internet. C’est parfait. Je vais pouvoir
faire un retour sur deux mois d’écriture et de rencontres.
Je n’imaginais même pas tout ça il y a huit semaines. Hubert, Tewfik, Luc, Kamel,
Emile, Jame, Toufik, et j’en passe avec qui j’ai souvent eu de grandes discussions
comme Claude ou Lionel.
Je n’en connais aucun physiquement, et pourtant, ils sont tous là. Autour de moi. A
me soutenir, à me stimuler ou tout simplement à répondre à mes perpétuelles
interrogations.
Je suis sans cesse en ébullition et la grande difficulté est surtout de gérer ma
schizophrénie, de continuer à travailler tout en ayant la tête à Oran, Lyon, Buenos
Aires ou Masseube.
Dans deux semaines, ce sera terminé. Je pourrai consacrer 100% de ma tête à
réfléchir à cette drôle d’histoire.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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Fin juin, je vais voir Toufik à Paris pour serrer la main d’un être qui touche
quotidiennement les murs d’Oran. Premier contact avec la ville réelle.
Puis dans la foulée je pars à la rencontre des pieds-noirs au colloque de Masseube.
Il y aura des historiens, mais je l’avoue, ils ne m’intéressent plus. Je connais
l’essentiel à connaître des combats qui se mènent. Ils sont légitimes, je les respecte, ce
sont des choses importantes, mais ce n’est pas pour moi.
La seule raison qui me porte vers Masseube tient en une question : comment les
pieds-noirs de ma génération ont-ils survécu aux ravages de 62 sur leurs
parents ?
Normalement, il y aura des personnes de moins de 50 ans. Je l’espère vraiment. Et
j’espère surtout que tous ne seront pas des nostalgiques de ce qu’ils n’ont pas connu,
que certains questionneront leurs parents, que d’autres questionneront leurs enfants,
et que beaucoup se demanderont pourquoi ça a si mal collé dans leur famille.
Mais je crains la déception.
Je crains vraiment le blackout. La bienpensance. Le vide absolu. Et puis la kemia et
le mechoui pour finir dans la bonne humeur et à l’année prochaine si tout va bien ou
dans 10 ans avec des morts plein la charrette et peu de chance de parvenir à de la
transmission.
Les anciens ont monopolisé la parole et fabriqué des mythes. Les alborans (c’est
comme ça que j’appellerai désormais ceux qui sont nés en France de parents piedsnoirs en hommage au pays de nulle part qui est ma vraie patrie) n’ont qu’à se
débrouiller avec ces mythes en carton (Les pionniers ou la fraternité des peuples).
La vérité, c’est que les alborans se débrouillent déjà fort bien avec tout ça, ils s’en
fichent royalement. Ce n’est pas mon cas, mais ça l’était il y a peu de temps et ça
aurait pu le rester longtemps. L’Algérie Française leur passent totalement au-dessus
de la tête. Ça prouve à quel point ils ne sont dupes de rien. Je ne l’étais pas non plus.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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Tant que la transmission ressemblera à une kemia, les alborans iront choisir leur
apéro ailleurs.
Je vous fais passer le message : Les alborans ont autre chose à faire qu’à perdre leur
temps avec ce genre de mascarades. Un bon nombre d’entre eux ont eu de gros soucis
avec leur ascendance.
La kemia, le mechoui et les makrouds n’y ont rien changé. Les alborans aimeraient
maintenant pouvoir discuter d’autre chose que de De Gaulle ou de cuisine. Ils
aimeraient savoir s’il y a une place pour eux dans cette Histoire, ou si tout s’arrête
définitivement en 62.
Auquel cas, pour ma part, je ne suis pas concerné. Et j’ai bien peur qu’ils ne le soient
pas non plus. Ce sont des choses importantes, mais qui les excluent. Les alborans,
c’est après 62. Leur histoire se trouve là. Il s’est passé beaucoup de choses entre 1962
et 2012, et ils étaient dedans.
Ils n’ont pas rigolé tous les jours. Ils aimeraient bien en discuter. Et surtout pas pour
régler des comptes. Ils s’en fichent. Ils n’en sont plus là depuis longtemps. Ils
aimeraient juste comprendre pourquoi ils ont eu tant de problèmes, eux aussi, alors
qu’ils n’y étaient pas.
Voilà.
Un blog comme celui-ci vaut ce qu’il vaut mais il n’est pas tourné vers le passé pour le
passé. C’était la base.
Il est tourné vers les pieds-noirs qu’il n’a jamais laissés sur le chemin.
Il est tourné vers les algériens parce que personne ne lui en a parlé.
Il est tourné vers Oran parce que la ville est toujours là.
Il est tourné vers l’écriture parce que les mots sont les outils de la
transmission.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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Un blog comme celui-ci est tourné vers le présent. Il est un support de transmission.
Il n’est pas là pour faire joli. Il regarde aussi comment s’est faite la transmission.
La transmission, c’est ce qui s’est passé après 62.
Entre les parents et les enfants.
Paul Souleyre.
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8 - Les français peuvent être jaloux
des espagnols
08 juin 2012
Oran - La Porte d'Espagne
Emile est un Montpelliérain oranais d’origine espagnole. Son père était aviateur et a
profité de son avion militaire pour fuir Franco dans les années 40 et atterrir en
Algérie. Emile n’est pas le seul oranais d’origine espagnole.
Mon grand-père maternel qui s’appelait aussi Emile était d’origine catalane. Mais il
est arrivé plus tôt à Oran. Il y est même né, en 1916.
Oran a toujours été une ville espagnole. Les arènes en témoignent. Ce sont des choses
qui ne sont pas nouvelles. Mon père me l’a dit tout de suite, dès que j’ai commencé à
l’interroger sur Oran.
Il se sentait « le seul français là au milieu » . Il passait ses journées à jouer au foot
avec des gamins qui parlaient espagnol et soutenaient le Real. Pas le Stade de Reims.
Kamel Daoud : « En 1962, 900.000 Pieds-noirs débarquent en France en quelques
semaines, constituant une vague migratoire inégalée au 20ème siècle par son
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intensité. Parmi eux, 400.000 personnes sont originaires d’Espagne (Espagnols ou
descendants) et près de 300.000 viennent de la seule Oranie. L’Oranie, département
français de 1848 à 1962, a été une terre de peuplement à majorité hispanique dans
l’Algérie coloniale française. »
Plus étonnant par contre, et c’est Emile qui m’a mis sur la piste cette après-midi, les
espagnols sont de retour en force à Oran.
Kamel Daoud, chroniqueur très apprécié à Oran, a écrit un article (en deux parties)
particulièrement instructif à ce sujet. A mon avis, tout se résume dans la parole d’un
ancien ambassadeur d’Espagne en Algérie :
« Avec nous c’est plus simple de faire des affaires et je le répète souvent à votre
gouvernement : l’Espagne est là, à une demi-heure d’avion, nous n’avons pas de
passif colonial, ni de problème d’Histoire. »
Voilà. Avec les espagnols, c’est simple. Pas d’histoire.
Les français peuvent être jaloux, la colonisation est un passif qui plombera toujours
l’ambiance. L’Espagne a une Histoire avec Oran, ne serait-ce que Santa-Cruz, mais
elle n’a pas une histoire dramatique. Ou alors si lointaine.
Je lis dans l’article qu’il y a 150 entreprises espagnoles en Algérie. Pierre Lellouche,
dans cette vidéo qui relate le forum de partenariat Algérie-France, indique qu’il y a
450 entreprises françaises actuellement implantées en Algérie. Donc ça va, les
français tiennent encore la route.
Mais plus pour longtemps, les espagnols sont plus sympas : « Bruyants, sociables,
expansifs et amateurs de foot, ils ont fini par conquérir de l’espace dans la ville et
chez ses habitants.
Contrairement aux Français -généralement des fonctionnaires du consulat,
d’anciens expatriés et de rares touristes ou cadres d’entreprise. Les Espagnols, eux,
assurent la main d’œuvre de base en tant qu’ouvriers.
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Du coup, les comportements sociaux ne sont pas les mêmes : les premiers craignent
les réactions post-coloniales ou préfèrent les bunkers de la prudence, les seconds
envahissent les rues.
Ce sont des expatriés sans passifs coloniaux et sans histoire commune polémique : ni
demandes d’excuses, ni «colonisation positive». Juste des affaires. A cela s’ajoute un
peu ces exubérances dites méditerranéennes et le sens de la fiesta. »
Dans 50 ans, Oran qui n’a jamais été française sera de nouveau espagnole.
Pepe puso un peso en el piso del pozo. En el piso del pozo Pepe puso un peso.
Paul Souleyre
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9 - Les perdrix d’El-Kerma
(Ex. Valmy)
22 juin 2012
Territoire de chasse en Algérie
Ma mère n’aimait pas la nature mais mon père est presque né dedans.
La littérature est un accès au monde, une voie très importante. L’autre voie consiste à
se frotter à la réalité.
Quoi qu’il en soit, les deux sont nécessaires à l’intelligence.
Sans livres, on ne comprend pas grand chose à ce qui arrive. Les livres ouvrent la
perception. Sans réalité, on vit dans un petit monde imaginaire. La réalité recadre les
natures sujettes au fantasme.
Il y a des tas de gens qui ne lisent jamais ; et il y a des tas de gens qui se suffisent d’un
monde imaginaire. Les espèces hermaphrodites ne sont pas si courantes. Je le dis
d’autant plus facilement que je me sens plutôt bancal, davantage pris dans
l’imaginaire que dans la réalité, même si je me soigne.
Tous ceux qui ont connu la chasse ont eu accès à une réalité privilégiée.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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On peut être contre, c’est comme la corrida, ça ne change rien au côté initiatique de
l’activité. L’Homme y apprend toujours beaucoup sur lui-même. Le père de mon père
adorait chasser dans la Sebkha d’Oran, au moins jusqu’à son interdiction (en 1955, je
crois). Après Louis-Ferdinand Céline, Albert Camus ou Marie Cardinal, il est
important de faire un détour par la réalité des sens. Rien de tel qu’une promenade à
travers les champs.
Voici ce qu’écrit mon père qui accompagnait toujours son père dans la sebkha d’Oran,
les dimanches de chasse, tôt le matin.
Je le tire du récit qu’il a écrit seul, en 2006.
« Les dimanches où j’allais à la chasse avec lui, mon père venait me réveiller à 5h du
matin. Je croyais qu’il fallait aller à l’école, mais en émergeant davantage de mon
sommeil, je me rappelais qu’on était dimanche et en un instant, j’étais transformé,
heureux de partir vivre cette aventure si tôt.
Les préparatifs étaient rapides, l’essentiel avait été fait la veille. Une moto Peugeot
toute neuve nous transportait sur le lieu de chasse dans les environs de notre village
de Valmy (El Kerma, depuis l’Indépendance). J’étais assis sur le siège arrière, collé
au dos de mon père car le froid matinal accentué par le déplacement me pénétrait
déjà. Nous n’avions pas l’habitude de lutter contre le froid. Heureusement, le trajet
n’était pas long, à peu près 20 kms.
Nous arrivions chez la grand-mère paternelle qui nous attendait pour nous
réconforter avec du biscuit maison, un café chaud et un sandwich au saucisson dont
je raffolais. Il faisait encore nuit, mais le jour commençait à pointer. L’équipier de
chasse arrivait à son tour et nous partions dans la campagne environnante.
C’était un espace infini, sauvage, dénudé, assez caillouteux. Quelques arbres isolés,
pins et eucalyptus, s’élevaient par-ci par-là. La topographie n’était pas plane, mais
plutôt bombée avec une suite de vallons et de bosses. Je me contentais de suivre les
chasseurs dans le matin naissant, c’était très agréable. Une impression de solitude
et de grand calme se dégageait.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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Quand un groupe de perdreaux était repéré au sol, une stratégie était mise en place
; l’un des deux chasseurs contournait le groupe de volatiles et tentait de rabattre le
gibier qui s’envolait dans la bonne direction pour que le second chasseur camouflé
puisse les tirer. A la fin de la matinée, j’étais exténué et je restais à l’ombre d’un
arbre, attendant le regroupement des chasseurs à l’endroit convenu. Cette stratégie
avait lieu plusieurs fois dans la matinée, et chacun revenait avec 4 ou 5 perdrix et un
lièvre.
Sous cet arbre, j’écoutais le silence, et la solitude m’angoissait légèrement ; je ne
savais pas très bien où je me trouvais. Le soleil était déjà assez haut et commençait à
chauffer bien que nous soyons en hiver ; quel contraste avec le matin où je grelottais
sur la moto !
Sur le chemin du retour, la fatigue se faisait sentir, et après nous être bien
désaltérés, nous rentrions.
Ces dimanches étaient pour moi de grands moments de bonheur et de fatigue, mais
je me sentais heureux et plein d’une sensation indéfinissable. »
Ce sont des émotions que ma mère n’a jamais ressenties.
Paul Souleyre
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10 - Jeanne au bain
17 août 2012
Jeanne la Folle
J’ai toujours trouvé ce nom très beau : les Bains de la Reine.
La connotation à la fois érotique et mythologique ne peut que laisser rêveur les
rêveurs comme moi.
D’autant plus que ces Bains ont disparu.
Il ne reste guère que des photos. Donc c’est le grand mystère de la Reine au bain…
…l’histoire légendaire de Mélusine, fée du moyen-âge, qui interdit à son pauvre mari
de la voir nue dans son bain le samedi. Il risquerait de découvrir son secret : ses
membres inférieurs ont l’apparence d’une queue de poisson.
Et le samedi, el sábado, c’est jour de Sabbat, jour des sorcières.
Mélusine la sirène. Mélusine la sorcière.
Paul Souleyre – Vous savez écrire
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« En partant de Mers El Kébir, la route de la corniche oranaise traverse, 3 kms
avant Oran, les Bains de la Reine, un petit établissement thermal. Cette source était
connue des arabes bien avant l’occupation d’Oran par les Espagnols.
D’après la légende, une source aurait jailli sur l’invocation de Sidi Dedeyeb. A la
prise d’Oran, le Cardinal Cisneros fit usage de ces eaux. Adoptées par la noblesse
espagnole, elles doivent leur nom aux visites répétées de Jeanne la Folle, fille
d’Isabel la Católica.
Ce sont des eaux chlorurées, sodiques, bromurées, d’une température de 55 degrés. »
(Cercle Algérianiste)
JC Pillon complète un peu le portrait :
« Jeanne « la folle », fille d’Isabel la Católica et mère de Charles V était venue
soigner sa maladie de peau avec les eaux thermales qui coulaient à 55°C. Avant la
conquête espagnole, les indigènes appelaient ces bains « Hamam Sidi Deleion ».
Dans la première moitié du siècle, bon nombre d’oranais y venaient régulièrement
soigner leurs rhumatismes. »
Jeanne la Folle, Mélusine espagnole, venait donc cacher sa queue de poisson dans un
établissement thermal d’Oran. Peu de gens le savent.
Et puis la guerre emporta tout. Mers el Kebir se changea en base militaire
antiatomique ultrasecrète et la sorcière Mélusine fut sacrifiée sur l’autel du nucléaire.
La grotte de l’Aïdour y passa par la même occasion. Il n’y eut plus de Bains de la
Reine ni de Reine au Bain.
Jeanne la Folle, depuis longtemps disparue, disparut définitivement.
Et la Corniche devint la route de Bomo-plage.
Paul Souleyre.
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